jeudi 19 mars 2015

Moïse et l’Exode : Quand la science ébranle la foi par Chems Eddine Chitour

« La foi n'a pas besoin de preuve, elle doit même la regarder comme son ennemie. »
Kierkegaard.

Une contribution concernant les données archéologiques confrontées à la réalité du message biblique a attiré mon attention. J'ai voulu connaître les fondements de la Bible et du même coup la place de Moïse dans le récit à la fois dans le judaïsme, ce que dit l'archéologie de cette période mais aussi comment le prophète Moïse est perçu dans le Coran.

On sait que l'Histoire des Hébreux nous est essentiellement connue par la Bible. « La Bible est un ensemble d'épopées, de récits mythologiques, de poèmes, de prières formulées par des prophètes ainsi que de textes juridiques. Elle a été rédigée par des érudits ou scribes juifs, principalement entre l'an 500 et l'an 150 avant Jésus-Christ. Ils expliquent que le peuple hébreu a noué une alliance avec un Dieu unique, Yahvé. La plupart des événements que relate la Bible sont censés se dérouler au IIe millénaire avant J.-C. (...). Elle est considérée comme largement mythique mais contient néanmoins quelques informations ethnologiques utiles aux historiens et aux archéologues. (1)


Selon la Genèse (le premier livre de la Bible), Dieu noue avec Abraham une alliance. Il l'engage à quitter sa contrée et à partir vers la terre de Canaan, ainsi nommée d'après Cham, l'un des fils de Noé. Après une longue errance, la petite troupe s'établit enfin dans le pays de Canaan, « où coulent le lait et le miel », sous la conduite d'Isaac et de son fils Jacob. (..) L'Exode, deuxième livre de la Bible, raconte que Joseph, fils de Jacob et petit-fils d'Isaac, devient, du fait de sa grande sagesse, le Premier ministre du Pharaon. Il invite alors ses onze frères et une partie des Hébreux à le rejoindre en Égypte, à la recherche d'un mieux-être. Bientôt victimes de vexations, les Hébreux se libèrent du joug égyptien et reviennent à Canaan, la « Terre promise », sous la conduite du prophète Moïse. » (1)

L'historicité de Moïse

« Moïse lit-on sur Wikipédia est vraisemblablement le personnage le plus important de la Bible hébraïque, recevant la Loi pour le judaïsme, préfigurant Jésus-Christ pour le christianisme et précédant le prophète Mahomet pour l'islam. (...) Il n'existe cependant aucune trace historique de son existence en dehors de la tradition, ce qui en fait une figure mémorielle et non historique le Moïse de la foi étant bien plus connu que le Moïse de l'histoire. En islam, Moïse - sous le nom de Moussa - est le prophète le plus présent dans le Coran, cité à cent trente-six reprises. Il fait partie des « grands prophètes », considéré comme l'un des messagers envoyés par Allah et annonce le prophète Mahomet. (...) Moïse. est le seul des prophètes à avoir entendu directement Dieu lorsqu'il reçoit les tables de la Loi, ce qui lui vaut le titre de kalîm Allah - « interlocuteur de Dieu ». Pharaon donne l'ordre à son peuple d'éliminer les nouveau-nés mâles et de ne laisser vivre que les filles. Le frère de Moïse s'appelle Aaron. Après sa naissance, sa mère Yokheved cache l'enfant durant trois mois puis l'abandonne dans une corbeille sur le Nil, près de la rive (le 6 sivan). La fille du pharaon qui se baignait avec des courtisanes, trouve l'enfant et décide de l'adopter (inspirée dans ce geste par l'ange Gabriel, selon le midrash), bien qu'ayant immédiatement deviné que l'enfant était hébreu. » (2)

Analogie de la naissance de Moïse avec celle du roi Sargon

« D'un point de vue « scientifique », nul universitaire, écrit Thomas Römer, professeur de la chaire « milieux bibliques » au Collège de France ; ne soutient plus l'historicité d'Abraham, et celle de Moïse. Le récit de la naissance de Moïse ressemble de près à la légende de la naissance de Sargon, roi légendaire, fondateur de l'Empire assyrien. Certes, le thème de l'enfant exposé et miraculeusement sauvé est largement répandu dans le folklore (Romulus et Remus, Cyrus, Horus...) ; néanmoins, c'est le récit de la naissance de Sargon qui se rapproche le plus du récit de la naissance de Moïse. Les deux protagonistes ne connaissent pas leur père ; leurs mères respectives les cachent dans un premier temps, pour les confier ensuite au fleuve. Les deux enfants sont placés dans une caisse enduite de bitume ; ils sont trouvés et adoptés par leurs bienfaiteurs. Cette adoption légitime la royauté de Sargon et introduit Moïse dans la cour du roi égyptien. La légende de Sargon a été mise par écrit au plus tôt au VIIIe siècle av. J.-C., la première histoire de Moïse ne peut donc être antérieure à cette époque. Les scribes judéens construisent la figure de Moïse à l'image du fondateur mythique de la dynastie assyrienne pour revendiquer la supériorité du dieu qu'il sert. » (3)

« Un méchant roi, une belle princesse, un nouveau-né, un coffre-berceau-corbeille, un fleuve, un abandon : c'est un schéma connu, celui des naissances de Romulus et Remus, d'Apollon, d'Adonis, de Moïse. La source de ces récits se trouve à Babylone, vers - 2450. Un texte mésopotamien raconte la naissance de Sargon Ier, roi de Babylone. D'origine modeste, cet enfant adopté est le fondateur du premier empire de l'Histoire : celui d'Akkad et de Sumer. Comme Moïse, Sargon est jeté au fleuve dans un panier. Sa mère lui donne le jour en secret, le dépose dans une corbeille fermée avec du bitume, l'abandonne sur le cours de l'Euphrate. Akki, un puiseur d'eau, le recueille, l'adopte et fait de lui son jardinier. La puissante déesse Ishtar l'ayant pris sous son aile protectrice, il devient un grand roi. Cette histoire, qui court jusqu'aux confins de l'Inde et du Tibet, a dû inspirer les scribes juifs lors de la rédaction de l'Exode. » (4)

Stéphane Foucart résume le mythe en écrivant : « Une femme craint pour la vie de son enfant. Elle le dépose, dans un panier, sur les eaux du fleuve. La nacelle dérive, l'enfant est recueilli. Bien sûr, son destin est de changer le monde. On connaît l'histoire : c'est celle de Moïse, « sauvé des eaux ». Mais ceux qui l'ont écrite se sont inspirés, jusque dans ses détails, de celle de Sargon d'Agadé. Du nom de ce roi qui unifie la Mésopotamie au milieu du IIIe millénaire avant notre ère et fonde, ainsi, le premier empire. Que les compilateurs du récit biblique s'en soient inspirés n'est pas extravagant. » (5)

L'analogie est parfaite et troublante à un détail près, celui du bitume qui est introuvable en Egypte.... « Je suis Sargon, le roi puissant, le roi d'Agadé. Ma mère était une grande prêtresse. Mon père, je ne le connais pas. (...) Ma mère me conçut et me mit au monde en secret. Elle me déposa dans une corbeille de jonc, dont elle ferma l'ouverture avec du bitume. » Le même geste maternel - le calfatage du berceau à l'aide de bitume - est rapporté dans le récit biblique à propos de Moïse, alors que le bitume, matériau typiquement mésopotamien, est presque introuvable en Egypte... « Elle me jeta dans le fleuve sans que j'en puisse sortir, poursuit la légende de Sargon. Le fleuve me porta ; il m'emporta jusque chez Aqqi, le puiseur d'eau. Aqqi, le puiseur d'eau, en plongeant son seau me retira du fleuve. Aqqi, le puiseur d'eau, m'adopta comme son fils et (...) me mit à son métier de jardinier. Alors que j'étais ainsi jardinier, la déesse Ishtar se prit d'amour pour moi et c'est ainsi que pendant cinquante-six ans, j'ai exercé la royauté. » (5)

Qu'en est-il du récit biblique tel que l'Exode, ou les dix plaies de l'Egypte écrit Nicolas Smaghue ? L'archéologue Israël Finkelstein et l'historien archéologue Neil Asher Silberman, ont confronté dans une étude le fait biblique avec la réalité archéologique . La Bible dévoilée, leur ouvrage de synthèse présente le résultat de recherches archéologiques permettant, selon les auteurs, d'éclairer les événements rapportés par la Bible. Les travaux eurent lieu entre les années 1970 et les années 2000. Cette période a vu l'abandon de ce qu'on a appelé l'archéologie biblique (entre 1900-1970), au profit d'une démarche sans a priori appuyée par des méthodes de datation de plus en plus précises. Il en a résulté une remise en question de l'historicité d'une grande part des récits bibliques, notamment sur l'origine des anciens Israélites, l'exode et la conquête de Canaan. » (6)

 « Le suspense tourne court, poursuit Nicolas Smaghue car très tôt les archéologues affirment que « ce sont des récits qui ont été cousus ensemble à partir des souvenirs, des débris d'anciennes coutumes, de légendes sur la naissance des différents peuples de la région et de préoccupations suscitées par les conflits contemporains » (...) Les épisodes traitent successivement des « Patriarches », de l'« Exode », des « Rois » et du « Livre ». La série suit ici l'ordre édifié par les livres de l'Ancien Testament. (..) Très vite, des incohérences historiques apparaissent dans le texte au niveau des datations, notamment et mettent en doute leur existence. Ces anachronismes vont permettre de découvrir les véritables écrivains de ce passage de la Bible. (...) L'histoire de Moïse et de l'Exode du peuple juif vers la Terre de Canaan, que la Bible situe pendant la période du règne de Ramsès II sont de bons exemples. De nombreux écrits égyptiens de l'époque, une seule timide référence à un déplacement massif de population sémite a pu être retrouvée (une stèle commémorant, à la fin du XIII° siècle av. J.C., la victoire du pharaon Merneptah sur le peuple d'Israël). La réalité des événements s'en trouve donc, considérablement affectée. On se demande donc si L'Exode a eu lieu ? » (6)

 « Pour les archéologues, conclut Nicolas Smaghue , il n'est pas possible qu'une foule d'esclaves hébreux aient pu fuir vers le désert et la mer Rouge, sans rencontrer les troupes égyptiennes ou sans qu'il en reste au moins des traces dans les archives étatiques. L'absence de vestiges archéologiques dans le Sinaï, où les compagnons de Moïse ont, selon la Bible, erré pendant 40 ans est une preuve suffisamment troublante pour douter. Il semble toutefois que la Bible décrive davantage dans cet épisode le VIIe siècle av. J.-C. que l'époque supposée de l'Exode évoquée dans la Bible. Au final, il s'agit de la construction d'une saga nationale mythique à une époque où l'Egypte menace le roi de Juda (VIIe siècle av. J-C). » (6)

 Pour Henri Ticq du journal Le Monde, , commentant à son tour l'ouvrage : « La Bible dévoilée » (7) : « La migration des patriarches (Abraham, Isaac, Jacob), l'épique sortie d'Egypte où le peuple juif avait été réduit en esclavage et la conquête de Canaan, la terre promise par Dieu, ont-elles réellement existé (...). Ainsi, Zeev Herzog, professeur d'archéologie à l'université de Tel-Aviv, souligne « qu'aucune démarche scientifique ne prouve la réalité de cette sortie d'Egypte, des grandes années d'errance dans le désert et de la conquête de la Terre promise ». (8)

« Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman, poursuit Henri Tincq , n'ont en effet aucun doute sur l'inauthenticité des grands récits fondateurs. Pour eux, la Bible est une géniale reconstruction, littéraire et politique, de toute l'histoire du peuple juif, qui correspond à l'émergence du royaume de Juda (royaume israélite du Sud) comme puissance régionale au VIIe siècle avant Jésus-Christ. Une époque où le royaume d'Israël (royaume israélite du Nord), autrefois plus prestigieux que Juda, passe sous la coupe de l'Assyrie voisine et où l'empire assyrien amorce son déclin. Autrement dit, la grande saga des patriarches, d'Abraham aux fils de Jacob, n'a aucun fondement historique, assurent Finkelstein et Silberman. Les noms de personnages et de lieux cités n'ont aucune « preuve » archéologique. Le récit des patriarches n'est qu'une sorte de « préhistoire pieuse » du peuple juif, écrite au VIIe siècle avant J.-C. par des auteurs pour servir l'ambition territoriale du royaume de Juda. » (8)

 « Le récit de la sortie d'Egypte est tout aussi fictif. Compte tenu du rapport des forces à l'époque présumée de l'événement (XIIIe siècle avant Jésus-Christ), il est impossible d'imaginer la fuite hors d'Egypte de 600.000 esclaves hébreux qui auraient franchi des frontières alors puissamment gardées, et traversé le désert jusqu'à Canaan malgré la présence des troupes égyptiennes. Toutes les explorations archéologiques le prouvent, y compris dans la région la plus proche du mont Sinaï, lieu supposé de la révélation de Dieu à Moïse et des Dix Commandements. » (8)

La Bible compile ainsi des traditions diverses et originelles, raconte dans l'Exode, par exemple, les épisodes de la lutte séculaire avec l'Egypte des pharaons, vaincue par le pouvoir du dieu d'Israël et le statut miraculeux de son peuple. La grande saga biblique sert ainsi la vision militaro-religieuse du roi de Juda et entre en résonance avec les lecteurs du VIIe siècle avant Jésus Christ , rappelle leurs souffrances et les comble d'espoir pour le futur.

L'armée égyptienne de l'exode biblique : Une confirmation de l'Exode ?

 Roger Vetillard rapporte une curieuse découverte qui conforterait le récit de l'Exode : « Des archéologues égyptiens annoncent qu'ils ont découvert des restes qui pourraient être ceux de l'Armée égyptienne de l'exode biblique. Le ministère égyptien des Antiquités égyptiennes a annoncé en octobre dernier qu'une équipe d'archéologues sous-marins aurait découvert ce qu'il reste d'une armée égyptienne du XIVe siècle avant J.-C., au fond du golfe de Suez, à 1,5 km au large de Ras Gharib. L'équipe est tombée sur une masse gigantesque d'ossements humains noircis par l'âge. L'équipe du professeur Abdel Muhammad Gader, a d'ores et déjà récupéré plus de 400 squelettes différents, ainsi que des centaines d'armes et pièces d'armure, et les restes de deux chars de guerre, sur une surface d'environ 200 m². Ils estiment que plus de 5000 autres pièces paraissent être dispersées sur une zone plus large, ce qui suggère qu'une armée de grande taille a péri sur ce site. (9)

 « De nombreux indices sur le site ont permis au professeur Gader et à son équipe, de conclure que ces éléments pourraient être liés au célèbre épisode de la sortie des juifs hors d'Egypte sous la conduite de Moïse et d'Aaron. Toutefois, les soldats paraissent être morts sur un sol sec, car aucune trace de bateaux ou navires n'a été trouvée dans la région. Cette découverte étonnante apporte la preuve, qu'un récit célèbre de l'Ancien Testament pourrait avoir une base historique ». (9)

Que faut, il en conclure ? En dehors du fait religieux, la science archéologique n'a aucune certitude pour le moment, il y a des faits à confirmer ou infirmer. La croyance ou la non-croyance ne rentre pas en jeu quand il s'agit de foi. Cependant la science ne chasse pas la foi car l'astrophysicien Hubert Reeves souligne que même si « on a longtemps pensé que la science allait chasser la fonction religieuse, c'était une erreur. »

Science et religion n'abordent pas les mêmes questions : La science décrit les phénomènes, les mécanismes, les principes auxquels nous sommes soumis, en un mot le « comment » de l'existence. L’académicien Pierre Karli ajoute à juste titre que la science ne s’occupe pas de nos états d’âme : « notre soif de signification et d'espérance n'est pas prise en compte par la science car on ne sait pas l'introduire dans les équations ! ». La foi s'intéresse aux questions existentielles concernant le sens de la vie, la présence de l'au-delà, l'existence de Dieu, la relation des Hommes avec Lui, et s'oriente donc sur le « pourquoi » de l'existence. Cela rappelle le fameux procès de Galilée ou son avocat s’adressant aux inquisiteurs leur déclare : « Galilée ne vous enseigne pas comment on va au ciel, mais comment est le ciel ».

1 commentaire:

Je a dit…

Chems Eddine Chitour, né le 13 octobre 1944 à Bordj Bou Arreridj, est un scientifique et un homme politique algérien. Il est ministre algérien de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique de janvier 2020 jusqu'à juin 2020.