A
l’heure de l’investiture de Donald Trump, la grande presse présente
cette passation de pouvoir comme un tremblement de terre dans les
relations internationales. À en croire les principaux médias français,
une ère de paix et d’harmonie se referme pour s’ouvrir sur une phase de
tensions et de conflits. Pourtant, que l’on juge le mandat d’Obama sur
le nombre de bombes larguées (50,000 rien qu’en 2015 et en 2016), sur le nombre de pays bombardés (7), sur la quantité d’armes vendues (278 milliards de dollars), sur le nombre de pays dans lesquels sont stationnées des troupes américaines (138) ce n’est pas l’adjectif « pacifique » qui vient spontanément à l’esprit pour qualifier le mandat d’Obama…
Barack
Obama a été élu sur des promesses, sinon pacifistes, du moins
indéniablement pacifiques. Pourfendeur de la guerre d’Irak qu’il
qualifiait de « guerre imbécile, guerre irréfléchie », il promettait
d’être le « Président de la paix ». Critique de la stratégie belliqueuse
de George W. Bush, il s’était engagé à retirer les soldats américains
d’Irak et d’Afghanistan. C’était, il faut le dire, une perspective largement partagée par l’establishment américain.
Barack Obama, élu sur une critique de la « grande stratégie impériale »
La
politique de George W. Bush, si lucrative fût-elle durant quelques
années pour le complexe militaro-industriel et les multinationales,
menaçait la stabilité de leurs profits sur le long terme. La
stratégie agressive et expansionniste du Président américain,
ouvertement hostile au droit international, ne pouvait fonctionner que
sur le court terme. Dans Foreign Affairs, magazine édité par le Département d’Etat Américain, plusieurs hauts responsables se sont élevés contre la « grande stratégie impériale » de George W. Bush ; non que l’impérialisme fût une mauvaise chose, mais une stratégie ouvertement impériale menaçait la stabilité de l’hégémonie américaine.
Il faut
dire que la propagande bushiste était grossière. Plus les années
passaient, et plus il devenait difficile d’adhérer à la fable de la
guerre destinée à « libérer le peuple irakien »
de son tyran et le monde des « armes de destruction massive ». Tandis
que les multinationales s’implantaient en Irak sur les cadavres de
centaines de milliers de victimes civiles, George W. Bush justifiait les
pertes humaines au nom des « droits de l’homme » tout en affichant son
amitié avec le prince Bandar al-Saoud, héritier du royaume d’Arabie
Saoudite. Grosses ficelles ; l’illégitimité des guerres américaines
était criante, leur caractère impérial flagrant.
Conséquence: les Etats-Unis atteignaient des records d’impopularité dans le monde entier.
En Amérique latine par exemple, plus de 90% de la population
désapprouvait l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis. Il est indéniable
que l’arrogance du pouvoir
américain a donné un coup de fouet aux mouvements anti-impérialistes
latino-américains ; comme le remarquait avec une pointe d’humour le
président d’Equateur Rafael Correa,
cette politique ouvertement impérialiste a favorisé l’émergence d’un
nombre considérables de gouvernements de gauche, hostiles pour la
plupart aux Etats-Unis.
La
politique de cow-boy menée par Bush et son entourage menaçait à terme
les intérêts de l’Empire américain. Le candidat Obama, lui, était
présentable, intelligent, critique de la grossière stratégie de George
W. Bush… sans pour autant remettre en cause le principe de
l’interventionnisme américain.
Changement de politique ou changement de stratégie ?
Les
réflexes néoconservateurs n’ont pas disparu. L’expédition libyenne menée
par les forces de l’OTAN avec la participation américaine, qui a
grossièrement violé la résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU, en
est la preuve. De même, Barack Obama n’a pas abandonné la stratégie
brutale de la « guerre contre le terrorisme » initiée par George Bush,
consistant à bombarder hors de tout cadre légal des zones considérées
comme « terroristes », souvent sans s’interroger sur les conséquences
dramatiques pour les civils. Les bombardements de drones ont même été
multipliés par neuf sous Barack Obama par rapport à la présidence Bush. Un réel changement est néanmoins à noter. Barack
Obama, qui a retenu les leçons des interventions afghane et irakienne, a
tout fait pour éviter d’embourber l’armée américaine dans un autre
conflit au Moyen-Orient. Contrairement à la volonté des
néoconservateurs américains, il n’est pas intervenu en Syrie pour
renverser le régime de Bachar al-Assad. Il n’a pas réitéré les erreurs
grotesques de la « grande stratégie impériale » de George W.
Bush. Plutôt que l’intervention ouverte, la voie des financements et des
livraisons d’armes a été choisie. En collaboration avec le Qatar, l’Arabie Saoudite et la Turquie, les Etats-Unis ont livré des armes aux rebelles syriens.
Il est
impossible à l’heure actuelle de connaître le montant de ces
financements, l’ampleur de ces livraisons d’armes, l’influence qu’elles
ont eues sur le terrain et les raisons qui les ont motivées. Quoi qu’il
en soit, il est indéniable que Barack Obama, en rejetant par exemple la possibilité d’imposer un embargo sur les armes en Syrie, a contribué à la radicalisation de la guerre civile syrienne et à l’émergence d’une Internationale Djihadiste dont l’Etat Islamique n’est que la pointe avancée. Les 115 milliards de dollars d’armes vendus à l’Arabie Saoudite par l’administration Obama n’ont pas non plus contribué à pacifier la région…
Discours pacifiques, économie de guerre
Il est
difficile de trouver une cohérence à la « doctrine Obama ».
Contrairement à George W. Bush qui avait une vision clairement impériale
des relations internationales, Barack Obama a semblé tâtonner et
naviguer au gré des intérêts, des circonstances et de la santé de
l’économie américaine. La « grande stratégie impériale » messianique a fait place à la gestion du système économique américain. Or, celui-ci est structurellement impérialiste. La
conduite de la politique étrangère américaine est intimement liée aux
multinationales qui produisent des armes (General Dynamics, Lockheed
Martin ou Raytheon) et au système financier américain, dont les
représentants contrôlent les conseils d’administration des
multinationales. Ce « complexe militaro-industriel » ne saurait exister
s’il n’écoule pas régulièrement sa production ; en d’autres termes, le complexe militaro-industriel (et l’économie américaine, qui lui est liée) réalise de hauts profits seulement s’il parvient à vendre massivement des armes. Il faut dire que sur ce point précis, Barack Obama a été un bien meilleur client que George W. Bush.
Pendant les huit années de présidence de Barack Obama, la quantité d’armes vendue par le gouvernement américain a doublé par rapport aux deux mandats de George W. Bush. Ce sont en tout et pour tout 278 milliards de dollars d’armes qui ont été vendus par le Pentagone à des pays alliés des Etats-Unis.
Traditionnellement,
la proportion d’armes vendues par le gouvernement américain oscille
entre le tiers et la moitié de la totalité des armes vendues dans le
monde entier. Cette proportion a connu une hausse drastique sous Barack
Obama. En 2011, plus des trois quarts des armes vendues dans le monde l’avaient été par le Pentagone.
Barack
Obama a plaidé à de nombreuses reprises en faveur d’une limitation de
l’usage des forces armées; il s’est montré incontestablement moins
interventionniste que son prédécesseur. Il porte toutefois une
lourde responsabilité dans les guerres menées par ses alliés et
meilleurs acheteurs, comme l’Arabie Saoudite qui bombarde actuellement
le Yémen.
Désengagement du Moyen-Orient, militarisation du monde
Conformément
à ses promesses, Barack Obama a progressivement retiré les troupes
américaines d’Irak et d’Afghanistan. En revanche, la présence militaire
américaine s’est considérablement accrue dans les autres régions du
monde. Barack Obama a approfondi le processus de militarisation
de l’Europe de l’Est entamé sous le premier président Bush en y
déployant des milliers de soldats américains dans le cadre de l’OTAN et
des armes lourdes incluant des chars d’assaut. Il s’agit du déploiement de troupes américaines en Europe le plus massif depuis la Chute du Mur.
Sur le continent africain, les troupes américaines appuient différents
gouvernements dans leur lutte contre des groupes séparatistes.
Mais c’est
incontestablement en Asie du Sud-Est que la militarisation a été la
plus accrue. Dans le cadre de sa stratégie du « pivot » vers la Chine
annoncée en 2011, Barack Obama a entamé un déploiement de troupes dans
les pays alliés des Etats-Unis à proximité de la frontière chinoise. Le transfert de deux tiers de la flotte américaine dans cette région est prévue à l’horizon 2020. Actuellement,
ce sont plus de 400 bases militaires américaines qui sont présentes à
proximité de la Chine dans les pays alliés des Etats-Unis comme
l’Australie, le Japon, la Corée du Sud, l’Inde ou l’Afghanistan ; elles
accueillent régulièrement des exercices militaires américains, souvent
considérés comme des provocations par le pouvoir chinois. Au total, la présence militaire américaine s’est accrue de 130% dans le monde depuis la présidence Bush ; des troupes américaines sont actuellement présentes dans 138 pays.
L’Amérique latine, éternelle chasse gardée des Etats-Unis
« Historique »,
le rapprochement des Etats-Unis avec Cuba ? Au-delà des grands
symboles, comme la poignée de main entre Raul Castro et Barack Obama,
aucune mesure concrète, ou presque, n’a été prise par l’administration
Obama pour lever le blocus cubain. À l’heure actuelle, Cuba subit encore l’embargo américain. Au
début de l’année, 2016, Barack Obama avait signé un document confirmant
le maintien du blocus et renvoyant à l’année suivante la poursuite des
négociations ; c’est-à-dire à l’époque où il ne sera plus président. Le dernier décret en politique étrangère pris par l’administration concerne Cuba et le Venezuela : les gouvernements socialistes sont considérés comme une « menace » pour la sécurité des Etats-Unis. Cela signifie que ces pays sont passibles d’un durcissement des sanctions de la part des Etats-Unis.
En
Amérique latine, il y a bel et bien continuité entre l’ère Bush et l’ère
Obama. En témoigne le soutien de Barack Obama au putsch militaire qui a
renversé le président Manuel Zelaya au Honduras et au coup d’Etat constitutionnel qui a mis fin au mandat de Dilma Rousseff au Brésil.
Paradoxe
apparent : alors que l’ingérence directe des Etats-Unis s’est raréfiée
sous Barack Obama, la responsabilité des Etats-Unis dans les conflits
armés partout dans le monde reste absolument considérable. Tandis que les Etats-Unis retiraient leurs troupes d’Irak et d’Afghanistan, Barack Obama déployait des soldats américains en Europe de l’Est, en Afrique et en Asie Pacifique.
Et si Obama a dans l’ensemble renoncé à poursuivre la stratégie
bushiste consistant à renverser un gouvernement par une intervention
militaire, il n’a pas mis fin aux bombardements unilatéraux et illégaux
du point de vue du droit international. La stratégie américaine a connu
une inflexion, mais le système qui la soutient est quant à lui resté
intact ; puisque celui-ci repose sur l’interdépendance entre
l’industrie militaire, le pouvoir économique, et le pouvoir politique,
il est intrinsèquement générateur de conflits. Et il le demeurera tant qu’il reposera sur ces bases.
Crédits:
- http://www.foxnews.com/politics/2015/12/12/critics-try-but-fail-to-kill-1-billion-weapons-deal-for-saudi-arabia.html
- https://www.theguardian.com/world/2006/sep/21/usa.venezuela
- http://www.foxnews.com/politics/2015/12/12/critics-try-but-fail-to-kill-1-billion-weapons-deal-for-saudi-arabia.html
- http://www.latimes.com/nation/politics/politicsnow/la-pn-george-w-bush-photo-retrospective-201304-040-photo.html
- http://www.la-croix.com/Monde/Obama-Arabie-Saoudite-fond-dissensions-2016-04-20-1300754718
- http://www.defenseone.com/business/2016/11/obamas-final-arms-export-tally-more-doubles-bushs/133014/
- http://www.telesurtv.net/english/news/Obama-Offers-Saudi-Arabia-Record-Weapons-Deal–20160908-0023.html
- http://www.commondreams.org/views/2017/01/05/year-commando
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