mardi 11 décembre 2018

La responsabilité que nous, journalistes avons à prendre

Il faut que je vous dise, car nous comptons quelques morts et blessés graves déjà. Il faut que je vous dise de la responsabilité que nous, journalistes avons à prendre, dans ces moments clairs-obscurs. Il n'est plus possible de laisser l’État décider de l'information à propager. Pour comprendre la répression qui s'abat dans ce pays, il faut être du côté de ceux qui se battent contre. Ici, à Clermont-Ferrand, nous avons suivi la répression excessive sur les lycéens. Nous ne minimisons pas les conneries de certains gosses à péter des voitures de prolos, au hasard des rues. ( d' ailleurs les manifestants ont aidé la jeune femme a temps partiel à remettre sa voiture à l'endroit alors qu'elle était en larmes). Mais même ces petits couillons n'ont pas à être violentés par la police. Les forces de l'ordre n'ont ni à insulter ni à tabasser des jeunes, aussi cons soient-ils. Ils peuvent se défendre. Mais depuis que nous trainons dans les manifs, nous n'avons jamais croisé un jeune armé, ni même un manifestant voulant blesser ou tuer un autre humain. Les seuls délits sont ceux envers des objets, des poubelles, et des voitures.
Mais, nous aimerions parler des centaines d'autres victimes qui eux exerçaient simplement leur droit à manifester. Ceux-là, ont été gazés, ont reçu des flash balls, des coups de matraque. De nombreux lycéens mineurs ont été interpellés sans aucun motif. 11 comparutions immédiates hier pour des lycéens, tous ressortis libres. Pourtant, ils ont pour la plupart passé 24 heures en garde à vue. Sans être coupable de rien. Si ce n'est d'avoir voulu aller crier dans la rue leur mécontentement face aux nouvelles lois qui incombent leur vie de futurs étudiants. Nous avons été de leurs côtés pour prendre conscience de cette répression sans précédent, dans nos villes. Nous avons été gazés alors que nous parlions tranquillement dans la rue avec des lycéens croisés dans nos ateliers d'éducation aux médias. Ces ateliers durant lesquels on leur dit de ne pas croire à tout ce qu'on leur raconte. La scène est surréaliste. nous remontons la rue pour rejoindre une AG organisée par les lycéens. Tranquillement. Quand le camion de CRS passe. sans descendre de leur camion, l'un d'eux tend son bras par la fenêtre et appuie sur la gazeuse assez longtemps pour que toute la rue soit irrespirable. Je les regarde. Ils rient tous, en regardant nos yeux plein de larmes, et les lycéens en train de suffoquer. Puis, repartent. Contents d'eux. Il n'y avait là aucun attroupement, aucun risque de casse.
Cette violence physique et morale ne peut qu'alimenter la colère. L'envie de leur crever les pneus. Ils le savent. Ces hommes ( pardon mais je n'ai pas vu une seule femme!) ne se souviennent donc pas qu'ils sont là pour nous protéger contre les éventuelles violences de certains. Ces hommes ne se souviennent que leur seul rôle est d'intercepter les fauteurs de trouble, de ne pas faire justice eux-mêmes.

Amis journalistes, nous avons cette responsabilité de dénoncer cette violence devenue ordinaire avant qu'il ne soit trop tard, avant qu'il y ait trop de morts, avant que le droit de manifester soit si dangereux à accomplir que tout le monde baissera la tête.
Trop de nos confrères filment du côté de la police, abrités par leur cordon. Ils ne voient plus rien.
Nous ne pouvons accepter de parler de la violence des " manifestants, " des casseurs" sans parler de celle de la police. Aujourd'hui, et depuis les trois semaines d'événements, cette dernière est, pour l'instant, la seule qui tue. Des morts par flash-balls, des gens dans le coma, des points de suture. Énormément de blessés. Aucun ne peut poursuivre son coupable, son bourreau. Les familles demandent des enquêtes.
Ainsi, en France, un manifestant, même mineur, peut passer 24 heures en GAV, sans qu'aucun fait ne lui soit reproché, alors que dans le même temps, des forces de l'ordre peuvent gazer, enfumer, tirer des flash-balls, estropier des gens, faire perdre un œil à une lycéenne, insulter avec des propos racistes, vouloir éduquer à leur manière en mettant des gosses à genoux, sans que rien ne leur soit reproché.
Ne nous étonnons pas que les oppressés, un jour, veuillent prendre leur revanche...

Éloïse Lebourg
Gère Mediacoop, Rencontres des Médias Libres et du journalisme de Résistance et La compagnie du lundi

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