Le 13 octobre 2009, cela faisait cent ans que Francisco Ferrer a été fusillé, suite à la Semaine tragique, pour faire taire ce pédagogue libertaire, initiateur de l’École moderne.
La question de l’éducation a toujours été au cœur de la pensée et de l’action des anarchistes. Elle est liée à la question de la liberté individuelle et collective, au refus de l’embrigadement, au développement des capacités de chacun, à la co-éducation, à la coopération. Les idées libertaires, en matière d’éducation, ont évolué en fonction des lieux et des époques mais on peut retrouver des constantes. On parle d’éducation intégrale, de méthodes plus que de résultats, d’apprentissage mutuel. On voit l’éducation comme un moyen sûr et pacifiste de transformation de la société. L’éducation libertaire est non autoritaire, non compétitive, autogestionnaire. Elle vise le développement des capacités de chacun, dans le respect des intérêts divers. Elle prépare les individus à prendre leur place dans la société, à être responsables. Elle est liée à la vie réelle, sociale, extérieure.
L’éducation intégrale
Il s’agit d’offrir aux individus, quels que soient leur origine, leur classe sociale ou leur sexe, le plein développement de leurs capacités physiques, intellectuelles et morales. Il y a correspondance entre la société visée et l’éducation, entre l’égalité sociale et l’éducation intégrale.
Autogestion et anti-autoritarisme
L’autogestion est le mode de fonctionnement de ces communautés éducatives. Elle permet d’associer la liberté à la responsabilité, en matière d’apprentissage, mais pour l’ensemble de la vie sociale aussi. L’autogestion favorise l’autonomie des individus. Apprendre et fonctionner en autogestion est à la base de toute organisation libertaire. L’autogestion s’inscrit dans un projet de société global. Avoir des pratiques non-directives en matière d’éducation ne suffit pas. La pédagogie libertaire ne se limite pas à quelques outils que l’on pourrait reprendre en partie seulement. C’est une démarche globale d’apprentissage, de prise de décision collective, d’organisation sociale.
Neutralité et endoctrinement
L’éducation traditionnelle n’est pas neutre (sans parler des écoles privées, religieuses). Elle vise à faire perdurer un système basé sur les inégalités et l’exclusion, la compétition et l’obligation. L’éducation libertaire ne vise pas à faire de petits anarchistes mais à vivre selon des règles construites collectivement.
Individualisme et socialisme
L’éducation doit-elle viser la liberté comme finalité ou utiliser la liberté comme moyen ? Cette dichotomie est artificielle. Car si la liberté est la finalité, elle se construit aussi dans les actes et dans les moyens utilisés. La pédagogie libertaire est un processus éducatif et un acte idéologique. C’est un processus de construction collective de la liberté.
Nature et pédagogie libertaire
L’École moderne de Ferrer est marquée par l’influence d’Élisée Reclus. La plupart des expériences éducatives maintenaient un lien privilégié avec la nature (naturisme, végétarisme). La pédagogie libertaire est aussi écologiste.
École ou pas
Les questions posées par l’éducation libertaire se posent aussi à l’ensemble de la société. En ce sens, on peut se demander si le lieu privilégié de l’éducation doit être une école. L’individu se construit avec ses pairs et son éducation se fait tout autant par la société, les règles communes, la famille, les proches. Si l’école est à questionner, la déscolarisation n’est pas pour autant synonyme de plus grande liberté, de meilleur épanouissement.
En 1993, sur l’île d’Oléron, l’expérience de l’école libertaire Bonaventure commence. Première dénomination qui soit venue à l’esprit : école libertaire. Effectivement, Bonaventure c’est un lieu mais c’est surtout un projet. Et au fil de ces quelques années d’existence, on est passé d’une école libertaire à une République éducative. Une république éducative, c’est une organisation collective, une vie sociale organisée par des règles et des conseils, c’est l’autogestion appliquée à l’éducation. En 2001, l’aventure s’est arrêtée mais elle reprend avec des projets d’Université populaire, de Réseau d’échange de savoirs, etc.
Une école peut aussi être un lieu de vie.
Une histoire de la pédagogie libertaire
L’histoire des idées éducatives libertaires est liée à l’histoire des idées socialistes. Elle puise ses racines chez les différents penseurs du XVIIIème siècle et après.
On peut citer Jean-Jacques Rousseau, dans l’Émile, qui sera critiqué par Bakounine pour sa conception naturaliste et individualiste de la liberté. Lors de la Révolution française, d’autres penseurs se penchèrent sur la question éducative :
- Babeuf, contre la dichotomie manuel/intellectuel, pour une éducation active ;
- Buonarroti, qui considérait l’éducation comme l’instrument révolutionnaire le plus efficace ;
- Godwin, pour une éducation intégrale partant des centres d’intérêts de l’enfant ;
- Owen, qui mena une expérience de vie coopérative.
Il nous faut aussi citer les socialistes utopiques : Saint-Simon, Jacotot, Cabet, Fourier, Considérant, Striner, qui ont nourri les critiques contre la pédagogie traditionnelle.
Et puis, il y a les anarchistes : Proudhon, Bakounine, Tolstoï, Paul Robin. Ce dernier mena, lui aussi, une expérience d’éducation intégrale à Cempuis, dans un orphelinat dont il avait la responsabilité. Paul Robin militait pour une bonne naissance (méthodes contraceptives, droit des femmes, néo malthusianisme), une bonne éducation (éducation intégrale physique, manuelle et intellectuelle) dans une bonne société (humanisme libertaire).
La question éducative est donc bien au cœur de la pensée et de la pratique anarchiste. On la retrouve chez Louise Michel, Élisée Reclus, Kropotkine, Anselmo Lorenzo, Domela Nieuwenhuis, Jean Grave. Ces réflexions s’appuient sur les idées libertaires mais aussi et surtout sur les pratiques, les expériences de pédagogie libertaire.
L’école moderne et Francisco Ferrer
Francisco Ferrer s’est élevé contre la main-mise de la religion sur l’école. Son parcours l’a mené d’un républicanisme anti clérical et un socialisme libre-penseur. Il entre en relation avec les anarchistes qui, en France, s’intéressent à l’éducation, notamment Paul Robin. Suite à un héritage, en 1901, il peut se lancer dans l’aventure et l’ouverture de l’École moderne, associée à d’autres activités : conférences, bulletins, publications, etc.
De nombreuses Écoles modernes vont alors être créées. Francisco Ferrer voyage et se lie avec toutes les expériences d’écoles rationalistes. En 1909, une insurrection, qui deviendra la Semaine tragique, éclate à Barcelone. Il s’agissait d’un mouvement de refus de la circonscription pour les guerres coloniales. Les symboles de l’Église sont attaqués. Ferrer sera arrêté et condamné comme instigateur de ces actes de révolte bien qu’il n’y soit pas mêlé. Le célèbre pédagogue Decroly va alors entamer une campagne de solidarité internationale en faveur de Francisco Ferrer. Malgré cela, Ferrer sera jugé coupable et fusillé à la forteresse de Montjuich.
Les réalisations de l’école moderne sont connues à travers l’œuvre de Ferrer mais aussi à travers divers articles sur la pédagogie libertaire (Reclus, Faure, Kropotkine). Elles ont trouvé un écho favorable dans une société espagnole en crise : crise du système politique ; crise économique, qui précipita la grève générale de 1902 ; crise des consciences (anti cléricalisme et progression de l’esprit scientifique) ; influence oppressive de l’armée et de l’église ultra réactionnaire.
Au niveau international, nous avons déjà évoqué les sources d’influence de Ferrer. Il nous faut encore citer Pestalozzi, qui mena des expériences éducatives alternatives, notamment à Iverdon (1805-1825), et Frögel qui, à sa suite, créa un jardin d’enfants en 1839. La part importante donnée au jeu, au sport et au respect de la nature en sont des éléments distinctifs.
Pour Francisco Ferrer, éducation et révolution sont intimement liées. Sans éducation, la révolution ne peut pas triompher. Sans révolution, le projet d’émancipation porté par l’éducation ne peut être totalement réalisé. L’éducation est un véritable enjeu de société, et ça, la bourgeoisie le sait. Pour Ferrer, l’éducation doit être basée sur la science et non sur le patriotisme ou les dogmes religieux. La co-éducation est essentielle : mixité sociale et sexuelle. L’éducation ne peut être étatique. Elle laisse une part importante au jeu et à toutes les activités qui favorisent le plein développement de l’être humain. Les sanctions et récompenses sont supprimées. L’enseignement est profondément laïque et humaniste. Toutes violences et inégalités de traitement sont prohibées.
L’école moderne va gagner en prestige et susciter l’intérêt de nombreux pédagogues. L’école était pourvue de tout un ensemble de matériel éducatif car les activités scolaires se basaient sur les expériences et les cours en plein air. Il y avait aussi de nombreux livres dans la bibliothèque de l’école. L’éducation était individualisée. On mettait en avant l’hygiène et l’éducation à la santé. On favorisait l’altruisme, la solidarité et la tolérance. On établissait des correspondances avec d’autres écoles.
L’école en direction des enfants n’était pas tout. Il y avait aussi un centre culturel pour adultes avec bibliothèque, cours du soir, débats ; des journaux. L’éducation était mutuelle.
Quelle influence de l’École moderne ?
On voit bien que certains thèmes défendus par Ferrer, et d’autres, sont désormais entrés dans les mœurs. Pourtant, il s’agissait bien de véritables combats et l’on n’est pas certains de ne pas avoir à mener de nouveau ces combats pour la laïcité, la mixité, notamment.
Toutes les idées de Francisco Ferrer sont à la base de l’éducation libertaire et de la pédagogie rationaliste. Elles ont marqué les expériences d’éducation alternative qui ont suivi. À partir de 1910, avec la fondation de la CNT en Espagne, de nombreuses expériences éducatives vont être menées.
En 1904, Sébastien Faure va mener une expérience d’éducation libertaire, La Ruche. Influencé par l’éducation intégrale de Paul Robin et l’éducation permanente de Proudhon, Sébastien Faure va mettre en pratique les éléments de la pédagogie libertaire : méthode scientifique, co éducation, autonomie, culture générale et technique.
En 1921, A. S. Neil va créer l’école de Summerhill. On ne parle pas de pédagogie libertaire mais d’expérience éducative anti-autoritaire. L’éducation est basée sur la liberté. On applique les méthodes non-directives et on s’appuie sur les thèses de Wilhelm Reich : bonté naturelle, le bonheur comme finalité, l’amour et le respect comme base commune, l’importance du corps et de la sexualité.
En 1936, la révolution espagnole va permettre la mise en œuvre, à grande échelle, des principes d’éducation, mais aussi d’organisation, libertaires. Des écoles rationalistes furent créées ; des bibliothèques, des centres culturels, des athénées, etc. La CNT va tenter d’influer sur la décisions politiques en matière d’éducation en laissant la place à l’autonomie et à l’autogestion.
Aujourd’hui encore, des expériences alternatives se revendiquent de Francisco Ferrer. C’est le cas de l’école libre Paideia, en Espagne. La Paideia est une école alternative où les étudiants et les étudiantes organisent leur temps et coexistence en collaboration avec les éducateurs, une école se gérant par l’assemblée et partant de l’idée d’une liberté responsable (éthique) et d’un développement appuyé par la communauté (et non dirigée). Située à Mérida (dans la région de Badajoz), les étudiants coexistent dans l’école durant toute la journée (ils y mangent aussi) entre enfants de 18 mois à 16 ans, éducateurs, collaborateurs et observateurs.
L’école a une liste de principes considérés comme fondamentaux et que tous et toutes doivent accepter :
- le refus du principe d’autorité,
- la lutte contre la violence, la compétitivité et le consumérisme,
- chercher à fomenter la coopération et le développement d’une critique de l’univers social dans lequel nous vivons avec une perspective anarchiste.
L’assemblée est la pierre angulaire de l’éducation libertaire, qui peut faire surgir la spontanéité, la liberté et la communication libre entre les personnes. L’expérience de Paideia s’est mise en marche le 9 janvier 1978 et, avec trente années d’activité, elle a subi de nombreux changements ; du changements de titre de leur bulletin (à l’origine L’Asamblea et, en 2006, Rachas) jusqu’aux changements fondamentaux qui ont affecté l’organisation à l’interne et à l’externe. Le collectif est la base des décisions et du fonctionnement, s’organisant par la forme assembléiste et par commissions de personnes d’âges distincts. Les enfants choisissent librement ce sur quoi ils et elles veulent travailler et, s’ils et elles ne le terminent pas, en délèguent la liberté aux autres.
« Nous rejoignons la ligne de Ferrer. Au départ, nous avons également participé à la ligne de Mella, mais nous avons vu que si nous attachions pas notre idéologie à l’expérience, la société y introduirait la sienne ; (...). Nous essayons que les garçons et les filles s’instruisent de telle manière qu’ils et qu’elles puissent vivre avec les valeurs de l’anarchie, qu’elles et ils puissent choisir avec autodétermination quelle forme de vie elles et ils veulent et qu’ils et qu’elles puissent créer de nouvelles façons de changer cette société. »
La question de l’éducation a toujours été au cœur de la pensée et de l’action des anarchistes. Elle est liée à la question de la liberté individuelle et collective, au refus de l’embrigadement, au développement des capacités de chacun, à la co-éducation, à la coopération. Les idées libertaires, en matière d’éducation, ont évolué en fonction des lieux et des époques mais on peut retrouver des constantes. On parle d’éducation intégrale, de méthodes plus que de résultats, d’apprentissage mutuel. On voit l’éducation comme un moyen sûr et pacifiste de transformation de la société. L’éducation libertaire est non autoritaire, non compétitive, autogestionnaire. Elle vise le développement des capacités de chacun, dans le respect des intérêts divers. Elle prépare les individus à prendre leur place dans la société, à être responsables. Elle est liée à la vie réelle, sociale, extérieure.
L’éducation intégrale
Il s’agit d’offrir aux individus, quels que soient leur origine, leur classe sociale ou leur sexe, le plein développement de leurs capacités physiques, intellectuelles et morales. Il y a correspondance entre la société visée et l’éducation, entre l’égalité sociale et l’éducation intégrale.
Autogestion et anti-autoritarisme
L’autogestion est le mode de fonctionnement de ces communautés éducatives. Elle permet d’associer la liberté à la responsabilité, en matière d’apprentissage, mais pour l’ensemble de la vie sociale aussi. L’autogestion favorise l’autonomie des individus. Apprendre et fonctionner en autogestion est à la base de toute organisation libertaire. L’autogestion s’inscrit dans un projet de société global. Avoir des pratiques non-directives en matière d’éducation ne suffit pas. La pédagogie libertaire ne se limite pas à quelques outils que l’on pourrait reprendre en partie seulement. C’est une démarche globale d’apprentissage, de prise de décision collective, d’organisation sociale.
Neutralité et endoctrinement
L’éducation traditionnelle n’est pas neutre (sans parler des écoles privées, religieuses). Elle vise à faire perdurer un système basé sur les inégalités et l’exclusion, la compétition et l’obligation. L’éducation libertaire ne vise pas à faire de petits anarchistes mais à vivre selon des règles construites collectivement.
Individualisme et socialisme
L’éducation doit-elle viser la liberté comme finalité ou utiliser la liberté comme moyen ? Cette dichotomie est artificielle. Car si la liberté est la finalité, elle se construit aussi dans les actes et dans les moyens utilisés. La pédagogie libertaire est un processus éducatif et un acte idéologique. C’est un processus de construction collective de la liberté.
Nature et pédagogie libertaire
L’École moderne de Ferrer est marquée par l’influence d’Élisée Reclus. La plupart des expériences éducatives maintenaient un lien privilégié avec la nature (naturisme, végétarisme). La pédagogie libertaire est aussi écologiste.
École ou pas
Les questions posées par l’éducation libertaire se posent aussi à l’ensemble de la société. En ce sens, on peut se demander si le lieu privilégié de l’éducation doit être une école. L’individu se construit avec ses pairs et son éducation se fait tout autant par la société, les règles communes, la famille, les proches. Si l’école est à questionner, la déscolarisation n’est pas pour autant synonyme de plus grande liberté, de meilleur épanouissement.
En 1993, sur l’île d’Oléron, l’expérience de l’école libertaire Bonaventure commence. Première dénomination qui soit venue à l’esprit : école libertaire. Effectivement, Bonaventure c’est un lieu mais c’est surtout un projet. Et au fil de ces quelques années d’existence, on est passé d’une école libertaire à une République éducative. Une république éducative, c’est une organisation collective, une vie sociale organisée par des règles et des conseils, c’est l’autogestion appliquée à l’éducation. En 2001, l’aventure s’est arrêtée mais elle reprend avec des projets d’Université populaire, de Réseau d’échange de savoirs, etc.
Une école peut aussi être un lieu de vie.
Une histoire de la pédagogie libertaire
L’histoire des idées éducatives libertaires est liée à l’histoire des idées socialistes. Elle puise ses racines chez les différents penseurs du XVIIIème siècle et après.
On peut citer Jean-Jacques Rousseau, dans l’Émile, qui sera critiqué par Bakounine pour sa conception naturaliste et individualiste de la liberté. Lors de la Révolution française, d’autres penseurs se penchèrent sur la question éducative :
- Babeuf, contre la dichotomie manuel/intellectuel, pour une éducation active ;
- Buonarroti, qui considérait l’éducation comme l’instrument révolutionnaire le plus efficace ;
- Godwin, pour une éducation intégrale partant des centres d’intérêts de l’enfant ;
- Owen, qui mena une expérience de vie coopérative.
Il nous faut aussi citer les socialistes utopiques : Saint-Simon, Jacotot, Cabet, Fourier, Considérant, Striner, qui ont nourri les critiques contre la pédagogie traditionnelle.
Et puis, il y a les anarchistes : Proudhon, Bakounine, Tolstoï, Paul Robin. Ce dernier mena, lui aussi, une expérience d’éducation intégrale à Cempuis, dans un orphelinat dont il avait la responsabilité. Paul Robin militait pour une bonne naissance (méthodes contraceptives, droit des femmes, néo malthusianisme), une bonne éducation (éducation intégrale physique, manuelle et intellectuelle) dans une bonne société (humanisme libertaire).
La question éducative est donc bien au cœur de la pensée et de la pratique anarchiste. On la retrouve chez Louise Michel, Élisée Reclus, Kropotkine, Anselmo Lorenzo, Domela Nieuwenhuis, Jean Grave. Ces réflexions s’appuient sur les idées libertaires mais aussi et surtout sur les pratiques, les expériences de pédagogie libertaire.
L’école moderne et Francisco Ferrer
Francisco Ferrer s’est élevé contre la main-mise de la religion sur l’école. Son parcours l’a mené d’un républicanisme anti clérical et un socialisme libre-penseur. Il entre en relation avec les anarchistes qui, en France, s’intéressent à l’éducation, notamment Paul Robin. Suite à un héritage, en 1901, il peut se lancer dans l’aventure et l’ouverture de l’École moderne, associée à d’autres activités : conférences, bulletins, publications, etc.
De nombreuses Écoles modernes vont alors être créées. Francisco Ferrer voyage et se lie avec toutes les expériences d’écoles rationalistes. En 1909, une insurrection, qui deviendra la Semaine tragique, éclate à Barcelone. Il s’agissait d’un mouvement de refus de la circonscription pour les guerres coloniales. Les symboles de l’Église sont attaqués. Ferrer sera arrêté et condamné comme instigateur de ces actes de révolte bien qu’il n’y soit pas mêlé. Le célèbre pédagogue Decroly va alors entamer une campagne de solidarité internationale en faveur de Francisco Ferrer. Malgré cela, Ferrer sera jugé coupable et fusillé à la forteresse de Montjuich.
Les réalisations de l’école moderne sont connues à travers l’œuvre de Ferrer mais aussi à travers divers articles sur la pédagogie libertaire (Reclus, Faure, Kropotkine). Elles ont trouvé un écho favorable dans une société espagnole en crise : crise du système politique ; crise économique, qui précipita la grève générale de 1902 ; crise des consciences (anti cléricalisme et progression de l’esprit scientifique) ; influence oppressive de l’armée et de l’église ultra réactionnaire.
Au niveau international, nous avons déjà évoqué les sources d’influence de Ferrer. Il nous faut encore citer Pestalozzi, qui mena des expériences éducatives alternatives, notamment à Iverdon (1805-1825), et Frögel qui, à sa suite, créa un jardin d’enfants en 1839. La part importante donnée au jeu, au sport et au respect de la nature en sont des éléments distinctifs.
Pour Francisco Ferrer, éducation et révolution sont intimement liées. Sans éducation, la révolution ne peut pas triompher. Sans révolution, le projet d’émancipation porté par l’éducation ne peut être totalement réalisé. L’éducation est un véritable enjeu de société, et ça, la bourgeoisie le sait. Pour Ferrer, l’éducation doit être basée sur la science et non sur le patriotisme ou les dogmes religieux. La co-éducation est essentielle : mixité sociale et sexuelle. L’éducation ne peut être étatique. Elle laisse une part importante au jeu et à toutes les activités qui favorisent le plein développement de l’être humain. Les sanctions et récompenses sont supprimées. L’enseignement est profondément laïque et humaniste. Toutes violences et inégalités de traitement sont prohibées.
L’école moderne va gagner en prestige et susciter l’intérêt de nombreux pédagogues. L’école était pourvue de tout un ensemble de matériel éducatif car les activités scolaires se basaient sur les expériences et les cours en plein air. Il y avait aussi de nombreux livres dans la bibliothèque de l’école. L’éducation était individualisée. On mettait en avant l’hygiène et l’éducation à la santé. On favorisait l’altruisme, la solidarité et la tolérance. On établissait des correspondances avec d’autres écoles.
L’école en direction des enfants n’était pas tout. Il y avait aussi un centre culturel pour adultes avec bibliothèque, cours du soir, débats ; des journaux. L’éducation était mutuelle.
Quelle influence de l’École moderne ?
On voit bien que certains thèmes défendus par Ferrer, et d’autres, sont désormais entrés dans les mœurs. Pourtant, il s’agissait bien de véritables combats et l’on n’est pas certains de ne pas avoir à mener de nouveau ces combats pour la laïcité, la mixité, notamment.
Toutes les idées de Francisco Ferrer sont à la base de l’éducation libertaire et de la pédagogie rationaliste. Elles ont marqué les expériences d’éducation alternative qui ont suivi. À partir de 1910, avec la fondation de la CNT en Espagne, de nombreuses expériences éducatives vont être menées.
En 1904, Sébastien Faure va mener une expérience d’éducation libertaire, La Ruche. Influencé par l’éducation intégrale de Paul Robin et l’éducation permanente de Proudhon, Sébastien Faure va mettre en pratique les éléments de la pédagogie libertaire : méthode scientifique, co éducation, autonomie, culture générale et technique.
En 1921, A. S. Neil va créer l’école de Summerhill. On ne parle pas de pédagogie libertaire mais d’expérience éducative anti-autoritaire. L’éducation est basée sur la liberté. On applique les méthodes non-directives et on s’appuie sur les thèses de Wilhelm Reich : bonté naturelle, le bonheur comme finalité, l’amour et le respect comme base commune, l’importance du corps et de la sexualité.
En 1936, la révolution espagnole va permettre la mise en œuvre, à grande échelle, des principes d’éducation, mais aussi d’organisation, libertaires. Des écoles rationalistes furent créées ; des bibliothèques, des centres culturels, des athénées, etc. La CNT va tenter d’influer sur la décisions politiques en matière d’éducation en laissant la place à l’autonomie et à l’autogestion.
Aujourd’hui encore, des expériences alternatives se revendiquent de Francisco Ferrer. C’est le cas de l’école libre Paideia, en Espagne. La Paideia est une école alternative où les étudiants et les étudiantes organisent leur temps et coexistence en collaboration avec les éducateurs, une école se gérant par l’assemblée et partant de l’idée d’une liberté responsable (éthique) et d’un développement appuyé par la communauté (et non dirigée). Située à Mérida (dans la région de Badajoz), les étudiants coexistent dans l’école durant toute la journée (ils y mangent aussi) entre enfants de 18 mois à 16 ans, éducateurs, collaborateurs et observateurs.
L’école a une liste de principes considérés comme fondamentaux et que tous et toutes doivent accepter :
- le refus du principe d’autorité,
- la lutte contre la violence, la compétitivité et le consumérisme,
- chercher à fomenter la coopération et le développement d’une critique de l’univers social dans lequel nous vivons avec une perspective anarchiste.
L’assemblée est la pierre angulaire de l’éducation libertaire, qui peut faire surgir la spontanéité, la liberté et la communication libre entre les personnes. L’expérience de Paideia s’est mise en marche le 9 janvier 1978 et, avec trente années d’activité, elle a subi de nombreux changements ; du changements de titre de leur bulletin (à l’origine L’Asamblea et, en 2006, Rachas) jusqu’aux changements fondamentaux qui ont affecté l’organisation à l’interne et à l’externe. Le collectif est la base des décisions et du fonctionnement, s’organisant par la forme assembléiste et par commissions de personnes d’âges distincts. Les enfants choisissent librement ce sur quoi ils et elles veulent travailler et, s’ils et elles ne le terminent pas, en délèguent la liberté aux autres.
« Nous rejoignons la ligne de Ferrer. Au départ, nous avons également participé à la ligne de Mella, mais nous avons vu que si nous attachions pas notre idéologie à l’expérience, la société y introduirait la sienne ; (...). Nous essayons que les garçons et les filles s’instruisent de telle manière qu’ils et qu’elles puissent vivre avec les valeurs de l’anarchie, qu’elles et ils puissent choisir avec autodétermination quelle forme de vie elles et ils veulent et qu’ils et qu’elles puissent créer de nouvelles façons de changer cette société. »
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