mardi 29 décembre 2015

Déchéance de la nationalité : vers une Constitution lepénisante ?

« Élever au plus haut niveau de notre droit le régime de l’état d’urgence constitue également un acte politique, pas simplement juridique. Et, de ce point de vue, les plus expresses réserves sur l’intérêt de cette démarche sont permises. Car laisser penser que notre sécurité dépend d’une mise à l’écart du juge judiciaire peut s’avérer contre-productif, sinon particulièrement grave. » (Arnaud Gossement, docteur en droit et avocat spécialisé en droit public, le 23 décembre 2015).


Mais quelle mouche a donc piqué François Hollande et ses ministres depuis les attentats du 13 novembre 2015 ? La loi sur le renseignement déjà promulguée, l’état d’urgence, prolongé jusqu’au 20 février 2016 par la loi n°2015-1501 du 20 novembre 2015, plus de mille perquisitions administratives, des dizaines d’assignations à résidence, et puis maintenant, ce projet de révision de la Constitution qui a été adopté par le conseil des ministres du 23 décembre 2015, à quelques heures de la nuit de Noël ! Les parlementaires examineront ce texte à partir du 3 février 2016.

On pourrait bien sûr me dire que justement, la mouche, ce sont les attentats, mais je répondrais cependant que des attentats, hélas, la France en a connu tout au long de son histoire moderne et que si le nombre de victimes a été particulièrement élevé historiquement le 13 novembre 2015, cela fait hélas depuis plus de vingt ans que des terroristes ont massacré par dizaines d’innocentes victimes pour des raisons très obscures.

La vraie différence avec les précédents attentats, c’est que le FN a maintenant franchi le seuil des 25% des suffrages exprimés et flirte maintenant avec les 30%. On pourrait évidemment se poser la question : qui fut la cause de quoi ? C’est l’histoire de l’œuf ou de la poule, est-ce que la fièvre FN vient des attentats ou est-ce que ce sont les capitulations idéologiques successives de François Hollande qui ont crédibilisé le discours du FN ?


Confirmation du virage sécuritaire

Lorsque François Hollande s’était exprimé solennellement devant le Parlement réuni en congrès à Versailles le 16 novembre 2015, j’avais noté le virage sécuritaire déconcertant de son quinquennat. Un virage nettement plus sécuritaire que le discours de Nicolas Sarkozy à Grenoble le 30 juillet 2010. C’est encore plus déconcertant que sa majorité le suive sur ce terrain-là. Couleuvres après couleuvres, les majorités parlementaires ne serviraient-elles donc à rien sous la Ve République ? Ce n’est pas une question d’institutions, c’est une question de personnes, et aucune d’entre elles ne semble prête à défendre ses convictions devant le Président de la République…

Lors de cette déclaration à Versailles, François Hollande avait annoncé qu’il demanderait l’avis du Conseil d’État sur l’extension de la déchéance de nationalité et la publication de cet avis. Le Conseil d’État semble avoir rendu son avis, précisant la nécessité de réviser la Constitution mais il semble que cet avis ne soit pas (encore) publié.

Ce sera la Ministre de la Justice, Christiane Taubira, qui sera chargée de présenter au Parlement ce projet de révision de la Constitution. Une position fragilisée par ses imprudentes déclarations à la radio algérienne qui, la veille, annonçaient le retrait pur et simple de la mesure sur la déchéance de la nationalité. Malgré de fortes réticences dans sa majorité, François Hollande serait alors revenu sur cet abandon dans la soirée du 22 décembre 2015, voyant que les conséquences politiques sur ses hésitations et ses reculades auraient été désastreuses pour son image.


Tactique et contexte

Évacuons d’abord la tactique politicienne qui est sans doute en cohabitation permanente dans l’esprit tant de François Hollande que de Manuel Valls. La manœuvre est grossière mais peut être efficace : occuper tout l’espace entre la gauche et le FN et réduire à néant les capacités de différenciation de la droite modérée et du centre (c’est déjà réussi sur le terrain économique). Mais est-ce très subtil d’aborder le FN …par sa droite ? J’aurai sans doute l’occasion d’évoquer ce point plus précisément au cours de l’année 2016.

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Évacuons aussi la lepénisation de la Hollandie qu’on pouvait déjà percevoir lors de l’expulsion de Leonarda, tant dans la brutalité de son expulsion devant ses camarades de classe que dans sa communication où François Hollande accréditait l’équivalence immigration et insécurité, ou encore en parlant de "Français de souche", lui, en tant que Président de tous les Français, et donc, qui ne devrait pas prêter le flanc à la distinction entre Français, etc.


Extension de la déchéance de la nationalité

Parlons de la mesure phare, de la déchéance de la nationalité pour les personnes qui ont une double nationalité, nées françaises, et qui sont condamnées pour acte de terrorisme. Le projet prévoit ainsi qu’elles perdent leur nationalité française à l’issue de leur peine de prison : « À l’issue de leur peine, les personnes déchues de leur nationalité pourront être expulsées de France. » (Manuel Valls, le 23 décembre 2015).

On mesure ici le dérisoire du symbolique. Car il y a deux symboles. Le premier, c’est celui que veut véhiculer le gouvernement, voulant surfer sur une vague sécuritaire que la très mouvante "opinion publique" approuve après avoir été si éprouvée par les attentats de Paris (du 7 janvier 2015 et du 13 décembre 2015). Le second symbole, au contraire, c’est que c’est une victoire du terrorisme qui s’opposait justement à nos valeurs, aux valeurs de la République. Or, ce symbole est aujourd’hui gravement menacé car le texte fait la distinction entre Français. Ceux qui sont d’une unique nationalité et ceux qui en ont plusieurs, ils ne seront pas traités de la même manière.

Il a fallu que ce soit Jacques Toubon, Défenseur des droits et ancien secrétaire général du RPR (rappelons-le !) pour expliquer que la Constitution dit avant tout que la République est une et indivisible. Cela s’applique à la Corse, mais aussi à la population nationale, qu’il n’y a pas deux catégories de Français, les uns dont le caractère français serait inconditionnel et les autres qui pourraient se voir retirer ce caractère (d’autant plus que certains pays étrangers appliquant le droit du sang rendent quasiment obligatoire la double nationalité).

Lorsque Nicolas Sarkozy avait évoqué cette déchéance de la nationalité, c’était alors Manuel Valls, député de l’opposition, qui trouvait que c’était « un débat nauséabond et absurde » (BFM-TV, le 27 septembre 2010).

Cette mesure sera d’ailleurs sans effet dans la lutte contre le terrorisme (c’est ce que disait Manuel Valls lui-même ces derniers jours), et disons-le clairement, hélas, que les apprentis terroristes se moquent complètement de ce risque d’être déchus de la nationalité française : dans leur folle démarche, ils ont déjà acté qu’ils perdront leur vie. Perdre la nationalité n’aura donc pas beaucoup d’effet sur leurs éventuels agissements parce que face à des kamikazes, dont le suicide efface tout, aucune raison ne saurait se faire entendre.


L’autre partie de la révision

Quant au reste du texte, il existe déjà par la loi n°55-385 de 3 avril 1955 qui réglemente l’état d’urgence, et cette loi a été validée a posteriori par le Conseil Constitutionnel par sa récente décision n°2015-527 QPC du 22 décembre 2015. Rien ne justifie donc la procédure de révision constitutionnelle, si ce n’est une volonté d’affichage politique.

Contrairement à la déclaration de Versailles, le texte ne reprend pas, d’ailleurs, la proposition du Comité Balladur de 2007 qui avait souhaité que la loi qui encadre l’état d’urgence soit une loi organique et pas une simple loi comme dans le texte du gouvernement (une loi organique subit systématiquement un contrôle de constitutionnalité a priori).


Les États-Unis, meilleurs garants des droits

Certains ont craint que la France suive les pas des États-Unis à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Mais en fait, la France va bien plus loin que les États-Unis en matière sécuritaire.

Le politologue spécialiste des étrangers, Patrick Weil, qui a fait une étude sur la déchéance de nationalité aux États-Unis en 2012 ("The Sovereign Citizen : Denaturalization and the Origins of the American Republic"), a expliqué que l’auteur survivant des attentats commis lors du marathon de Boston le 15 avril 2013, Dzhokhar Tsarnaev, condamné à mort le 15 mai 2015, resterait toujours américain : « Un Américain naturalisé ne peut être déchu de la nationalité que s’il existe des faits qu’il aurait commis avant la naturalisation, jamais pour des actions commises après (…). Il sera probablement privé de sa liberté et peut-être de sa vie. Mais même condamné à mort, Tsarnaev devra faire face à sa peine comme citoyen américain. Chaque citoyen, même le plus fauteur de troubles, conserve son statut. Pendant le procès, sauvegarder les droits de chaque Américain naturalisé assure la dignité et les droits de tous. » (Il l’avait expliqué le 26 avril 2013, bien avant la connaissance du verdict).

Précisons bien que le texte du gouvernement présenté le 23 décembre 2015 a pour objectif d’étendre la déchéance de nationalité aux nationaux français qui le sont à la naissance et qui jouissent d’une autre nationalité. La loi actuelle permet déjà une telle déchéance pour les binationaux qui auraient été naturalisés français.


La responsabilité historique de François Hollande

Je ne dis pas que François Hollande est immoral mais qu’il est amoral. J’en avais déjà parlé lorsqu’il s’agissait d’autoriser l’expérimentation sur les embryons humains. François Hollande ne réagit pas en fonction d’une certaine morale personnelle mais seulement en fonction de ses intérêts politiques tactiques avec un cynisme qui est d’autant plus surprenant qu’il est associé à une certaine bonhomie joviale.

Ce que François Hollande et les parlementaires qui vont le soutenir dans sa tentative de réviser la Constitution ne semblent pas comprendre, c’est qu’en adoptant, ou plutôt, en épousant explicitement les thèses du Front national, qui a d’ailleurs confirmé qu’il voterait en faveur de cette révision, loin de créer une digue contre le FN, ils installent au contraire les Français dans l’idéologie du FN et par là même, ils facilitent sa venue au pouvoir, comme étape ultime, comme étape logique de cette lepénisation depuis 2012.

Paradoxalement, je me rends compte maintenant qu’en ayant préféré Nicolas Sarkozy à François Hollande au second tour de l’élection présidentielle de 2012, j’avais fait le choix, involontairement, d’un vote gauchiste !… Quant aux électeurs de François Hollande qui pensaient avoir voté contre Nicolas Sarkozy, il faudra un jour leur expliquer qu’on ne vote jamais intelligemment par défaut : en votant, on s’engage positivement en faveur d’un candidat et on ne peut s’en prendre qu’à soi-même si celui-ci, élu, ne satisfait pas à toutes ses attentes ou exigences.

Mais que des électeurs se sentent déçus ou trompés n’est pas très nouveau et somme toute, assez traditionnel dans le pays des toujours râleurs. En revanche, au regard de la Nation, et aussi au regard de l’Histoire, François Hollande aura eu la grave responsabilité d’avoir participé au sabotage de l’esprit républicain au nom de la défense duquel il prétend agir.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (24 décembre 2015)
http://www.rakotoarison.eu

Sourcehttp://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/decheance-de-la-nationalite-vers-175772

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