jeudi 12 novembre 2015

Sobriété heureuse

La simplicité volontaire ou sobriété heureuse est un mode de vie consistant à réduire volontairement sa consommation, ainsi que les impacts de cette dernière, en vue de mener une vie davantage centrée sur des valeurs définies comme « essentielles ». Cet engagement personnel et/ou associatif découle de multiples motivations qui vont habituellement accorder la priorité aux valeurs familiales, communautaires et/ou écologiques.
On peut trouver la trace de son origine en Europe dans les écrits de Léon Tolstoï et de John Ruskin (Unto This Last), et en Amérique du Nord dans les écrits de Henry David Thoreau (Walden).
Il est représenté, par exemple, par le mouvement des Compagnons de Saint François ou encore les Communautés de l'Arche de Lanza del Vasto, inspiré par Gandhi, lui-même inspiré par Thoreau et Ruskin. On le retrouve aussi au Québec, province du Canada, sous l'influence de penseurs comme Serge Mongeau et des éditions Écosociété.

Histoire

Les précurseurs

Si on peut trouver l'origine de la simplicité volontaire chez les différentes formes d'ascétisme grecques et orientales, ces dernières étaient surtout motivées par une philosophie mystique, et c'est donc plutôt chez les stoïciens, les cyniques, et surtout chez Épicure qu'on peut voir la réelle apparition du concept de simplicité volontaire.
En effet, Épicure procède à une critique approfondie des besoins qui ressemble fort à celle proposée par la simplicité volontaire. Sa pensée, tout comme celle des cyniques, nous invite à discerner le nécessaire du superflu, le naturel de l'artificiel, et à un retour vers la simplicité.
En Occident, les communautés monastiques furent les premières organisations de vie à choisir volontairement la frugalité et à pratiquer l'autosuffisance et même avant la secte des esséniens (adepte de l'alimentation crue). Saint François d'Assise, « l'unique parfait chrétien depuis Jésus » selon Ernest Renan, est aussi considéré comme un modèle de simplicité volontaire.
En Orient, on trouve également de nombreux modes de vie (hindouisme, bouddhisme) prônant la simplicité volontaire. La vie de Gandhi est un exemple de simplicité.

Au XXe siècle

Ivan Illich et son ami Jacques Ellul sont considérés comme deux des pères des idées de décroissance et de simplicité volontaire.
En 1936, on trouve pour la première fois l'expression « simplicité volontaire » (« voluntary simplicity ») dans le titre d'un livre de Richard Gregg, un disciple de Gandhi, qui reprend les idées principales de celui-ci.
Dans les années 1960 et 1970, un « mouvement de retour à la terre » touche les États-Unis, inspiré notamment par les écrits et les travaux de Helen et Scott Nearing (en particulier leur livre publié pour la première fois en 1954 intitulé Living the Good Life: How to Live Simply and Sanely in a Troubled World).
L'expression « simplicité volontaire » est connue depuis le livre du même nom publié en 1973 par Duane Elgin. Ce courant se développe depuis les années 1980 dans plusieurs pays industrialisés.
La critique de la société de consommation développée par Hannah Arendt peut aussi être considérée comme une source d'inspiration de la simplicité : dans sa Condition de l'homme moderne, elle invite ainsi à laisser le travail dans le domaine privé pour laisser de la place à l'action politique, c'est-à-dire à s'impliquer davantage dans l'espace public.
On peut ajouter parmi les voix actuelles de cette pensée, Pierre Rabhi, agroécologiste et écrivain, et André Gorz, philosophe et journaliste.

Motivations

La simplicité volontaire consiste à rechercher le bonheur dans l'appréciation pour améliorer la véritable « qualité de vie ». Elle s'oppose donc au discours économique et social dominant au XXIe siècle qui tend à considérer tout progrès technique et développement de la consommation comme des améliorations de la qualité de la vie. La philosophie de vie est née de l'opinion que la consommation n'apporte pas le bonheur et accroît l'aliénation.
Plus précisément, plusieurs motivations sont possibles.

Éthique

Certains tenants de la simplicité volontaire prônent un retour à de « vraies richesses », opposées aux richesses matérielles. Ces vraies richesses peuvent être en particulier la vie sociale et familiale, l'épanouissement personnel, la vie spirituelle, l'osmose avec la nature, etc.
Elle offre une autre voie vers le bonheur. Précurseur du concept, Henri Bergson a écrit « Ce qui est beau, ce n'est pas d'être privé, ni même de se priver, c'est de ne pas sentir la privation ». D'ailleurs, le philosophe français a écrit dans le dernier chapitre de son dernier livre Les Deux Sources de la morale et de la religion un diagnostic de la surconsommation : « Jamais, en effet, les satisfactions que des inventions nouvelles apportent à d'anciens besoins ne déterminent l'humanité à en rester là ; des besoins nouveaux surgissent, aussi impérieux, de plus en plus nombreux. On a vu la course au bien-être aller en s'accélérant, sur une piste où des foules de plus en plus compactes se précipitaient. Aujourd'hui, c'est une ruée » (1932). La simplicité volontaire se veut justement comme une solution à cet engouement pour les produits de consommation que prévoit Bergson. En précurseur de ce courant, il précise les conditions de réalisation de cet idéal comme suit : « l'avenir de l'humanité reste indéterminé, parce qu'il dépend d'elle ». Il faudrait donc miser, selon Bergson, sur une éducation qui permette à la fois de comprendre l'impact de notre consommation grâce aux connaissances scientifiques et de développer notre goût pour des objets qui favorisent véritablement notre accomplissement personnel.

Économique

  • Une consommation toujours accrue conduit à des besoins financiers également accrus et donc à un surcroît de travail pour se les procurer, ce qui peut générer, à l'inverse, du déplaisir chez certaines personnes (manque de temps pour soi, stress, mauvaise santé, dépendance à l'argent, etc.). Dans cette optique, la philosophie de simplicité volontaire peut s'appuyer sur la théorie du consommateur en microéconomie, les courbes d'indifférence marquant les différents arbitrages entre surplus de travail et surplus de consommation, ou entre le plaisir induit par la consommation et celui induit par le temps libre (vie de famille, activités physiques, divertissements, etc.).
  • Certains tenants de la simplicité volontaire estiment que, dans la société de consommation, on consacre son temps à gagner toujours plus d'argent pour satisfaire des besoins matériels de plus en plus nombreux qui pourtant ne seront jamais satisfaits en raison de leur renouvellement incessant, d'autant que ces besoins sont incités par la publicité notamment. Dans cette perspective, la quête du bonheur par la consommation est donc une course sans fin dont ils préfèrent sortir.

Écologique

La simplicité volontaire constate que la consommation et la croissance ont des impacts négatifs sur l'environnement et ses partisans craignent l'imminence de la crise écologique. Elle prône donc la limitation de la consommation de biens matériels afin de ralentir la destruction des ressources naturelles.


En reprenant l'exemple typique du refus de posséder une voiture, l'argent économisé peut être réinvesti dans un vélo, des billets de trains ou la location de véhicules quand cela est indispensable. Et ainsi avoir les mêmes avantages qu'avec la possession personnelle d'un véhicule de tourisme à un prix finalement identique et avec un impact écologique globalement moindre.

Autres motivations

  • Dans certains cas, la simplicité « volontaire » serait en fait subie, mais ensuite assumée et considérée comme une manière de raisonner ses envies consuméristes.
  • Elle peut aussi être considérée comme une posture prise pour se fabriquer une image de marque, à l'instar de l'intellectuel qui refuse la télévision et affiche son mépris de la publicité et de la consommation.
Quoi qu'il en soit, au-delà de ces jugements moraux, le résultat est le même : une certaine modération profitable au bien-être commun (comme la « foi à la Pascal » : « on n'a rien à perdre ».)

Pratique

La simplicité volontaire est une des composantes de la décroissance mais se situe avant tout dans le cadre de l'initiative individuelle et non des mesures collectives prises par la puissance publique.

Une appréhension globale de la consommation

La mise en œuvre est quotidienne, amenant à repenser son travail, sa consommation (voir le concept de consom'action), son alimentation, son habitat, sa santé, ses déplacements, ses vacances, ses loisirs, ses relations sociales, etc.
Les conséquences de chaque acte sont ainsi appréhendées de manière globale :
– quel a été le coût de la fabrication (pour la planète, pour les droits de l'homme) ?
– quel est l'intérêt pour moi, ai-je fondamentalement besoin de ce bien/service ?
– à quel point cela me rend-il dépendant de l'argent (devrais-je travailler plus ? avoir moins de loisirs ?)

Une réappropriation individuelle de l'action politique

La simplicité volontaire est un modus vivendi développé dans des sociétés post-industrielles, pour la plupart occidentales à démocratie représentative. Lorsque l'individu a le sentiment que le pouvoir lui échappe ou que ses idées ne pourront parvenir au pouvoir, la mise en œuvre de la simplicité volontaire permet une action directe du citoyen sur son cadre de vie et l'espace public.

Critiques

La simplicité volontaire est critiquée par des penseurs qui soulignent les avantages sur le plan de la qualité de vie apportés par le progrès matériel et l'impossibilité de « revenir en arrière » sauf à vouloir dégrader fortement le niveau de vie des populations. Ainsi, Bjorn Lomborg soutient que le progrès a permis de libérer dans les pays occidentaux une quantité extraordinaire de main d'œuvre, qui peut désormais servir à chaque homme pour s'accomplir : « Si nous devions revenir en arrière, il nous faudrait pour produire une énergie équivalente, pour chaque citoyen, en Europe occidentale, 150 "actifs de service", 300 aux États-Unis. ».
Drieu Godefridi du think tank libéral Institut Hayek estime que l'homme a combattu la faim dans le monde grâce à la mondialisation des échanges, pourtant concomitante d'une hausse jamais vue de la population mondiale : « Les rapports successifs de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en attestent : jamais autant d’êtres humains n’ont habité la planète ; jamais la proportion d’hommes souffrant de faim n’a été aussi faible »
La simplicité volontaire est également critiquée par des penseurs de gauche qui considèrent qu'il est impossible de revenir à un mode de vie antérieur. Certains marxistes, par exemple, répondent que c'est par l'organisation des masses de ceux qui profitent le moins de la société actuelle qu'une nouvelle société plus humaine peut être construite. Ils ne suivent pas les penseurs de la simplicité volontaire, car ils ne veulent pas échapper à la société, mais la transformer. Ils reprochent à la simplicité volontaire d'attirer avant tout ses adhérents des couches moyennes ou supérieures de la société. D'autres penseurs marxistes cependant, comme Cornelius Castoriadis, ont développé une synthèse du marxisme et de l'écologie radicale et sont considérés comme des précurseurs de la décroissance.
Toutefois, ces critiques s'organisent autour de l'idée que la simplicité volontaire implique une forme de « retour en arrière », de « négation du progrès » et de « retrait de la société », ce que ne réclament pas les pratiquants de la simplicité volontaire (qui visent en fait une réduction volontaire de la consommation et de ses impacts).

1 commentaire:

Je a dit…

L'éthique d'Epicure a été motivée par une constitution fragile, avec notamment des problèmes de calculs (littéralement "cailloux").

La "sobriété heureuse" n'est ni plus ni moins que l'éthique d'Epicure.
Néanmoins, sa motivation est plus sociétale en réaction à la surconsommation (et la publicité de masse qui l'accompagne, voire qui la provoque) et à la pollution de l'environnement (ou tout autre dérèglement écologique) qui en est la conséquence.

On imagine bien que les industriels (à qui la société de consommation profite le plus) vont essayer de caricaturer ce mouvement qui voudrait qu'on se contente du strict nécessaire. Ils évoqueront au minimum (par le biais d'experts économiques et de politiques) les risques sur l'emploi et l'ordre social, et au maximum (par le biais de pseudo-philosophes ou d'historiens ou des mêmes experts économiques) un retour à la préhistoire qui serait désastreuse pour l'humanité.