mercredi 8 février 2017

L'éducation idéale (1) Les textes fondamentaux

Le magazine Le Point, hors-série Références, dans son numéro n°66 d'octobre-novembre 2016, a consacré un dossier à "L'éducation idéale".

Les textes commentés sont regroupés en trois périodes chronologiques :
- "Antiquité et Moyen Âge"
- "De la Renaissance au XIXème siècle"
- et "Le temps des pédagogues" a publié un dossier -Référence

Pour l'Antiquité et le Moyen Âge, les auteurs et textes retenus sont :
- Platon, Les Lois
- Aristote, La Politique
- Saint-Augustin, Le Maître
- Boèce, Institution arithmétique
- Alcuin, Sur l'étude des lettres ; Charlemagne, Admonitio generalis
- Christine de Pizan, Le Livre des trois vertus

De la Renaissance au XIXème siècle, les auteurs et textes retenus sont :
- Erasme, Declamatio de pueris statim ac liberaliter instituendis
- Martin Luther, A la noblesse chrétienne de la nation allemande sur l'amendement de l'état chrétien; Aux magistrats de toutes les villes allemandes pour les inviter à ouvrir et entretenir des écoles chrétiennes.
- François Rabelais, Pantagruel
- Montaigne, Essais
- Comenius, La Grande Didactique
- Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l'éducation  
- Condorcet, Rapport et projet de décret sur l'organisation générale de l'instruction publique
- Johan Heinrich Pestalozi, Comment Gertrude instruit ses enfants
- Jules Ferry, circulaire adressée aux instituteurs concernant l'enseignement moral et civique
- William James, Précis de Psychologie.

Enfin, pour le XXème siècle, baptisé "Le Temps des pédagogues", les auteurs et textes retenus sont :
- John Dewey, Démocratie et Éducation
- Rudolf Steiner, L’Éducation de l'enfant
- Edouard Claparède, Conception fonctionnelle de l'éducation
- Jean Piaget, Où va l'éducation ?
- Célestin Freinet, Les invariants pédagogiques.

Le dossier se conclut par une série d'entretiens "On ne comprend bien les règles que si elles sont transmises par la famille" (avec Laetitia Strauch-Bonart), "L'école suscite le conformisme au détriment de la créativité" (avec Ken Robinson), "Il faut imaginer un label "bon pour le cerveau" " (avec Olivier Houdé) et enfin "La qualité d'un système éducatif n'est jamais supérieure au talent de ses enseignants" (avec Andreas Schleicher).

De cette lecture diversifiée, voici ce que j'ai retenu de plus intéressant.

Dans Les lois, le philosophe athénien Platon (427-348 av. J.-C.) développe une théorie de l'éducation fondée sur trois principes (tellement modernes que c'en est époustouflant !) :
- des écoles d’État
- un enseignement obligatoire
- et l'égalité entre l'éducation des garçons et des filles (ce qu'il n'appliquait certainement pas dans sa propre Académie).
L'éducation est donc obligatoire et financée par l’État, comme seule Sparte assurait l'éducation de ses jeunes dans la Grèce antique des cités. La formation des maîtres et leur rémunération est assurée par la cité.
Les matières enseignées sont :
- l'écriture,
- la musique,
- la danse,
- la gymnastique,
- l'arithmétique,
- la géométrie
- et l'astronomie.
Ce programme est conforme au modèle de l'époque mais Platon innove en distinguant les lieux :
- l'éducation intellectuelle et musicale aura lieu dans les écoles;
- l'éducation athlétique dans les gymnases.
Pour Platon, l'enseignement offert aux filles est un impératif politique donc économique.  "Je ferai la même loi pour les femmes".

Aristote (384-322 avant J.-C.) prône une éducation diversifiée. Il ne faut pas se limiter aux seuls exercices du gymnase et à l'apprentissage de la guerre, comme Sparte. L'indispensable doit inclure l'étude de la lecture et de l'écriture.
Les matières de l'enseignement idéal sont :
- la grammaire (lire et écrire)
- la gymnastique
- la musique (jouer d'un instrument)
- et le dessin.
Dénonçant les excès de l'athlétisme observés dans les Jeux Olympiques, Aristote distingue :
- la gymnastique "préparatoire" avant la puberté (14-16 ans chez les grecs) avec des exercices faciles, une alimentation libre et pas de travaux contraignants faisant obstacle à la croissance;
- de la gymnastique "supérieure" avec des exercices exigeants et une alimentation contrôlée en quantité et qualité.
Aristote place les études littéraires et musicales des jeunes gens quand la croissance du corps n'est plus un obstacle à la vie de l'esprit. "Quand, à partir de la puberté, trois ans ont été dépensés aux autres études, c'est alors qu'il convient d'occuper la période suivante de la sa vie aux exercices pénibles et au régime alimentaire forcé. L'esprit et le corps, en effet, ne doivent pas peiner simultanément, car deux sortes de fatigue produisent naturellement des résultats opposés, le travail du corps étant un obstacle pour l'esprit, et le travail de l'esprit pour le corps."

Boèce (480-524), surnommé "l'Instituteur" de l'Occident latin et le "Premier scolastique", de son nom romain complet Ancius Manlius Severus Boethius, était un aristocrate qui mourut exécuté à Pavie suite à la sentence d'un tribunal de Théodoric le Grand (454-526), roi des Ostrogoths. Lettré nourri de culture grecque et latine, ce contemporain de Clovis s'est illustré comme philosophe, théologien et scientifique. Ses traductions latines ont initié le Moyen Âge à l'exégèse (étude critique d'un texte dont le sens peut prêter à différentes interprétations) savante des œuvres d'Aristote. Il est l'un des pères du modèle d'enseignement de la philosophie antique tardive qui donnera naissance à la scolastique (enseignement délivré au Moyen Âge dans les écoles et les universités, qui cherchait à concilier en un tout harmonieux la Bible et le savoir gréco-romain).
On doit à Boèce la théorie du "quadrivium" qu'il expose dans Institution arithmétique. C'est un manuel scolaire destiné à la fois aux étudiants et aux maîtres. Il y expose sa conception des sciences. Celles-ci se regroupent en un ensemble constitué de quatre éléments :
- "la multiplicité qui existe en soi", sujet d'étude de l'arithmétique,
- "la multiplicité relative", objet de la connaissance de la musique et de ses combinaisons harmonieuses,
- "la grandeur immobile", dont la géométrie propose la connaissance,
- et "la grandeur en mouvement", dont la science est l'astronomie.
Ce quadrivium (les "quatre voies" de la connaissance scientifique) constitue avec le trivium (les trois disciplines littéraires : grammaire, rhétorique et dialectique) ce qu'il est coutume d'appeler les "sept arts libéraux".
Selon Boèce, "quiconque néglige ces sciences laisse échapper tout le savoir philosophique. [...] Nul ne s'élève au comble de la perfection dans les études philosophiques s'il ne pas à la poursuite d'une si noble sagesse en passant par [...] le quadrivium". 

"Enseigner tout et à tous [...] par une technique universelle qui permet de fonder des écoles universelles" est l'objectif, révolutionnaire pour son époque, du pédagogue tchèque Jan Amos Komensky, dit Comenius (1592-1670). Pour l'auteur de La Grande Didactique (1642), il ne faut jamais faire courir un enfant avant qu'il ne sache marcher, mais toujours s'adapter à ses capacités et à ses désirs, d'où la nécessité d'une éducation structurée en fonction des âges.
Chapitre XXVII
"L'enseignement doit être réparti en quatre degrés selon l'âge et les progrès des élèves.
Dans les écoles, il faut fixer un temps donné pour l'ensemble de l'enseignement, afin que les élèves accomplissent entièrement le cours général des études et sortent de nos écoles vraiment instruits et vraiment éduqués. Dans les vingt-quatre ans entre l'enfance et l'âge adulte, nous devons répartir l'étude de l'ensemble des lettres et des sciences. Ce temps de croissance doit être divisé en quatre étapes, enfance, adolescence, jeunesse et âge adulte, de six ans chacune et correspondant à une école spéciale :
- pour la petite enfance, l'école du giron maternel;
- pour l'enfance, l'école élémentaire ou école publique où l'on enseignera la langue maternelle;
- pour l'adolescence, l'école latine ou gymnase;
- pour l'âge adulte, l'académie et les voyages !
Qu'il y ait dans chaque foyer une école maternelle; une école élémentaire dans chaque communauté, bourg ou village; un gymnase dans chaque ville; une Académie dans chaque État et même dans chaque province importante.
Dans les écoles primaires, l'enseignement devra être général et fondamental; et dans les écoles plus avancées, chaque enseignement sera particulier et détaillé.
- A l'école maternelle, on formera surtout les sens externes.
- A l'école élémentaire, on formera exercera les facultés intérieures, imagination et mémoire, toujours associées à l'usage de la main et de la parole.
- Au gymnase, on doit étudier la dialectique, la grammaire, la rhétorique en pratique et en théorie, et tout ce qui touche aux sciences et aux arts.
- Enfin, les académies cultiveront ce qui a rapport à la liberté [...] On y apprendra les fonctions vitales du corps ainsi que la médecine et le droit. [...]
Chapitre XXIX
Plan de l'école nationale
Son but ultime est de dispenser à tous les jeunes [des deux sexes] de 6 à 12 ou 13 ans, des connaissances qui servent toute la vie durant :
- lire couramment en langue nationale;
- apprendre à écrire de mieux en mieux et respecter les règles grammaticales, savoir les expliquer et les appliquer au cours d'exercices;
- calculer mentalement ou en écrivant;
- mesurer suivant les règles les longueurs, les largeurs et les distances;
- apprendre à chanter des chansons [...] ou les principes de la musique;
[...]
- connaître la situation économique et politique pour comprendre ce qui se passe quotidiennement à la maison et dans la ville;
- savoir en termes généraux l'histoire du monde [...]
- apprendre l'essentiel de la cosmographie [ici au sens générique de géologie, géographie et astronomie]
- apprendre le nom de villes, de montagnes et de fleuves [...]
Si tout le programme est bien réalisé à l'école nationale, les jeunes gens passeront à l'école latine, et ceux qui entrent dans l'agriculture, le commerce, les métiers manuels, ne rencontreront rien [...] dont ils n'aient eu un avant-goût."

Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) a rédigé Émile ou De l'éducation en 1762. Au dire de l'auteur lui-même, c'est son écrit le plus complet et le plus fort. Son message principal est le suivant : "Traitez votre élève selon son âge". Extrait : "La nature veut que les enfants soient enfants avant que d'être hommes. Si  nous voulons pervertir cet ordre, nous produirons des fruits précoces, qui n'auront ni maturité ni saveur, et ne tarderont pas à se corrompre; nous aurons de jeunes docteurs et de vieux enfants. L'enfance a des manières de voir, de penser, de sentir, qui lui sont propres; rien n'est moins censé que de vouloir lui substituer les nôtres." [...]
Et à ceux qui critiqueraient son approche naturelle, respectueuse du rythme spécifique de l'enfant, surtout dans la petite enfance où les expériences sont sensorielles plutôt qu'une connaissance abstraite acquise / transmise par la contrainte, il indique : "Oserai-je exposer ici la plus grande, la plus importante, la plus utile règle de toute l'éducation ? Ce n'est pas de gagner du temps, c'est d'en perdre."

Jean-Paul Rabaut Saint-Etienne (1743-1793) a exprimé la position de ceux qui considèrent la Révolution (de 1789) comme un commencement absolu dans l'histoire, avec pour corollaire l'urgence de former un "homme régénéré" : "Existe-t-il un moyen de communiquer incessamment, à tous les Français à  la fois, des impressions communes dont l'effet soit de les rendre tous ensemble dignes de la Révolution ?", lance-t-il lors de la présentation de son projet "d'éducation nationale" à la Convention en 1792. "Il suit de cela qu'il faut distinguer l'instruction publique de l'éducation nationale. L'instruction publique éclaire et exerce l'esprit; l'éducation nationale doit former le cœur ; la première doit donner des lumières et la seconde des vertus. L'éducation nationale est l'aliment nécessaire à tous; l'instruction publique est le partage de quelques-uns", déclare-t-il.
Par contre, Nicolas de Condorcet (1743-1794) indique dans ses Cinq Mémoires sur l'instruction publique que l'on doit "se borner à l'instruction".
Le choix final de la Première République (1792-1804) sera de privilégier "l'instruction", "l'esprit", pour les élites (d'où la création des grandes écoles comme Polytechnique ou le Conservatoire des arts et métiers; et "l'éducation", "la vertu", pour le peuple. Ce sera aussi le choix de l'école de la Troisième République (1870-1940). D'un côté l'école du peuple : l'école primaire publique, devenue gratuite à partir de 1881. Puis obligatoire et laïque en 1882. De l'autre, l'école des privilégiés : le secondaire public - longtemps payant- et son cursus de "lettres classiques", réservé aux garçons.

Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet (1743-1794), en 1792, est membre de l'Académie des Sciences depuis 1769 (mathématicien), membre de l'Académie Française depuis 1782, et, depuis un an, député de Paris. Le 20 avril, il présente les travaux du Comité d'instruction publique dont il est le rapporteur. L'instruction doit être universelle ! C'est indispensable pour faire des individus libres et responsables. C'est nécessaire dans l'intérêt de la société. L'instruction publique est une condition sine qua non de la liberté et de l'égalité.
Il imagine un système à cinq degrés :
- les écoles primaires,
- les écoles secondaires,
- les instituts formant les instituteurs des écoles primaires et où se perfectionnent ceux du second degré
- les lycées (nos actuelles facultés)
- et la Société nationale des sciences et des arts qui couronne le tout.  
Condorcet prévoyait une école pour chacun agglomération de plus de 400 habitants.
Par contre, Condorcet aimait trop la liberté pour imposer aucune obligation, fût-ce même dans l'instruction publique.
"Diriger l'enseignement de manière [...] qu'un plus grand nombre d'hommes deviennent capables de bien remplir les fonctions nécessaires à la société."
"L'instruction doit être répartie avec toute l'égalité que permettent les limites nécessaires de la dépense, la distribution des hommes sur le territoire, et le temps, plus ou moins long, que les enfants peuvent y consacrer. Elle doit, dans ses divers degrés, embrasser le système tout entier des connaissances humaines, et assurer aux hommes, dans tous les âges de la vie, la facilité de conserver leurs connaissances et d'en acquérir de nouvelles."
Pour conclure, la plus importante et la plus caractéristique de ses recommandations : 

"Enfin, aucun pouvoir public ne doit avoir l'autorité, ni même le crédit, d'empêcher le développement de vérités nouvelles, l'enseignement des théories contraires à sa politique particulière ou à ses intérêts momentanés."

Le XXème siècle représente un grand moment pour la pensée pédagogique. C'est le "siècle des innovations" si l'on énumère les noms de Binet, Dewey, Steiner, Claparède, Freinet, Montessori ... Dans cette nébuleuse des "grands pédagogues" et des "pédagogies nouvelles", on peut d'abord prendre acte de ce qui les réunit.
Tous ont un projet politique, une vision du monde et de la société au moins, dans laquelle prend place leur réflexion sur l'éducation. On l'oublie trop souvent, malgré l'avertissement de Rousseau (L'Emile étant un volet de sa philosophie politique) : l'éducation et même l'éducation scolaire ne sont pas une affaire de pédagogie au sens technique. Une technique, un procédé ont forcément des fondements et des implications plus générales, qui font que la pédagogie doit être prise dans un sens plus profond. Elle est une philosophie.
Les nouveaux pédagogues mettent généralement en cause l'autoritarisme, se positionnent en faveur d'une éducation émancipatrice, d'où cette impression, compréhensible mais mal fondée, que la pédagogie moderne est responsable de trop de laisser-faire ...
Pour beaucoup, ils donnent à l'enfant une place centrale et souhaitent une meilleure prise en compte de ses intérêts, de son développement, de ses besoins. En cela, on peut considérer que la plupart poursuivent un projet initié par Rousseau.

Il y a toutefois plusieurs pédagogies modernes, parfois incompatibles.
Alfret Binet, dont l'invention la plus connue est le test d'intelligence (1908) a beaucoup réfléchi sur l'éducation et a publié Les idées modernes sur les enfants en 1909. En tant que psychologue, il voulait un point de vue scientifique pour évaluer le niveau intellectuel des enfants. Pour lui, cet appel à la science était un outil, un moyen de conférer plus d'efficacité et de justice à l'école. Malheureusement, lors de sa transposition aux États-Unis, les utilisateurs d'outre-Atlantique on considéré l'intelligence dans une sorte d'hérédité, et ces tests ont servi à justifier des discriminations, en particulier vis-à-vis des pauvres, principalement des Afro-américains. Difficile après cela de considérer les tests de QI comme un simple outil détaché d'enjeux idéologiques.

Selon la psychologie génétique (Edouard Claparède, Jean Piaget ...), l'adéquation de la pédagogie aux capacités des individus devait, à l'horizon, procurer une meilleure organisation du travail. "Le maître doit apprendre de l'enfant". Cette approche défend l'idéal d'une correspondance entre la pédagogie et le développement de l'enfant. Encore faut-il connaître le développement de l'enfant ...

La pédagogie de Célestin Freinet ne vise pas tant à rationaliser la formation et le travail qu'à émanciper les travailleurs, dès l'école, dès l'enfance. Selon lui, les ennemis de l'intelligence, ce ne sont pas les différences héréditaires, ni même les milieux sociaux défavorisés, ce sont plutôt l'aliénation, le manque d'autonomie, l'absence de maîtrise des connaissances élémentaires, la soumission passive à l'autorité.
Ses fameuses techniques ne sont pas tant faites pour adapter l'école à l'enfant que pour obtenir de lui qu'il s'organise, qu'il sache s'exprimer, qu'il coopère.

Si le philosophe américain John Dewey (1859-1952) s'intéressa à l'éducation, c'est parce qu'elle était essentielle à ses yeux pour favoriser la démocratie. Il publie ne 1916 son œuvre principale sur le sujet Démocratie et Éducation, puis multiplie les interventions et les publications pour présenter cette conception au plus large public. Certains ont même soutenu qu'il est à l'origine du mouvement pour les droits civiques, sa vision ayant libéré les énergies des générations qui ont pu bénéficier de ses théories.
"Pour posséder un grand nombre de valeurs en commun, tous les membres du groupe social doivent avoir une chance égale de prendre et de recevoir, de partager des expériences et des entreprises très diverses. Autrement, les influences qui feront de certains des maîtres réduiront les autres au rang d'esclaves. [...] La séparation en classe privilégiée et en classe soumise empêche l'endosmose sociale. Les maux qui affectent alors al classe supérieure sont moins perceptibles mais tout aussi réels. Leur culture tend à demeurer stérile, à demeurer en vase clos, leur art devient ostentatoire et artificiel, leur richesse luxueuse, leur connaissance hyperspécialisée, leurs manières dédaigneuses et inhumaines."

Pour Edouard Claparède (1873-1940), "l'école doit être un milieu joyeux dans lequel l'élève travaille avec enthousiasme.  [...] La fonction du maître est complètement transformée. Celui-ci ne doit plus être un omniscient chargé de pétrir l'intelligence et de remplir l'esprit de connaissance. Il doit être un stimulateur d'intérêts, un éveilleur de besoins intellectuels et moraux. L'enthousiasme, non l'érudition, sera chez lui sa vertu capitale.
L'observation montre qu'un individu ne rend que dans la mesure où l'on fait appel à ses capacités naturelles, et que c'est perdre son temps que de s'acharner à développer chez lui des capacités qu'il n'a pas. Il est donc nécessaire que l'école tienne compte davantage des aptitudes individuelles, et se rapproche de l'idéal de "l'école sur mesure".
Une démocratie, plus que tout autre régime, a besoin d'une élite, élite intellectuelle et morale. Il est donc dans l'intérêt de la société, aussi bien que des individus, de sélectionner les enfants bien doués et de les placer dans les conditions les plus propres au développement de leurs aptitudes spéciales.[...] 
Sauf peut-être pour le minimum de connaissances indispensables, les examens devraient être supprimés et remplacés par une appréciation portant sur les travaux individuels faits au cours de l'année- ou par des tests appropriés."

Pour Jean Piaget (1896-1980), le développement de l'intelligence est linéaire (*), cumulatif et se construit au cours de trois grands stades :
- le stade sensorimoteur, celui du bébé qui comprend le monde qui l'entoure par ses sens (sensori) et par ses actions (moteur);
- le stade des opérations concrètes, où l'enfant raisonne à partir d'objets physiques;
- et enfin, chez l'adolescent, celui des opérations formelles, où le jeune est capable d'émettre des hypothèses et de faire des déductions à partir de propositions abstraites.
(*) Des chercheurs en neuroscience comme Olivier Houdé considèrent que le développement est dynamique et non linéaire et que l'un des mécanismes centraux du développement cognitif est la capacité de notre cortex préfrontal à bloquer les automatismes pour activer notre raisonnement logique. Mais si la théorie est révisée, la démarche fondamentale demeure celle que suggérait Piaget : l'école doit être active, avec des manipulations concrètes, et ne pas se cantonner à de l'abstraction, surtout pour les enfants.

Le petit instituteur de campagne en Provence, Célestin Freinet (1896-1966) deviendra vite l'animateur d'un des plus grands mouvements internationaux d'éducateurs, celui de l’École moderne. A la différence des "savants auteurs de systèmes et de manuels", il se réclame d'une pédagogie du bon sens et de la simplicité, attentive "à la vie", plus inspirée de l'exemple des "sages de tous les temps" que des ouvrages scientifiques. Son engagement politique est radical. Il veut fonder une école du peuple par la pratique démocratique en classe, qui prendra le nom de "coopération à l'école", structurant une pédagogie sensible et créative. Les enfants ne sont plus seulement actifs mais auteurs dans leur activité de connaissance. La pédagogie Freinet est fondée sur un matérialisme pédagogique : texte libre, imprimerie, correspondance, réunion coopérative, fichiers auto-correctifs ... Pour lui, ce n'est pas le travail que les enfants redoutent mais l'absence de raison de travailler. "Il nous faut motiver le travail [...] le travail qui illumine [...] On prépare la démocratie de demain par la démocratie à l’École. Un régime autoritaire à l’École ne saurait être formateur de citoyens démocrates."

Première femme médecin d'Italie, Maria Montessori (1870-1952) s'est également formée à la psychologie, à l'anthropologie, la philosophie et la psychiatrie. Elle se passionne très tôt pour les enfants déficients pour qui elle conçoit un matériel pédagogique adapté. Elle constate qu'en plus de s'intégrer, ces enfants obtiennent de meilleurs résultats que les autres. En 1907, elle s'occupe d'une cinquantaine d'enfants défavorisés à qui elle propose, dans un cadre très soigné, des activités qu'ils sont libres de choisir. Leurs progrès sont fulgurants en termes d'autodiscipline et d'épanouissement. On vient du monde entier voir ces enfants qui apprennent spontanément sans suivre de cours collectif. Son influence sur l'école contemporaine est considérable, ne serait-ce que c'est elle qui, la première, eut l'idée de proposer des meubles scolaires adaptés à la taille des enfants.
"Je suis persuadée que c'est l'enfant lui-même qui doit être le pivot de son éducation [...] La tâche de l'adulte est de révéler l'âme de l'enfant. [...] Il faut créer pour l'enfant un un contexte qui répond à ses besoins, du point de vue tant de sa santé physique que de sa vie spirituelle. Ensuite, l'enfant doit avoir la possibilité d'agir librement dans cet environnement. il doit être en contact avec un adulte qui soit familier des lois qui gouvernent sa vie et qui ne l'entrave pas en le surprotégeant, en dictant ses activités, ou en le forçant à agir sans prendre en compte ses besoins. Dans un tel environnement, l'enfant se révèle être très différent de l'image qu'on a de lui, un gamin aimant perdre son temps et ne s'intéressant à rien d'autre qu'à jouer. Il devient un individu travaillant assidûment, très observateur et respectueux des objets."

L'Ecossais Alexander Sutherland Neil (1883-1973) ira encore plus loin que ces nouveaux pédagogues épris de démocratie en créant l'école de Summerhill, proche des mouvements et coopératives anarchistes du XXème siècle. Il commence avec un centre de rééducation pour jeunes délinquants sur le principe de l'autogestion. Puis s'installera en Angleterre, à Summerhill, un peu à l'écart du village. "Chacun est libre de faire ce qu'il veut aussi longtemps qu'il n'empiète pas sur la liberté des autres. [...] Nous ne pensons pas pas que les méthodes d'enseignement soient importantes. L'élève qui veut apprendre à faire une division l'apprendra, quelle que soit la façon dont elle lui sera enseignée." Pour le pédagogue, il ne sert à rien d'imposer, de menacer, de punir, le résultat sera de dégoûter l'élève d'apprendre et de le faire douter de lui-même. L'enseignement n'est donc pas obligatoire. Les enfants font ce qu'ils veulent. S'ils désirent suivre des cours, ils le font, ce qui est généralement le cas pour les petits de la classe enfantine. Si les élèves ont décidé de suivre les cours, ils se doivent d'être assidus. L'assemblée générale organise la vie de Summerhill. Chaque enfant ou adulte a une voix et le directeur ne diffère pas des autres. "Les lois sont faites par tout le monde.

Le XXIème siècle et les neurosciences

Dès le début des années 2000, grâce à l'imagerie par résonance magnétique (IRM), les neuroscientifiques ont commencé à travailler sur le cerveau de l'adulte pour comprendre comment il fonctionne. Ils ont conçu des exercices de logique élémentaire pour induire l'adulte en erreur, en favorisant les réponses automatiques au lieu de se concentrer sur le raisonnement. Depuis 2006, l'équipe d'Olivier Houdé a reçu des autorisation pour travailler avec une école primaire.
Les expériences ont montré que là où la psychologie cognitive confrontait jusqu'à présent deux systèmes - l'intuitif, rapide et économique, qui se nourrit d'automatismes et de réflexes, et l'analytique, plus lent, mais qui mobilise toute la logique de l'individu - nous en avons découvert un troisième : la capacité d'inhiber l'un ou l'autre de ces systèmes en fonction des situations.. Une sorte de chef d'orchestre qui laisserait œuvrer les automatismes quand ils suffisent et les inhiberait lorsqu'ils sont susceptibles de les induire en erreur.  La grande surprise, c'est que les différents paliers répertoriés par Piaget - à tel âge correspond telle aptitude cognitive - seraient bien plus complexes que ce qu'il en a dit. L'intelligence s'en voit redéfinie : c'est désormais la capacité de l'individu à passer très vite du système d'automatismes au système logique, ou vice versa, en mettant un cache sur celui qui le fourvoierait ou lui ferait perdre du temps.
PS : Pour approfondir ce sujet, je vais lire le livre de vulgarisation sur les neurosciences écrit par Idriss Aberkane intitulé Libérez votre cerveau.

Andreas Schleicher, directeur de l'éducation à l'OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économique), dirige le classement PISA (Programme International pour le suivi des acquis des élèves). Un ensemble d'études menées sur les jeunes scolarisés de 15 ans visant à mesurer les performances éducatives de 80 pays dans le monde entier.
Il indique que l'école française est très inégalitaire. Elle excelle à produire des élites mais refuse de voir les élèves en difficulté qui se cachent derrière. Les réformes s'enchaînent, les jeunes français sont ceux qui passent le plus de temps en classe, et pourtant, les résultats ne sont pas au rendez-vous.
Selon lui, le monde ne s'intéresse pas à ce que vous savez mais à ce que vous savez faire. La société attend de ses jeunes diplômés de la flexibilité, de l'inventivité et une adaptation à des enjeux qu'ils n'ont pas forcément rencontrés à l'école mais pour lesquels ils doivent faire preuve d'un peu d'imagination ... Le rapport maître-élève très passif ou l'apprentissage des leçons "par cœur" ne sont plus adaptés au monde actuel
En Chine, les professeurs n'enseignent que onze heures par semaine et, le reste du temps, ils reçoivent les parents ou les élèves individuellement, assistent au cours d'autres professeurs, prennent le temps d'élaborer une culture collaborative de l'éducation, s'occupent de projets innovants qui vont faire leur renommée et accélérer leur carrière.
A Singapour, rien ne se fait sans les enseignants. Aucune réforme n'est annoncée sans avoir été expliquée dans toutes les écoles.
En Finlande, un professeur passe les deux tiers de son temps à travailler pour les autorités locales (pour des projets locaux) ...
"Il faut faire confiance aux professeurs. Ils ont des idées brillantes auxquelles la plupart des gouvernements n'ont jamais pensé. La qualité d'un système éducatif n'est jamais supérieure au talent de ses enseignants."
En outre, Andreas Schleicher affirme : "L'équité n'est pas tant de donner plus d'enseignants aux élèves en difficulté que de leur offrir les meilleurs". Exit donc le système français à l'ancienneté où les plus expérimentés peuvent choisir les écoles les plus faciles !
Puis, il conclut : "Ne former que les élites est une grave erreur : il en va de la qualité du débat public dans la société et de la survie même des démocraties".

S'agit-il vraiment d'une erreur ou n'est-ce pas plutôt un choix politique délibéré ?
   
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A suivre : la synthèse

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