Comment les médias ont fabriqué le candidat Macron
Quelques mois après son entrée
au ministère de l’économie, Emmanuel Macron jouissait d’un niveau de
popularité plutôt faible. En octobre 2014, seules 11% des personnes interrogées souhaitaient le voir jouer un rôle plus important dans la vie politique. Un
an et demi plus tard, il conservait une cote de popularité très basse
chez certaines catégories sociales : en mars 2016, seuls 6% seulement des ouvriers et 4% des artisans appréciaient le très libéral ministre de l’économie. Aujourd’hui, les « sondages » le considèrent régulièrement comme la personnalité politique préférée des Français. Que s’est-il passé entre-temps ? Quel rôle a joué la presse dans le basculement de l’opinion ?
Dans les
premiers temps où Emmanuel Macron exerce le poste de Ministre de
l’Economie, il ne fait pas encore la Une de tous les grands quotidiens.
Vaguement connu du grand public, il est relativement peu apprécié.
Ex-banquier chez Rothschild, libéral, bling-bling, instigateur d’une loi
sur la dérégulation du travail plutôt mal reçue par les travailleurs :
voilà comment Macron est vu par l’homme du commun. Commence alors la
surexposition médiatique d’Emmanuel Macron. Choyé par les élites
intellectuelles et journalistiques, il ne tarde pas à devenir un sujet
d’actualité privilégié pour la grande presse. Macron a été, et de très
loin, la personnalité politique la plus médiatisée durant les deux
dernières années. Les quotidiens Libération, l’Obs, le Monde et
l’Express totalisent plus de 8,000 articles évoquant Emmanuel Macron de
janvier 2015 à janvier 2017 ; à titre de comparaison, la totalité
des articles évoquant Jean-Luc Mélenchon, Arnaud Montebourg et Benoît
Hamon dans les mêmes quotidiens et sur la même période de temps ne
s’élève qu’à 7,400.
Qu’avait donc de si extraordinaire le Ministre de l’Economie pour se retrouver propulsé au premier plan de la scène médiatique ?
Macron incarne « le renouveau » et « la modernité »
Libéral
« de gauche », comme la quasi-totalité des membres du gouvernement
Hollande ; européen convaincu, comme l’extrême majorité de ses
collègues. Les solutions économiques qu’il préconisait face à la crise,
celles du Parti Socialiste depuis 1983, n’avaient décidément rien
d’original. Diplômé de Sciences Po, énarque nommé au Ministère après un
passage par la Banque : son parcours n’était pas non plus
particulièrement atypique.
Ce n’est pas l’avis de nos éditorialistes : « l’iconoclaste » Macron incarne selon eux le « renouveau » et la « modernité ».
Les
journalistes s’enthousiasment, les rédacteurs en chef jubilent. Emmanuel
Macron inspire des élans lyriques à Laurent Joffrin et Nicolas Beytout,
rédacteurs en chef de Libération et de l’Opinion.
Ce sont
les mêmes raisons qui ont été avancées par les actionnaires de ces
médias pour justifier leur sympathie vis-à-vis d’Emmanuel Macron. Ainsi,
si Pierre Bergé (actionnaire au Monde et à l’Obs) et Vincent Bolloré (actionnaire à Canal+) lui apportent leur soutien, c’est parce qu’ils sont respectivement charmés par sa « jeunesse« et sa « modernité« .
Macron le romantique
Avis aux
fayots et aux ambitieux parmi les lycéens : coucher avec sa prof de
Français semble être un bon moyen pour faire la Une des médias pendant
plusieurs semaines. C’est en tout cas ce que l’on pourrait penser au
regard du nombre de couvertures et d’articles dédiés à la vie
sentimentale du ministre.
La presse
people n’est pas la seule à s’être penchée sur la vie sentimentale du
ministre. Le cas Brigitte Macron est devenu une question âprement
débattue au sein de la presse politique.
L’idylle du couple Macron, réminiscence d’une forme d’amour courtois à la française ? C’est ce qu’incitent à penser le Monde ou le Figaro,
selon lesquels la relation entre Brigitte et Emmanuel Macron permet
d’expliquer le succès du ministre de l’économie auprès de l’électorat
féminin.
Plus féministe, Libération y voit le signe d’une égalisation des conditions.
L’analyse de l’Express
est plus métaphorique. Selon ce quotidien, l’accueil négatif que
recevrait ce couple serait symptomatique du refus qu’opposent les
Français à la modernisation de leur système politique et social.
Brigitte
Macron n’était pas la seule caution romantique du ministre de
l’économie. Sa barbe de trois jours a par exemple défrayé la chronique
journalistique.
L’épopée
connaît un rebondissement inattendu. Emmanuel Macron, souhaitant
retrouver sa peau imberbe d’antan, décide de se faire raser au salon de
coiffure ; cette séance lui a valu une égratignure. Les journalistes, le
souffle coupé par la nouvelle barbe d’Emmanuel Macron, manquent à
nouveau de perdre leur souffle.
Prophétie auto-réalisatrice : quand les prédictions des médias deviennent réalité
Les
semaines passent et se ressemblent : Macron fait la une des médias, il
obtient le soutien de nombreux analystes, politologues et « experts »
invités sur les plateaux télés. Prenant sans doute la surexposition
médiatique d’Emmanuel Macron pour le symptôme d’un engouement populaire,
un nombre croissant de journalistes plaide, implicitement ou
directement, pour une candidature du Ministre de l’Economie à l’élection présidentielle.
Considérant
sans doute que ces appels à candidature témoignent d’une attente
populaire authentique, les médias présentent alors l’annonce de la
candidature de Macron comme un soulagement généralisé :
Engouement
factice ou véridique ? S’il est permis de s’interroger sur
l’authenticité de cet enthousiasme au sein des classes populaires, elle
ne fait aucun doute pour les élites médiatiques. Le jour même de sa
démission, Emmanuel Macron faisait les gros titres de la grande presse. Le JT de France 2 a consacré 22 minutes à cet événement, soit les deux tiers de l’émission. Même chose sur TF1, où Emmanuel Macron était personnellement invité pour une interview d’une durée de 17 minutes...
Il est
permis de se demander dans quelle mesure l’exposition permanente des
moindres faits et gestes d’Emmanuel Macron a encouragé, voire en grande
partie créé l’adhésion de l’opinion (à en croire les sondages) à la
campagne d’En Marche. Selon David Pujadas, la démission d’Emmanuel
Macron constitue « bien sûr […] un moment important dans la campagne présidentielle qui s’annonce ». Ces mots étant prononcés à une heure de grande écoute (plusieurs millions de téléspectateurs), l’annonce de la candidature d’Emmanuel Macron devient effectivement un moment important pour la campagne présidentielle.
Macron l’anti-système
Macron
avait beau faire, son parcours incarnait à lui seul les collusions entre
le monde politique et les grands intérêts financiers ; un candidat
aussi peu suspect de sympathies marxistes que François Bayrou a même pu
s’en émouvoir. Rien de tel, lorsqu’on est porté par le système, que de
se déclarer « anti-système » pour se refaire une virginité. Que
le diplômé de Sciences po, l’énarque, le banquier, le ministre Macron
puisse se déclarer « anti-système » est une chose. Que cette information
loufoque soit relayée avec autant de sérieux par la grande presse en
est une autre.
Dernière
en date : après avoir déclaré que Macron représentait un « danger » pour
la « séparation entre la sphère politique et la sphère financière », François Bayrou finit par conclure que s’il s’allie avec Emmanuel Macron, ils feront « sauter la Banque ».
Le « phénomène » Macron
Jeune,
romantique, anti-système : après avoir présenté l’ex-ministre sous ces
traits élogieux pendant des mois, après avoir fait de sa démission le
point de départ d’une nouvelle révolution, la presse n’a plus qu’à se féliciter du travail accompli en constatant le progrès d’Emmanuel Macron dans les sondages.
Conséquence
de ce bourrage de crâne intense et systématique, Emmanuel Macron est
désormais crédité de plus de 20% et considéré comme la personnalité
politique préférée des Français dans un sondage réalisé pour BFM-TV.
La palme revient, comme souvent, à Libération.
Le quotidien « progressiste » « de gauche » financé par Patrick Drahi
et Edouard de Rothschild qualifie le phénomène Macron d’
« incontestable » mais aussi « d’imprévisible ».
Imprévisible,
vraiment ? Après plus de 17 000 articles mentionnant Emmanuel Macron
dans la grande presse, des centaines de reportages élogieux à la
télévision et le soutien constant et systématique des élites médiatiques
françaises ?
Crédits photo:
- Montage réalisé par Julien Février
- Tableau réalisé par Julien Février
- http://www.quotationof.com/self-fulfilling-prophecy.html
- http://tvmag.lefigaro.fr/programme-tv/article/television/91515/david-pujadas-confirme-au-jt-de-20h-de-france-2.html
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