vendredi 28 décembre 2018

Étienne Chouard : "Ce que font les gilets jaunes est historique"

Référence des gilets jaunes, ce professeur de gestion controversé croit en l'avènement de la démocratie directe

lundi 24/12/2018
Par Sophie Manelli
Qualifié de "sulfureux", de conspirationniste, Étienne Chouard, 61 ans, se voit reprocher une proximité avec des personnalités controversées comme Thierry Meyssan, François Asselineau, Jacques Cheminade ; et surtout Alain Soral, qu'il a qualifié de "résistant", au nom du refus de tout sectarisme. Même défiance dans le monde politique, y compris à l'extrême-gauche dont Chouard se dit proche. Cette semaine, en lui rendant hommage, l'Insoumis François Ruffin a révulsé jusqu'à ses amis politiques. Infréquentable, Chouard ? Ou victime d'une bien pensance qui ne tolère plus le débat et rend impossible toute... "pensée complexe"?

Étienne Chouard, qui êtes-vous ?
 

Étienne Chouard : Je suis un prof à Marseille et le hasard a fait que je me suis réveillé politiquement dans la bataille pour l'"anti-constitution" européenne. J'essaie d'imaginer un nouveau processus constituant pour affranchir les multitudes du pouvoir économique. Évidemment, mes réflexions partent parfois dans tous les sens, évidemment, parfois, je me trompe. Tout le monde se trompe, c'est humain. Mais cela ne fait pas de moi un criminel ! Jusqu'à quand va-t-on me traiter de monstre en ressortant cette vieille phrase sur Soral et toutes ces sornettes diffamatoires, sans jamais s'intéresser à mes travaux ?

Beaucoup de gilets jaunes se revendiquent de ces travaux. Quel est votre lien avec ce mouvement ?
 

Étienne Chouard : Au début, je n'ai pas vu son potentiel. Je compatissais mais je trouvais un peu dérisoire de se battre contre la hausse des prix du carburant. Et puis, j'ai compris que ce mouvement est magnifique, historique. Jamais encore le peuple n'avait eu cette volonté d'écrire ses règles de loi sans passer par ses représentants ! Mais je ne suis ni leur mentor, ni leur gourou. Je n'ai jamais voulu être un chef car le pouvoir corrompt, comme une drogue.

Il y a eu un déchaînement de violences chez les gilets jaunes...
 

Étienne Chouard : C'est déplorable et c'est un crève-coeur car cela risque de tuer ce mouvement profondément pacifiste. Mais il y a une grande malhonnêteté des médias à se focaliser sur ces aspects violents. Pour autant, je ne peux pas dire que ces violences ne sont pas légitimes... Car aujourd'hui, il ne reste que la rue pour répondre au coup de force de nos représentants, aux injustices. Quand on vous viole, vous vous défendez. Quand le président de la République, qui vit dans un luxe inouï, désindexe les retraites, jetant dans la misère des gens qui gagnent 500€ par mois, c'est un viol.

Et les propos antisémites ?
 

Étienne Chouard : C'est abominable, comme tous les racismes. Mais là encore, les médias surdimensionnent. Des gros racistes dégueulasses, il y en a partout, pas seulement chez les gilets jaunes. Mais pour combattre cela, il ne suffit pas de dénoncer, il faut prendre le mal à la racine. À mon avis, ce sont les injustices sociales qui donnent à certains, à tort, l'impression que les autres leur prennent ce qui leur est dû.

Vous avez été l'un des chantres du "non" au référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen. Le verdict des urnes n'avait pas été respecté. Les gilets jaunes sont-ils la réponse à ce déni démocratique ?
 

Étienne Chouard : Peut-être, et il y a eu bien d'autres viols démocratiques depuis, comme l'inversion de la hiérarchie des normes, qui signe la destruction du droit du travail. L'Union européenne est une prison politique qui nous oblige à détruire le droit du travail, la Sécu, à vendre les biens publics. Ce sont des catastrophes sociales.

La démocratie directe est-elle possible dans les sociétés modernes ?
 

Étienne Chouard : Ce qui m'a éclairé dans la démocratie athénienne, c'est le rôle du tirage au sort. Comme l'a décrit Castoriadis, avec ce système, applicable à tout groupe humain, ce sont les plus nombreux, donc les plus pauvres, qui ont le plus de chances de gouverner. C'est la seule manière de faire en sorte que le pouvoir politique ne s'achète plus. Pendant 200 ans à Athènes, ce ne sont pas les riches qui avaient le pouvoir. Pendant 200 ans, depuis la révolution française, nos représentants, ce sont les riches, et ils produisent des lois capitalistes qui asservissent la population. Élection n'égale pas démocratie, contrairement à ce qu'on nous a tous appris.

Mais le référendum d'initiative citoyenne que vous prônez ne risque-t-il pas de favoriser les lobbies ?
 

Étienne Chouard : Cela ne sera jamais pire que les lobbies qui écrivent les lois aujourd'hui au Parlement européen ! Le RIC est un outil de niveau constituant, que nous devons forger nous-mêmes. On le sait depuis Platon : il faut que les électeurs endormis se transforment en citoyens vigilants ; Pour cela, nous devons prendre confiance en nous. C'est ce qui est en train de se passer dans les ateliers constituants, sur les ronds-points. Il s'agit de participer au processus législatif, sans aucun domaine interdit, en créant de nouvelles institutions composées de représentants tirés au sort et révocables en permanence. Ce qui est en train de se passer est historique. C'est très émouvant...

Comment éviter les récupérations politiques ?
 

Étienne Chouard : Le plus grand risque pour les gilets jaunes, c'est de tomber dans les violences. Et aussi la puissance de feu des grands médias du pays utilisée contre eux.

Doivent-ils créer leur liste pour les élections européennes ?
 

Étienne Chouard : Si certains le désirent, ils le feront. Mais à mon sens, cela n'a aucun intérêt car le Parlement européen n'a aucun pouvoir. Sortir de la prison politique européenne est un préalable à tout processus constituant.

Politiquement, où vous situez-vous ?
 

Étienne Chouard : Je suis anarchiste, car l'anarchie, le refus d'avoir des chefs, est pour moi très proche de la démocratie. Comme dans les sociétés pirates ou les sociétés amérindiennes, où les chefs n'ont aucun pouvoir en temps de paix. En France, aucun parti ne défend ces idées. Mais celui dans lequel mes idées, même abîmées, ont le plus germé, c'est La France insoumise.

Sourcehttps://www.laprovence.com/article/papier/5300143/etienne-chouard-ce-que-font-les-gilets-jaunes-est-historique.html

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