«Il ne faut pas confondre micronation et micro-État», précise Bruno Fuligni, historien auteur de L'État, c'est moi et qui prépare un atlas sur le sujet. «Les micro-États ont un territoire minuscule mais sont reconnus comme tels. Une micronation, en revanche, peut revendiquer un territoire gigantesque, mais n'est pas reconnue par l'ONU.» Derrière ce nom générique se cachent donc des indépendantistes de salon, ayant proclamé l'autonomie de leur jardin ou de leur salle de bain, mais aussi certains dirigeants plus ambitieux ayant établi un drapeau, une Constitution, une devise...
Les premières micronations remontent au XVIIe siècle et aux pirates. Découvrant de petites îles inhabitées, les flibustiers s'y installaient sans autre reconnaissance officielle que le fait d'y vivre. Ainsi est né Pitcairn, grâce aux mutins du navire britannique Boutny , réfugiés en avril 1789 sur une île proche. «Cet État, pirate au départ, est devenu très longtemps après une colonie autonome de la couronne britannique», raconte Bruno Fuligni. Aujourd'hui, Pitcairn et ses cinquante âmes, toutes descendantes des mutins, figurent sur la liste onusienne des territoires à décoloniser.
Raisons juridiques et historiques
Au XXe siècle, ces émergences d'États se sont multipliées, passant de quelques dizaines à 400. Elles ne se limitent plus aux îles, mais concernent aussi des zones frontalières non attribuées, des aires construites dans les eaux internationales (comme le royaume de Sealand) ou quelques kilomètres carrés d'Antarctique. «L'arrivée d'Internet a également renforcé le phénomène», relève Bruno Fuligni, évoquant ces indépendantistes qui «revendiquent quelques méga-octets de cyberespace». Pour autant, il ne s'agit pas de «mettre toutes les micronations dans le même sac», rappelle l'historien.Ainsi, la principauté d'Arbézie existe pour des raisons historiques et juridiques. Au XIXe siècle, lorsqu'un contrebandier découvre une modification de la frontière franco-suisse imminente, il fait construire une bâtisse à cheval sur la nouvelle démarcation. À quel pays appartient-elle? Cet entre-deux n'est pas anodin: «L'hôtel a été très utile pendant la Seconde Guerre mondiale, puisqu'il comporte un étage et que l'escalier pour y accéder se trouve côté suisse», raconte Bruno Fuligni. Impossible, pour la police française, d'y monter. Les Allemands finiront d'ailleurs par murer l'hôtel, aujourd'hui devenu l'Arbézie, du nom de la famille qui le détient.
«Laboratoires politiques»
D'autres appropriations de territoires relèvent au contraire de motivations artistiques ou encore ludiques. Dans le sud de la France, la République Indépendante de Figuerolles (RIF) a ainsi vu le jour en 1956, lorsque Igor et Tania, deux voyageurs d'origine russe, découvrent la calanque de Figuerolles. «Ils se sont dit: “Ici, c'est pas possible, ce n'est pas la France, c'est ailleurs!”», raconte leur petit-fils Grégori, président depuis vingt ans -et ce malgré trois tentatives de putsch. Le parking, à une heure de marche de la calanque, devient une frontière, et un décalage horaire d'une heure est établi. Une façon de signer «la singularité du paysage». Depuis, la RIF s'est développée: gouvernement (familial), monnaie propre (le kilo de figue), et même passeport, délivré sur «demande extrêmement motivée» avec pour principal critère d'attribution «le fayotage et la flagornerie». Aimez la cuisine du restaurant et la couchage de l'hôtel, vous serez citoyen de cette «république hautement corruptible».«On recrée les symboles d'un État pour mieux se créer une nouvelle identité autonome, en affichant son nouveau folklore et ses traditions, même fantoches», analyse Léo Delafontaine, photographe qui a immortalisé ces micronations. «Ce sont des laboratoires politiques», renchérit Bruno Fuligni. Christiania, au Danemark, est ainsi devenue la micronation hippie par excellence. L'historien indique également avoir découvert «Certaines revêtent une dimension utopique qui peut, à terme, inspirer les États reconnus», relève l'historien, évoquant certains principes écologistes présents dans des micronations bien avant leur généralisation. Et de conclure: «Il y a un petit côté concours Lépine.»
Source : http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/07/17/01016-20140717ARTFIG00199-saugeais-sealand-christiania-l-autre-communaute-internationale.php
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