mercredi 27 juin 2018

Marcel Mauss

Marcel Mauss, né le à Épinal et mort le (à 77 ans) à Paris, est généralement considéré comme le « père de l'anthropologie française ».

Neveu et disciple de Durkheim, Mauss occupe une situation très originale dans l'histoire de la sociologie et de l'anthropologie. Il ne construisit pas, comme le fit son oncle, un système général pour expliquer les phénomènes sociaux et ne se cantonna point, inversement, dans une étroite spécialisation, mais il exerça son esprit de chercheur dans de multiples directions, s'efforçant de saisir les aspects et les rapports essentiels susceptibles de renouveler le sujet étudié, sans aller toujours jusqu'à l'épuiser ou même à l'approfondir, parce qu'une autre investigation venait orienter sa curiosité en un sens différent. Il sut former des chercheurs, éveiller des vocations, et ses œuvres ont souvent ouvert des horizons, tracé des voies pour d'autres savants qui, après lui, ont suivi l'impulsion et révélé la richesse de ses découvertes. En particulier, l'anthropologie structurale, ainsi que l'a proclamé Claude Lévi-Strauss, a trouvé une source importante d'inspiration dans quelques textes de Mauss, bien que celui-ci n'ait pas véritablement conçu les principes de cette méthode d'analyse.

Une œuvre immense et diverse

Guidé dans ses études par Durkheim, originaire comme lui d'Épinal, Marcel Mauss obtint l'agrégation de philosophie, puis s'intéressa à l'histoire des religions et de la pensée hindoue. Il entreprit, sur la prière, une thèse de doctorat qu'il n'acheva jamais, enseigna l'histoire des religions primitives à l'École pratique des hautes études, collabora à L'Année sociologique, se lia d'amitié avec les plus grands anthropologues français et étrangers, et fut nommé, en 1931, professeur de sociologie au Collège de France, après avoir contribué à la fondation de l'Institut d'ethnologie, où il professa également. Son enseignement, érudit et brillant, fit de lui le maître de ceux qui, dans la génération suivante, illustrèrent l'anthropologie française. La guerre de 1939-1945 assombrit la fin de sa vie. Après une pénible retraite intellectuelle, il mourut à Paris sans avoir repris son activité.

Biographie

Marcel Mauss naît en 1872 dans la ville d’Épinal. Son père Gerson, originaire du Bas-Rhin, a épousé quelques années auparavant Rosine Durkheim, la sœur aînée d’Émile Durkheim, qu’il a rejointe dans la ville lorraine pour y reprendre l’atelier textile de sa mère, qui devient sous la houlette du jeune couple la Fabrique de Broderie à Main, Mauss-Durkheim. Outre Marcel, ils ont un fils, Henri, né en 1876. Son oncle, Émile Durkheim, de quatorze ans son aîné, joue un rôle majeur dans sa vocation, puis sa carrière.

En 1895, Marcel Mauss obtient l’agrégation de philosophie, qu’il a préparée à Bordeaux, où il a rejoint en 1890 Durkheim, qui y enseigne cette discipline. À l’issue du concours, il ne prend pas de poste dans l’enseignement secondaire, et à l’automne 1895 il s’installe à Paris pour suivre les cours de l'École Pratique des Hautes Études. Il étudie les langues (et notamment le sanskrit) à la 4e section (section des sciences historiques et philologiques) et les sciences religieuses (5e section), avec l’objectif de réunir le matériau nécessaire à une thèse de doctorat sur la prière, qu'il entreprend à partir de 1909. Ses professeurs se nomment Léon Marillier, Antoine Meillet, Louis Finot, Israël Lévi ou Sylvain Levi7. Il rencontre également à l’EPHE quelques-uns des futurs membres du cercle durkheimien, avec lesquels il nouera de véritables liens d’amitié (Henri Hubert avec qui il écrit « Essai sur la nature et la fonction du sacrifice », un des textes fondateurs de l'anthropologie des religions, Robert Hertz…). Il devient en 1901 titulaire de la chaire d’« histoire des religions des peuples non civilisés » à la 5e section de l’EPHE4.
En 1901, il rejoint l'équipe de L'Année sociologique, revue biennale créée par Émile Durkheim. Celui-ci décédera en 1917 et Mauss se verra échoir du travail de publication posthume de son oncle. Enfin en 1925, il fonde, avec Lucien Lévy-Bruhl et Paul Rivet l'Institut d'ethnologie de Paris. Il participe en 1928 au premier cours universitaire de Davos, avec de nombreux autres intellectuels français et allemands. En 1931, il obtient après trois campagnes de candidature une chaire au Collège de France ; créée pour l’occasion en remplacement de la chaire de « Philosophie sociale » de Jean Izoulet, cette chaire de « Sociologie » marque l’entrée de cette discipline dans la prestigieuse institution8.
Il a connu deux Guerres mondiales et a toujours été un militant socialiste fidèle à ses convictions, ayant notamment passionnément pris position en faveur du capitaine dans l'Affaire Dreyfus, se rapprochant à cette occasion de Jean Jaurès.

Travaux

Considéré comme l'un des pères de l'anthropologie, Mauss n'a jamais publié d’ouvrage de synthèse de sa pensée mais un grand nombre d'articles dans différentes revues (dont L'Année sociologique), d'esquisses, de comptes-rendus et d'essais. Sa thèse sur la prière reste inachevée. De ses rares monographies, on retient surtout L’Essai sur le don.
Il est surtout connu pour quelques grandes théories, notamment celle du don et du contre-don (liée à l'étude du potlatch (anthropologie), et de la dépense pure), et il a abordé une grande variété de sujets comme en témoignent ses études sur les techniques du corps, la religion ou la magie.
Il veut saisir les réalités dans leur totalité et pour cela élabore le concept novateur de « fait social total », qui connaîtra un vif succès d'intérêt et d'usage en sciences sociales. Pour lui un fait social est intrinsèquement pluridimensionnel ; il comporte toujours des dimensions économiques, culturelles, religieuses, symboliques ou encore juridiques et ne peut être réduit à un seul de ces aspects.
Marcel Mauss veut aussi appréhender l'être humain dans sa réalité concrète : physiologique, psychologique et sociologique. Il esquissera ainsi le concept « d'homme total » qui nourrira notamment Pierre Bourdieu dans ses analyses en termes « d'habitus ».
Il s'intéresse à la signification sociale du don dans les sociétés tribales, ainsi qu'au phénomène religieux : la magie est considérée comme un phénomène social qui peut notamment s'expliquer par la notion de mana. Tout en créant du lien social, le don est agoniste (il « oblige » celui qui reçoit, qui ne peut se libérer que par un « contre-don »). Pour Marcel Mauss, le don est essentiel dans la société humaine et comporte trois phases : l'obligation de donner, l'obligation de recevoir et l'obligation de rendreN 1. S'il prend les sociétés « primitives » comme terrain d'étude, c'est moins parce que le primitif serait toujours aussi le simple et l'originel, que parce qu'il est difficile de rencontrer ailleurs une pratique du don et du contre-don « plus nette, plus complète, plus consciente » c'est-à-dire comme un « fait social total »1.
Méthode : il est partisan d’une division du travail entre celui qui collecte les faits — tâche qu’il assigne à l’ethnographe — et celui qui les interprète pour les rendre intelligibles. « Il faut des sociologues et des ethnographes. Les uns expliquent et les autres renseignent »9.
Marcel Mauss a très peu pratiqué les études de terrain, à une période où cette méthode qui s’impose progressivement dans le monde anglo-saxon, notamment sous l’influence de Malinowski, restait marginale, en particulier en France. Ses quelques observations directes figurent par exemple dans ses travaux sur « les techniques du corps », elles sont issues de son expérience dans l'armée ou de son enfance en Touraine. Cependant, signe d’une évolution de la discipline, il a incité ses élèves à se rendre sur place pour les observations et a rédigé un Manuel d’ethnographie qui répertorie l’ensemble des dispositions à prendre lors d’une étude de terrain10.

Archives de Marcel Mauss

Celles de ses archives qui ont survécu à deux guerres mondiales sont conservées à l'Institut Mémoires de l'édition contemporaine (IMEC). Elles concernent son travail de sociologue, mais aussi son exploration de l'ethnographie et de l'histoire des religions, de l'Economie et de l'innovation sociale. Ce fonds d'archives est commun avec celui de Henri Hubert qui fut le frère de travail de Mauss à partir de 1896 lors de leur rencontre à l'École pratique des hautes études (c'est par exemple avec lui qu'il va construire et co-écrire « l'Essai sur la nature et la fonction du sacrifice » ou « l'Esquisse d'une théorie générale de la magie » comme le montrent des correspondances et des manuscrits souvent inédits conservés dans ce fond11.

Bibliographie

Recueils présentés et rééditions

  • Sociologie et anthropologie, recueil de textes, préface de Claude Lévi-Strauss, Presses universitaires de France, 1950. Recueil d'articles comprenant l' Essai sur le don. (lire en ligne) [archive]
  • Œuvres, présentation par Victor Karady, comprenant trois volumes :
    • I. - La fonction sociale du sacré, 1968, Paris, Minuit, 633 p.
    • II. - Représentations collectives et diversité des civilisations, 739 p.
    • III. - Cohésion sociale et division de la sociologie, 734 p. 1968, 1969, Paris, Minuit, collection Sens commun, dirigée par Pierre Bourdieu.
  • Écrits politiques, Fayard, textes réunis et présentés par Marcel Fournier. Paris : Fayard, Éditeur, 1997, 814 pages.
  • Essai sur le don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques (1925), Introduction de Florence Weber, Quadrige/Presses universitaires de France, 2007.
  • La nation, édition et présentation de Marcel Fournier et Jean Terrier, Paris, Puf (Quadrige), 2013.

Études sur Marcel Mauss

Autres

  • Revue du MAUSS. Cette revue n'est pas à proprement parler consacrée à Marcel Mauss, mais s'inspire notamment de ses œuvres, en particulier de l'Essai sur le don.

 

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