Christiane Taubira veut revenir sur le traitement des mineurs récidivistes par
les tribunaux correctionnels sans pour autant proposer de solution alternative.
Les acteurs de terrain sont pourtant confrontés à une réalité : les jeunes
entrent en délinquance de plus en plus tôt et pour des faits de plus en plus
graves.
Atlantico : Christiane Taubira propose de revenir sur la loi
concernant la récidive des mineurs de 16 à 18 ans qui les amène à être jugés par
un tribunal correctionnel. Cette-loi a-t-elle changé quelque chose à la
situation difficile de cette délinquance particulière ?
Philippe Sévère :
Il est encore beaucoup trop tôt pour dire si cette loi a servi à quelque chose.
Elle n’est applicable que depuis le 1er janvier 2012. Les premiers procès la
mettant en œuvre ont eu lieu en avril 2012. Nous n’avons aucun recul pour la
critiquer.
Ce matin, sur RMC, je relevais que le retour sur cette loi que
propose madame Taubira semble ne pas être motivé par une réflexion sérieuse.
Elle ne dit pas comment elle envisage de revenir sur ce problème. Supprimer les
chambres correctionnelles alors qu’elles viennent tout juste de voir le jour
risque de ne pas changer grand-chose : nous n’avons même pas eu le temps d’en
voir les effets.
Il faut bien distinguer le juge du tribunal car il y a
souvent des confusions : le juge pour enfant ne prononce pas de peines de prison
mais propose des mesures éducatives tandis que le tribunal pour enfants, en
matière correctionnelle, prononce des peines d’incarcération. Il faut d’ailleurs
noter que tous les quartiers pour mineurs dont nous disposons en France sont
archi-pleins !
En tant qu’ancien policier, j’ai dirigé des travaux sur la
délinquance des mineurs et l’aggravation de leurs actes à Paris 8. Ce
qu’attendent les policiers aussi bien que les magistrats, c’est qu’on leur
propose une solution pour faire face à cette réalité. Au final, que l’on propose
de la correctionnelle ou autre chose, paradoxalement, on s’en moque. Mais il
faut proposer quelque chose !
Dans ce domaine, on a beaucoup joué au jeu
des chaises musicales. Il n’y a pas eu de politique pénale clairement annoncée.
On a renforcé telle ou telle mesure tandis que l’on a cherché à renforcer les
moyens des éducateurs de rue en déployant des travailleurs sociaux formés et
professionnels. Je comprends la démarche de Christine Taubira qui voit dans
cette loi une énième mesure sans effet. Mais c’est aussi son rôle que de définir
une politique pénale vis-à-vis des mineurs. Or c’est un chantier
monumental.
Atlantico : Mais alors que doit-on comprendre ? Qu’il n’y a aucune
solution à apporter à la problématique des délinquants mineurs ?
Philippe Sévère : On s’est
aperçu que les jeunes entrent en délinquance beaucoup plus jeunes qu’avant,
entre 8 et 10 ans. Ils sont beaucoup utilisés pour surveiller les secteurs dans
les affaires de trafics de drogue qui leur donne de l’argent en quantité
démesurée. Ce sont des esprits malléables.
La solution peut être de s’en
prendre aux parents : ils sont censés être responsables de ce que font leurs
enfants. Cependant, il faut bien voir au cas par cas. Il y a bien des situations
où la famille est totalement déliquescente et se moque de ce qu’il advient de
son enfant. Dans ce cas, on peut bien prendre des mesures de rétorsions et
placer les enfants. Mais que proposer à la pauvre femme qui a trois gosses à
nourrir et qui travaille comme un animal ?! Elle ne parvient pas à voir s’ils
sont dans la rue ou non. J’ai pu voir des infirmières qui travaillaient toute la
nuit. Elles ne savaient pas si leurs mômes étaient dehors. Souvent, ils étaient
dans mon commissariat. Les mères, désespérées, nous demandent de les garder. Il
faut quasiment traiter au cas par cas des situations familiales avec des parents
qui sont, passez-moi l’expression, dans une merde noire. Dire qu’ils n’ont qu’à
s’occuper de leurs enfants, c’est facile. Mais la réalité est complexe et on ne
peut pas se contenter d’un jugement de valeur généralisé.
Le service de
police qui va intervenir et le service judiciaire qui doit régler le problème
arrivent en fin de chaîne. L’échec de tout le reste de la chaîne, éducatif et
familial, est déjà consommé. Il faut évidemment investir dans tous les services
socio-éducatifs. On constate souvent que la plupart de ces jeunes sont
originaires de milieux défaillants : ce déséquilibre est un facteur criminogène
dès le premier âge. Si l’on veut qu’un arbre pousse droit, il lui faut un
tuteur. S’il a poussé tordu, il restera tordu.
Atlantico : Quelles solutions faut-il
mettre en œuvre ?
Philippe Sévère : Cela passe déjà par des investissements financiers : il faut
du matériel et du personnel compétent. C’est pour cela que j’ai parlé
d’angélisme. Le mot est utilisé de manière provocatrice mais il a son sens. Que
l’on soit de gauche ou de droite, je ne vois pas pourquoi on ne trouverait pas
de solution si la situation est parfaitement analysée. Encore faut-il qu’elle le
soit.
Atlantico : Quel regard portent les acteurs de terrain sur cette mesure
?
Pour les magistrats du tribunal pour enfants, c’était une charge
supplémentaire. Or aujourd’hui, nous avons un manque chronique de magistrats.
Tel que je le perçois, si vous avez un manque de magistrat et qu’ils doivent
siéger en correctionnelle, ils ne peuvent pas être dans leurs bureaux en train
de prendre en compte les dossiers concernant des mineurs.
Les policiers,
eux, n’ont jamais vu la différence : les premiers jugements datent du mois
dernier. Et puis qu’est-ce qu’on en attend ? On a tendance à considérer que les
juridictions en charge des mineurs sont laxistes. Mais il y a déjà beaucoup de
mineurs en détention. Est-ce que les magistrats en ont condamné plus ? Je ne
sais pas. Est-ce que l’incarcération apporte quelque chose ? Je ne sais
pas.
Les mineurs qui multiplient les passages par le circuit carcéral ont
tendance à être déjà vérolés. Ils enchaînent les condamnations et les
libérations. J’ai tendance à penser qu’il faut prendre le problème comme il est
: nous avons des mineurs qui, à 15 ans, sont déjà de parfaits criminels. Pour
l’instant, il faut bien traiter le sujet sur le plan judiciaire. Mais il faut
aussi investir beaucoup plus sur l’avenir, sur le traitement en amont de ces
enfants qui commencent à dévier très tôt, dès que les instituteurs signalent des
comportements à risque. Entre les enseignants et les flics, il faut des
travailleurs sociaux chargés de repérer et d'aider très tôt ces jeunes pour
traiter le problème à la source : le moment où ils tombent en
délinquance.
Propos recueillis par Romain Mielcarek
Philippe
Vénère
Philippe Vénère a été policier pendant 40 ans. Il a également
enseigné à Paris 8 où il a effectué plusieurs travaux de recherche sur la
délinquance des mineurs.
Il a publié Manuel de résistance contre l'impôt
policier (J'ai lu / mars 2011) et Les flics sont-ils devenus incompétents ? (Max
Milo / septembre 2011)
Source : http://www.atlantico.fr/decryptage/mineurs-recidivistes-parents-noyes-magistrats-mal-outilles-sans-solution-philippe-venere-366714.html=
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