« La question de savoir ce qui dans l’œuvre de l’homme sert à
embellir ou bien contribue à dégrader la nature extérieure peut sembler
futile à des esprits soi-disant positifs : elle n’en a pas moins une
importance de premier ordre. Les développements de l’humanité se lient
de la manière la plus intime avec la nature environnante. Une harmonie
secrète s’établit entre la terre et les peuples qu’elle nourrit, et
quand les sociétés imprudentes se permettent de porter la main sur ce
qui fait la beauté de leur domaine, elles finissent toujours par s’en
repentir. Là où le sol s’est enlaidi, là où toute poésie a disparu du
paysage, les imaginations s’éteignent, les esprits s’appauvrissent, la
routine et la servilité s’emparent des âmes et les disposent à la
torpeur et à la mort. Parmi les causes qui dans l’histoire de l’humanité
ont déjà fait disparaître tant de civilisations successives, il
faudrait compter en première ligne la brutale violence avec laquelle la
plupart des nations traitaient la terre nourricière. Ils abattaient les
forêts, laissaient tarir les sources et déborder les fleuves,
détérioraient les climats, entouraient les cités de zones marécageuses
et pestilentielles ; puis, quand la nature, profanée par eux, leur était
devenue hostile, ils la prenaient en haine, et, ne pouvant se retremper
comme le sauvage dans la vie des forêts, ils se laissaient de plus en
plus abrutir par le despotisme des prêtres et des rois. »
Du Sentiment de la nature dans les sociétés modernes, La Revue des deux Mondes, no 63, 15 mai 1866.
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