Les sauvages américains, des peuples démocratiques
Les immigrants venus en Amérique à l’époque
coloniale cherchaient la liberté. Ils en ont trouvé l’exemple dans la
confédération des Iroquois, comme chez d’autres nations indiennes du
continent. Des rapports égalitaires régissent les relations entre
membres d’une même tribu, car les Amérindiens éprouvent une aversion
pour la subordination. Le chef, nommé par tous les membres du clan ou de
la tribu (tout dépendant de la structure sociale) est remplacé selon le
bon vouloir de ces derniers. Il joue un rôle de porte-parole, ses
fonctions sont symboliques et son pouvoir limité. De plus, il ne retire
aucun privilège de sa fonction. Ces concepts se sont largement propagés
au sein des anciennes colonies britanniques, comme le montrent les
propos tenus par Benjamin Franklin, Thomas Jefferson et John Adams à
l’occasion de la Convention constitutionnelle de 1787.
Un rôle clé dans la diplomatie avec les européens
Dans tout l’est de l’Amérique du Nord, les
nations indiennes avaient formé des confédérations avant l’arrivée des
immigrants européens : les Séminoles dans ce qui est aujourd’hui la Floride, les Cherokees et les Choctaws dans les Carolines, et les Iroquois et leurs alliés les Hurons dans
le nord de l’État de New York et dans la vallée du Saint-Laurent. Les
colons connaissaient surtout le système de confédération des Iroquois,
car ces derniers jouaient un rôle clé dans le domaine diplomatique, non
seulement en ce qui concerne les relations entre les Français et les
Anglais, mais également sur le plan des relations avec les autres
confédérations indiennes. Appelés Iroquois par les Français, et Cinq
Nations (et plus tard Six Nations) par les Anglais, les peuples iroquois
s’appelaient eux-mêmes Haudenosaunee, ce qui signifie le Peuple aux
longues maisons. Ils contrôlaient le seul passage terrestre relativement
plat entre les colonies anglaises de la côte Est et les comptoirs
français de la vallée du Saint-Laurent.
Des sociétés confédérales matrilinéaires
La famille iroquoienne est constituée de six confédérations, chacune regroupant de nombreuses nations amérindiennes. Les Hurons,
les Pétuns, les Neutres, les Ériés, les Susquenhannocks et les Iroquois
forment les six confédérations. Chacune d’elles regroupe un certain
nombre de nations. Les Hurons-Wendat et
les Iroquois sont les deux nations les plus connues de cette famille,
ainsi que les Tobaccos, qui en comptait toutefois plusieurs autres à
l’arrivée des Européens. Au sein de cette grande famille, deux
sous-groupes se distinguent, qui s’étalent sur un territoire de
plusieurs centaines de kilomètres carrés: les tribus sédentaires de la
côte est, qui vivent surtout d’agriculture et de pêche, et les tribus de
chasseurs migrateurs, qui sont dispersées entre la côte nord-est, le
centre et le nord du Québec, autour des Grands Lacs Érié, Ontario et
Huron, au nord du lac Supérieur et la vallée du Saint Laurent. Les
confédérations sont des alliances politiques et stratégiques entre
plusieurs nations qui, ainsi regroupées, peuvent assurer la défense de
leur territoire. Ils formaient une société matriarcale
(société dont la mère est le chef de famille, et dont l’héritage
matériel et social se transmettait de mère en fille). La confédération
huronne, fondée en 1440, comprend cinq nations : les Attignawantans
(« peuplade de l’Ours »), les Attigneenongnahacs (« peuplade de la
Corde »), les Arhendaronons (« peuplade du Rocher »), les Tahontaenrats
(« peuplade du Cerf ») et les Ataronchronons (« peuplade des Marais »).
Des Iroquoiens, seuls les Hurons furent les alliés des Français.
Les mères garantes de la première démocratie américaine
Matriarcat Iroquois :
Dans les institutions démocratiques iroquoises, la mère est le pilier
de la société. Elle possède la terre, le foyer, et les enfants, nomme et
révoque les chef, et dispose d’un droit de veto ultime. Les Iroquois
sont ceux qui se rapprochent probablement le plus de l’état matriarcal.
Le jésuite Joseph-François Lafitau qualifie les sociétés iroquoiennes
d’«empire de femmes». Elles se comportent parfois en véritables
guerrières amazones. Les femmes, surtout celles qui sont âgées, sont
reconnues pour leur sagesse. Les femmes nommaient leur candidat lors
d’une vacance au conseil des chefs et avaient le droit de désapprouver
et même d’empêcher l’élection d’un chef qu’elles jugeaient indigne.
Une société idéale
La
Confédération Iroquoise fut l’entité politique la plus puissante en
Amérique du Nord, pendant deux siècles avant et après Christophe
Colomb. Une société collectiviste et égalitaire, sans état, sans
gouvernement et sans forces de l’ordre, dont les marxistes (Engels
& Lafargue) eux-même faisaient l’éloge. Aujourd’hui encore,
la Confédération Haudenosaunee se considère comme une nation
souveraine, sur son territoire de Grand River, en Ontario, au Canada.
Depuis 1977, ils disposent de leur propre passeport, reconnu
internationalement à l’ONU.
Qui a contribué à l’essor économique des français
On a souvent dit des Iroquois qu’ils étaient
des guerriers cruels et sanguinaires s’acharnant sans relâche sur les
colons français. Dans son texte, John A. Dickinson atténue cette vision
des faits et constate que, loin de causer des pertes dramatiques à la
Nouvelle-France, les Iroquois ont plutôt, de façon indirecte, contribué à
son essor économique. «L’image traditionnelle de cette guerre
(entre français et iroquois) ne résiste pas à une analyse des faits. La
cruauté toute relative des Iroquois était bien réelle, mais elle était
dirigée le plus souvent contre d’autres nations amérindiennes
(algonquins patriarcaux).»
Une société clanique auto-gérée
Les Mohawks et les Oneidas comptaient trois
clans, les autres nations iroquoises en avaient de huit à dix. Pour la
plupart, ces clans portaient des noms d’animaux (Ours, Loup, Tortue,
Aigle, etc.). La ligue était gouvernée par un conseil de 50 sachems, et
chacune des nations fondatrices de la confédération était représentée
par une délégation de 8 à 14 membres. Les tribus et villages individuels
étaient gouvernés par leur propre conseil de sachems et de chefs.
Une constitution exemplaire qui surpasse le droit romain
La Gayanashagowa,
»grande loi qui lie » ou »grande loi de l’Unité » ou »grande loi de
paix », est la constitution orale de la confédération des 6 nations
Iroquoises. Elle a été édictée au XIIe siècle par le prophète Deganawida
(le Grand Pacificateur), et son disciple Hiawatha, qui prêchaient la
Grande Paix. Rédigée en 1720, elle est composée de 117 paragraphes. Elle
a servi d’inspiration aux Pères Fondateurs des USA, pour sa
déclaration d’indépendance et sa constitution, et pour certains
fondements constitutionnels de l’ONU. On a même pu écrire que les Indiens iroquois « avaient surpassé le droit romain ».
Un modèle à suivre pour s’unir
Dès 1744 à Lancaster, en Pennsylvanie, le tadodaho (chef de la confédération) Canassatego avait expliqué la vision iroquoise de l’unité aux représentants des colonies :
« Nos ancêtres dans leur sagesse ont établi une union et l’amitié entre les Cinq Nations. Cette décision nous as rendu puissants ; elle nous a donné un grand poids et une grande autorité vis-à-vis des nations voisines. Notre confédération est puissante; si vous suivez les méthodes adoptées par nos sages, vous disposerez vous aussi de cette force et de ce pouvoir. Ainsi,
quoi qu’il arrive, ne rompez jamais votre union. […] Frères, vous savez
que nous n’avons pas à imposer de règles ou de lois parmi nous. »
Quand les civilisés copient les sauvages
Les
13 premières colonies américaines fut le projet d’une poignée de
réfugiés et d’exilés de vivre indépendamment de la dictature de la
Banque (d’Angleterre) et de l’État (britannique). Benjamin Franklin,
l’un des Pères Fondateurs, était un ami du peuple iroquois. Face aux
guerres fratricides entre les 13 colonies, il fustigea la puérilité de
ces dernières, comparée à la paix et l’unité des »sauvages », pourtant
sans écriture et sans technologie. Alors, il demanda aux chefs de la
confédération iroquoise de leur traduire leur constitution, afin qu’elle
leur serve d’inspiration.
Des colons incapables de s’unir
En 1751, faisant référence à l’unité
iroquoise, benjamin Franklin n’avait pas hésité à utiliser des arguments
xénophobes pour faire honte aux colons anglais réticents et les
encourager à accepter une union : « Il serait tout de même étrange
(…) que six nations de sauvages incultes soient capables de former une
union et de la maintenir au cours des âges de manière apparemment
indissoluble, et qu’une dizaine ou une douzaine de colonies anglaises
soient incapables de former une telle union, qui leur est pourtant
encore plus nécessaire et qui présente pour elles certainement plus
d’avantages. » En réalité, on découvrira par la suite que Franklin
avait un très grand respect pour les Iroquois. Il avait commencé sa
prestigieuse carrière diplomatique en tant que représentant de la
Pennsylvanie lors de la négociation de traités avec les Iroquois et
leurs alliés, alors qu’il apparaissait déjà comme l’avocat infatigable
de l’union des colonies.
Une juridiction simplifiée
Comme l’a écrit Jefferson : « Le seul État sur terre qui peut, selon moi, se comparer au nôtre, est celui des Indiens, car ils sont sujets à encore moins de contraintes juridiques que nous ne le sommes nous-mêmes. » Thomas
Paine avait bien résumé les observations de la civilisation indienne
lorsqu’il avait écrit, en première page de son pamphlet Le Sens commun que « l’existence d’un gouvernement, comme le fait de devoir porter des vêtements, manifeste une perte d’innocence ».
Une société anarchiste heureuse
En 1787, dans une lettre à Edward
Carrington, Jefferson avait établi un lien entre la liberté
d’expression de l’opinion publique et le bonheur, en donnant les Indiens
d’Amérique comme exemple :
« Notre gouvernement ayant pour
fondement l’opinion de la population, notre objectif premier devrait
être de préserver ce droit ; d’ailleurs, si je devais choisir entre un
gouvernement sans presse et une presse sans gouvernement, j’opterais
sans hésitation pour la seconde solution. (…) Je suis convaincu que les
sociétés qui, [comme les Indiens], vivent sans gouvernement, jouissent
dans l’ensemble d’un niveau de bonheur infiniment plus élevé que celles
qui vivent sous l’empire des gouvernements européens. »
Un modèle en voie de disparition
Les amérindiens d’aujourd’hui subissent eux
aussi de graves problèmes sociétaux (chômage, alcool, violences
conjugales…), notamment à cause de la disparition de leur droit clanique
traditionnel (matrilinéarité & propriété collective), et de son
incompatibilité (rigidité) face aux contraintes du monde moderne (le
nomadisme éclate les cellules claniques traditionnelles).
Un indomptable esprit d’indépendance
»Tous ses membres sont des hommes
libres, tenus de protéger leur mutuelle liberté, égaux en droits
personnels, – ni les sachems, ni les chefs militaires ne revendiquent de
prérogatives quelconques; ils forment une collectivité fraternelle,
unie par les liens du sang. Liberté, égalité, fraternité, sans avoir été
jamais formulés, étaient. les principes fondamentaux de la gens, et
celle-ci, à son tour, était l’unité de tout un système social, la base
de la société indienne organisée. Ceci explique l’indomptable esprit
d’indépendance et la dignité de l’attitude personnelle que chacun
reconnaît aux Indiens. » – Lewis Henry Morgan : Systems of consanguinity and affinity of the human family, 1871.
L’idéal marxiste réalisé
Friedrich Engels, dans L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat – Friedrich Engels
décrit la société matriarcale iroquoise comme la réalisation de l’idéal
marxiste : une société sans état, sans banque, sans classes, sans
forces de l’ordre, sans juges, sans prisons, sans pauvres, égalitaire,
féministe, anarchiste…
« Et avec toute son ingénuité et sa
simplicité, quelle admirable constitution que cette organisation
gentilice! Sans soldats, gendarmes ni policiers, sans noblesse, sans
rois ni gouverneurs, sans préfets ni juges, sans prisons, sans procès,
tout va son train régulier. Toutes les querelles et toutes les disputes
sont tranchées par la collectivité de ceux que cela concerne, la gens ou
la tribu, ou les différentes gentes entre elles, – c’est seulement
comme moyen extrême, et rarement appliqué, qu’intervient la menace de
vendetta, dont notre peine de mort n’est d’ailleurs que la forme
civilisée, nantie de tous les avantages et de tous les inconvénients de
la civilisation. Bien que les affaires communes soient en nombre
beaucoup plus grand que de nos jours, – l’économie domestique est
commune et communiste dans une série de familles, le sol est propriété
de la tribu, seuls les petits jardins sont assignés provisoirement aux
ménages, – on n’a quand même nul besoin de notre appareil administratif,
vaste et compliqué. Les intéressés décident et, dans la plupart des
cas, un usage séculaire a tout réglé préalablement. Il ne peut y avoir
de pauvres et de nécessiteux – l’économie domestique communiste et la
gens connaissent leurs obligations envers les vieillards, les malades,
les invalides de guerre. Tous sont égaux et libres – y compris les
femmes. Il n’y a pas encore place pour des esclaves, pas plus qu’en
général pour l’asservissement de tribus étrangères. Quand les Iroquois,
vers 1651, eurent vaincu les Ériés et la « Nation neutre », ils leur
offrirent d’entrer avec des droits égaux dans la confédération; c’est
seulement quand les vaincus s’y refusèrent qu’ils furent chassés de leur
territoire. Et quels hommes, quelles femmes produit une pareille
société, tous les Blancs qui connurent des Indiens non corrompus en
témoignent par leur admiration pour la dignité personnelle, la droiture,
la force de caractère et la vaillance de ces barbares.
Quant à cette bravoure, l’Afrique nous
en a fourni des exemples tout récents. Les Zoulous, il y a quelques
années, les Nubiens, – deux tribus chez lesquelles les institutions
gentilices ne sont pas encore mortes -, ont fait, il y a quelques mois,
ce que ne peut faire aucune armée européenne. Armés seulement de lances
et de javelots, sans armes à feu, sous la pluie de balles des fusils à
tir rapide de l’infanterie britannique – reconnue la première du monde
dans la bataille rangée -, ils se sont avancés jusqu’à ses baïonnettes
et l’ont plus d’une fois bousculée et même repoussée, malgré l’énorme
disproportion des armes, et bien qu’ils ignorent le service militaire et
ne sachent pas ce que c’est que faire l’exercice. Ce qu’ils peuvent
endurer et accomplir, les Anglais eux-mêmes en témoignent lorsqu’ils se
plaignent qu’un Cafre puisse, en vingt-quatre heures, parcourir plus
vite qu’un cheval un plus long chemin; le plus petit muscle fait
saillie, dur et tendu comme une lanière de fouet, dit un peintre
anglais.
(allusion à l’héroïque résistance que les
Zoulous opposèrent en 1879 et les Nubiens en 1881-1883 aux armées de
l’Empire britannique)
Voilà ce qu’étaient les hommes et la
société humaine, avant que s’effectuât la division en différentes
classes. Et si nous comparons leur situation à celle de l’immense
majorité des civilisés de nos jours, la distance est énorme entre le
prolétaire ou le petit paysan d’aujourd’hui et l’ancien membre libre de
la gens. » – L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat – Friedrich Engels
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