lundi 23 mars 2015

Chronique d’un éveil citoyen – Épisode 7 : Penser la monnaie et la dette

par Alban Dousset
mardi 18 novembre 2014 

Résumé de l’épisode précédent : L’article précédent m’avait conduit à analyser l’histoire des médias ainsi que leurs influences significatives sur la société. Dans cette analyse, il apparaissait que les médias [c’est-à-dire tout moyen de diffusion naturel (comme le langage verbal) ou technique (l'écriture, la radio, la télévision, le cinéma, Internet) permettant la communication.] d’une société avaient une importance significative dans son organisation politique. Cette courte étude m’avait notamment ramené à l’invention de l’écriture qui, accessoirement, marque le début de l’histoire de l’humanité (Cf la préhistoire, c’est-à-dire « l’avant histoire » : http://fr.wikipedia.org/wiki/Pr%C3%A9histoire).

Introduction à la monnaie.
Etonnamment, les premières écritures dont nous disposons sont des écritures comptables. L’apparition du premier média « technique » correspond à une ligne d’écriture comptable ou, plus exactement, à une dette. Wikipédia (http://fr.wikipedia.org/wiki/Dette)
Dans son livre « Dette 5000 ans d’histoire », David Graeber fait l’observation suivante « La différence entre une dette et une obligation morale n’est pas la présence ou l’absence d’hommes armés qui peuvent imposer son respect en s’emparant des biens de l’intéressé ou en le menaçant de lui casser les jambes. C’est simplement le fait que le créancier à les moyens de préciser, numériquement, combien lui doit exactement le débiteur. »[1]


Si l’origine de la monnaie doit être dissociée de la dette [Cf [1]], il est de très fortes probabilités pour que l’apparition de la monnaie (puis de la dette) entre certaines communautés humaines soit issue du désir d’échanger certains biens, c’est-à-dire certaines « propriétés ». En effet, le concept de propriété (communautaire et, plus tard, individuelle) se renforcera (ou apparaîtra ?) avec la sédentarisation des êtres humains et/ou la domestication d’animaux.
La monnaie et la dette ont des dimensions sociales, politiques, psychologiques, juridiques et économiques. Initialement, la monnaie et la dette sont des outils sociaux-économiques permettant de gérer les échanges de biens et de services au sein d’une communauté. Au cours de l’histoire (y compris de nos jours), il s’est avéré que le contrôle du couple « monnaie/dette » avait une importance comparable (sinon supérieure) au contrôle du pouvoir politique. Cette réalité fera dire à Nathan Rothschild : « Donnez-moi le contrôle de la monnaie d’une nation, et je me moque de qui fait ses lois ».
De nos jours comme par le passé, la monnaie et la dette sont utilisées pour asservir des individus, des peuples, des états, des organisations (Je reviendrai sur cet aspect dans un prochain épisode bien qu’il soit brièvement abordé dans l’épisode 4 avec le documentaire « L’argent dette » de Paul Grignon : http://www.youtube.com/watch?v=kgA2...). Au même titre que la politique, la logique démocratique voudrait que le fonctionnement des monnaies et des dettes soit soumis à l’intérêt général, au bien commun, ou encore, à la souveraineté populaire. Car l’avènement d’une démocratie « réelle » impliquerait une souveraineté populaire pleine et entière (qui ne pourrait être une simple délégation de pouvoir telle qu’elle se manifeste aujourd’hui). Cette souveraineté populaire ne serait pleine et entière que si elle incluait la souveraineté territoriale, la souveraineté monétaire/ bancaire, la souveraineté médiatique et la souveraineté politique (incluant le pouvoir législatif, exécutif et judiciaire), donc la souveraineté de notre économie politique…

  1. Perspectives personnelles sur la monnaie.
La monnaie est définie par Aristote par trois fonctions : unité de compte, réserve de valeur et intermédiaire des échanges.
Par ces trois fonctions, on peut déduire ses caractéristiques :
Unité de compte et réserve de valeur  : Pour acquérir ces deux fonctions, la monnaie doit jouir d’une (relative) stabilité :
Pour sa fonction d’unité de compte : Une stabilité dans son usage quotidien, c’est-à-dire que ses utilisateurs doivent s’habituer à la valeur que représente cette monnaie (afin de se comporter comme des acteurs « relativement » rationnels, faire valoir la loi du marché dans le temps…).
Pour sa fonction de réserve de valeur  : Une stabilité dans la valeur qu’elle représente. A ce titre, elle permettra aux utilisateurs de cette monnaie de la thésauriser (c’est-à-dire la cacher sous leur matelas) ou de l’investir dans l’économie (livret, épargne, obligation, action…).
Intermédiaire des échanges : Pour permettre les échanges, la monnaie doit être liquide et facilement transportable. Notre évolution technologique permet de résoudre sans difficulté cette problématique grâce aux cartes de crédit, ou même les téléphones portables, qui simplifient l’aspect « Intermédiaire des échanges » et ouvrent un vaste champ des possibles.
La monnaie ne devient un problème économique que lorsqu’elle est utilisée pour asservir le peuple et stimuler le Travail (Cf définition Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Travail_%28%C3%A9conomie%29.)
Au cours d’une interview, Albert Dupontel remarquait que le système éducatif (et à travers lui l’idéologie dominante) conditionne les individus à devenir des consommateurs ou des prédateurs, c’est-à-dire des individus focalisés sur leur volonté de jouissance ou sur leur volonté de puissance politique / économique. Ce n’est pas un hasard si le comportement des individus vis-à-vis de la monnaie (y compris comme réserve de valeur) est essentiellement résumée dans ces deux types d’aspirations individuelles. En effet, ces deux aspirations résument la majorité de nos comportements face au Capital dont la monnaie est elle-même l’intermédiaire.

La cigale et la fourmi
A ce titre, la fable « La cigale et la fourmi » de La Fontaine est une incarnation de nos comportements économiques : jouir ou thésauriser/investir.

Il m’apparaît inutile de débattre de cette fable d’un point de vue moral.
En revanche, l’évidence consiste à observer qu’un comportement de « fourmi » ou de « cigale » sont l’un et l’autre justifiable du point de vue d’une existence humaine. Ainsi, aucun de ces deux comportements ne devrait être pénalisé ou stimulé par la monnaie. Cela ne signifie pas que l’un ou l’autre de ces comportements ne peut pas être préféré en fonction de l’âge d’un individu, de ses conceptions philosophiques, de son sens moral… Autant d’éléments variables lors d’une existence humaine.
D’un point de vue strictement amoral donc, le comportement de fourmi [Travailler beaucoup + Economiser + Réinvestir ou faire des réserves pour préparer l’avenir] doit être considéré de manière équivalente à celui de la cigale [Travailler peu et par obligation + Jouir sans économiser et sans préparer l’avenir]
Pour dépasser cette fable et illustrer nos comportements face à l’Argent, c’est-à-dire au Capital, on pourrait imaginer trois types de comportement différents.
Le consommateur, c’est-à-dire la cigale : Les individus qui préfèrent consommer le « surplus » de leur labeur et/ou travailler moins afin de satisfaire leurs aspirations/convictions.
Le thésauriseur, c’est-à-dire la fourmi « pessimiste » : Les individus qui ne désirent pas nécessairement faire « plus d’argent » avec de « l’argent » mais au moins conserver le « surplus » de leur labeur comme une valeur acquise.
L’investisseur, c’est-à-dire la fourmi « optimiste » : Des individus qui choisissent d’investir le « surplus » de leur labeur dans diverses organisations afin de satisfaire leurs aspirations/convictions.
La thésaurisation est un droit citoyen, le droit de la fourmi, le droit de se projeter dans l’avenir, un droit qu’aucune monnaie ne devrait nier... Le pourrait-elle ?

Une monnaie fondante
Lorsque l’Etat provoque une forte inflation (cela revient à créer une monnaie fondante) pour décourager la thésaurisation et stimuler le Travail et le Capital afin de générer une croissance économique qui peut dévier de l’intérêt général (obsolescence programmée…) et des ressources disponibles (anticipation de la crise écologique…).
Cela désavantage le comportement strict de la « fourmi » qui ne désire que constituer des réserves pour surmonter l’avenir et incite les individus à se comporter comme des « cigales » : travailler par obligation + jouir sans économiser/investir et sans préparer l’avenir (car la monnaie perd régulièrement de sa valeur). Cela encourage les individus à ne se projeter que dans une optique court termiste du style « après moi le déluge » qui pourrait en dire long sur l’état lamentable de notre société, sur sa boulimie consommatrice, son manque de sobriété qui n’a d’égal que sa vulgarité.
Bref, la monnaie fondante contrevient à l’une des fonctions primaires de la monnaie définit par Aristote : « La réserve de valeur »
Une monnaie fondante pourrait-elle abolir la thésaurisation ?
Non. La thésaurisation consiste à stocker de la valeur, or, si vous savez que la valeur d’une monnaie est instable, qu’elle se déprécie avec le temps, mais que vous souhaitez néanmoins « conserver » cette « valeur » pour l’avenir, vous trouverez un moyen détourné de « conserver » cette « valeur » : vous achèterez des métaux précieux ou diverses choses de valeur que vous pourrez revendre lorsque vous aurez besoin de cette valeur « épargnée » par la dépréciation de la monnaie.
Une monnaie fondante pourrait-elle stimuler l’investissement ?
Non. En effet, lorsqu’une monnaie perd 10% de sa valeur par an, il faut au minimum que l’investissement rapporte plus de 10% pour être préféré à la thésaurisation… sans parler du risque que l’investissement soit infructueux. Abolir l’investissement revient à abolir la création d’entreprise… or, sans création d’entreprise l’économie (et avec elle la société) s’asphyxie.
Une monnaie fondante pourrait-elle stimuler la consommation ?
Non. Elle ruinerait l’épargne des ménages et comme nous l’avons vu plus haut, elle encouragerait la thésaurisation (physique) contre l’investissement, cela anéantirait l’économie et avec elle : la consommation.

Quelle monnaie pour l’avenir ?
La monnaie qu’il faudrait « penser » serait, probablement, une monnaie assise sur la valeur des matières premières :
  • Matières premières renouvelables (énergies renouvelables, agriculture et diverses cultures…)
  • Matières semi-renouvelables (le bois, les ressources halieutiques…)
  • Matières non renouvelables (métaux, minéraux, énergies fossiles…)
Idéalement, les éventuelles variations de valeurs monétaires ne seraient fonction que de la productivité (elle-même soumise à divers facteurs tels que les énergies fossiles…).
Ainsi, lorsque la productivité augmenterait (comme c’est le cas depuis plus d’un siècle), la valeur de cette monnaie augmenterait.
De la même manière, si la productivité diminuait (du fait, par exemple, de notre incapacité à surmonter l’épuisement des énergies fossiles), la valeur de cette monnaie se déprécierait.
Avec une monnaie "neutre", les comportements économiques seraient réaffirmés :
Le thésauriseur  : un pessimiste qui craint l’avenir, un individualiste dont « l’épargne » économique n’est qu’un moyen de se protéger du monde.
L’investisseur : un optimiste dont « l’épargne » économique est un « tremplin » économique qui lui permettra d’améliorer le monde et/ou de satisfaire sa volonté de puissance économique.
Le consommateur : un jouisseur invétéré qui ne se soucie pas de l’avenir.
En réalité, comme pour la cigale et la fourmi, aucun de ces rôles ne doit être préféré. Chacun d’entre nous a une part de cigale et de fourmi, une part de thésauriseur, d’investisseur et de consommateur. Nous devons nous méfier du manichéisme et être des individus équilibrés.

  1. Doit-on renoncer à la monnaie ?
Dans le débat auquel j’ai participé avec l’équipe de Cause Toujours ( https://www.youtube.com/watch?v=_rP... ), nous avons entamé ce débat sur « l’après-monnaie » avec la problématique : Est-ce que l’on peut se passer de monnaie ? Sous-entendu, Est-ce possible ?
La réponse est évidemment oui : C’est possible. Nous pourrions certainement trouver le moyen de vivre sans monnaie… Nos ancêtres y parvenaient et, aujourd’hui encore, certaines communautés y parviennent (http://www.arche-nonviolence.eu/communautes.php)
En ce qui me concerne, le débat qui devrait avoir lieu, si l’on décidait de renoncer à la monnaie, serait : Est-ce que l’on doit se passer de monnaie ? Sous-entendu, Est-ce souhaitable ? Personnellement, je ne crois pas que ce soit souhaitable.
Les arguments avancés lors du débat :
  • Tandis que je soutenais que le travail était un labeur qui méritait une « contrepartie sociale » qui s’incarne aujourd’hui dans la monnaie. On m’opposa que « Le travail* peut être un plaisir » :
Etymologie de travail : En ancien français travail (« tourment, souffrance ») (XIIe siècle) / bas latin (VIe siècle) tripálĭus du latin tripálĭum (« instrument de torture à trois poutres »).
L’un des phantasmes contemporains, certainement issu du capitalisme (Cf au livre de F. Lordon, « Capitalisme, désir et servitude »), consisterait à nous faire aimer notre travail et notre servitude. Malheureusement, par nature, le travail est globalement quelque chose de déplaisant. Je ne dis pas qu’il est impossible de prendre plaisir à son travail. Je dis que, pour une majorité de personne, pour la majorité du temps, le travail est un labeur qui demande des efforts et une motivation et qui est une source d’ennui et/ou de souffrance. L’un des rôles majeurs de la dette/monnaie est notamment de rendre la société redevable du labeur des travailleurs.
  • « L’argent de l’état (pour payer les impôts) a toujours été imposé de force aux populations. »
Dans notre imaginaire l’expression « imposé de force » ferait référence à une force physique, une menace armée… En ce qui me concerne, l’argent n’est pas véritablement imposé par la force mais il est imposé par le rouage administratif de l’État. Néanmoins, dès lors que nous ne sommes pas en démocratie toutes les décisions prises par la puissance publiques sont « imposées » ( ? de force ?) par l’état à la société, c’est-à-dire aux populations.
  • « L’argent [c’est-à-dire la monnaie] doit être « rare » et cela entraine de l’inégalité ».
Ici, le lien de causalité n’est pas rigoureux. En effet, il n’est pas inconcevable d’imaginer une monnaie « rare » mais « équitablement » répartie par l’intermédiaire de divers mécanismes (Impôts…).
  • « Les bons comptes font les bons amis, ce n’est absolument pas vrai, en fait ça [la monnaie] tue les relations sociales »
Je crois que c’est faux. De mon point de vue, si l’on supprime la « dette » et la « monnaie », les dons prodigués à autrui se matérialiseront en « obligations morales » (Cf l’extrait du livre « Dette 5000 ans d’histoire » cité en introduction.). Nos relations sociaux-affectives sont déjà (sur)chargées « d’obligations morales », par exemple rester fidèle lorsque l’on est en couple, se montrer empathiques et loyaux avec nos proches, respecter les lois et règlements divers, travailler et aimer son travail, respecter les traditions et/ou les religions, respecter la parole des autres, être ni trop timides/muets/laxistes, ni trop exubérants/bavards/autoritaires, être propre et ne pas sentir mauvais…
Bref, nos obligations morales sont déjà considérables or, ce que permet l’argent, c’est notamment de nous affranchir de certaines de nos obligations morales* en les matérialisant sous forme de dette. Cela ne veut pas dire que les gens renonceront à faire preuve de générosité par l’intermédiaire de dons ou de bénévolat (et pour cause, les dons et le bénévolat existent dans nos sociétés), cela signifie qu’ils ont le choix d’être rémunéré pour les biens et services qu’ils prodiguent ou d’offrir ces biens et services à titre gratuit (dons ou bénévolat).
*Nos obligations morales inhérentes à certains biens et services.
  • « Si l'on considère le pouvoir politique comme étant la capacité d'une personne à influer sur la société alors le pouvoir lié à la possession d'argent est un pouvoir politique »
Effectivement si l’on définit le pouvoir politique comme la capacité d’une personne à influer sur la société, alors la possession d’argent est un pouvoir politique… Néanmoins, si « pouvoir politique = influer sur la société », on ne sera jamais égaux car nous ne sommes pas égaux par nature. Il y aura toujours des gens plus éloquents, plus intelligents, plus charismatiques : ces inégalités de fait sont autant d’inégalités sur l’influence dont nous sommes capables sur la société, donc autant de facteurs d’inégalité politique. En ce qui me concerne, je définis « l’égalité politique » par « l’égalité dans le gouvernement de la cité ». (http://www.toupie.org/Dictionnaire/Egalite.htm + http://www.toupie.org/Dictionnaire/...) Or, je pense qu’il est nécessaire de dissocier clairement le « gouvernement de la cité » et la « vie économique », c’est-à-dire des entreprises individuelles et collectives de toutes natures. Il y aura toujours des personnalités plus influentes que d’autres dans une société pour des raisons financières, personnelles ou autres... Je crois que c’est une erreur sémantique de définir « l’égalité politique » par « l’influence dans la société ».
  • « Ce n'est pas parce qu'une personne a travaillé plus pour la société qu'elle doit avoir plus de pouvoir politique qu'une autre personne. »
Je suis d’accord avec cette déclaration si l’on considère que « politique » = « gouvernement de la cité ». Néanmoins, si tu continues de considérer que « politique » = « influence sociale », je crois qu’une personne qui travaille « plus » a droit à une rémunération économique (et non un « accroissement de pouvoir politique ») plus importante. Ce surcroit de rémunération économique conduirait à un léger surcroit d’influence/pouvoir social, car ce surcroit de rémunération économique serait le fruit du surcroit de son labeur…
  • « L'argent nous conduit inévitablement vers une aristocratie. »
Je ne suis pas d’accord avec cette déclaration. Nous sommes dans une aristocratie élective car cela a été décidé il y a plus de deux cents ans. Si l’on analyse la « relative » démocratie athénienne, qui fonctionnait avec sa propre monnaie, c’est une guerre qui a mis fin à ce régime et non un glissement vers une aristocratie. En revanche, je veux bien admettre qu’un régime « aristocratique » a tendance à glisser vers un régime « ploutocratique » car il y a tôt ou tard collusion entre l’élite politique et l’élite économique (qui plus est lorsque les mandats sont renouvelables, cumulables et non révocables).

Note de fin
Je vous remercie d’avoir consulté cette épisode, le prochain traitera certainement du système monétaire et de la finance.
Pour ceux qui suivent régulièrement mes articles, je vous signale

  • Deux vidéos développées à partir de mes deux premiers articles :
Mon premier article-vidéo : "Chronique d'un éveil citoyen - Épisode 1 : L'électrochoc Dieudonné" : http://rutube.ru/video/72829306a1e69c7a67835f64794e71ff
Mon second article-vidéo : "Chronique d'un éveil citoyen - Épisode 2 : De Dieudonné jusqu'au sionisme" :
http://rutube.ru/video/ead8f0605ec71abd5a95b8bb212b7e83/

 

[1] Le livre de David Graeber, outre de nombreuses perspectives très intéressantes sur les relations des dettes sur les sociétés, est critiquable sur de nombreux points :
  1. Il indique que « La violence et la quantification sont intimement liées. De fait, il est pratiquement impossible de trouver l’une sans l’autre ». Je regrette profondément ce procédé dialectique manichéen qui consiste à attacher un sujet d’étude à « la violence » au moment de l’introduction et de la définition des termes. [C’est un procédé semblable qui conduit B. Friot à assimiler directement la notion économique de « travail » à la violence. Ici, je ne nie pas qu’une forme de violence existe dans la dette ou le travail mais il me semble inadéquat et moralisateur de lier des concepts aussi vastes et complexes que le travail ou la dette à la notion (tout aussi vaste et complexe) de violence.
  2. Il indique que « Ce n’est pas seulement la monnaie qui rend possible la dette : la monnaie et la dette entre en scène exactement au même moment. ». On peut admettre que l’acte de naissance de la dette est lié à celui de l’écriture, néanmoins D. Graeber manque de rigueur (particulièrement pour un anthropologue) lorsqu’il indexe l’existence de la monnaie sur la dette. En effet, il apparaît que « Les paléomonnaies ont pour fonction de satisfaire des obligations sociales ou rituelles. Elles servent à régler des naissances, des mariages et des deuils, à déclarer la guerre ou à faire la paix et à compenser des meurtres, des injures, des offenses et des dommages physiques ou moraux. Elles sont amenées à changer de mains selon les circonstances. Certaines obligations rituelles nécessitent la détention de paléomonnaies. Il est alors possible de les acheter ou de les emprunter. Les paléomonnaies consacrent des hiérarchies dans la société. Elles peuvent constituer des moyens de pouvoir. Les formes et les usages sont variés d’une société à l’autre, voire à l’intérieur d’une société. » (Source Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Monnaie)
  3. Il indique que « Les économistes distinguent en général trois fonctions de la monnaie : c’est une moyen d’échange, une unité de compte et un moyen de stocker de la valeur. » Ici encore, il y a manque de rigueur manifeste qui contribue à délégitimer les réflexions sur la monnaie en essayant de les cantonner à « la science économique ». Comme cela est évoqué plus haut, c’est Aristote qui, le premier, avait discerné la monnaie en tant que moyen d’échange, unité de compte et réserve de valeur. Dans son traité politique, ce philosophe de l’antiquité analysait les dimensions sociales, politiques, psychologiques, juridiques et économiques de la monnaie.
  4. Il indique que « Il est faux que nous ayons commencé par le troc, puis découvert la monnaie, et enfin développé des systèmes de crédit. L’évolution a eu lieu dans l’autre sens. La monnaie virtuelle comme nous l’appelons aujourd’hui est apparue la première. Les pièces de monnaie sont apparues bien plus tard, et leur usage s’est diffusé inégalement, sans jamais remplacer entièrement les systèmes de crédit. ». De mon point de vue cette prétendue « démystification » de D. Graeber est, en elle-même, une mystification ! Si, à notre connaissance, les premières pièces de monnaies (qui datent de 687 av. J.-C.) sont postérieures aux premières écritures/dettes livrées par la civilisation Sumer (6000-3500 avant J.C). Il est donc très peu rigoureux de réduire la « monnaie » aux « pièces de monnaie ». En effet, les palléomonnaies sont une partie intégrante de l’histoire de la monnaie, au sujet desquelles Wikipédia indique que : « Jean-Michel Servet a créé ce terme en 1979. Il désigne une monnaie primitive. La particule monnaie indique que les paléomonnaies remplissent les fonctions qui sont dévolues à une monnaie au sens élargi. Le préfixe paléo signifie qu’aux yeux de Servet ces monnaies ne sont pas des antécédents des monnaies actuelles mais des formes monétaires simples répondant aux besoins du milieu qui les produit. En cela, il rejoint les points de vue de Polanyi ou de Malinowski selon lequel la culture est un tout indivisible dans lequel prend place l’ensemble des institutions. ». En réalité, la « démystification » de D. Graeber confine à la confusion puisqu’il indique en (2.) que la monnaie et la dette entrent en scène « exactement au même moment » pour déclarer, plus tard, en (4.) que la dette, c’est-à-dire « La monnaie virtuelle comme nous l’appelons aujourd’hui est apparue la première ».

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