Le pouvoir a usé et abusé de plusieurs stratégies pour disqualifier le
mouvement des gilets-jaunes. Il y a d'abord eu le traitement par le
mépris: "Ça leur passera, c'est un genre d’éruption cutanée, ils
finiront par rejoindre le rang! Il suffit de laisser pourrir,
d'attendre, de tabler sur la fatigue." Un genre de variations sur le
thème du: "Salauds de pauvres!" Mais ça n'a pas suffi. Ce petit peuple
qui dit n'en plus pouvoir d'être étranglé par le pouvoir de l'État
maastrichtien n'a plus rien à perdre: strangulé depuis des années,
fatigué, épuisé, exsangue, harassé, éreinté, qu'a-t-il désormais à
perdre? Plus rien...
Il y a eu ensuite le traitement par le mensonge. Le ministre de
l'Intérieur, ancien joueur de poker naguère très au fait des habitudes
du milieu marseillais, y est allé fort: il a livré à la presse, qui
s'est empressée de les reprendre et de les diffuser largement, des
chiffres fantaisistes concernant les participations aux manifestations à
la décimale près en expliquant que ce n’était rien, peu de chose, pas
grand-chose. Les images avaient beau montrer le contraire à jet continu,
rien n'y faisait: le pouvoir disait que c'était quantité négligeable
-donc gens négligeables.
Dans la foulée, il y a eu le traitement par la criminalisation. On a
ainsi vu ce fameux Castaner posant dans un PC sécurité, avec des
fonctionnaires aux ordres, en leur demandant devant les caméras de
confirmer qu’il y avait bien eu un mort. La conversation ressemblait à
ça: "Un mort, oui, c'est ça, j'ai bien entendu, il y a eu un mort, vous
pouvez me confirmer qu’il y a donc bien eu un mort à cause des
gilets-jaunes? C'est bien ça?" Or, s'il y a bien eu des morts, ils ne
l’ont pas été du fait des gilets-jaunes, mais du fait de ceux qui, comme
Castaner, refusaient les gilets-jaunes, et fonçaient dans le tas...
Puis il y a eu le traitement par la diabolisation: on a parlé de
fascisme, de vichysme, de poujadisme, de lepenisme, de populisme, de
peste brune, d'antisémitisme, d'homophobie, de racisme. Libération et Le
Monde, France-Inter et le service public audiovisuel dans sa totalité,
ainsi que les journaux subventionnés par l'argent du contribuable, y
sont allés comme un seul BHL! Mais cette technique qui a fait mouche
pendant quelques années ne marche plus. Le peuple a compris les
ficelles. Depuis qu'il en fait lui-même les frais et qu’il sait qu'il
n'est ni fasciste, ni antisémite, ni nazi, ni homophobe, il comprend que
ces éléments de langage sont préparés et distillés par les médias du
système afin de le maintenir en place, et de n'y rien changer. Mais il y
a eu mithridatisation: ce poison inoculé depuis des années ne produit
plus aucun effet. C'est tout juste devenu l'eau bénite des
maastrichtiens avec laquelle ils essaient en vain de conjurer ce qu’ils
prétendent être le diable...
Ajoutons aux forfaits déjà listés le traitement par l'attaque ad
hominem: les journaux du système sont allés chercher des poux dans la
tête de tel ou tel dont on cherchait le spécimen le plus à même de
servir de repoussoir. Il y eut cette femme qui avait fait un tabac avec
sa vidéo, tout au départ du mouvement, et dont on a vidé les poubelles
afin de savoir s'il n'y avait pas chez elle quelque chose qui réjouirait
la basse police intellectuelle. On a trouvé de l'hypnose (comme chez
Freud...), de la croyance à des propos assez peu scientifiques (comme
chez Freud...), du complotisme (comme chez Freud...), mais comme elle ne
se réclamait pas du docteur viennois, les journalistes parisiens qui
habituellement souscrivent aux fictions de la psychanalyse trouvaient
que, chez elle qui vivait en province et n'était pas diplômée en pensée
magique freudienne, il n'y avait aucun crédit et que, de ce fait, c'est
tout le mouvement qui cessait d'être crédible -chez ceux-là même qui,
soit dit en passant, n'avaient jamais estimé une seule seconde qu’il fut
ou crédible ou défendable...
Il fallut également compter avec le traitement par l'essentialisation.
De sorte qu'un propos raciste tenu ici par un gilet-jaune qui bloque une
voiture conduite par un non-blanc (on ne sait plus comment dire sans
risquer la prison...) bien décidé à forcer le barrage, et voilà que
c'est tout le mouvement qui est raciste! Et l'on fait de même avec un
gilet-jaune qui a tenu un propos homophobe après avoir estimé que le
conducteur énervé d'un autre véhicule ne lui semblait pas hétérosexuel
(toujours la crainte de la prison...), et voilà que tout le mouvement
devient homophobe! Il est bien évident qu'il n'y a aucune espèce de
tolérance à avoir à l'endroit de qui est raciste ou homophobe,
antisémite ou phallocrate, mais, sur les millions d'électeurs de Macron,
on pourrait également trouver des racistes et des homophobes: personne
n'en conclurait, surtout pas les journalistes du système, que Macron
lui-même l'était ou bien, pire encore, la totalité du mouvement En
Marche!
Pour suivre, il y a eu aussi le traitement par la déconsidération: il
fallait absolument assimiler le mouvement aux casseurs. Consignes furent
donc données aux forces de l'ordre de laisser casser: sinon, pourquoi
aurai-je vu pendant si longtemps sur BFM des manifestants desceller des
pavés de l'avenue des Champs-Élysées? Ce que les journalistes pouvaient
filmer sans problème, en prenant leur temps, ce que les téléspectateurs
pouvaient voir, bien assis dans leur fauteuil, les services de police
pouvaient eux-aussi le voir, ils pouvaient donc agir, donner des ordres
et empêcher que les pavés soient descellés. Auquel cas, sans pavés
descellés, il n'y aurait pas eu de forces de police attaquées, pas de
vitrines de magasins défoncées, et rien de ce qui a permis aux
journalistes de s'apitoyer longuement sur le spectacle déplorable, sur
la violence des gilets-jaunes, sur leur vandalisme, sur leur
sauvagerie... Qui était sauvage. Qui était vandale? Le président de la
République, le Premier ministre, le ministre de l'Intérieur qui avaient
les moyens d'empêcher la violence et qui s'y sont refusés afin de
pouvoir ensuite l'instrumentaliser à des fins de déconsidération.
De même a-t-on eu droit à un traitement par la dramatisation. Avec l’un
d'entre les gilets-jaunes qui disait qu'il fallait marcher sur l'Élysée
afin de pouvoir y être reçu pour présenter ses doléances, on fit une
scène médiatique formidable: les gilets-jaunes voulaient faire un
"putsch" fut-il dit. Un "coup d'État" ont ajouté d'autres! Il a suffi
qu'on sorte le propos d'un autre qui voulait qu'on confie Matignon au
général de Villiers pour que la presse effectue une nouvelle variation
sur le thème du fascisme des gilest-jaunes. Il n'est pas venu à
l'esprit de ces journalistes qu’un réel putsch a vraiment eu lieu en
France il y a quelques années: c'était le 29 mai 2005 et on le devait
aux libéraux maastrichtiens, de droite et de gauche, quand ils ont jeté
aux ordures le référendum par lequel 54,68 % des Français ont fait
savoir qu'ils ne voulaient plus de cette Europe maastrichtienne
libérale, qui a créé la paupérisation générant ce mouvement des
gilets-jaunes.
Mépris, mensonge, criminalisation, diabolisation, attaque ad hominem,
essentialisation, déconsidération, dramatisation: Emmanuel Macron ne
recule devant rien quand il s'agit d'attaquer le peuple afin de défendre
l'Europe maastrichtienne.
L'image des blindés de la gendarmerie stationnés en haut des
Champs-Élysées renseigne bien sur ce qu’il en est désormais du pouvoir
personnel d'Emmanuel Macron... Mais ce ne sont pas des véhicules
militaires, a dit une crétine de BFM le samedi matin parce qu’ils
n'étaient pas équipés de mitraillettes -des "sulfateuses" a même
surenchéri un consultant expert de la chaîne! Il y avait presque un
regret chez ces gens-là qu'on ne sulfate pas le peuple qui se contente
de demander du pain.
Michel Onfray
Source : https://michelonfray.com/interventions-hebdomadaires/le-pouvoir-aux-abois
dimanche 9 décembre 2018
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