lundi 23 mars 2015

Chronique d’un éveil citoyen – Episode 8 : Comprendre le système monétaire, bancaire et financier

par Alban Dousset
lundi 26 janvier 2015  
Résumé de l’épisode précédent : Précédemment, je suis revenu sur les origines de la monnaie et ses trois caractéristiques fondamentales : unité de compte, réserve de valeur et intermédiaire des échanges. Dans cet article, j’expose les raisons qui me conduisent à penser que la monnaie ne doit ni disparaître ni devenir « fondante », c’est-à-dire abolir l’une de ses trois caractéristiques essentielles : la réserve de valeur. Enfin, l’article précédent rétablissait certaines déformations relevées dans l’ouvrage de David Graeber « Dette, 5000 ans d’histoire ».

La monnaie dette.
L’apparition des premières pièces de monnaie, mais surtout des premières papiers-monnaies, engendrent l’apparition de ce que l’on nomme « monnaie fiduciaire »[1].
Extrait Wikipédia[2] : « La monnaie fiduciaire est un instrument financier dont la valeur nominale est supérieure à la valeur intrinsèque  : la confiance (fiducia en latin) que lui accorde l'utilisateur comme valeur d'échange, moyen de paiement, et donc comme monnaie, repose sur un principe de garantie défendu par une institution centralisatrice.
[…]
On distingue plusieurs niveaux [de monnaie fiduciaire] :
  1. une monnaie sans valeur en elle-même, mais parfaitement convertible en un bien actuel dont la valeur ne fait aucun doute ; par exemple un billet de papier convertible en or, pourvu que le nombre de billets en circulation corresponde exactement au stock d'or. N'importe quel autre bien de valeur peut convenir aussi bien que l'or (par exemple le Rentenmark, qui permit de vaincre l'hyperinflation de la République de Weimar, avait été adossé à l'ensemble de l'économie allemande,à hauteur de 6 % de la valeur estimée en mark-or des entreprises). Le terme anglais correspondant est "representative money".
  2. une monnaie représentative d'une reconnaissance de dette par un agent économique en qui on a confiance, garantie ou non par une convertibilité, confiance soutenue par le fait que l'agent économique en question détient, ou détiendra prochainement (parce qu'il est engagé dans une opération rentable), suffisamment d'avoirs réels. Le terme anglais correspondant est "credit money".
  3. une monnaie absolument dépourvue d'un lien avec des actifs. Le terme anglais correspondant est "fiat money".
À noter que, selon la doctrine des effets réels, toute monnaie est de la credit money et n'a de valeur que grâce au capital dont elle représente une part.
Selon cette perspective, la fiat money n'existe donc pas : les monnaies modernes telles que l'euro ou le dollar sont soutenues par un capital réel, qui est le pouvoir de taxation (représentatif d'une dette des contribuables à l'égard des banques émettrices). »
Comme l’illustre très clairement le documentaire de Paul Grignon, nos monnaies modernes sont donc des « credit money » pouvant se traduire comme « monnaies-dettes ». Ces monnaies reposent d’une part sur la confiance qu’en ont ses utilisateurs (nationaux et internationaux), et d’autre part sur le pouvoir de taxation (incarné par l’État).
Après une explication pédagogique du système monétaire et bancaire, le documentaire pose diverses questions :
  1. Pourquoi est-ce-que les gouvernements choisissent d’emprunter de l’argent aux banques, avec intérêts, quand ils pourraient créer tout l’argent qu’il leur faut, sans intérêts ?
  2. Pourquoi créer de l’argent à partir du processus de dette ?
  3. Comment un système monétaire fondé sur l’augmentation perpétuelle (et exponentielle) de la croissance (économique) peut-il être compatible avec une économie durable ?
Un débat récent sur la monnaie met en scène Étienne Chouard, Stéphane Laborde qui soutient la TRM et Jean-Baptiste Bersac, un néochartaliste[3].
La TRM revient à une forme sophistiquée de monnaie fondante. Dans l’épisode précédent, j’ai indiqué les raisons qui me conduisent à écarter la solution d’une « monnaie fondante ».
Pour aller plus loin, j’ajouterai qu’une monnaie fondante ne peut être considérée comme une monnaie (économiquement parlant) puisqu’elle serait incapable de remplir sa fonction de « réserve de valeur », fonction qui sert précisément à définir une monnaie en économie.
Le chartalisme (et le néochartalisme) est un mouvement conceptuel auquel je n’adhère pas non plus. En effet, ce mouvement continue de concevoir la monnaie comme une « monnaie dette », c’est-à-dire une monnaie qui ne repose que sur la confiance et le pouvoir de taxation.
Extrait de Wikipédia[4] :« Dans le Chartalisme, la monnaie est principalement considérée comme un bon, un avoir, un coupon pour des taxes à payer. L'argent ainsi créé est appelé monnaie fiduciaire, sa valeur découle des taxes dont il permet de s'acquitter, puis du désir qu'ont les individus d'en épargner pour se les échanger avant même de payer ces taxes. L'État crée la monnaie en dépensant, et détruit cette monnaie en la taxant  : la fiscalité sert alors à revendiquer la monnaie et à contrôler la masse totale de monnaie en circulation. »
Le chartalisme me semble être l’essence même de la « monnaie dette » puisqu’il considère la monnaie comme une dette due à l’Etat, une monnaie dette.
De mon point de vue, la monnaie devrait se définir comme un outil économique soumis à l’intérêt général, garant d’une stabilité nécessairement assise sur des éléments physiques.
Une monnaie dette ne repose que sur la confiance des usagers et le pouvoir de taxation de l’État, c’est-à-dire d’un côté un « aléa psychologique » et de l’autre les mesures coercitives des institutions. Dans la théorie chartaliste, l’émission ou la destruction de la monnaie s’incarne directement dans l’état par l’intermédiaire des impôts (= destruction de monnaie) et des dépenses publiques (= création de monnaie). Néanmoins, le chartalisme diffère de notre système actuel puisque les banques centrales gèrent la quantité de monnaie de manière indépendante.
Toutefois, le fait que la monnaie soit soumise à une oligarchie politique (comme elle le serait dans un système dit « chartaliste ») ou à une oligarchie bancaire (comme c’est le cas aujourd’hui) m’apparaît d’un intérêt marginal puisque, en dernier ressort, l’intérêt de ces deux oligarchies convergent vers la domination du peuple.
Ici, on pourrait m’objecter qu’un chartalisme dans un système politique réellement démocratique (Cf.Étienne Chouard) serait nettement plus enviable qu’une monnaie soumise à une oligarchie bancaire.
C’est vrai.
C’est vrai que cela serait plus enviable… mais serait-ce idéal ?
Au même titre que nous devrions sortir d’un système politique oligarchique pour construire une vraie démocratie (Cf.Étienne Chouard), il m’apparaît que nous devrions sortir de la monnaie dette pour construire une monnaie vraiment représentative, une monnaie affranchie de sa tutelle politique, une monnaie qui ne pourrait pas être manipulée pour influencer l’économie, une monnaie qui appartiendrait directement au peuple [et non à ses représentants ou aux seuls citoyens intéressés par la politique], une monnaie qui se cantonnerait à son rôle économique et ses seules caractéristiques fondamentales (unité de compte, réserve de valeur et intermédiaire des échanges) et serait libérée du joug de la politique et des oligarchies économiques.
A ce stade de ma réflexion une monnaie représentative, dont le fonctionnement serait quasiment autonome, est la solution qui me paraît correspondre le mieux à l’intérêt général, au bien commun. Si votre opinion diverge sur ce point, je vous encourage vivement à me porter la contradiction en commentaire.

Le système bancaire et financier.
Comme cela est illustré dans le documentaire de Paul Grignon, l’argent que prêtent les banques n’implique pas nécessairement un dépôt en contrepartie.
Extrait de Wikipédia sur les réserves fractionnaires[5] : « Le système de réserves fractionnaires (on parle aussi de « couverture partielle ») désigne le droit pour une banque commerciale de prêter, par des jeux d'écritures, de l'argent qu'elle n'a pas et sur lequel, outre le remboursement par le débiteur, elle touchera des intérêts, sachant toutefois qu'elle devra se refinancer en collectant des dépôts pour maintenir son équilibre de bilan. »
Par ailleurs, les banques qui ont besoin de liquidités à court terme (malgré le système des réserves fractionnaires) peuvent également se refinancer auprès de leur banque centrale.
Extrait de Wikipédia sur le taux directeur[6] : « Les banques qui veulent se refinancer à court terme peuvent le faire en payant un intérêt sur la somme qu'elles empruntent auprès des banques centrales de leurs pays respectifs. Cet intérêt est calculé d'après le taux en cours à la BCE. Si ce taux d'intérêt est fort les banques vont limiter leurs crédits sachant que le refinancement leur sera coûteux ; elles auront le comportement inverse si ce taux d'intérêt est faible. »
Il est impératif, ici, de comprendre le système bancaire et financier en quelques mots :

  • Interconnectivité.
Les banques (nationales et internationales) se prêtent les unes aux autres directement (prêt/emprunt divers) ou par l’intermédiaire de divers mécanismes (tels que la titrisation).
Le système bancaire international est donc interconnecté et, puisque les banques maitrisent l’intégrité du système des paiements, elles ont un moyen de pression sur les oligarchies politiques qui leurs sont soumises pour beaucoup d’autres raisons.
De manière imagée, on pourrait comparer le système bancaire et politique à des grimpeurs encordés sur une paroi d’escalade : si l’un d’eux tombe, les autres sont obligés de supporter son poids ou de tomber avec lui. C’est exactement ce qu’il s’est passé avec la « crise des subprimes », lorsque le grimpeur des banques américaines est tombé, les autres grimpeurs (que sont les diverses banques internationales et leurs états) ont du encaisser le choc de cette chute (avec de la dette publique) sous peine d’être entrainés avec lui (le grimpeur des banques américaines).

  • Précarité
Cette précarité s’incarne notamment dans les produits dérivés[7].
« Selon une étude de décembre 2013 du cabinet AlphaValue, la valeur notionnelle des dérivés s’élevait à 693 tera dollars au premier semestre 2013 […] soit 10 fois le PIB mondial. »[8]
Cette précarité s'incarne également dans la distorsion entre l'économie réelle (En 2007 : 44 800 Md€, soit 2%) et l'économie financière (En 2007 : 2 024 800 Md€, soit 98%).


Il est nécessaire de se figurer la spéculation boursière et les produits dérivés comme un vaste casino.
Un casino dans lequel les joueurs (= les banques) auraient mis en jeu une quantité de jetons correspondant à 10 fois (ou 49 fois) la valeur de l’argent réel qui circule à l’extérieur du casino (l’économie réelle).
Tant que les joueurs restent dans le Casino pour jouer avec leurs jetons, cela ne pose aucun problème. Étrangement, à l’intérieur de ce Casino (= les marchés financiers), les paris se prennent sur des éléments extérieurs au Casino (= l’économie réelle).
Ainsi, lorsque l’économie réelle connait une croissance, cela peut permettre à tous les joueurs de gagner beaucoup de jetons. Malheureusement, lorsque l’économie entre en récession les joueurs commencent à perdre leurs jetons. Les problèmes surviennent lorsque les perdants doivent régler leur ardoise avec « l’argent réel » qui circule à l’extérieur du casino (= l’économie réelle).
Or, les joueurs (= les banques) devront emprunter cet argent à un ami (= l’État) en aggravant mécaniquement la pénurie de liquidités et la récession à l’extérieur du casino (= l’économique réelle) ce qui continuera d’aggraver les pertes des joueurs de casino (= marchés financiers) qui continuent malgré tout à parier sur l’économie réelle…

  • Dominance
Depuis les accords de Bretton Woods, le dollar n’est pas seulement la monnaie d’un pays, il est également la monnaie du monde.
Cela conduit les Etats-Unis à être le point névralgique du système monétaire international (lorsque le dollar tousse, c’est le monde qui s’enrhume). Cette position dominante a certainement favorisé l’impérialisme qui structure la géopolitique américaine (—> comment dire non à son banquier ?).
Elle conduit les États-Unis à être sujet à un aléa moral[9], c’est-à-dire la perspective qu'un agent (les États-Unis), isolé d'un risque, se comporte différemment que s'il était totalement lui-même exposé au risque.
Pour le dire simplement, si la monnaie des États-Unis n’était pas devenue le système monétaire lui-même, leur politique économique (désindustrialisation/tertiarisation de l’économie, déficits commerciaux), leur politique financière (dérégulation financière, abrogation du Glass-Steagall Act), leur politique budgétaire (déficit budgétaire et rachat massif des dettes publiques par la banque centrale) et leur politique internationale (interventionnisme et impérialisme) seraient nettement moins déviantes et nocives.
Les États-Unis seraient (beaucoup plus) redevables de leur dette publique vis-à-vis de leurs créanciers, de leur déficit commercial vis-à-vis de leurs partenaires commerciaux et de leurs interventions militaires vis-à-vis de la communauté internationale.

Cet article aurait certainement pu être plus précis, aborder la problématique du QE[10] (Quantitative Easing = Planche à billets), donner des perspectives politiques et historiques[11], etc.
Néanmoins, je m’arrête ici et attends avec impatience vos commentaires.

 

[1] Ce processus est parfaitement illustré par :
Le documentaire de Paul Grignon « l’argent dette » : https://www.youtube.com/watch?v=OoE...
Le dessin animé « Le rêve américain - L'histoire de la plus grande arnaque de tous les temps » (moins précis mais plus ludique) https://www.youtube.com/watch?v=QNb...
[3] Vidéo disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=kvjstlFaxUw
[7] Explication de ce qu’est un produit dérivé dans une vidéo de 2min : https://www.youtube.com/watch?v=zxK...
[8] Extrait d’un article d’alternative économique : http://alternatives-economiques.fr/...
[9] Définition Wikipédia de l’aléa moral : http://fr.Wikipedia.org/Wiki/Al%C3%...
[10] Pour cette problématique monétaire et financière, je recommande les interventions d’Olivier Delamarche :
 

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