Dans la république monarchique qui est la nôtre, le président de la
République court moins le risque d’être républicain que celui de devenir
monarque. Le républicain sait qu’il est au service de l’Etat ; le
monarque veut que l’Etat soit à son service.
Le jeune Emmanuel
Macron est entré sabre au clair dans la République en faisant savoir
qu’il la restaurerait après les longs mandats présidentiels qui l’ont
mise à mal. Mitterrand fut traître à la gauche, Chirac traître au
gaullisme, Sarkozy traître à Chirac et Hollande traître à Mitterrand…
Depuis la vente de la France à l’Etat maastrichien, la République est en
lambeaux.
Quelques naïfs ont cru que le trentenaire couronné
parviendrait à tordre le bâton dans l’autre sens en ignorant qu’il faut
un tempérament de fer, un caractère d’acier et, surtout, une éthique
impeccable, pour ne pas succomber à la tentation de ne plus voir le
monde que médiatisé par les courtisans – une tentation à laquelle il
avait déjà succombé avant d’accéder à la magistrature suprême.
Et
puis comment inverser la vapeur quand on conduit dans la même direction
et pour le même terminus le même train que ces quatre derniers
présidents qui, tous, bradent la Nation au profit de l’Etat maastrichien
qui ingère, digère et excrète les Nations sans aucun état d’âme, parce
que c’est dans la nature de son projet et dans la logique de son
fonctionnement ?
Cet homme qui voulait être Jeanne d’Arc se
comporte comme l’évêque Cauchon, cette personne qui voulait être de
Gaulle pense et agit comme René Coty, ce communicant qui avait promis
une parole rare verbigère sous lui, ce modeste qui voulait être Jupiter
n’est rien d’autre que Triboulet, le bouffon des Rois de Bruxelles.
Le voilà aujourd’hui monarque pour le moins glorieux de la monarchie :
les vices de la cour, les prébendes offertes aux plus offerts, le règne
des courtisans visqueux, l’attribution des passe-droits, l’octroi des
faveurs, les privilèges accordés, les dépenses de l’argent des gueux en
soirées privées et somptuaires, les fêtes avec des voyous payées avec
l’argent du contribuable, les commandes de vaisselles précieuses ou la
construction d’une vasque dans un château inscrit aux monuments
historiques afin de recueillir les ablutions estivales du roi et de ses
favoris…
Ça n’est plus désormais la Pléiade du général de Gaulle
qu’il faut arborer ostensiblement sur le bureau de la photo officielle
avec un grand renfort de communicants pour expliquer le rébus, mais les
Mémoires de Saint-Simon qui rapportent dans le détail la fange de ces
régimes de caprices. Mais je m’égare : le jeune homme président avait
également choisi pour son bureau Gide et son Nathanaël à qui la ferveur
avait été enseignée, et Stendhal dont le beylisme est une école
d’égotisme, de jouissance solitaire et de bonheur sans autrui, voire
contre ou malgré lui… En même temps l’auteur des Mémoires de guerre et
l’auteur de Corydon. Comprenne qui pourra. Pour ma part, j’avais
compris.
Et voici qu’arrive l’affaire Benalla… Pour ceux qui
n’auraient pas encore compris, il est encore temps, l’heure est venue.
Je résume à l’usage de ceux qui ne sauraient pas encore : le jeune
Alexandre Benalla, il a vingt sept ans, est couvert de cadeaux par le
jeune président. On se demande bien pour quelles raisons ! Cet homme
dont les lettres de noblesse consistent à avoir été gros bras chez les
socialistes (où il y a tant de petits bras ou de bras cassés…) du temps
de Martine Aubry et de François Hollande, était impétueux, fougueux,
ardent, embrasé, brûlant – autant de vertus qui semblent ravir Emmanuel
Macron.
Mais pas Arnaud Montebourg qui l’a congédié une semaine
après l’avoir embauché parce que ce chauffeur surchauffé avait commis un
accident, ce qui est une chose, mais avait enchaîné sur une tentative
de délit de fuite, ce qui en est une autre. Est-ce pareil homme
qu’Emmanuel Macron doit couvrir de cadeaux ? Et si oui, pour quelles
raisons ?
Car des cadeaux, il en recevait, jusqu’à cette vidéo
fort opportunément mise en circulation sur les réseaux sociaux par
d’aucuns qui doivent avoir de bonnes raisons de lui en vouloir - des
raisons publiques, bien sûr, mais peut-être aussi des raisons privées.
Tant de faveurs accordées ne cessent d’interroger.
Car cet homme
disposait Quai de Branly d’un somptueux appartement de fonction
(tellement somptueux qu’il était celui qu’occupait la famille illégitime
du président Mitterrand…), d’une voiture de luxe avec tous les
dispositifs qui permettent de se déplacer facilement et rapidement dans
Paris grâce à des gyrophares de VIP, d’un chauffeur pour le véhiculer,
d’un salaire très confortable de haut-fonctionnaire, autrement dit, de
toutes les faveurs qu’un roi peut accorder à son favori.
Favori,
il l’était incontestablement, car on ne compte plus les photos sur
lesquelles on voit Monsieur Benalla au plus proche physiquement
d’Emmanuel Macron. Dans des situations officielles, bien sûr, mais
également dans des situations privées. Cet homme fait partie de la vie
intime du président de la république, du moins celle qui nous est
offerte dans les magazines : près de lui sur un télésiège au ski, dans
le cocon de la résidence familiale du Touquet, à bicyclette. « Il y a
une relation particulière qui s’est liée entre eux. Benalla vit avec le
chef de l’État et sa femme, il est de tous les déplacements officiels
comme privés » peut-on lire dans L’Express du 19 juillet dernier sous la
plume de Laurent Leger.
Cet homme qui, avant Macron, était donc
connu pour un licenciement motivé par un délit de fuite, a donc été
choisi par Emmanuel Macron pour s’occuper de sa sécurité et ce au mépris
de tout le dispositif républicain prévu à cet effet. Il existe en effet
des gendarmes et des policiers de métier qui sont assermentés, formés,
dévoués, républicains, qui n’ont aucun casier judiciaire ou aucun passé
qui soit un passif de délinquant, et qui sont payés pour effectuer ce
travail dont on les dispense puisqu’on en a chargé le Favori.
La
presse a rapporté qu’une demande de port d’armes avait été refusée par
le Ministère de l’intérieur à cet homme au temps où il s’occupait de la
campagne présidentielle du jeune monarque. Les services de la Place
Beauvau, auquel Emmanuel Macron a accès, bien évidemment, disposaient
des informations pour motiver ce refus. Depuis que le candidat Macron
est devenu président de la République, Benalla dispose d’un port
d’armes…
La vidéo qui montre Benalla arborant les attributs de la
police sans être policier, brassard et casque, tabassant un
manifestant, a été présentée à un certain nombre de personnes à l’Elysée
– Gérard Colomb et Emmanuel Macron compris, bien sûr…
Qu’a-t-il
été décidé en haut lieu ? Une prétendue punition : quinze jours
d’interdiction de travail et une retenue sur salaire. Mais des images
montrent que cette interdiction de travail n’a pas été suivie d’effets.
On voit en effet Benalla au vu et au su de tout le monde continuer à
travailler – y compris lors du 14 juillet… Qu’est-ce qui nous prouvera
que la retenue sur son salaire a eu lieu ? Ou qu’un équivalent n’a pas
été distribué en liquide ? On l’a vu lors de la panthéonisation des
époux Veil, mais aussi lors de la cérémonie de retour de l’équipe de
France de football – il était dans le bus des Bleus...
D’autres
témoignages arrivent qui montrent que ce voyou n’en est pas à son coup
d’essai : cet homme est brutal et violent, délinquant et imposteur,
dangereux et agressif. Il ne se contente pas de taper un homme à terre,
ou bien de molester un journaliste de LCP ici ou un militant de la
jeunesse communiste là, il frappe aussi une femme – et j’attends que,
dans la macronie, les féministes autoproclamées progressistes dénoncent
ce passage à tabac d’une femme par un mâle blanc protégé par un casque.
Marlène, on ne vous entend pas…
C’est cet homme que le président
Macron a poussé en vue d’un poste de sous-préfet au tour extérieur. Face
à la bronca du corps préfectoral, l’affaire est restée sans suite… La
République est ici passée à côté d’un drame.
Par ailleurs :
comment cet animal frappeur a-t-il pu obtenir ce statut de
lieutenant-colonel de la réserve opérationnelle dans la gendarmerie
alors que d’autres impétrants ne l’obtiennent qu’après de longues
épreuves sélectives et, surtout, avec de l’ancienneté ? Qui expliquera
comment il est parvenu à passer d’un seul coup du grade de brigadier à
celui de lieutenant-colonel ?
Cessons-là. Le président Macron a
menti pour couvrir cet homme. Il se tait pour le couvrir encore. Le
silence de Gérard Colomb procède de cette couverture, tout autant que le
silence de ceux qui savaient mais qui n’ont rien dit. Qu’est-ce qui
peut bien expliquer pareilles faveurs ? Mystère…
Cette histoire
soulève le voile et montre Emmanuel Macron sans fard pour ceux qui
avaient encore besoin de points sur les « i ». Cet homme cynique n’aime
que lui et ceux qui l’aiment. Narcissique à souhait, il aime donc par un
effet de miroir : j’aime qui m’aime, même si cet autre n’est pas
aimable. Et, de fait, Monsieur Benalla n’est pas aimable d’un point de
vue républicain, et c’est fort fâcheux pour un président de la
République de couvrir d’autant de faveurs un tel personnage. Mais
Monsieur Benalla n’est pas aimable non plus d’un point de vue privé.
Sauf à priser tout particulièrement ce genre de mauvais garçon.
Samedi 21 juillet, on apprenait fort opportunément dans l’après-midi
qu’Alexandre Benalla devait se marier à la mairie d’Issy-les-Moulineaux.
On aurait aimé connaître l’identité de l’heureux.se élu.e. Gageons que
cette affaire ne fait que commencer. Nous ne sommes probablement pas au
bout de nos surprises. Il va bien falloir finir par se rendre à
l’évidence : il y avait bel et bien un candidat qui méprise la
République au second tour des dernières présidentielles. J’aurais dû
croire les médias du système…
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