Pour gouverner, Emmanuel Macron pourrait utiliser deux armes constitutionnelles : les ordonnances, dont il a déjà déclaré qu’il y aurait recours pour réformer le code du travail, et, le «49.3», qu’a notamment utilisé le gouvernement de Manuel Valls pour imposer sa réforme… du code du travail.
D’ici l’été, la France aura un nouveau
gouvernement et une nouvelle Assemblée nationale. La situation est
inédite : le mouvement qui a porté Emmanuel Macron à la présidence de la
République n’existait pas encore au début de l’été dernier. Les partis
traditionnels implosent, les demandes d’investiture En marche affluent,
et les alliances, notamment à gauche, restent incertaines. Pour
gouverner, Emmanuel Macron pourrait utiliser deux armes
constitutionnelles : les ordonnances, dont il a déjà déclaré qu’il y
aurait recours pour réformer le code du travail, et, le «49.3», qu’a
notamment utilisé le gouvernement mené par Manuel Valls pour imposer sa réforme… du code du travail. Ordonnances contre 49.3, le match.
A quoi ça sert ?
Les ordonnances
A aller plus vite. Lorsqu’il veut légiférer, le
gouvernement suit habituellement la procédure suivante : il soumet un
projet de loi à l’Assemblée nationale, qui le discute et y apporte des
amendements, puis le texte est envoyé au Sénat, qui le discute et
l’amende à son tour. Le texte fait deux fois la navette entre les deux
chambres parlementaires. Plus le texte est polémique, plus le processus
peut être long – plusieurs jours ou plusieurs semaines –,
surtout si la majorité n’a pas fixé à l’avance la durée des débats. Le
gouvernement peut aussi opter pour la procédure accélérée (une seule
navette est alors faite entre les deux chambres).
Autre possibilité, pour aller plus vite : recourir
à l’article 38 de la Constitution, qui donne la possibilité au
gouvernement de faire passer ses réformes par ordonnances, c’est-à-dire
de se passer du vote du Parlement pour légiférer sur les domaines qui
relèvent de la loi (article 34). Emmanuel Macron l’a d’ailleurs dit au Journal du dimanche en avril : «Je
souhaite introduire dès l’été un projet de loi d’habilitation pour
simplifier le droit du travail […] par ordonnances, pour procéder de
manière rapide et efficace.»
Le 49.3
A sortir d’une situation intenable. On l’a
expliqué, le processus législatif habituel consiste à faire faire des
allers-retours aux projets ou propositions de lois, entre l’Assemblée
nationale et le Sénat, qui en débattent et le modifient. Lorsque le
gouvernement s’attend à ne pas avoir ou constate qu’il n’aura pas de
majorité à l’Assemblée sur un projet de loi, dont il est à l’initiative,
il peut en imposer l’adoption. En contrepartie, il engage sa
responsabilité : les locataires du palais Bourbon ont vingt-quatre
heures pour déposer une motion de censure, laquelle, si elle est votée,
conduit à la démission du gouvernement.
Comment ça marche ?
Les ordonnances
Le recours aux ordonnances est un outil plutôt
habituel : quand Nicolas Sarkozy était président, plus de 136 ont été
prises. Pour pouvoir légiférer par ordonnances, le gouvernement doit
demander au Parlement de l’y autoriser, en déposant un projet de loi
d’habilitation. Il y précise le domaine concerné : on ne peut par
exemple pas demander à légiférer sur le code du logement et s’en servir
pour faire passer une réforme du code de la santé. Si le gouvernement a
une majorité solide au Parlement, il peut espérer que les représentants
du peuple lui fassent confiance pour mettre en œuvre son projet. Le
problème, c’est que les parlementaires ne disposent alors plus du
pouvoir d’amender les projets de loi. Si la majorité est une coalition,
il est possible que ses composantes souhaitent tout de même pouvoir
amender les textes.
Le 49.3
C’est l’article 49.3 de la Constitution qui donne
la possibilité au gouvernement de se passer de l’Assemblée nationale sur
un projet de loi : «Le premier ministre peut, après délibération du
conseil des ministres, engager la responsabilité du gouvernement devant
l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de
financement de la Sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré
comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les
vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à
l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à
cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par
session.»
Le gouvernement, depuis la révision constitutionnelle de juillet 2008, ne peut plus utiliser ce 49.3 à tours de bras,
puisqu’il ne peut y recourir que pour un seul texte par session
parlementaire (sauf pour les projets de loi de finances ou de
financement de la Sécu). Mais il lui permet de sortir d’un débat qui
n’en finit plus. Jusqu’ici, le 49.3 a été utilisé plus de 86 fois,
davantage par la gauche que par la droite. Le recordman du 49.3, c’est Michel Rocard (28 utilisations). Public Sénat en dresse une liste ici.
Quelle est la marge de manœuvre des parlementaires ?
Les ordonnances
Habituellement, le gouvernement dispose du pouvoir
réglementaire et le Parlement du pouvoir législatif : cet ordre est
donc bouleversé, au moins momentanément. Mais les parlementaires ne sont
pas pour autant totalement dépossédés de leurs prérogatives. Pour que
les ordonnances prises par le gouvernement deviennent véritablement des
lois, le parlement doit les ratifier - il peut alors les modifier. Dans
le cas contraire, elles restent des décrets (de l’ordre réglementaire).
Les ordonnances «entrent en vigueur dès leur publication mais
deviennent caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé
devant le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation», énonce l’article 38.
Le 49.3
Si les députés s’opposent farouchement au texte
passé via le 49.3, ils peuvent déposer une motion de censure contre le
gouvernement, dans les vingt-quatre heures suivant l’annonce du 49.3.
Cette motion doit être déposée par au moins un dixième des députés. Elle
est ensuite votée, dans les deux jours, à une «majorité d’approbation», c’est-à-dire que 289 députés doivent voter pour.
Ce garde-fou n’est néanmoins pas aisé à mener au
bout lorsque l’Assemblée est divisée : même lorsqu’une partie des
députés du Parti socialiste (les frondeurs) était opposée à la loi
travail, elle n’a pas réussi à déposer de motion de censure après que Valls a eu recours au 49.3 car elle n’a pas recueilli assez de signatures,
notamment en raison du jeu politique du moment. Si les députés
parviennent à mener leur motion de censure au bout, le projet de loi est
abandonné et le gouvernement doit démissionner.
Quelle est la marge de manœuvre du président ?
Les ordonnances
Le président peut refuser de
signer une ordonnance émise par le gouvernement, et donc en bloquer
l’application. Cela a plutôt lieu en cas de cohabitation. François
Mitterrand a par exemple refusé de signer des ordonnances voulues par le
gouvernement de cohabitation dont le Premier ministre était Jacques
Chirac.
Conclusion ?
Les ordonnances sont plutôt utilisées pour faire
passer un ensemble de réformes sur un domaine donné, et le faire
rapidement puisque le Parlement ne «ralentit» alors pas le processus. Le
49.3 apparaît davantage comme un outil d’urgence, que le gouvernement
dégaine quand un débat s’enlise par exemple. Similaires dans leur
philosophie, ils ont des usages qui sont bien distincts.
Au point de vue parlementaire, les ordonnances
paraissent moins brutales que le 49.3 (lequel interrompt le débat)
puisque le Parlement peut tout de même en contrôler l’utilisation et
décider ou non de pérenniser les lois enclenchées par le gouvernement.
En revanche, elles ne sont pas beaucoup plus démocratiques, car elles
musèlent l’opposition, privée de tout débat parlementaire.
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