Figure de proue du "tirage au sort" démocratique, ce prof starisé sur le web se trouve pris dans une violente polémique. En cause notamment, ses liens avec le site rouge-brun et antisémite d'Alain Soral. Alors que ses soutiens le lâchent, "L'Obs" l'a rencontré.
D'emblée, il dit de lui-même qu'il
est "gentil". Etienne Chouard a d'ailleurs les apparences d'un brave
type, avec sa "vieille bagnole de m ..." qui affiche plus de 300.000
kilomètres au compteur, son sourire affable, ses égards sous forme
de "qu'en pensez-vous ?" au bout de chaque phrase. Prof d'éco-gestion en
BTS à Marseille, il pense avoir diagnostiqué le mal :
Ce système tenu depuis la Révolution française par les riches, qui se sont arrogé le droit d'écrire les lois fondamentales, avec des pauvres pour élire les notables qui légifèrent. C'est le capitalisme, un mot sympathique..."
Il dénonce l'impuissance programmée du peuple, souhaite la fin de "cette ploutocratie gérée par quelques fripouilles".Et préconise un régime où les élus seraient "tirés au sort", avec "une Constitution écrite par les gens".
A coups de vidéos et de conférences, Etienne Chouard, ex-héraut du "non" au référendum européen de 2005, évangélise les masses en accusant les puissants, en prêchant la souveraineté du peuple.
Une démarche populiste qui paie : sur Facebook, 42.000 fans le suivent, auxquels "s'ajoutent chaque jour un millier de nouveaux adhérents", se vante-t-il. Son compte Twitter enregistre 8.000 abonnés. Sur la Toile, une communauté d'adeptes, baptisés "les gentils virus", s'agite désormais pour lui. Hyper actifs, ils essaiment sur les forums et réseaux sociaux, chargés de "contaminer" les gens.
Et la contagion se propage : à Bordeaux, à Lyon, en Belgique, en Tunisie, et bientôt au Canada, des gens en appellent à l'enseignant militant pour former "tous ensemble des ateliers constituants". A 59 ans, Etienne Chouard croit toucher son rêve, un nouveau monde pour "l'humanité qui, telle une chenille, doit enfin devenir papillon, et prendre son envol".
Drapé dans cette ingéniosité christique, il rabat tous azimuts. C'est le problème. Lui dit :"J'ai un petit côté Bisounours qui me perdra..." Et ajoute, l'air de ne pas y toucher :
Dans la bagarre, je vais peut-être avoir besoin de gens comme Alain Soral, qui ne se laisse pas faire."
Ainsi Etienne Chouard apparaît-il aujourd'hui partout sur le site de l'idéologue d'extrême droite, "Egalité et Réconciliation".
Voilà dix ans qu'Etienne Chouard a eu sa "révélation" politique. C'était en 2004. L'émission de Daniel Mermet sur France-Inter, "Là-bas si j'y suis", "critique radicale du libéralisme", a secoué le petit prof endormi sur ses bouquins scolaires. A l'époque, "j'étais comme beaucoup, je votais extrême droite sans le savoir... c'est-à-dire PS". Aujourd'hui donc, Chouard se pense à gauche en flirtant avec la plus infréquentable des droites. "Comme Hugo et Rousseau en leur temps, je me suis transformé", confie-t-il. Ou simplement découvert.
Chouard, ardemment opposé au projet de constitution pour l'Union européenne, a lancé en 2005 Le plan C. Le blog à l'époque enregistre plus de 30.000 connexions par jour, et le prof de BTS se fait un nom. La chenille se sent pousser des ailes :
Beaucoup de gens se reconnaissaient dans mes mots."
Il se trouve alors des idoles comme Henri Guillemin, historien iconoclaste, relit Léon Tolstoï, "pas l'auteur d''Anna Karenine', l'essayiste anarchiste chrétien". Et tient Hugo Chávez, défunt président du Venezuela, pour un héros.Etienne Chouard se voyait bien alors entrer dans son crépuscule ardent. Avec un destin dans le champ de la pensée, où il croit, du reste, avoir des "amis". Comme "Michel", qu'il a rencontré à la Fête de l'Huma en 2005. Euh... Michel qui ? "Onfray !", s'exclame le prof.
D'ailleurs, il faut absolument que je le rappelle, il dit que mon idée est une lubie de juriste, s'exclame le prof. Il n'a pas compris ! Je me bats pour une mutation, moi."
Le philosophe confirme n'être "pas emballé par l'idée fixe de Chouard", qui, dans son souvenir, "repose sur une association hasardeuse de citoyens volontaires". Michel Onfray précise :Je ne suis pas ami avec ce monsieur qui a des relations aussi douteuses que rédhibitoires, et que j'ai croisé une fois, il y a fort longtemps, dans le public d'une conférence."
Le militant anti-traité européen a aussi rencontré Soral une fois, il y a un an et demi. Avec les conséquences qu'on sait. C'était à Toulon : "J'ai débarqué dans une réunion où des jeunes m'avaient convié, et Alain Soral était là." Impressionné, Chouard trouve "un homme qui réfléchit beaucoup". Et à qui il pardonne même l'essentiel :Je pense que ses paroles racistes, voire antisémites, dépassent sa pensée."
Il affirme toutefois être "révulsé par les propos de ce dernier sur les homosexuels", et rejette "le projet de Soral, qui tourne autour d'un chef à l'inverse de ce que je propose".Mais sur le fond, Chouard trouve que "cet intellectuel" a au moins "un mérite, et pas des moindres : celui de tirer le Front national à gauche". Du coup, Robert Ménard, maire de Béziers soutenu par le FN, fait figure d'élu "très convaincant". Et Etienne Chouard a déjà donné une interview au journal "Minute".
Il prétend ainsi refuser le piège du "cirque autour de l'extrême droite. Le Pen est ce que George Orwell dans '1984' appelle 'l'opposition contrôlée', celle dont le système n'a rien à craindre. Cela vaut pour Mélenchon aussi". Il ajoute :
On me fait reproche de ne pas conchier des gens qui seraient antisémites. Je crois vraiment qu'Alain Soral ne l'est pas. Il a le courage de résister au sionisme. Après tout, c'est un penseur, certes un peu à part... Mais comme l'est Finkielkraut."
Etienne Chouard aime son prochain.Né en 1956, Etienne Chouard est l'aîné d'une famille recomposée de cinq enfants, élevés dans la tradition de la petite bourgeoisie française catholique. Il évoque avec nostalgie ses deux grands-pères, enseignants en botanique, "Papé, major à Normale-Sup, et Grand-Papa, enseignant à Marseille", qui se connaissaient bien avant la rencontre de ses parents.
"Maman" est née à Montréal, c'est "une femme très à gauche" qui, depuis vingt ans, "fait de l'aide aux devoirs à Marseille avec les enfants les plus rebelles". Une "intello, qui travaillait à la revue 'Tel Quel' avec Sollers et Jean-Edern Hallier, dont le frère est d'ailleurs le parrain de mon frangin !". Quant à "Papa", il est ingénieur retraité en urbanisme, plutôt "giscardien, pas démocrate, donc pour la tyrannie des élus".
Etienne a grandi à Auteuil, fréquenté le lycée Janson de Sailly fait les scouts, et suivi son catéchisme comme il se doit. Il avoue :
Cela m'a rendu l'Eglise odieuse, mais les valeurs chrétiennes sont restées ancrées en moi, et je cherche toujours à les rendre immanentes".
Sa femme, Arlette, est une cousine qui partage avec lui une arrière-grand-mère. "Nous sommes allés consulter, on nous a dit que nous avions trois fois plus de risques que la moyenne de faire des enfants anormaux." Ils ont pris le risque et sont aujourd'hui parents de quatre garçons. Arlette s'occupe des enfants et de la maison, pendant qu'Etienne s'essaie en politique.En jeans et chemise blanche, il promène sa mine hâlée partout où on l'invite. Depuis vingt-cinq ans, accroché dans le ciel "à un bout de chiffon et quatre ficelles", il vole en parapente.
Aujourd'hui dans les rues d'Aix, il plane un peu quand plusieurs passants le reconnaissent et l'encouragent : "Continuez, on vous suit." Le prof est grisé. Il goûte sa gloire en remplissant des salles, en tissant sa toile sur le Net grâce à son armée d'internautes dévoués.
Et tel un "Géo Trouvetou qui aurait découvert la pierre angulaire", selon l'expression de François Ruffin, fondateur du journal alternatif de gauche Fakir, Chouard trouve lui-même son idée du tirage au sort "inédite", voire géniale.
Il espère d'ailleurs un jour "la déchouardiser", la répandre universellement, et souhaite "que les gens y adhèrent, de l'extrême gauche à l'extrême droite". Il veut l'offrir à "tous ceux qui subissent les puissants". Chouard est trop bon.
François Ruffin pense que l'enseignant en BTS "se situe dans une nébuleuse où il n'y a plus ni droite ni gauche", ce qui fait de lui "le symptôme d'un grand désordre politique". Un pseudo-gauchiste qui cultive des relations fascistes... Un rouge-brun qui fait semblant de s'ignorer. "Je ne comprends pas, répète-t-il. Je suis quelqu'un de très très gentil." Il demande :
Suffit-il de s'en prendre radicalement aux banques, pour être accusé d'antisémitisme ? Si oui, alors c'est terrible pour les juifs !"
Terrain glissant, "sujet casse-gueule"... Le prof d'éco-gestion nous prie de bien vouloir l'excuser d'avance, par cet aveu :On dit tous un jour une connerie, il ne faut pas enfermer les gens dans des postures, on n'est pas des surhommes !"
Chouard revient sur Alain Soral : "Il tient des propos certes parfois antisémites, mais c'est aussi un antiraciste, puisqu'il mène combat contre les juifs racistes... Et pour moi, les humains changent. On ne sait pas ce qu'il sera dans dix ans."Pour Etienne Chouard, on sait désormais. Lui-même donne peu cher de sa peau à brève échéance. La polémique dans laquelle il s'est trouvé pris en se rapprochant de Soral, ce "lanceur d'alerte qui proteste contre l'ordre établi", le dévaste :
J'ai l'impression d'être à poil avec un lance-pierres entre les mains, seul sur un champ de tir."
Alors Etienne Chouard a pris la plume, et publié ce 28 novembre [2014] sur son site un long billet intitulé "Pour que les choses soient claires" :J'en ai assez, il faut faire quelque chose pour marquer une différence, une limite : je supprime le lien de mon site vers Soral."
Une bonne résolution qu'il a tenue à peine vingt-quatre heures.Dès le lendemain matin, Etienne Chouard, l'"incompétent en politique", cédant une fois encore à son attirance mal assumée pour les "affreux méchants" d'extrême droite, rétablissait le lien.
Il vit mal "cette période très violente, qui tourne mal. Je me fais écrabouiller". Comme une chenille, qui l'a décidément bien cherché.
Source : http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20141204.OBS7040/le-trouble-monsieur-chouard.html
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