vendredi 28 juillet 2017

Anarcho-capitalisme

L’anarcho-capitalisme est un courant de pensée politique inspiré par le libéralisme philosophique, selon laquelle l’existence de l’État est illégitime et inutile. Ce courant est une branche du libertarianisme, différent du minarchisme, qui soutient quant à lui l'existence d'un État minimal pour tous (« État veilleur »).
Il se sépare du libéralisme classique, lequel reconnaît la nécessité d’un État et ne vise qu’à limiter de façon stricte son domaine et ses modes d’intervention. Il se distingue aussi des courants historiques traditionnels (socialistes, fédéralistes, individualiste) de l’anarchisme par son acceptation sans limite de la propriété privée, et accessoirement, son appartenance aux libertariens, son absence de critique de la religion entre autres.
Les anarchistes traditionnels considèrent plutôt que l'anarcho-capitalisme appartient à l'aile droite des libéraux et pas au courant historique de l'anarchisme, en dépit de son rejet de l'État ; ceci du fait qu'il ne partage pas avec l'anarchisme historique son « souci de l'égalité économique et [de] la justice sociale ». Il en va de même pour la plupart des anarchistes individualistes.

Anarcho-capitalisme et libéralisme

Les anarcho-capitalistes appliquent de manière stricte les thèses du libéralisme pour en tirer une philosophie politique qu'ils jugent seule cohérente pour organiser la société. Un anarcho-capitaliste est aussi appelé un « anarcap ». Une société humaine organisée selon les principes de l'anarcho-capitalisme est appelée une « anarcapie ».
Comme le libéralisme classique, l'anarcho-capitalisme revendique un système où chaque être humain est pleinement propriétaire de lui-même, des fruits de son travail et de ce qu'il a obtenu par la coopération volontaire avec autrui, par échange ou par don. Tout être humain est aussi comptable de ses actes, tenu par les engagements qu'il prend, responsable des pertes de son travail et débiteur pour les torts qu'il a causés à des tiers non consentants.
Les anarcho-capitalistes considèrent que seules les interactions entre adultes consentants sont légitimes. Toute atteinte à la personne et à la propriété perpétrée sans consentement constitue dès lors une agression, et toute forme d'organisation coercitive est illégitime, y compris l'État et ses multiples succédanés.
Pour les anarcho-capitalistes, un État, comme toute autre organisation, ne saurait avoir de légitimité qu'auprès de ceux qui l'ont individuellement et volontairement accepté. En particulier, les contributions obligatoires (impôts directs et indirects, etc.) et les réglementations imposées (législation, décrets, mesures administratives, etc.) sont considérées comme illégitimes.

Le soutien à la propriété privée

Pour les anarcho-capitalistes comme pour les libéraux classiques, la propriété privée est une composante essentielle de la liberté. Des anarchistes individualistes admettent la propriété privée mais sans la possibilité de la capitaliser.
La mise en commun du capital, la répartition des tâches et des responsabilités, la spécialisation des compétences et l'échange des services sont des moyens complémentaires de produire davantage de satisfactions. La garantie que ces moyens bénéficient au plus grand nombre est que chacun peut décider librement de participer ou de ne pas participer aux termes de l'accord, et d’en utiliser ou non les fruits. C'est le caractère volontaire d'un accord qui est garant tout à la fois et de sa légitimité et de son caractère bénéfique.
Cela n'empêche aucunement l'existence de communautés pratiquant un socialisme volontaire avec propriété commune, tant que celui-ci n'est pas coercitif, mais est un système d'échanges entre individus consentants ou entre organisations volontaires (une entreprise étant vue comme un « ensemble de contrats »).
Les anarcho-capitalistes récusent la nécessité de l'État pour garantir la propriété privée, voyant au contraire en lui le premier et le plus grand « criminel » contre la propriété privée. En revanche, ils font observer que, dans toute forme de propriété collective, une institution est nécessaire pour exercer les droits de propriété. Si tout est propriété collective, l’autorité de cette institution s’étend par définition à tout et à tous, et elle a de ce fait tous les attributs d’un État totalitaire, quel que soit le nom qu’on lui donne et quelles que soient ses modalités de fonctionnement. Par ailleurs, ils assimilent toute violation de liberté à une violation d'un droit de propriété (propriété de soi lors d'arrestations arbitraires, propriété de ses moyens de communication lors de censure, etc.). Pour ces deux raisons, ils accusent l’anarchisme socialiste – qui prétend combattre collectivement toute autre propriété que la propriété d'usage sur les biens – d’incohérence.

Les tendances

On peut distinguer au moins deux tendances anarcho-capitalistes :
Chaque tendance suit la même démarche, qui consiste à établir l'indissociabilité entre la propriété et la liberté, la désirabilité de ces droits, et la possibilité pratique de parvenir à une organisation de la société respectant ces droits. Mais elles montrent des disparités profondes dans l'application pratique de leurs principes, et ce même à l'intérieur de chacune de ces tendances.
L'approche jusnaturaliste remet en question la légitimité des droits de propriété en usage actuellement en les limitant aux seuls droits acquis conformément au « homesteading » développé à l'origine par John Locke, propose des méthodes pour réviser ces droits au cas par cas pour rétablir la légitime propriété au détriment des propriétaires actuels, et érige sa définition de la liberté et de la propriété comme universelle (le droit naturel est prioritaire sur le droit positif).
L'approche utilitariste part généralement de l'état actuel des droits de propriété sans chercher à établir de base absolue et universelle comme origine de ces droits, conservant la possibilité de justifier de manière utilitariste certaines violations de ces mêmes droits (la démarche utilitariste est alors prioritaire sur la liberté et la propriété).
Une conséquence de ces divergences est que la première approche ne permet pas l'application de n'importe quel contrat, mais seulement de ceux qui sont des échanges de titres de propriété valables. Ainsi, l'esclavage contractuel est impossible dans cette interprétation, car le libre-arbitre humain est inaliénable et inséparable du corps de l'individu. La seconde approche n'a pas ces limites, mais s'appuie sur la catallaxie pour faire émerger des règles communes acceptables par tous en matière de contrats.
Dans une situation où la violation des droits d'une personne permettrait assurément d'apporter plus en retour à une autre personne, l'approche utilitariste permet une telle violation, quand l'approche jusnaturaliste s'y oppose. Ainsi les utilitaristes peuvent justifier le sacrifice d'une personne pour en sauver plusieurs, mais pas les jusnaturalistes.
Les utilitaristes justifient donc le modèle de société anarcho-capitaliste par le fait que ce serait le plus efficace économiquement et par conséquent le plus désirable, tandis que les jusnaturalistes le justifient par le fait qu'il serait seul capable de respecter tous les droits fondamentaux des individus.
Une autre différence fondamentale se retrouve dans leurs conceptions de la justice :
  • l'utilitarisme vise l'efficacité économique globale de la justice, et donc applique des peines proportionnelles en valeur au crime divisé par le taux de capture ; le crime est intégré à la société à travers ses implications économiques ;
  • le jusnaturalisme vise la cohérence rationnelle de la justice avec le reste du droit Naturel, et donc applique la restitution égale doublée d'un droit de rétribution, appartenant à la victime, exactement égal au crime ; le crime est vu comme un renoncement partiel de ses propres droits vis-à-vis de la victime par le criminel, dans la mesure où il viole les droits de celle-ci ; certains mouvements se réclamant du jusnaturalisme ont cependant une vision différente, par exemple les agoristes n'envisagent pas de peine double, mais une restitution égale et la prise en charge du fonctionnement des mécanismes judiciaires, ce qui revient à la position utilitariste avec son intégration économique du crime.

Programme

Quel programme les anarcho-capitalistes proposent-ils concrètement ? Voici quelques idées provenant de deux figures emblématiques de l'anarcho-capitalisme : David Friedman (dans Vers une société sans état) ; et Murray Rothbard (dans L'Éthique de la Liberté) :
  • Friedman et Rothbard défendent le droit d'accomplir certains actes qui sont jugés illicites ou immoraux dans la plupart des pays, à savoir : le droit pour un individu de posséder, d'utiliser, de produire et de vendre librement de la drogue ; le droit d'organiser et de participer à des jeux d'argent ; le droit de produire ou de consommer de la pornographie ; le droit de produire, de s'équiper et de vendre des armes à feu, etc.
  • Friedman et Rothbard prônent la privatisation de tous les services qui incombent actuellement aux États : la gestion des routes, l'enseignement, la justice (selon Friedman, les règles du Droit seraient produites sur un marché libre, alors que selon Rothbard, elles découlent de la théorie du Droit naturel), la sécurité, la défense, la monnaie.
  • Friedman et Rothbard défendent le droit à l'avortement, au suicide, à la prostitution, au don et à la vente d'organes, etc. Les penseurs anarcho-capitalistes s'opposent également à toute forme non-volontaire de distribution des richesses, car elle est basée sur un « vol opéré par l'État ».
  • Pour lutter contre l'État, Rothbard est sécessionniste, Friedman est réformiste.
  • Friedman comme Rothbard considèrent que les enfants ont le droit de travailler, de quitter le domicile de leurs parents et même de se trouver d'autres parents s'ils le souhaitent. La majorité n'est pas une question d'âge, mais d'autonomie personnelle.
  • Rothbard prône la révision de tous les droits de propriété existants pour rétablir la légitime propriété suivant sa définition Lockéenne, en particulier la propriété des terres, tandis que Friedman élude la question de la propriété des terres du fait de la faible importance économique qu'elle représente (...aux États-Unis).

Mise en œuvre

De nombreux projets d'utopies anarcho-capitalistes ont été formulés. Le plus célèbre et le plus avancé est celui dit de Seasteading, développé par le Seasteading Institute, qui vise à bâtir des îles dans les eaux internationales pour les affranchir du contrôle de tout État. L'institut a été fondé par Patri Friedman (fils de David Friedman) et est financé notamment par Peter Thiel.

Objections fréquentes

Une objection fréquente à l'égard de l'anarcho-capitalisme est qu'on ne connaît pas d'expériences concrètes de ce type de société (« anarcapie »), et donc que l'anarcho-capitalisme serait impossible en pratique.
Les anarcho-capitalistes répliquent en demandant qu'on ne renverse pas la charge de la preuve : c'est aux étatistes de prouver que l'État est nécessaire, et non pas à eux-mêmes de prouver qu'ils peuvent se passer d'un maître. Pascal Salin écrit ainsi dans Libéralisme (2000) : « Il y a donc un renversement de perspective à effectuer. Au lieu de considérer que l'État est la norme de toute société, il convient de reconnaître que l'individu, relié aux autres individus, est la seule et unique norme ».
Par ailleurs, des exemples ont été étudiés de sociétés dépourvues de pouvoir étatique, au sens d'une entité employant la force pour sa propre institution : l'Islande est citée par David Friedman (avec l'Althing, assemblée nationale annuelle remplissant aussi des fonctions judiciaires, institution mise en place en 930 ; ce n'était toutefois pas une société capitaliste au sens actuel du terme), le fonctionnement des communes médiévales et leur émancipation du pouvoir féodal, la Pennsylvanie des quakers, et de nombreux autres exemples de sociétés minarchistes où le pouvoir de l'État était ou est extrêmement limité. Cependant, aucune de ses sociétés ne se revendiquaient explicitement de l'anarcho-capitalisme, ni même du libéralisme.
Selon les anarcho-capitalistes, les étatistes militent en fait pour la nécessité d'avoir des gens qui décident à la place des autres, l'institution de l'État aboutissant au droit, pour certains — les hommes d'État — de décider à la place des autres ce que ceux-ci doivent faire. La responsabilité personnelle est donc selon eux remplacée par une irresponsabilité collective, symbolisée par l'État.
D'autres reprochent aux anarcho-capitalistes leur foi un peu aveugle en l'homme qui leur ferait imaginer une société fondée uniquement sur la concurrence et sur l'ordre spontané ; ceux-ci répliquent qu'au contraire, leur vision d'une société de liberté ne leur fait pas fermer les yeux sur la nature humaine : police (privée) et tribunaux (privés) existeraient aussi en « anarcapie », et le droit y serait selon eux sans doute beaucoup plus strictement respecté que dans les sociétés actuelles. De plus, beaucoup doutent que les entreprises décident d'elles-même de prendre des décisions bénéfiques à la communauté, comme réduire la pollution ou offrir des bénéfices sociaux. Il faut enfin citer l'idée selon laquelle les réalités sociologiques amènent à une « naturelle » inégalité et domination des hommes par d'autres, le marché n'ayant qu'une fin de profit et non pas d'intérêt général, tandis que dans nos sociétés l'État a aussi souvent pour fonction de minimiser quelque peu ces effets pervers. La société anarcho-capitaliste mènerait ainsi, pour ses objecteurs, à des inégalités et à des dominations renforcées, créatrices de nombreuses souffrances. Pour les « anarcaps », l'État ne peut que démultiplier, par son pouvoir coercitif, les inégalités entre les hommes en offrant à ceux qui dominent déjà un moyen de renforcer et de pérenniser leur situation, et que par conséquent une société anarcho-capitaliste, sans abolir toute inégalité, offrirait cependant une garantie de garder ces inégalités à leur niveau minimal.

Anarcho-capitalisme et anarchisme

Les anarchistes traditionnels considèrent que la position anarcho-capitaliste est incohérente et contrevient à la définition historique de l'anarchisme. Tout d'abord la propriété privée des moyens de production donnerait selon eux aux capitalistes un pouvoir, une autorité, de même nature que ceux d’un État. La propriété privée de l'outil de production doit donc être rejetée au nom des deux positions définissant historiquement l'anarchisme : la défense du principe d'égalité et le refus du principe d'autorité. Les anarcho-capitalistes défendent l'égalité en droit et non l'égalité sociale. Or cette égalité réelle ne pourrait, selon les anarchistes traditionnels être respectée dans une société qui accepte et valorise la propriété privée des moyens de production ; les anarchistes reprochent en outre aux anarcho-capitalistes utilitaristes d'accorder aux individus le droit de renoncer à leurs droits, c'est-à-dire de consentir librement à la domination, ce qui légitimerait l'esclavage initialement consenti
De plus, pour les anarchistes, reprenant partiellement la théorie du contrat social, la propriété privée ne serait pas un droit naturel, mais une construction sociale qui exige l’action d’un État pour se maintenir. L'anarchiste Bob Black estime ainsi que le libre-échange ne peut exister sans État. Pour ces raisons, les anarchistes traditionnels refusent l’utilisation du mot « anarchisme » par les anarcho-capitalistes, pensée qu'ils déformeraient en la réduisant à l'anti-étatisme et à la défense de la liberté absolue oubliant au passage les valeurs anti-autoritaire, égalitaire, et solidaire de l'anarchisme. Certains comme Noam Chomsky vont même jusqu'à dire que l'anarcho-capitalisme tend plus vers l'anomie que vers l'anarchie. Enfin, l'implication d'anarcho-capitalistes au sein du Parti libertarien, qui se présente aux élections présidentielles aux États-Unis, contredit une tradition anarchiste opposée à la participation réformiste dans le débat politique institutionnalisé, lui préférant l'abstentionnisme. Pour l'agoriste Samuel Edward Konkin III, la participation d'anarcho-capitalistes à un parti politique est en contradiction avec l'anarchisme . Ceci ne s'applique en revanche pas aux anarcho-capitalistes qui ne se reconnaissent pas dans le Parti libertarien, tel David Friedman, et aux agoristes, qui rejettent les moyens étatiques pour parvenir à l'anarchie.
Pour les anarcho-capitalistes, seule l'égalité des droits est possible et souhaitable, l'égalité des biens ne pouvant être réalisée que par des mesures qui s'opposent nécessairement à la liberté : par conséquent seule la hiérarchie de droit peut et doit être abolie, les hiérarchies de nature différente (hiérarchie sociale, culturelle, etc.) n'étant pas causées par la volonté humaine mais par la nature. Pour cette raison, ils considèrent que ce sont les anarchistes traditionnels qui sont incohérents et ne méritent pas le nom d'anarchistes, bien que ce soit leur courant de pensée qui ait inventé et défini le mot « anarchisme »
Il n'existe pas en France d'organisation ou structure anarcho-capitaliste d'ampleur comparable aux organisations anarchistes traditionnelles (comme la Fédération anarchiste, Alternative libertaire, l'Organisation communiste libertaire, la CNT ou la CNT-AIT) ; aux États-Unis, ce mouvement politique est en revanche relayé par quelques instituts tels que le Ludwig von Mises Institute. Ce mouvement se manifeste surtout sur Internet par le biais de sites personnels ou de blogs.
Enfin, alors que les anarchistes traditionnels sont opposés à l'anarcho-capitalisme, certains anarcho-capitalistes indiquent que dans une société qui fonctionnerait conformément aux principes anarcho-capitalistes, les individus qui voudraient vivre selon les principes anarchistes traditionnels pourraient le faire — Hans-Hermann Hoppe en montre des conséquences peu conciliantes. Il suffirait aux anarchistes traditionnels de refuser d'entrer dans toute organisation qui présenterait à leurs yeux un caractère hiérarchique, et pourraient également s'associer dans des organisations qui respecteraient les principes de l'anarchisme traditionnel. Voir panarchisme.

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