vendredi 25 mai 2018

Analyse (dans les commentaires) du Corrigé du bac de philo 2012: "Serions-nous plus libres sans l'Etat?"

Dans la définition sociologique qu'en donne Weber, l’État est une institution qui a "le monopole de la violence physique légitime". Seul l’État, par l'usage de la force publique, a le droit de prendre quelqu'un de corps, de l'enfermer et de lui imposer un nombre savant de contraintes (interrogatoire, garde à vue, prison, perquisition...). Personne d'autre ne saurait se prévaloir d'un droit d'enfermer autrui, d'entrer chez lui sans son accord, de l'interroger pendant des heures sans son consentement. Comment un organe collectif qui dispose du droit de contraindre pourrait-il nous libérer ? Ne serions-nous pas plus libres s'il n'y avait pas d'Etat ?

Ce que l'on appelle l’État est, de manière plus générale, une forme récente d'organisation politique qui désigne les institutions chargées de maintenir l'ordre et la justice dans une société civile composée d'individus libres. Si les individus sont laissés libres, c'est-à-dire sans contrainte extérieure, alors rien ne garantit que leurs actions soient coordonnées. Si être libre c'est pouvoir laisser libre cours à ses choix individuels alors, en effet, on voit mal comment parvenir à une coordination des individus sans une institution contraignante. Il faudrait alors limiter la liberté d'action pour la sauver, en quelque sorte. Pourtant, cette conception est trop simpliste car elle se rapporte à une vision d'un homme qui agirait sans souci des autres. Or, il est bien évident qu'à regarder les enfants jouer spontanément, leur désir d'appartenir au groupe fait qu'ils se donnent spontanément des règles. L'homme est un animal sociable, c'est constitutif de son épanouissement de vivre avec les autres et de se préoccuper de la coordination de ses actions avec celles des autres. L'homme n'aurait donc pas besoin de l’État pour avoir un sens des impératifs de la vie collective. Pourtant, ce désir de vivre avec les autres et d'être reconnu par eux, conduit beaucoup d'individus à vouloir être les premiers et, ce faisant, à des relations rivales favorisant les excès de pouvoir et la domination de l'homme par l'homme aboutissant, in fine, à une privation de liberté. Les hommes se coordonneraient-ils spontanément ? L’État ne peut-il pas abuser de son pouvoir de contrainte ? Sans État, chargé de maintenir l'ordre public, il est évident que chacun serait toujours menacé par les excès du pouvoir des autres. Mais l'existence d'un pouvoir de contrainte concentré dans une institution extérieure à la société civile ne se présente-t-elle pas aussi comme une menace inutile pour la liberté humaine ?

L'Etat règle le problème de la coordination des individus libres. Certes les hommes seraient plus libres sans l'Etat, mais cette liberté serait un vain mot.

En effet, s'il n'y a pas de contrainte, le risque qu'il y ait des incompatibilités entre les choix individuels est grand, même sans mauvaise volonté ni rivalité entre les hommes. Laisser chacun sans contrainte serait, immanquablement, s'exposer à des choix incompatibles et donc à des conflits privant les uns et les autres de liberté. Si, par exemple, quelqu'un qui n'a pas de maison décide de prendre possession d'un toit - sans vouloir nuire à autrui - sa décision n'est pas compatible avec celle du propriétaire de jouir paisiblement de son bien. Le propriétaire risque de ressentir l'intrusion de l'autre comme une entrave à sa liberté de profiter tranquillement de ce qui est à lui. Faire respecter le droit de propriété, par l'usage de la force publique, c'est donc faire en sorte que celui qui a décidé librement de s'approprier un bien ne puisse pas voir l'expression de sa liberté entravée par celle d'autrui. C'est une chose que fait bien remarquer Hayek : le droit s'efforce de coordonner les choix individuels en évitant que les individus prennent des décisions incompatibles entre elles. Ce faisant, l’État, chargé de faire respecter le droit, évite que la liberté individuelle ne conduise à des situations de conflits privatives de liberté. Le droit, garanti par la puissance publique de l’État, protège donc la liberté des uns de celle des autres.

L'homme a surtout besoin d'un chef et c'est l’État qui assume ce rôle. Le principal problème d'une liberté sans État est qu'elle est absolue, sans limite. On serait, certes, plus libre sans l’État, mais d'une liberté impossible. Il faut donc que l'homme abandonne sa liberté absolue dont il ne peut pas jouir à cause des conflits qu'elle provoque avec celle des semblables et accepte de la remettre à un chef. Le véritable problème de l'homme dans ce que Hobbes appelle "l'état de nature", c'est-à-dire, dans une société sans État, sans instance investie de la souveraineté, c'est que chacun se croirait maître absolu de lui-même, voudrait faire la justice tout seul à l'aune de son intérêt personnel. C'est cela qui fait de l'homme le pire prédateur pour l'homme ("homo homini lupus"). Tant que l'homme sera absolument maître de lui-même, il présentera un danger pour la liberté des autres. Il faut, au contraire, transmettre la souveraineté que chacun a sur soi à un chef qui tranche les conflits de manière irrévocable. L'existence d'un chef est donc décisive, il s'agit de perdre une liberté sans cadre pour gagner une liberté encadrée par la loi. Si chacun pense avoir un droit sur tout et en être le seul juge, c'est là qu'interviennent les conflits autour de la propriété comme celui que nous avons évoqué, par exemple. Les individus doivent donc abandonner la souveraineté sur eux-mêmes qui fait leur liberté naturelle avant l'Etat, pour la remettre à un chef chargé de dire le droit. Bien sûr l'homme serait plus libre sans l'Etat, mais c'est négliger que l'homme a besoin d'un chef pour cohabiter avec les autres. Il doit impérativement cesser de se penser comme souverain de lui-même.

Il faudrait même aller plus loin car on peut montrer que l’État, comme chef qui impose la paix entre les hommes, libère les individus d'eux-mêmes. Sans l’État, en effet, nous serions soumis à la tyrannie de nos désirs qui nous mettent constamment en rivalité et en concurrence avec les autres. Si l'on ajoute à ce que nous disions, que les désirs humains sont façonnés, comme un miroir, par le désir des autres comme le pense Hobbes avant Hegel, on doit considérer aussi que, sans État, ce serait "la guerre de tous contre tous". Si les individus sont en concurrence constante, c'est précisément qu'ils ont tendance à désirer ce que les autres désirent. L'identité de chacun se façonne dans le rapport aux autres qui passe, souvent, par l'intermédiaire des choses que tous essaient de s'approprier pour se démarquer. Les choses deviennent alors un enjeu de reconnaissance et de pouvoir qui produit un conflit perpétuel : pour les places, pour les reconnaissances, pour l'argent... L'anthropologue de l'économie, Carl Polanyi, avait d'ailleurs bien fait remarquer que la quête d'argent, en société, n'est pas une quête de bien-être mais une quête de reconnaissance sociale. Cette marche du désir qui nous pousse à la rivalité est une véritable tyrannie. Or, en remettant la marche libre de nos désirs rivaux à un chef politique, il nous libère de leur tyrannie, tout en nous libérant de la tyrannie que le désir des autres nous impose. L’État comme chef législateur donne certes des limites à l'expression libre de nos désirs, mais, dans le même temps nous en libère. Nous serions donc plus libre sans l’État mais d'une liberté qui serait l'autre nom de la tyrannie des désirs rivaux qui animent trop souvent la sociabilité humaine (Kant parle d'ailleurs, à ce sujet, d'"insociable sociabilité" de l'homme).

Pourtant, tout ce que nous venons d'évoquer se fonde sur une conception très discutable de l'humanité. La croyance selon laquelle les désirs de l'homme sont nécessairement rivaux ou même que l'homme ne se préoccupe que de lui-même si on le laisse libre est absolument discutable. C'est la raison pour laquelle on est en droit de se demander si l'Etat ne représente pas une restriction abusive de notre liberté naturelle. En réalité, il y a fort à penser que sans l'Etat l'on serait beaucoup plus libre ou, à tout le moins, beaucoup moins menacé dans notre liberté.

Commençons par déconstruire l'idée selon laquelle l’État serait une sorte de réalité paradoxale qui restreindrait la liberté pour favoriser la liberté. Cette idée est entièrement basée sur une vision discutable de l'homme. Il est faux que l'homme ne soit naturellement préoccupé que de lui-même et soit incapable de s'imposer lui-même les exigences de la vie collective. Les hommes cherchent, au contraire, spontanément à coordonner leur action avec celle des autres, c'est donc absolument une expression de leur liberté que se donner eux-mêmes des règles permettant une sociabilité paisible. Certaines études en psychologie nous apprennent que les enfants se donnent spontanément des règles permettant de collaborer avec les autres. Piaget dans son livre sur le Jugement moral chez l'enfant, montre, en effet, qu'il y a deux sortes de règles morales : la première sorte de règle morale est imposée aux enfants par les adultes sous la forme d'une contrainte et est intériorisée par crainte de la punition ; la deuxième sorte de règle morale est spontanée, les enfants qui cherchent à jouer ensemble se donnent spontanément des règles de conduites rendant possible le jeu et se corrigent mutuellement si l'un enfreint ces règles. Pour jouer aux billes, par exemple, il faut nécessairement que tous les enfants se donnent les règles qui rendent possible le jeu lui-même et corrigent celui qui ferait une faute, c'est donc spontanément et sans autorité supérieure que les enfants se coordonnent. Si l'on généralise cette idée alors il semble évident qu'une autorité supérieure comme l’État n'est pas nécessaire mais tend à priver les individus de leur liberté.

La forme anarchique est la plus adaptée à l'expression libre des individualités. Les penseurs anarchistes, contrairement à ce que l'on croit, ne sont pas défavorables aux règles mais font confiance aux hommes pour se les donner eux-mêmes en collaborant dans des tâches communes. Pour réaliser un projet commun, il faut en effet s'assujettir à des règles qui permettent la collaboration et la réussite du projet. C'est toute la logique des associations. C'est ainsi que Proudhon, par exemple, a proposé un système de société mutualiste qui s'organise horizontalement sans aucune espèce d'autorité tutélaire comme l'Etat. Pourquoi tenir absolument à la forme de l'autorité des chefs plutôt qu'à la collaboration des hommes dans des coopératives à laquelle chacun a goût et intérêt à participer. Si l'on veut que l'homme soit le plus parfaitement libre, il ne faut pas plus d'Etat mais moins d'Etat : il faut que chacun puisse choisir la vie qu'il souhaite sans entrave et qu'il risque d'être choisi ou rejeté par les autres dans ses choix. Chacun donne ce qu'il souhaite et est ou non accepté par les autres. La collaboration des hommes doit se faire horizontalement pour laisser à la liberté individuelle la plus grande créativité et le plus grand espace d'expression. Cela ne signifie pas que tout soit autorisé car les hommes, en s'associant, s'imposent à eux-mêmes leurs normes sans que n'intervienne l'Etat qui n'est jamais que la captation par certain d'un droit de dominer les autres.

Au-delà de l'erreur anthropologique, la thèse naïve selon laquelle l’État serait forcément libérateur, on s'expose à un autre problème sévère. Si Hobbes estime que le fondement de l’État provient du fait que chacun remet sa liberté à un chef, qui empêchera le chef, détenteur d'une autorité incontestable et de la "violence physique légitime", d'abuser de son pouvoir ? Plus une entité a du pouvoir, plus son action présente de risques. N'a-t-on pas, au vingtième siècle, siècle de l’État-nation, la mise en évidence des périls totalitaires de la forme étatique ? Ainsi, concentrer le pouvoir dans une seule main, c'est aussi un risque, celui de ne plus pouvoir empêcher l'action du pouvoir y compris dans ses pires conséquences. Hannah Arendt a produit une analyse perçante du péril totalitaire et de son étroite liaison avec la forme de l’État lorsqu'usant de son pouvoir, il cherche à régir tous les aspects de la vie sociale sans limite. Nietzsche, dans Ainsi parlait Zarathoustra, parle du "plus froid des monstres froids" au sujet de l’État et, il considère que la forme de l’État implique forcément une scission entre lui et le peuple et une tendance naturelle à se séparer des attentes de la société pour devenir oppresseur. Les animaux ont des troupeaux. Chez l'homme, il n'y en a pas, mais il y a des États. L’État, pour compenser l'insociabilité humaine finit donc par se couper de la société en lui imposant des impératifs qui peuvent l'opprimer. Jamais "un" chef ne pourra représenter une multitude d'individus singuliers et divers et s'il cherche à les façonner, à leur imposer des règles communes, il leur fait nécessairement violence.

Pourtant, condamner toute forme de pouvoir étatique en raison de ses excès relève du sophisme. C'est ce que l'on appelle l'argument de la "pente glissante" qui est aussi représenté dans l'expression : "qui vole un œuf vole un bœuf". Bien entendu certaines formes dévoyées de pouvoir étatique sont privatives de liberté mais on ne peut pourtant pas déduire si facilement que l'on serait plus libre sans l'Etat. Les sociétés sans Etat, sont des sociétés de hordes où les mouvements de masse ne sauraient être maîtrisés, où la vindicte des uns contre les autres ne saurait être empêchée, où la liberté, finalement, risquerait d'aboutir à l'émergence de comportements collectifs dangereux et impossibles à maîtriser. Il faut donc un Etat qui maîtrise la vie collective mais un Etat où le pouvoir limite le pouvoir, où le pouvoir soit tellement modéré par le jeu des institutions qu'il garantisse l'homme contre tout despotisme et le tienne dans la plus grande liberté possible.

Ce que l'on peut reprocher à la forme étatique c'est, effectivement ce que disait Nietzsche : l'Etat croit représenter le peuple et risque alors de ne lui proposer que servitude. Claude Lefort a bien mis en évidence le fait que tout Etat devient dangereux dès lors qu'il croit devoir faire l'unité d'un peuple ou qu'il croit la représenter. Or, une société est composée d'une infinité d'être divers ayant des intérêts variés, passant d'une sphère de vie à l'autre : quoi de commun entre les croyances d'un athée, d'un sikh et d'un chrétien ? Quoi de commun entre les intérêts d'un chauffeur de taxi, d'un enseignant, d'un retraité et d'un grand patron ? La société n'est pas une, elle est composée d'une pluralité très diverses de situations, d'individus... L'Etat devient un danger dès lors qu'il prétend faire l'unité du peuple : lui dire son identité, sa volonté, ses valeurs... L'Etat doit seulement permettre la coexistence des hommes, favoriser la diversité et la tolérance afin que son pouvoir ne soit pas constitutif d'une privation de liberté. C'est la raison pour laquelle certains penseurs, comme Locke, on restreint le rôle de l'Etat à la protection des droits individuels (Locke parle de propriétés). Le pouvoir de l'Etat légitime est, par nature, limité à la protection des droits des personnes, dès lors son pouvoir ne saurait s'exercer qu'au profit de la libération de l'homme.

Pour éviter toute captation abusive du pouvoir, il faut donc que personne, dans l'Etat, ne dispose de tous les pouvoirs. Une constitution libre n'est pas celle où il n'y a qu'un chef sans contre-pouvoir, ce serait plutôt un despotisme mais où il y a des chefs capables de s'empêcher les uns les autres, de restreindre mutuellement leur pouvoir afin que le pouvoir limitant le pouvoir, tout le monde soit exempt du danger de captation tyrannique de celui-ci. C'est la condition d'un exercice modéré du pouvoir en dehors duquel les citoyens courent les plus grands dangers. C'est l'avantage que Montesquieu voyait dans la constitution anglaise lorsqu'il a théorisé la séparation des pouvoirs qui est, plus précisément, un équilibre des pouvoirs. Si, par exemple, seul l'Etat pouvait produire une information officielle en muselant la presse, ce serait un abus de pouvoir qui empêcherait les citoyens de prendre des décisions éclairées. La presse intervient donc comme une forme de contre-pouvoir d'information. La pluralité et l'indépendance des agences de presse est décisive dans ce cadre. Toute captation du pouvoir de faire savoir par un seul, serait, au contraire, constitutive de la privation de la plus élémentaire liberté du citoyen qui est de pouvoir penser par lui-même. Cette liberté ne se fait pas seule, elle est le résultat d'institutions qui favorisent le pluralisme des voix et qui empêchent qu'un seul ne prenne tout le pouvoir. L'institution de l’État est bien une nécessité pour libérer les individus s'il est capable de limiter l'expression de son propre pouvoir.

Il faut, enfin, que l’État ne se prétende jamais détenteur de la souveraineté qui appartient au peuple. L’État ne peut pas représenter le peuple, ni vouloir à sa place comme le dit Rousseau, dans le Contrat social. Sinon cela signifierait que la volonté de l’État se substitue à celle des citoyens et s'en sépare au risque de l'opprimer. Il faut donc s'assurer que toutes les possibilités de contestation, de participation, de recours des citoyens soit assurée et favorisée pour permettre que l’État soit l'organe de la liberté du peuple. Mais c'est encore l'effet d'une institution différente de la société et disposant d'un certain pouvoir. Il faut que l'institution incontournable de l’État soit telle qu'elle s'assure elle-même d'être l'organe des délibérations civiques et qu'elle ne prétende jamais les maîtriser ou les circonscrire pour que l’État ne soit pas constitutif d'une privation de liberté. Jurgen Habermas évoquait, par exemple, les procédures qui permettent aux délibérations collectives d'exister : ces procédures, il faut qu'il y ait des institutions pour les faire exister. Dans ce cas, et dans ce cas seulement, l’État ne présente plus une menace pour la liberté puisqu'il devient l'organe et l'expression de la liberté des citoyens.

Notre parcours nous a montré que le rapport entre la forme de l’État et la liberté était loin d'être simple. L’État est une forme historiquement datée, on sait les périls liberticides que représente le fait de concentrer le monopole de la violence physique légitime dans une seule main. C'est ce dont l'histoire du vingtième siècle nous témoigne. On pourrait donc être attiré par un rejet de la forme étatique et par une nostalgie des sociétés sans État. Pourtant, nous avons montré que ce serait une erreur. L'homme ne serait pas plus libre sans État c'est une évidence. Mais toute forme d’État n'est pas pour autant libératrice. Il s'agit que l’État soit capable de limiter son propre pouvoir par des institutions modératrices qui garantissent le peuple contre toute captation de sa souveraineté. C'était le projet des premiers penseurs de l’État démocratique, il est évident que les partisans du pouvoir absolu de l’État en sont les principaux fossoyeurs.

Source https://www.huffingtonpost.fr/pierre-cretois/bac-philosophie-libres-etat_b_1605117.html

29 commentaires:

Je a dit…

HuffPost (anciennement Huffington Post) est un site web d'information créé en 2005 et décliné dans plusieurs pays.

Propriétaire Verizon Communications

Verizon Communications Inc. [və.ˈɹaɪ.zən], anciennement Bell Atlantic Corporation, est une entreprise américaine de télécommunications, présente sur le marché des services mobiles avec Verizon Wireless, dans le fixe aux États-Unis avec Verizon Telecom, sur le marché des entreprises avec Verizon Business et à l'international par l'intermédiaire de nombreuses filiales et participations. Son siège social est à New York et son centre d'exploitation principal est à Basking Ridge dans le New Jersey.

Je a dit…

En France, Huffington Post est la propriété :
- à 34% de la société Le Monde SA (plus de la moitié des parts appartiennent au banquier Mathieu Pigasse et au milliardaire des télécommunications avec Free, Xavier Niel)
- et à 11% de LNEI (holding du banquier Mathieu Pigasse).

Je a dit…

Normalement, la ligne éditoriale des journalistes devrait être libre, complètement détachée des desiderata des actionnaires mais, on s'en rend bien compte, ce n'est pas le cas dans la réalité.

Il était donc nécessaire de préciser, avant de commencer la lecture, qui sont les propriétaires du journal dans lequel cet article (éminemment politique) est publié :
- une industrie états-unienne des télécommunications
- et un banquier français.

Sachant cela, on pourra interpréter telle ou telle prise de position ...

Je a dit…

Le premier exemple cité par l'auteur est, de mon point de vue, révélateur :

"Faire respecter le droit de propriété, par l'usage de la force publique, c'est donc faire en sorte que celui qui a décidé librement de s'approprier un bien ne puisse pas voir l'expression de sa liberté entravée par celle d'autrui".

Le fameux "droit inviolable et sacré" de l'article 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789; celle rédigée par les grands bourgeois qui ont conduit la Révolution de 1789 pour passer de la monarchie absolue à ... la monarchie constitutionnelle.

Je a dit…

Mais passons sur le droit de propriété, puisque cela reste vague; l'auteur de l'article ne distinguant pas les différents types de propriété :
- individuelle/collective/sociale
- d'usage/lucrative.

La première phrase qui me fait réellement réagir c'est : "L'homme a surtout besoin d'un chef et c'est l’État qui assume ce rôle.".

Pour vivre en société, les hommes ont besoin de règles, certes, mais rien ne prouve qu'ils aient besoin d'un chef, surtout pas avec un pouvoir coercitif réservé à ce seul chef ! L'anthropologie nous montre qu'il existe et a existé toutes sortes d'organisations sociales et nombreuses sont celles qui n'avaient pas de chef au pouvoir coercitif.

Je a dit…

Deuxième phrase du même ordre qui me fait réagir : "Il faut donc que l'homme abandonne sa liberté absolue dont il ne peut pas jouir à cause des conflits qu'elle provoque avec celle des semblables et accepte de la remettre à un chef."

Si un individu veut vivre en société, dans un groupe plus ou moins vaste, il faut qu'il renonce à se liberté absolue, certes, mais pas pour l'abandonner à un chef ! Cette liberté peut se partager entre tous les individus du groupe :
- soit par la démocratie où les choix majoritaires prédominent
- soit par l'anarchie (au sens étymologique et politique de "sans chef") où il y a recherche de consensus, d'unanimité.

Je a dit…

"Le véritable problème de l'homme dans ce que Hobbes appelle "l'état de nature", c'est-à-dire, dans une société sans État, sans instance investie de la souveraineté, c'est que chacun se croirait maître absolu de lui-même, voudrait faire la justice tout seul à l'aune de son intérêt personnel."

Faux !

"L'état de nature" était une hypothèse intellectuelle que l'anthropologie a démentie. L'homme "sauvage" serait soit bon (Rousseau), soit mauvais (Locke), et l’État (monarchique ou républicain) viendrait maîtriser ses pulsions bestiales "pour le bien de tous".

Mais c'est oublier que les êtres humains sont des mammifères grégaires depuis des millions d'années. La vie en société avec ses règles et sans chef (au pouvoir coercitif) existe depuis aussi longtemps que l'anthropologie a pu le prouver scientifiquement (au moins 40 ou 45.000 ans). Il y a même eu une alternance de périodes avec égalité sociale ou inégalité sociale ; d'après l'observation des tombes :
- richement dotées pour certains individus et beaucoup moins pour d'autres à certaines époques,
- ou toutes dotées équitablement à d'autres époques.

Je a dit…

"L'existence d'un chef est donc décisive, il s'agit de perdre une liberté sans cadre pour gagner une liberté encadrée par la loi."

Encore faux !

L'existence d'une loi, de règles sociales, ne requiert pas un chef. La loi peut très bien être pensée, rédigée, appliquée par des individus politiquement égaux.

La répression, la coercition ne doit pas être monopolisée par un chef ou un groupe au sein de la société; sinon le risque est grand (pour ne pas dire inévitable) qu'ils en abusent !

Je a dit…

Je cite encore avec désapprobation l'auteur de cet article : "Sans l’État, en effet, nous serions soumis à la tyrannie de nos désirs qui nous mettent constamment en rivalité et en concurrence avec les autres."

Il ignore ou feint d'ignorer les désirs et la tyrannie des États, en rivalité et en concurrence avec les autres. Les êtres humains (grégaires, je le rappelle, et donc jamais seul dans un supposé "état de nature") sont les seuls mammifères (avec les rats) à tuer leurs semblables. Mais les tueries massives (les guerres) sont synchrones avec la naissance des États.

D'individus isolés commettant l'homicide, on est passé à des homicides de masse sous le commandement de chefs d’États. La concentration de pouvoirs est la principale source des abus de pouvoirs. Un fou sanguinaire isolé peut tuer quelques êtres humains mais un fou à la tête d'un État peut (faire) tuer des dizaines de millions d'êtres humains.

Je a dit…

"Les choses deviennent alors un enjeu de reconnaissance et de pouvoir qui produit un conflit perpétuel : pour les places, pour les reconnaissances, pour l'argent..." ... oui mais l’État est un terrible moyen (pour certains qui y occupent de hautes fonctions) de s'accaparer encore plus de choses qu'ils ne l'auraient pu dans une société sans État (c'est-à-dire sans institutions coercitives et avec un pouvoir politique retiré de la société).

Je a dit…

Plus j'avance dans la lecture de ce texte et plus je suis horripilé : : "Or, en remettant la marche libre de nos désirs rivaux à un chef politique, il nous libère de leur tyrannie, tout en nous libérant de la tyrannie que le désir des autres nous impose.".

Ainsi donc, l'auteur nous recommande d'oublier tous nos désirs et de les confier, ou dit autrement, de les réserver, au chef politique. Mais on fonce droit vers la monarchie absolue ! Un chef qui pourrait tout désirer et tout obtenir, tandis que ses sujets seraient anesthésiés, sans désir, et sans "choses".

La course pour les places, pour les reconnaissances, pour l'argent... serait ainsi réservée à ceux qui briguent une fonction au sein (ou mieux au sommet) de l'institution étatique.

Je a dit…

Enfin, au huitième paragraphe, je lis quelque chose qui m'apaise (provisoirement ?) : "Les hommes cherchent, au contraire, spontanément à coordonner leur action avec celle des autres, c'est donc absolument une expression de leur liberté que se donner eux-mêmes des règles permettant une sociabilité paisible. Certaines études en psychologie nous apprennent que les enfants se donnent spontanément des règles permettant de collaborer avec les autres..

L'auteur reconnaît enfin que la coopération, la libre coopération, existe et pas seulement la compétition féroce (chère aux adeptes du libéralisme économique).

Je a dit…

Ah ! : "Piaget dans son livre sur le Jugement moral chez l'enfant, montre, en effet, qu'il y a deux sortes de règles morales :

- la première sorte de règle morale est imposée aux enfants par les adultes sous la forme d'une contrainte et est intériorisée par crainte de la punition"
; [Cornelius Castoriadis la désigne par le qualificatif "hétéronome" : la règle venant d'un autre]

- "la deuxième sorte de règle morale est spontanée, les enfants qui cherchent à jouer ensemble se donnent spontanément des règles de conduites rendant possible le jeu et se corrigent mutuellement si l'un enfreint ces règles." [Cornelius Castoriadis appellera ce type de règles "autonomes" : la règle venant de soi-même, du groupe auquel on appartient, et ce sera une règle qu'on aura contribué à établir.]

Je a dit…

Les adultes, dans notre société de "maîtres élus" sont des "enfants politiques" (comme l'explique Étienne Chouard).

Comme pour les enfants qui jouent de façon autonome, "il faut que chacun puisse choisir la vie qu'il souhaite sans entrave et qu'il risque d'être choisi ou rejeté par les autres dans ses choix.".

Je a dit…

Au début du dixième paragraphe, je me réconcilie quelque peu avec l'auteur quand il écrit : "Au-delà de l'erreur anthropologique, la thèse naïve selon laquelle l’État serait forcément libérateur, on s'expose à un autre problème sévère..

Il reconnaît que sa démonstration était jusque-là erronée : pas besoin d'un chef (au pouvoir coercitif) pour avoir des règles et pour vivre dans une société pacifique.

Je a dit…

Plus une entité a du pouvoir, plus son action présente de risques.

C'est le risque majeur d'un État fort mais aussi de n'importe quelle institution forte : Église, entreprises multinationales, etc.

Je a dit…

Par contre, je ne suis pas d'accord quand il écrit : "Les animaux ont des troupeaux. Chez l'homme, il n'y en a pas, mais il y a des États. L’État, pour compenser l'insociabilité humaine finit donc par se couper de la société en lui imposant des impératifs qui peuvent l'opprimer. ".

Les êtres humains sont des animaux grégaires, qu'on appelle leurs groupes "troupeaux" ou "clan", "tribu", "nation", etc. Je ne suis donc pas d'accord quand l'auteur parle "d'insociabilité humaine". Au contraire, l'une des caractéristiques de l'homme, c'est sa sociabilité. Certaines études scientifiques ont même montré que des êtres humains pouvaient mourir de solitude !

Je a dit…

L'auteur pose de bonnes questions dans sa synthèse : "Quoi de commun entre les intérêts d'un chauffeur de taxi, d'un enseignant, d'un retraité et d'un grand patron ? La société n'est pas une, elle est composée d'une pluralité très diverses de situations, d'individus....

Mais il sous-entend qu'il n'y a pas de traits communs. Pourtant, il en existe : les besoins naturels et nécessaires décrits par Épicure.

Je a dit…

On en revient donc à l'aspiration des grands possédants (comme je le subodorais dès le départ) : un État minimaliste, "minarchiste", au pouvoir coercitif exclusivement dévolu à la protection de la fortune des grands propriétaires :

"C'est la raison pour laquelle certains penseurs, comme Locke, on restreint le rôle de l'Etat à la protection des droits individuels (Locke parle de propriétés)."

Je a dit…

Malgré les références à Proudhon et plus généralement à l'anarchisme, l'auteur de cet article ne veut pas renoncer à l'Etat. Il en a attribué les excès à la monarchie et recommande donc ... l'oligarchie !

"Une constitution libre n'est pas celle où il n'y a qu'un chef sans contre-pouvoir, ce serait plutôt un despotisme mais où il y a des chefs capables de s'empêcher les uns les autres, de restreindre mutuellement leur pouvoir afin que le pouvoir limitant le pouvoir, tout le monde soit exempt du danger de captation tyrannique de celui-ci."

Validation du régime électoral auquel est soumis le monde occidental depuis deux siècles; un régime dirigé par les grands bourgeois : industriels, marchands et banquiers.

Je a dit…

Des oligarques comme les actionnaires de Verizon Communications et des banquiers comme Mathieu Pigasse ... ses employeurs.

Je a dit…

Là où cela devient magnifique, c'est dans ce paragraphe : "Si, par exemple, seul l'Etat pouvait produire une information officielle en muselant la presse, ce serait un abus de pouvoir qui empêcherait les citoyens de prendre des décisions éclairées. La presse intervient donc comme une forme de contre-pouvoir d'information. La pluralité et l'indépendance des agences de presse est décisive dans ce cadre. Toute captation du pouvoir de faire savoir par un seul, serait, au contraire, constitutive de la privation de la plus élémentaire liberté du citoyen qui est de pouvoir penser par lui-même."

C'est un comble de dire ça alors que dans notre pays, la France, 95% de la presse appartient à des industriels et des banquiers. L'information y est muselée, non pas par un seul mais par à peine une dizaine d'individus !

Je a dit…

En conclusion, l'auteur écrit : "On pourrait donc être attiré par un rejet de la forme étatique et par une nostalgie des sociétés sans État. Pourtant, nous avons montré que ce serait une erreur. L'homme ne serait pas plus libre sans État c'est une évidence."

Quelle évidence ? Il a démontré que c'est dans une société sans règle que l'individu serait en danger mais pas dans une société sans État au pouvoir centralisé !

Je vais donc répéter ce qui a été écrit (d'important à mes yeux) dans l'antithèse : "La forme anarchique est la plus adaptée à l'expression libre des individualités. Les penseurs anarchistes, contrairement à ce que l'on croit, ne sont pas défavorables aux règles mais font confiance aux hommes pour se les donner eux-mêmes en collaborant dans des tâches communes. Pour réaliser un projet commun, il faut en effet s'assujettir à des règles qui permettent la collaboration et la réussite du projet. C'est toute la logique des associations. C'est ainsi que Proudhon, par exemple, a proposé un système de société mutualiste qui s'organise horizontalement sans aucune espèce d'autorité tutélaire comme l’État. Pourquoi tenir absolument à la forme de l'autorité des chefs plutôt qu'à la collaboration des hommes dans des coopératives à laquelle chacun a goût et intérêt à participer ?"

Je a dit…

Mais l'auteur n'est hélas pas d'idéologie anarchiste; il est d'idéologie oligarchique. Il présente le régime électoral (celui où on désigne des maîtres plutôt que de voter les lois soi-même) comme la panacée : "C'était le projet des premiers penseurs de l’État démocratique, il est évident que les partisans du pouvoir absolu de l’État en sont les principaux fossoyeurs." et commet encore une erreur en confondant élection et démocratie.

Aristote expliquait déjà, il y a 2300 ans que l'élection est aristocratique. Et surtout, les fondateurs des républiques étatiques n'étaient absolument pas démocrates. Ils s'en défendaient ! Il n'y a qu'à lire Emmanuel-Joseph Sieyès :

« Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. »
(Discours du 7 septembre 1789, intitulé précisément : « Dire de l’abbé Sieyes, sur la question du veto royal : à la séance du 7 septembre 1789 » cf. pages 15, 19…)

Je a dit…

Pour bien faire la distinction entre la société (un groupe d'êtres humains qui se donnent des règles de vie en commun) et l’État ("une institution qui a le monopole de la violence physique légitime", comme défini par Weber), il faut lire Pierre Clastres.

La Société contre l’État est l’ouvrage le plus connu de l’anthropologue et ethnologue français Pierre Clastres. Publié en 1974, il est depuis régulièrement réimprimé par les Éditions de Minuit.

Dans cette œuvre majeure, il critique l’anthropologie politique traditionnelle, ainsi que l’ethnologie et développe l'idée que les sociétés primitives ne sont pas seulement des sociétés « sans État » mais « contre l'État ».

Source pour télécharger le texte au format pdf : https://www.infokiosques.net/IMG/pdf/la_societe_contre_letat-MN-44pA5-brochure-2.pdf

Je a dit…

La société contre l’État montre que l’État n’est pas la finalité de la société. Après avoir étudié différentes tribus au cours d’un long séjour en Amérique du Sud, Pierre Clastres affirme dans La société contre l’État que l’État n’est en réalité qu’une forme spécifique de pouvoir. Les sociétés primitives « sans État » le révèlent dès lors qu’elles sont observées sans ethnocentrisme.

Je a dit…

La société contre l’État refuse l’État.

Alors que les Occidentaux voient communément dans l’expression « société sans État » un manque qui s’ajoute à d’autres – les communautés primitives seraient sans écriture, sans histoire, sans marché, sans technologie, etc. – Pierre Clastres y voit lui une volonté explicite d’empêcher la naissance d’une certaine institution de pouvoir. Ainsi, dans sa perspective, c’est l’émergence de l’État qui a fait disparaître le modèle de la société primitive et institué une coupure politique entre « sauvages » et « civilisés » : « L’histoire des peuples qui ont une histoire est, dit-on, l’histoire de la lutte des classes. L’histoire des peuples sans histoire, c’est, dira-t-on avec autant de vérité au moins, l’histoire de leur lutte contre l’État » (La société contre l’État). Pierre Clastres identifie plus précisément deux moyens utilisés par ces sociétés pour empêcher l’émergence de l’État.

Il est tout d’abord nécessaire d’organiser les flux démographiques, car une population trop importante entraînerait probablement l’unification des unités élémentaires sous une autorité centralisatrice – la nature du pouvoir dépend donc en partie de la taille du groupement.

Ensuite, il faut que la société prévienne l’apparition de « chefs » qui commenceraient à exercer le pouvoir. Pierre Clastres évoque à ce propos le cas des Tupi-Guaranis (Est de l’Amérique du Sud), où des prédicateurs ont joué le rôle de garde-fou contre l’installation d’un pouvoir politique centralisé.

Je a dit…

La société contre l’État fonctionne avec un pouvoir non coercitif.

Pierre Clastres oppose les sociétés avec État à celles sans État, et non pas les sociétés avec pouvoir à celles sans pouvoir. En effet, la coercition ne serait qu’une caractéristique propre au pouvoir politique occidental. Les peuples « sans État », eux, conçoivent le pouvoir à partir de l’impérieuse nécessité de le limiter. « La propriété essentielle (c’est-à-dire qui touche à l’essence) de la société primitive, écrit Clastres, c’est d’exercer un pouvoir absolu et complet sur tout ce qui la compose, c’est d’interdire l’autonomie de l’un quelconque des sous-ensembles qui la constituent, c’est de maintenir tous les mouvements internes, conscients et inconscients, qui nourrissent la vie sociale, dans les limites et dans la direction voulues par la société. La tribu manifeste entre autres (et par la violence s’il le faut) sa volonté de préserver cet ordre social primitif en interdisant l’émergence d’un pouvoir politique individuel, central et séparé » (La société contre l’État).

Dans les sociétés amérindiennes, par exemple, le chef est un « faiseur de paix », une instance modératrice du groupe, obligatoirement généreux de ses biens et ne pouvant repousser les demandes des « administrés ». En somme, le chef n’a pas de pouvoir de coercition ; il est sous la dépendance du groupe et il jouit seulement de l’autorité que donnent la sagesse reconnue, la générosité et l’habileté oratoire.

Je a dit…

La société contre l’État est égalitaire et solidaire.

Pour Pierre Clastres, les règles derrière le prestige sans pouvoir du chef amérindien viseraient à empêcher la société égalitaire de dégénérer, par le développement des richesses et des pouvoirs, en un État inégalitaire. En effet, les « sociétés sans État » ne sont pas stratifiées socialement, de telle sorte qu’elles sont animées par une grande solidarité.

Les activités collectives y sont courantes et les seules différences faites entre les membres reposent sur l’âge, le sexe et les relations de parenté. Les rites d’initiation marquent les corps de manière identique pour rappeler à l’individu la stricte égalité qui l’unit aux autres membres du groupe. Cette grande cohésion permet notamment d’affecter consensuellement le pouvoir à un chef, placé dans une complète dépendance à l’égard du groupe. « Le chef qui veut faire le chef, décrit Pierre Clastres, on l’abandonne : la société primitive est le lieu du refus d’un pouvoir séparé, parce qu’elle-même, et non le chef, est le lieu réel du pouvoir » (La société contre l’État). Ainsi, son autorité individuelle demeure très fragile afin qu’elle ne puisse pas se muer en autorité politique.

De ce point de vue, la « société contre l’État » refuse la loi naturelle fondée sur la domination du plus fort et invalide le préjugé des « peuples de nature », puisque les peuples soumis à un État seraient en réalité les plus proches de la loi naturelle.