Peut-on espérer recruter 12 000 personnels d'éducation par an alors qu'à peine 6
000 décrochent les concours ?
La mesure de François Hollande consistant à
permettre le recrutement de 60 000 personnels d'éducation au terme de son mandat
prend du plomb dans l'aile. En effet, actuellement, seuls 6 000 enseignants
arrivent à passer le cap des concours. La faute à un faible niveau global des
candidats.
François Bayrou n’a même pas eu à utiliser l’humour, sur
France 2 jeudi dernier, pour envoyer en l’air la promesse faite par François
Hollande d’embaucher en cinq ans 60 000 enseignants (ou assimilés — et nous
verrons que la nuance n’est pas accessoire), soit 12 000 par an.
Que dit
la réalité, l’âpre réalité — qu’il faut entendre, de temps en temps ? Que nous
avons aujourd’hui le plus grand mal à en trouver la moitié. Et que c’est déjà au
prix d’acrobaties docimologiques : les correcteurs aux divers CAPES se voient
imposer des moyennes largement artificielles, qui les obligent à remonter —
parfois de quatre ou cinq points — des copies souvent très médiocres. Tout cela
afin de qualifier pour l’oral assez de candidats pour que l’ultime épreuve ne
tourne pas à la farce. Et encore, avec ce luxe de précautions, ne se
protège-t-on pas toujours du ridicule, avec des concours de recrutement offrant
plus de postes qu’il n’y a de candidats.
Moralité, les jurys, malgré leur
bonne volonté, leur complaisance et leur compassion, refusent de doter la
totalité des postes mis à leur disposition, tant le niveau réel des derniers
admis est faible. Qui reprochera auxdits jurys de songer à la qualité des
enseignants qui, l’année d’après, se retrouveront face à des élèves — vos
enfants?
Pourquoi cette érosion de plus en plus prononcée des
candidatures ? Pourquoi le CAPES de Lettres, par exemple, est-il en dix ans
passé de 12 000 candidats pour 1000 postes à moins de 1500 pour 750
?
Comment pouvons-nous demander pourquoi ? Qui ambitionne réellement, en
dehors de quelques illuminés — dont l’auteur de cet article — de faire classe
dans la cage aux fauves que sont les trois-quarts des collèges, payés 1700 euros
par mois, à cheval parfois sur deux ou trois établissements, tout cela pour
faire du patronage ? Ils avaient rêvé transmettre des savoirs ? On leur propose
de faire passer des « savoir-être » et autres balivernes « citoyennes ». Ils
pensaient travailler 18 heures — ce qui, d’après les calculs mêmes d’un
ministère peu suspect d’aimer ses troupes, correspond à 39 heures de travail
effectif — afin de continuer à se former, à travailler, à se maintenir au
courant des dernières recherches… Et voilà que tous les candidats — sauf
François Bayrou, qui, enseignant et père d’enseignant (et ancien ministre de
l’Education) sait ce qu’une heure de cours veut dire — annoncent qu’ils «
toiletteront » les décrets de 1950 qui régentent l’exercice de la profession, et
les mettront à la schlague au moins 25 heures par semaine…
C’est
peut-être dans les disciplines scientifiques — le cœur même de la modernité —
que le déficit de gens capables est la plus criante. Les bons matheux vont vers
les écoles d’ingénieur, sauf exception. Les autres… ma foi, ils sont moins bons,
voire franchement insuffisants : de ceux-là on va donc faire des enseignants
?
Parce qu’à vouloir recruter en masse (comme si le quantitatif était la
pierre de touche du qualitatif), ce sont des Licenciés que l’on recrutera — que
l‘on recrute déjà, via Pôle Emploi. Des Licenciés formés dans des facs qui bavent
de jalousie devant les classes préparatoires, parce qu’elles savent bien qu’on y
travaille comme on devrait partout travailler, et comme on ne le fait pas dans
toutes les universités. Ou peut-être embauchera-t-on des « grands frères »,
comme dans les années 1997-2002 ? Pour éduquer les enfants — à quoi
?
C’est l’envie d’enseigner qu’il faut ré-instiller dans les projets de
vie des Bacheliers à venir et des étudiants en formation. On ne pourra le faire
(et ce sera lentement, pas en cinq ans ni à marches forcées) qu’en réinstituant
l’Ecole de la République, en comprenant par exemple que la discipline se fonde
dans le respect des disciplines et des enseignants qui les professent. Et qu’il
faut rémunérer les profs au niveau de leur qualification — une vraie
qualification, une vraie formation au contact de leurs pairs — et non dans des
Ecoles de Professeurs qui sont juste la résurrection des IUFM de sinistre
mémoire.
Jean-Paul Brighelli
Jean-Paul Brighelli est professeur
agrégé de lettres, enseignant et essayiste français. Il est également l'auteur
ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs,
notamment La Fabrique du crétin, Editions Jean-Claude Gawsewitch
(2005).
http://www.atlantico.fr/decryptage/recrutement-60-000-enseignants-est-possible-formation-ecole-jean-paul-brighelli-306663.html
lundi 22 octobre 2012
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4 commentaires:
L'auteur de cet article pose à juste titre la question : "Qui ambitionne réellement, en dehors de quelques illuminés de faire classe dans la cage aux fauves que sont les trois-quarts des collèges, payés 1700 euros par mois ?"
Il donne ensuite quelques pistes de solutions :
1 - "la discipline se fonde dans le respect des disciplines et des enseignants qui les professent."
2 - "il faut rémunérer les profs au niveau de leur qualification — une vraie qualification, une vraie formation au contact de leurs pairs".
Mais il oublie une part importante du dysfonctionnement.
Même en payant mieux les profs, même en recevant plus de compassion, de respect, de soutien moral de leur hiérarchie, même en étant mieux formés, ne devront-ils pas toujours "faire classe dans la cage aux fauves que sont les trois-quarts des collèges" ?
Il faut donc se poser la question : pourquoi les élèves adolescents d'aujourd'hui sont-ils devenus des "fauves" !?
Qui donne les repères ? Qui éduque un enfant, futur adolescent, pour qu'il soit un élève en position d'apprendre ?
Les familles bien sûr !
Les enseignants ne devraient être là "que" pour transmettre des savoirs !
Au lieu de cela, ils sont obligés de "faire passer des « savoir-être » et autres balivernes « citoyennes »", comme dit Jean-Paul Brighelli, l'auteur de l'article.
D'où les questions suivantes : les familles d'aujourd'hui ont-elles changé ? Pourquoi ont-elles failli à leur mission d'éducation (au sens de préparation de leurs enfants à adopter un comportement d'élève apprenant et respectueux des enseignants) ?
Quelques pistes pour mieux comprendre mes interrogations :
- de nos jours, la moitié des naissances a lieu dans des familles monoparentales;
- un tiers des naissances en France a lieu dans des familles de culture non-francophone (langue maternelle autre que le français) et cette proportion va croissant;
- chaque année, les enfants passent 1200 heures en classe et 900 heures devant des écrans (télévision, console de jeu, ordinateur, ...)
- l'allocation familiale encourage à faire des enfants, pas à les éduquer (c'est criant de triste vérité dans les DOM/TOM), sans compter les aides qui sont offertes aux femmes seules mais refusées aux couples ...
Interrogée par des parlementaires, la journaliste, essayiste et ancienne enseignante Natacha Polony rappelait que les deux pays qui obtiennent les meilleurs résultats aux tests internationaux PISA, la Finlande pour l'Europe et la Corée du Sud pour l'Asie, sont les deux pays qui (bien que pratiquant des méthodologies, des pédagogies différentes) offrent les meilleures rémunérations à leurs enseignants .
L'attrait des salaires permet d'avoir de meilleurs éléments (qui, sinon, partent vers le secteur privé productif, l'industrie, etc.); tout en valorisant du même coup la profession d'un point de vue social.
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