Régleurs, soudeurs, tricoteurs, ingénieurs, développeurs : notre industrie ne trouve plus les profils qu'elle recherche. Malgré les débouchés, les bons salaires et les horaires réguliers. L'échec de tout un système de formation.
Tu seras robinetier mon fils ! En
France, il n'y a pas que le poste de président de la République qui soit
difficile à pourvoir. Si la Chine a son EPR avant la France, c'est
peut-être à cause des errements de la filière tricolore, c'est aussi
parce que des compétences viennent à lui manquer, certains profils sont
de plus en plus difficiles à trouver. La France a méprisé son industrie,
elle le paie. Quand EDF propose un emploi de cadre administratif, il
reçoit 100 à 300 candidatures. Pour un emploi de chaudronnier ou de
robinetier, il n'avait déjà qu'une soixantaine de réponses en 2012 et ce
chiffre est aujourd'hui tombé à la moitié, ce qui signale des métiers
dits « en tension ».
L'énergie n'est pas seule en cause.
Elizabeth Ducottet, PDG de Thuasne, un champion mondial de la ceinture
lombaire, trouve qu'on a un peu vite tiré un trait sur l'industrie
textile, fermé les formations qui y conduisaient. Résultat, son
entreprise qui a su réinventer son métier, évoluer des rubans à chapeaux
vers un textile médical sophistiqué ne trouve plus les tricoteurs dont
elle a besoin pour ses cinq usines françaises. Ne lui reste qu'à
embaucher des jeunes sans expertise, qu'elle met deux ans à former : « L'Education nationale n'est à l'écoute des besoins, ni des jeunes, ni des entreprises. » Et, quand il y a des formations, souvent elles ne font pas le plein.
Le proviseur du lycée des métiers de Gennevilliers se désole (*) : «
Les élèves vont choisir une formation en fonction d'une demande
sociale. Ils sont nombreux à s'orienter vers un bac pro commerce ou
administration parce que, pour eux, c'est encore le fantasme du "col
blanc". Aujourd'hui, nous avons une formation en plasturgie après
laquelle les élèves sont assurés de trouver un emploi. Pourtant, cette
section ne se remplit pas. " L'emploi industriel n'attire pas,
c'est dommage, c'est lui qui fait la valeur ajoutée d'un pays. Près d'un
tiers des entreprises est concerné par des difficultés de recrutement
estime le Medef. Cherche régleurs, soudeurs, tuyauteurs... Si les
entreprises manquent de bras, elles iront les chercher ailleurs. Il
s'agit d'ailleurs plus de cerveaux que de bras, ce qu'il reste à faire
savoir. L'industrie traîne encore une image faite de bruits, de suies et
de suées qui n'a plus grand-chose à voir avec la réalité des postes de
contrôle informatisés. L'usineur ne façonne plus sa pièce à la main.
Placé devant une machine qui peut faire 5 mètres sur 3, il doit
surveiller les opérations, être capable de réagir, on ne confie pas des
outils de plusieurs millions d'euros à n'importe qui. Il faut des bacs
pro, voire des BTS. Un robinetier ne s'occupe pas de remplir les lavabos
: dans une pièce d'une trentaine de mètres carrés, il pilote un
ensemble de flux, vérifie que d'énormes vannes ne fuient pas, etc. A la
clef des bons salaires, des horaires réguliers, rien à voir avec la
grande distribution ou la restauration. « A force d'avoir dévalorisé les métiers manuels, on en manque ", regrette le patron de Manpower, Alain Roumilhac.
C'est la double peine : « Le manque de personnel qualifié est un frein à la compétitivité des industriels »,
écrit La Fabrique de l'industrie. Il n'y a pas que les métiers manuels,
la mauvaise image de l'industrie a aussi fait des dégâts chez les
ingénieurs. Ceux-ci vont plus vers le conseil dans les cabinets où on
les embauche à tour de bras et la finance que dans la production. De la
même façon les informaticiens plutôt que plonger les mains dans le
cambouis des codes, visent des fonctions de management. Résultat, un
manque de développeurs sophistiqués, d'architectes de systèmes, de
planificateurs réseaux.
Dans ce déni du réel, l'Education nationale a fauté, l'apprentissage est un désastre : « En toile de fond, il y a l'immense échec du système de formation français ",
insiste le chercheur Elie Cohen. Pour ne plus se faire prendre au
piège, prévoyons donc les métiers d'avenir, et préparons-y les
générations futures ? L'exercice a ses limites et laisse sceptique
l'économiste Bertrand Martinot : « Qui aurait pu, en 1995, décrire l'état du marché du travail en 2015, prévoir les conséquences de l'arrivée d'Amazon ? "
Verdissons, verdissons, c'est le nouveau mot d'ordre mais si le pétrole
reste à 30 dollars pendant cinq ans, où en seront les emplois verts ?
Autrement dit, il ne faudrait pas
chercher à planifier mais être capable de réagir aux évolutions
technologiques imprévisibles. Cela passe par la formation continue, cet
autre désastre français. Un bagage de départ solide doit contenir avant
tout les outils nécessaires à l'adaptation, le ministère du Travail
américain n'a-t-il pas calculé que 65 % des écoliers actuels exerceront,
une fois diplômés, un métier qui n'a pas encore été inventé ? A cet
égard, la création de l'école W devrait, sans jeu de mots, faire école. W
se propose de doter en trois ans des bacheliers d'un diplôme de «
contenus et création numérique ", un « couteau suisse » qui leur
permettra d'affronter ce qui ne sera jamais automatisé : « discernement,
gestion de la complexité, storytelling... » Il ne s'agit plus d'être
bilingue, mais de parler aussi le langage du Web. En quinze ans,
celui-ci a déjà généré le quart des créations nettes d'emplois. La pente
sera dure à remonter pour l'industrie, ne ratons pas le Web. Il faut
des « scrum masters », des « data scientists », des « analystes KYC »
(comme « Know your customer », des « Feel good managers » etc. (voir la
liste des 20 métiers qui montent établie par « Les Echos Start ").
Milliards d'informations, de données, comment se retrouver dans ces flux
du Web ? On aura toujours besoin de robinetiers !
(*) Rapport « Formation professionnelle et industrie », La Fabrique de l'industrie.
En savoir plus sur : https://www.lesechos.fr/10/02/2016/LesEchos/22126-041-ECH_penurie-de-main-d-oeuvre-dans-l-industrie---un-mystere-francais.htm#33MPMt7sR3ceyEUK.99
5 commentaires:
Une fois enlevés les titres ou sous-titres accrocheurs typiques du journalisme (avec l'exemple du robinetier qui inaugure l'article et le conclut), et les affirmations caricaturales-simplistes ("l'immense échec du système de formation français" ... ce qui mérite d'être nuancé, euphémisme, au regard des tests PISA), j'ai regardé le fond de l'article.
Je suis d'accord avec le constat selon lequel les formations professionnelles sont dévalorisées en France. On encourage/pousse les élèves à aller vers l'enseignement généraliste (français-mathématiques) alors que nombre d'entre eux sont en échec dans ces matières depuis des années. L'alternative de la formation professionnelle est souvent la voie de garage, celle des plus mauvais élèves, alors que certains seraient plus motivés si on leur permettait de s'épanouir plus tôt dans ces voies-là. Il faudrait des conseillers d'orientation beaucoup plus nombreux qui seraient presque des recruteurs avec, comme arguments, des statistiques des offres d'emplois. Et il faudrait aussi un partenariat entre formations professionnelles (Éducation Nationale) et entreprises.
J'ai relevé quelque chose d'important dans l'article : les métiers de demain ne sont pas encore inventés, pour la plupart. Il faut donc stimuler l'adaptabilité, la formation continue. Les besoins des entreprises changent et elles devront donc aussi assumer ces formations sans avoir à tout attendre d'une institution aussi lourde à changer que l’Éducation Nationale. L'inertie d'une institution qui compte un million de personnels est à prendre en compte face à des entreprises, même grosses, qui sont peu nombreuses à dépasser les 5000 employés. De plus, l’Éducation Nationale n'a pas pour unique but la formation de futurs ouvriers. Il faut des formations professionnelles personnalisées, certes, mais aussi viser à l'épanouissement de l'individu. Un individu épanoui sera non seulement plus heureux mais aussi plus performant quel que soit son métier.
Pour conclure ces commentaires de lecture, je reviens au cas du robinetier soit-disant en pénurie. L'article dit très précisément :
"Pour un emploi de chaudronnier ou de robinetier, il n'y avait déjà qu'une soixantaine de réponses en 2012 et ce chiffre est aujourd'hui [en 2016] tombé à la moitié, ce qui signale des métiers dits « en tension »."
Ce qui veut dire qu'il y a encore 30 demandes pour 1 seul poste ! Il faut anticiper, certes, mais s'alarmer, non.
Ah ! J'oubliais l'essentiel ! La journaliste Sabine Delanglade commence son article en parlant des "bons salaires" et des "horaires réguliers" des ouvriers. J'aimerais bien savoir combien elle gagne, ou combien le chercheur Elie Cohen gagne; juste pour comparer avec les "bons salaires" des ouvriers. A moins qu'elle ne compare avec les salaires des ouvriers roumains ou ... chinois.
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