De grands médias et des politiciens de métier sont en train
d’essayer de faire de moi un « Soralien », ce qui leur permettrait de
discréditer d’un coup, sans argument de fond, la proposition
ultra-démocratique de processus constituant populaire que je défends
depuis dix ans.
Quels sont les faits ?
Depuis la bagarre de 2005 contre l’anticonstitution européenne, je
travaille jour et nuit pour donner de la force à une idée originale
d’émancipation du peuple par lui-même et pas par une élite : je soutiens
l’idée que nous n’avons pas de constitution digne de ce nom et que, si
nous voulons nous réapproprier une puissance politique populaire et nous
débarrasser du capitalisme, nous devrons apprendre à écrire nous-mêmes
notre Constitution, notre contrat social, en organisant nous-mêmes un
peu partout des ateliers constituants populaires. Selon moi, ce n’est
pas aux hommes au pouvoir d’écrire les règles du pouvoir, ce n’est pas
aux professionnels de la politique d’écrire ou de modifier la
Constitution, qu’ils doivent craindre et pas maîtriser.
Depuis dix ans, donc, je lis beaucoup, dans toutes les directions,
tout ce qui touche aux pouvoirs, aux abus de pouvoir et aux
institutions : histoire, droit, économie, philosophie politique,
sociologie, anthropologie, de la bible à nos jours, tout m’intéresse,
pourvu que ça me donne des idées et des forces pour organiser la
résistance des êtres humains à tous les systèmes de domination. J’essaie
de comprendre comment on en est arrivé au monde injuste et violent qui
est le nôtre, et comment on pourrait (réellement) améliorer la vie sur
terre. Chaque fois que je déniche un livre, une thèse, une idée, un
fait, une preuve, un intellectuel, un texte, une vidéo, ou tout document
qui me semble utile pour comprendre les abus de pouvoir et y résister,
je le signale sur mon site et on en parle ensemble. Depuis dix ans, ce
sont ainsi des dizaines de milliers de liens que j’ai exposés à
l’intérêt et à la critique de mes lecteurs.
Sur le plan de la méthode, même si je me sens (de plus en plus) sûr
de moi quant à ma thèse radicalement démocratique, je suis pourtant
toujours à l’affût des arguments de TOUS ceux qui ne pensent PAS comme
moi ; c’est comme une hygiène de pensée, je cherche les pensées
contraires aux miennes, autant pour les comprendre vraiment (ce qui
facilite ensuite les échanges constructifs avec des adversaires que je
considère, malgré notre opposition, comme des êtres humains, donc ipso facto
légitimes pour défendre leur point de vue, quel qu’il soit), que pour
détecter mes éventuelles propres erreurs. Comme tout le monde, je ne
progresse que dans la controverse.
Un jour, il y a trois ans je pense, je suis tombé sur une vidéo de
Soral, que je ne connaissais pas, qui m’a intéressé : il y dénonçait le
colonialisme raciste du gouvernement israélien et le sionisme comme
idéologie de conquête, aux États-Unis mais aussi en France (en
s’appuyant sur les livres — bouleversants — d’Israël Shahak, de Shlomo
Sand, de Gilad Atzmon et d’autres que nous devrions tous lire, je
pense). Pour moi qui travaille sur les abus de pouvoir, il est naturel
d’être intéressé par toute étude d’un projet de domination, quel qu’il
soit. En regardant un peu son site, j’ai vu qu’il étudiait, condamnait
et résistait (comme moi), entre autres, à l’Union européenne, au
capitalisme, à l’impérialisme, au colonialisme, au racisme, aux
communautarismes, aux multinationales, aux complexes
militaro-industriels et aux grandes banques d’affaires, à la prise de
contrôle des grands médias par les banques et par les marchands d’armes,
au libre-échange et au sabotage monétaire, aux innombrables et
scandaleuses trahisons des élites, à toutes les guerres, à toutes les
réductions des libertés publiques justifiées par la « lutte contre le
terrorisme », etc. Bref, tous ces fronts de résistance étant, à mon
avis, des fronts de gauche, et même de gauche radicale et vraie, j’ai
ajouté naturellement un lien sur ma page d’accueil vers le site de
Soral. Un lien, parmi des milliers — je ne savais pas encore que cela
allait faire de moi, en quelques années, un homme à abattre.
Je n’ai pas fait l’exégèse de l’auteur et du site signalés : j’ai
juste cité le lien déniché, comptant comme d’habitude sur l’intelligence
des gens — que je considère comme des adultes — pour distinguer ce qui y
est pertinent de ce qui ne l’est pas, ce qui est bon de ce qui est
mauvais. Et puis, je suis passé à autre chose, évidemment ; ma vie est
une course permanente d’une idée à l’autre.
À partir de ce moment, j’ai reçu des accusations violentes et des
injonctions — souvent anonymes — à retirer ce lien, jugé diabolique. Or,
j’ai horreur qu’on m’impose ce que je dois penser ou dire ; je veux
bien changer d’avis (j’aime découvrir que je me trompe et progresser en
changeant d’opinion), mais il ne suffit pas d’affirmer que je me trompe,
même en criant que je suis un fasciste (sic), il faut me le prouver. Et
si on veut me forcer à retirer un lien, il y a toutes les chances pour
que je m’obstine (bêtement, je sais).
Autre fait qui m’est reproché : depuis 2011, les militants d’E&R
relaient souvent mes textes et vidéos sur leur site (documents qui ne
parlent que de démocratie, de constitution d’origine populaire, et de
gestion commune du bien commun), signe d’intérêt de militants « de
droite » pour la vraie démocratie que — en toute logique — je ne prends
pas comme une preuve évidente de « fascisme »… Lorsque je constate
qu’un parti ou un journal ou une radio ou un site quel qu’il soit
relaie ma prose radicale d’émancipation par l’auto-institution de la
société, je ne peux y voir que des raisons d’être satisfait : mon
message est universel, il n’est pas réservé à une famille politique ;
plus on sèmera des graines de démocratie auto-instituée, un peu partout,
sans exclusive aucune, mieux ce sera.
Justement, j’ai observé une évolution qui me semble importante : les
jeunes gens qui suivent et soutiennent Soral, et qui étaient assez
radicalement antidémocrates quand ils m’ont connu, étaient en
fait « anti-fausse-démocratie », mais ils ne le savaient pas encore :
ils pensaient (comme tout le monde) que l’alternative politique était
1) capitalisme-libéralisme-« démocratie » (complètement pourri, mafieux,
esclavagiste, des millions de morts, à vomir)
ou
2) communisme-socialisme-« démocratie populaire » (complètement pourri,
un capitalisme d’État, avec police de la pensée, des camps de travail en
Sibérie, des millions de morts, à vomir)
ou
3) fascisme-« non-démocratie » (violent aussi, mais sans corruption —
choix terrifiant, selon moi, évidemment)…
Et puis, voilà qu’ils
découvrent, en lisant les livres que je signale (Manin, Hansen,
Rousseau, Sintomer, Castoriadis, Guillemin…) un régime alternatif, une
quatrième voie, une organisation politique dont personne ne nous a
jamais parlé sérieusement à l’école ou dans les journaux : la vraie
démocratie, sans guillemets, avec une vraie constitution et des vrais
contrôles, que nous écririons nous-mêmes, directement parce que
entraînés, pour être sûrs de ne pas nous faire tromper à nouveau… Eh
bien, je suis sûr (je l’ai ressenti souvent, nettement) que nombre de
ces jeunes militants (de droite dure au début par dépit de la corruption généralisée et faute d’alternative autre
— processus identique à la naissance du nazisme en Allemagne) sont en
train de devenir (ou sont déjà devenus) des démocrates réels. Non pas
par magie, mais parce que cette alternative démocratique réelle est à la
fois crédible et prometteuse, elle fait vibrer tous les hommes de bonne
volonté. Alors, je maintiens qu’il est pertinent et nécessaire de
parler avec enthousiasme de vraie démocratie à absolument tout le monde,
en étant convaincu qu’un être humain, ça peut changer d’avis 1) si on
le respecte en tant qu’être humain, et 2) si ce qu’on lui propose est
émancipant, libérateur, puissant, prometteur.
Et puis, quand on me reproche les médias — soi-disant parfois peu
fréquentables— par lesquels sont relayées mes graines de démocratie
réelle, je réponds que je ne m’identifie pas au média qui me tend son
micro, que je reste moi-même quelle que soit la personne à qui je parle,
et surtout que je n’ai guère le choix puisqu’AUCUN grand journal ni
aucune grande radio de gauche (que j’aime quand même, hein) — ni
Là-bas-si-j’y-suis, ni le Diplo, ni Politis, ni Terre-à-terre, dont je
parle pourtant souvent, moi, depuis 2005 —, aucun de ces médias n’a
jamais relayé / signalé / commenté mon travail, depuis DIX ans (!)…
Comme si la démocratie vraie ne les intéressait pas du tout, ou comme si
elle leur faisait peur. Il n’y a QUE les militants de base qui
m’invitent à venir débattre sur ces questions : l’idée d’un processus
constituant qui deviendrait populaire et d’une procédure authentiquement
démocratique comme le tirage au sort, ça n’intéresse pas du tout les
chefs, même ceux des médias de gauche…
Parmi les faits qui me sont reprochés, il y a aussi une conférence
avec Marion Sigaut (que j’ai trouvée bien intéressante, d’ailleurs), sur
la réalité du mouvement des « Lumières ». On s’empaille souvent, Marion
et moi : on n’est pas d’accord du tout sur Rousseau, sur Robespierre,
sur la Vendée, et sur quelques points historiques importants, mais on
arrive bien à se parler, tous les deux, malgré nos désaccords, en
essayant de comprendre l’autre, d’apprendre l’un de l’autre, en se
respectant, ce qui s’appelle une controverse, processus qui est à la
base du progrès de la connaissance. Cet échange intellectuel avec
Marion, m’a fait découvrir des faits et documents particulièrement
importants sur l’Ancien régime — par exemple, le livre passionnant « Le
pain, le peuple et le roi » de Steven Kaplan —, et les intrigues
fondatrices des « Philosophes » des « Lumières » (riches et marchandes,
tiens tiens), pour faire advenir le « libéralisme », c’est-à-dire la tyrannie-des-marchands-libérés-devenus-législateurs qu’on appelle aujourd’hui le capitalisme.
Pour revenir à Soral, j’ai rapidement compris qu’il n’est pas du tout
un démocrate, évidemment : il est autoritaire et il défend une
idéologie autoritaire, au strict opposé de ce que je défends moi. Je ne
veux pas plus de sa « dictature éclairée » que de n’importe quelle
dictature, évidemment.
Mais malgré cela, une partie de son analyse du monde actuel (et non
pas ses projets de société) me semble utile, objectivement, pour mon
projet à moi, de compréhension des abus de pouvoir et de constituante
populaire. Donc, pour ma part, je ne monte pas en épingle ce qui me
déplaît chez Soral, je prends ce qui m’intéresse (les infos sur les
fronts de gauche et sur la résistance au sionisme) et je laisse le
reste, comme l’adulte libre de penser et de parler que je suis.
On reproche à Soral un antisémitisme intense et assumé. Pourtant,
quand on lui demande « êtes-vous antisémite ? », Soral répond « NON,
dans le vrai sens du mot c’est-à-dire raciste ». Et il souligne aussitôt
que le mot « antisémite », avec des guillemets, a progressivement
changé de sens pour servir aujourd’hui de bouclier anti-critiques (ce
que Mélenchon dénonce lui aussi, amèrement, avec raison et courage, je
trouve, en appelant cette calomnie systématique « le rayon paralysant du
CRIF ») : dans ce nouveau sens, complètement dévoyé, « antisémite »
sert à qualifier tous ceux (même ceux qui ne sont ABSOLUMENT PAS
racistes) qui critiquent et condamnent la politique — elle,
officiellement raciste et criminelle — du gouvernement israélien
(critiques d’un racisme qui sont donc un antiracisme). C’est ce nouveau
sens seulement que Soral assumait, en martelant, en substance : « j’en
ai marre de ce chantage à « l’antisémitisme » et de ces intimidations
permanentes de la part d’ultra-racistes qui osent accuser de racisme des
résistants à leur racisme ».
Je trouve que ça se défend très bien, si on arrive à tenir le cap de
l’humanisme, c’est-à-dire à ne pas devenir soi-même raciste en réaction à
un racisme premier : il est essentiel, je pense, de ne pas devenir
antisémite en réaction au sionisme : il ne faut surtout pas s’en prendre
à tous les juifs au motif que certains sionistes seraient odieux et
dangereux.
Or, tout récemment, j’ai découvert dans une publication de Soral des
propos terribles et dangereux qui me conduisent à changer d’avis sur la
portée du lien que j’ai mis sur mon site.
Dans une vidéo en direct de juin 2014
(1 minute, à partir de 47:54), Soral dit les mots suivants, que je
n’avais jamais entendus de lui avant, et qui me choquent tous
profondément :
[Bon, j’ai commencé à transcrire, mais j’ai honte de seulement écrire
des trucs pareils… Donc, j’arrête. Je vous laisse lire le lien si ça
vous chante.]
Je ne peux évidemment pas valider une parole pareille, froidement
raciste, sexiste, autoritaire. Je n’avais jamais vu Soral parler comme
ça. C’est un peu comme un désaveu, parce que je l’ai entendu maintes
fois jurer qu’il n’était pas antisémite.
Alors, je cède, je reconnais que me suis trompé, en publiant un lien
sans mise en garde : il y a un risque d’escalade des racismes. Ce
mélange de lutte légitime et courageuse contre de redoutables projets de
domination (résistance qui m’intéresse toujours et dont je ne me
désolidarise pas), avec un sexisme, une homophobie, et maintenant un
antisémitisme assumés (qui me hérissent vraiment), ce mélange est
toxique. Stop. Et puis, je n’arrive plus à m’occuper de nos ateliers
constituants : on nous interpelle sans arrêt sur notre prétendue
identification à Soral, et la violence des échanges qui s’en suivent
partout me désespère ; j’en ai assez, il faut faire quelque chose pour
marquer une différence, une limite : je supprime le lien de mon site
vers Soral. Désormais, je ferai le filtre, en évoquant moi-même les
auteurs que je trouve utiles, comme Shlomo Sand, Jacob Cohen, Bernard
Lazare, Israël Shahak, Gilad Atzmon, Norman Finkelstein, Gideon Levy,
Mearsheimer et Walt, Éric Hazan, etc.
En conclusion, j’insisterai sur l’essentiel : à mon avis, tous ces
reproches sont montés en épingle de mauvaise foi par les professionnels
de la politique pour entretenir une CONFUSION entre les vrais démocrates
et « l’extrême droite » ; confusion qui leur permet de se débarrasser
des vrais démocrates à bon compte, sans avoir à argumenter.
Post scriptum: si le système de domination parlementaire
arrive finalement à me faire passer pour un diable hirsute,
infréquentable et banni, ce n’est pas grave, je ne suis qu’une cellule
du corps social et je ne cherche absolument aucun pouvoir personnel (je
ne perds donc rien d’essentiel si je suis ostracisé par le système, à
part le bonheur de bien servir à quelque chose d’utile, que je ressens
en ce moment) : prenez alors le relais vous-mêmes ! Notre cerveau
collectif survivra très bien à la disparition d’un neurone, changez de
nom, et continuez à défendre vous-mêmes, un peu partout et tout le
temps, cette idée importante qui va tout changer, mais seulement si on
est très nombreux à s’être bien polarisés sur la même idée, simple et
forte : ce n’est pas aux hommes au pouvoir d’écrire les règles du
pouvoir, DONC, il ne faut SURTOUT PAS ÉLIRE l’Assemblée constituante ;
si on veut une constitution, il faudra l’écrire nous-mêmes et il faut
donc, dès maintenant et tous les jours (!), nous entraîner réellement en
organisant et en animant partout des mini-ateliers constituants
ultra-contagieux.
« Fais ce que tu dois, et advienne que pourra. »
Étienne Chouard,
28 novembre 2014.
Source : http://chouard.org/blog/2014/11/28/pour-que-les-choses-soient-claires/
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