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Au cours des années 1880, en France, dix ans après la Commune,
l’agitation sociale redevenait inquiétante. Il était urgent de mater
énergiquement les grèves et l’insoumission ouvrière, par la force armée
au besoin. Il fallait museler les
organes de presse qui s’en offusqueraient, il fallait arrêter les
meneurs les plus actifs, il fallait d’abord s’employer à y décider les
parlementaires non seulement réticents mais largement déconsidérés par
le récent scandale du Panama.
C’est alors que le 9
décembre 1893, un anarchiste, Auguste Vaillant, lance en pleine séance
de la chambre des députés une bombe artisanale dont l’explosion provoque
de nombreuses blessures, heureusement légères. Cet attentat
spectaculaire était destiné, selon son auteur, à arracher des réformes
sociales aux responsables politiques. Le jour suivant, le criminel était
appréhendé, un mois plus tard il était condamné à mort, et décapité
trois semaines après.
Dès le lendemain de l’attentat, la
Chambre votait, en une seule séance et sans discussion, une série de
lois sur la presse et sur les « associations de malfaiteurs », des
crédits extraordinaires étaient attribués à la police, de nombreux
journaux étaient saisis, d’autres interdits de vente dans les kiosques.
Plusieurs mandats d’arrêts étaient enfin lancés et plus de soixante
personnes appréhendées. Évidemment, toute critique visant les
parlementaires était immédiatement soupçonnée de complaisance envers
l’anarchisme et le terrorisme.
Il fallut attendre
trente-trois ans pour éclairer cette merveilleuse histoire, avec la
publication, en 1926, des Souvenirs de police du commissaire Reynaud.
Selon un témoin entendu par le commissaire juste après l’attentat, toute
cette affaire avait été montée par la police. Auguste Vaillant, honnête
et révolté, avait été manœuvré. On avait fait sortir de prison un de
ses anciens camarades, qui l’avait retrouvé et lui avait procuré un
explosif fourni par le laboratoire de la Préfecture de police. Ce «
camarade » avait été à nouveau emprisonné, peu avant l’attentat, pour le
mettre à l’abri des recherches. Au cours de son bref procès, l’accusé
avait certes « avoué » qu’un « mécène » lui avait procuré de l’argent
pour louer une chambre à Paris et pour confectionner sa bombe, dont il
lui avait fourni les principaux éléments. Mais la police ne déploya
aucun effort pour retrouver ce mécène et le tribunal ne tint pas compte
de son aveu.
Ainsi cet attentat, commis par un véritable
terroriste, prêt à reconnaître son crime, et jusqu’à l’échafaud, a été
l’instrument parfait dont avait besoin la faction la plus répressive du
gouvernement pour renforcer son appareil policier et étouffer
l’agitation sociale. »
Michel Bounan, Logique du terrorisme (2e édition : 2011)"
mercredi 6 juin 2018
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