mardi 8 décembre 2015

L’érosion et l’évaporation du Capital #4

par Alban Dousset
jeudi 5 novembre 2015  
 
Je souhaite faire usage de l'espace d'expression qu'offre Agoravox pour enrichir un essai d'économie politique (en cours d'écriture) des critiques pertinentes que vous apporterez en commentaire.
Cet essai devrait s'intituler "L'érosion et l'évaporation de Capital", voici sa quatrième partie.

  1. Phase de destruction du capitalisme
Olivier Berruyer  : « Pas un discours politique, pas un traité international, pas une interview sans l’invocation de « la déesse Croissance », nouveau veau d’or, qui va user de ses pouvoirs magiques pour améliorer notre sort, comme elle l’a déjà fait pendant les Trente Glorieuses.
Malheureusement, peu de personnes comprennent réellement le concept de croissance ni ne savent quelle en a été la source durant ces trois décennies fabuleuses. »[1]
Cet extrait du livre Les faits sont têtus est tiré de la première partie intitulée « Le refus obstiné du deuil de la croissance ». Nos dirigeants sont-ils réellement des individus trop immatures pour faire le deuil de la croissance et se confronter à la réalité ?
L’immaturité des équipes dirigeantes du monde entier, avant la crise de 1929 et pendant les quarante dernières années est une hypothèse.
Une autre hypothèse consiste à penser que le Capital est si puissant qu’il contraint inévitablement les autres facteurs économiques à ses désirs. Dans cette hypothèse, la croissance économique invoquée désespérément par tous les discours politiques n’exprime que le besoin du Capital lui-même : croître, se multiplier. En effet, dans le système politique et économique dont il s’est rendu maître, tout repose sur la croissance économique qui n’est rien d'autre, en réalité, que la croissance du Capital lui-même.
D'un point de vue théorique :
La phase de destruction du capitalisme est enclenchée lorsque le Capital atteint sa masse critique, c’est-à-dire la masse du Capital au-delà de laquelle la croissance économique devient inférieure à l’exigence du Capital.
Spinoza indiquait que le fait de répondre à son conatus consiste, pour une entité, à "persévérer dans son être"[2]. Or le conatus du Capital consiste à se multiplier, à croître inexorablement.
Cette phase "autodestructrice" advient lorsque le Capital envisage de multiplier au-delà de sa masse critique en corrompant, à son profit, les autres facteurs économiques.
Le Capital comprend qu’il doit trouver d’autres débouchés que l’économie pour se multiplier : la seule croissance économique nationale est devenue insuffisante pour répondre à l’exigence qui correspond à sa masse. Pour répondre à cette exigence exponentielle, le Capital développe des comportements économiques « non sains », contraire à l’intérêt général et subvertit(sur) les autres facteurs économiques.

- Les moyens de corruption du Capital sur l'Etat :
  • Maîtrise des médias privés et orientation de l'opinion publique afin de soumettre le personnel politique.
  • Financement des campagnes ou des partis politiques.
  • Corruption directe d'élus politiques, lobbying.
  • Corruption (à postériori) de la souveraineté monétaire[3].
  • Corruption (à postériori) par l'endettement public et la soumission aux créanciers.
  • Corruption (à postériori) des politiques économiques (vers l'ultralibéralisme).
  • Corruption (à postériori) des fiscalités redistributives, donc défavorables aux hauts revenus et aux hauts patrimoines.
Effets sociaux/économiques :La corruption de la sphère politique (par la maîtrise des médias, le financement des partis, le lobbying, la corruption directe) permet une réduction fiscale des hauts revenus accompagnée d'une augmentation progressive de l'endettement public. Cet endettement public offre au Capital une perspective d'investissement qui génère une rentabilité régulière, presque sans risque, prélevée par l’Etat sur l’ensemble de la société : presque un impôt dédié. Il est évident que cet endettement public est contre l’intérêt général puisqu’il ne vise pas à financer des investissements d’intérêt général sur le « long terme ». (Quand bien même ce serait le cas, il serait d’intérêt général que la source du financement provienne de l’Etat lui-même et non des marchés financiers.)

- Les moyens de corruption du Capital sur le Travail :
  • Financement des syndicats et sélection des leaders syndicaux.
  • Absorption des gains de productivité (sous forme de dividendes) sans en laisser le bénéfice sous forme de réduction de la durée de travail ou d’augmentation de salaire.
  • Non résolution du chômage de masse afin d'orienter à la baisse le coût du Travail et de permettre une dégradation des conditions de travail.
Effets sociaux/économiques  : Cette baisse de salaire et cette augmentation du chômage est nocive pour l’économie car elle oriente également le pouvoir d’achat à la baisse. De plus, le chômage de masse génère un malaise social, de fortes disparités dans les revenus qui accentuent les ressentiments vis à vis de l'assistanat et des minorités culturelles. Enfin, la corruption des syndicats discrédite et affaiblie le Travail dans le rapport de force qu'il est susceptible d'établir avec le Capital.

- Les moyens de corruption du Capital sur l'Entrepreneuriat :
  • Modes de rémunération des cadres dirigeants (type "stock-option") orientés vers la rentabilité à court terme.
Effets sociaux/économiques : Cette corruption de l'Entrepreneuriat (par le Capital) conduit à préférer la rentabilité à court terme sur la croissance ou l'innovation. Cette emprise du Capital sur l’Entrepreneuriat réduit davantage les gisements de croissance économique et d'innovations technologiques ou organisationnelles.

D'un point de vue historique :
Afin de comprendre les évolutions du taux de profit du Capital, il est nécessaire de comprendre que deux cycles "d'essor et d'auto-destruction" du capitalisme se superposent.
Le premier cycle se situe en occident. Son essor va de 1945 et 1973 (les trentes glorieuses) et sa phase d'autodestruction va de 1973 à nos jours.
Le second cycle se situe dans les pays dits "en développement". Son essor va de 1982 jusqu'à nos jours.

Ce que Marx qualifiait de "baisse tendancielle du taux de profit" est une réalité théorique qui est visible sur ce graphique (pour l'Euro3) de la période allant de 1960 à 1973. De 1973 à 1982, la baisse du taux de profit est beaucoup trop forte pour n'être que "tendancielle". Cette forte baisse du taux de profit (environ 4% en 10ans) est liée à des raisons structurelles, à savoir la raréfaction des matières premières et, plus spécifiquement, au choc pétrolier.
Ce « choc pétrolier », souvent avancé comme principal responsable de la fin des « trentes glorieuses », coïncide avec un autre processus structurel : la fin de la croissance d’équipement. Cette croissance d’équipement correspond à une augmentation de la consommation/production dans les pays en développement afin de s’équiper (voiture, électroménager…) et reconstruire le pays après la guerre. Or, comme l’écrit simplement Olivier Berruyer : « Il est évidemment beaucoup plus difficile de développer une économie déjà développée. »
De 1973 à 1982, le taux de profit poursuit sa régression pour diverses raisons (hausse du prix des matières premières, hausse du chômage, salaires orientés à la baisse, gains de productivité, consommation limitée par la fin de la croissance d'équipement).
Le Capital doit trouver d'autres moyens de croître. Afin de persévérer dans son être, il envisage un nouveau gisement de croissance économique : le reste du monde.
Le problème pour le Capital est qu'il est captif des économies nationales. Après la crise financière de 1929, les états avaient mis en place des garde-fous (contrôle du crédit, contrôle des taux d'intérêt, droits de douane, réglementation bancaire, secteurs publics, contrôle des capitaux, contrôle des opérations de Bourse). Après la subversion des pouvoirs politiques, le Capital va donc déployer une idéologie ultralibérale afin d'abolir ces garde-fous et servir son conatus : croître au-delà des limites nationale, croître à l'international mais pardessus tout : croître.

C'est donc à la fin des années 70 et au début des années 80 que le Capital stimule un processus de libéralisation économique par l'intermédiaire du personnel politique, c'est à dire de l'Etat. Ce n’est que dans une « hyper-liberté » que le Capital peut soumettre la société à son conatus : se multiplier (sans entrave et, surtout, sans ponction de l’Etat… sinon, à quoi bon le soumettre ?).
Cet ultralibéralisme, c’est-à-dire le libéralisme perverti par le Capital, est dénoncé par un grand nombre d’économiste qui le dissocie du libéralisme.
Maurice Allais, unique prix Nobel d’économie français, écrivait en 2002 : « Le libéralisme ne saurait se réduire au laisser-faire économique ; c’est avant tout une doctrine politique, et le libéralisme économique n’est qu’un moyen permettant à cette politique de s’appliquer [...]
La confusion actuelle du libéralisme et du laisser-fairisme constitue un des plus grands dangers de notre temps. Une société libérale et humaniste ne saurait s’identifier à une société laxiste, laisser-fairiste, pervertie, manipulée, ou aveugle. La confusion du socialisme et du collectivisme est tout aussi funeste. »
La pensée du libéralisme économique intégriste, de l'ultralibéralisme, qualifiée de laisser-fairisme par M. Allais, se résume par la liquidité des facteurs économiques (Travail, Capital, Entrepreneuriat et – d’une certaine manière – de l’Etat par la dette publique) et la liquidité de ses produits (biens et services).
Cette idéologie a plusieurs effets :
1) Il permet au Capital de croître hors des économies nationales et de s'exporter à l'international.
2) Il produit un phénomène de délocalisation de la production dans les pays "en développement" et accentue le chômage dans les économies nationales.
3) L'idéologie ultralibérale s'accompagne de la libre circulation des personnes, c'est à dire d'une faible maîtrise des flux migratoires, ce qui accentue le chômage et accroît les tensions sociales.
Ainsi, depuis au moins 1982, l'économie capitaliste non occidentale a entamé une phase d'essor économique (relativement déséquilibrée). C'est pour cette raison que le taux de profit du Capital a augmenté de 1982 à nos jours. Certains évoquent une "hausse tendancielle du taux de profit". J'ignore pour quelles raisons théoriques cette hausse serait "tendancielle". Néanmoins, je crois pouvoir affirmer qu'elle est en partie "artificielle". Elle est "artificielle" du fait de certains investissements, c'est notamment le cas des dettes publiques non remboursables, des bulles immobilières, des sociétés survalorisées, des produits dérivés détachés du réel (notamment les métaux)... Ces déviances financière sont décrites dans deux de mes précédents articles[4].
Depuis 1973 la situation socioéconomique (réelle) des pays occidentaux n'en finit pas de se dégrader. L'économie capitaliste de l'occident n'en finit pas de mourir, sa phase d'autodestruction est aujourd'hui plus longue que sa phase d'essor.
Voici quelques symptômes nocifs de cette lente autodestruction :
  • L’obsolescence programmée, bien que stimulant temporairement l’économie, réduit le pouvoir d’achat, accroit le problème du traitement des déchets et des ressources naturelles limitées.
  • La vente d’armes avec lobbying belliqueux dont l’influence politique et médiatique exacerbe les sentiments nationalistes, surestime les risques terroristes et les périls extérieurs pour encourager les survenances des guerres.
  • Le surinvestissement dans la production énergétique en général et la production nucléaire en particulier, avec l’ignorance des problématiques futures liées au démantèlement dont la technique est mal maîtrisée et les coûts sous-évalués.
  • Les programmes d’investissements publics inefficaces et démesurés (aéroports…) aux vertus pseudo-keynésiennes qui conduisent en réalité à un surendettement public.
  • [Parallèlement aux programmes d’investissements publics inefficaces :] Programmes d’austérité réduisant le budget de la recherche et de l’éducation et reportant les investissements pour la rationalisation et l’efficience du budget public.
  • Réduction fiscale pour les plus hauts revenus et les plus hauts patrimoines.
  • L’absorption de la trésorerie ou des marges d’entreprises au profit des dividendes versés aux actionnaires ou des rachats d’actions (Cela au détriment des investissements).
  • Rachats d’entreprises pour orchestrer des ventes à la découpe, des licenciements massifs et/ou piller les brevets.
  • Limitation des licenciements économiques par du management toxique (harcèlement, intolérances, missions impossibles) pour pousser le salarié à la démission (ou au suicide) et ainsi limiter les coûts de restructuration de la masse salariale.
  • Le lobbying sur des ressources énergétiques en raréfaction et/ou polluantes.
  • La spéculation à court-terme sur les marchés financiers qui accroit la volatilité du Capital et réduit l’investissement long-terme, notamment dans les petites entreprises innovantes.
Ainsi, la croissance économique n’est pas morte au niveau global…
Elle est morte dans les pays développés mais elle demeure vivante dans les pays en développement. Ainsi, le paradoxe du schéma intitulé « Capitalisme : de son essor à son autodestruction »[5], appliqué aux quarante dernière années (1973 à 2015), réside dans le fait que le parcours bleu (qui représente la construction économique) s’applique dans les pays en développement et le parcours rouge (qui représente la destruction économique progressive) s’applique dans les pays développés. Or, depuis quarante ans, la prétendue croissance économique revendiquée par les pays occidentaux n’est en réalité qu’une illusion provoquée par l’endettement public qui subventionne l’économie. Ainsi, la désillusion de cette « fausse croissance » interviendra lorsque les « limites de la croissance » s’opposeront à la croissance économique mondiale et se heurteront à l’exigence du Capital. A cet instant, le Capital aura atteint sa masse critique et comprendra que les dettes publiques des pays développés ne sont pas remboursables. Il s’en détournera pour les matières premières et/ou les économies émergentes et son reflux déclenchera la destruction des économies développées, puis la destruction de l’économie mondiale.
 
[1] Olivier Berruyer, Les faits sont têtus, 2013
[2] On peut résumer le « conatus » comme « l’origine comportementale d’une entité ». Extrait wikipédia : Spinoza nomme conatus la puissance propre et singulière de tout « étant » à persévérer dans cet effort pour conserver et même augmenter, sa puissance d'être. [Pour Spinoza,]le conatus est une stratégie dynamique qui dépend du degré d'activité : toute chose s'efforce de persévérer dans son être, c'est-à-dire dans la direction de l'affirmation de soi qui lui est propre, pour accroître sa puissance.
[3]Conférer Nathan Rothschild Exaucé (1777/1836) « Donnez-moi le contrôle de la monnaie d'une nation, et je me moque de qui fait ses lois »
 

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