samedi 29 septembre 2012

Racisme antiblanc

« Racisme antiblanc » : le dérapage très contrôlé de Copé
Article du journaliste François Krug sur Rue89

Jean-François Copé s’en félicite : selon lui, en évoquant un « racisme antiblanc » en France, il aurait brisé « un tabou ». Vraiment ?

Les mots ne sont pas anodins. Le contexte non plus. Le 18 novembre, les adhérents de l’UMP devront élire leur président. C’est-à-dire, veut convaincre Jean-François Copé, choisir entre une droite molle, celle de François Fillon, et une « droite décomplexée » – la sienne. Et même si, sur le fond, les deux hommes sont en fait assez proches.

Pas un meeting, donc, où Jean-François Copé ne s’attribue la paternité de la loi interdisant le port de la burqa. Et son poste de secrétaire général de l’UMP lui permet de prendre l’initiative sur François Fillon, par exemple en lançant une pétition sur le droit de vote des étrangers.

« Des Français qualifiés de “gaulois” »

C’est dans ce contexte que sortira, la semaine prochaine, son « Manifeste pour une droite décomplexée ». Le Figaro Magazine en publiera trois pages d’extraits ce week-end, qu’il a déjà envoyés aux journalistes. Ce qu’on y découvre ? Rien de nouveau, en fait.

Jean-François Copé rappelle l’histoire de sa famille, des juifs roumains qui lui ont appris « l’amour de la France », et son expérience sur le terrain, comme député-maire de Meaux.

C’est justement en évoquant une de ses administrées qu’il en vient à ce fameux « racisme antiblanc » – une expression qu’il maintient, comme par coquetterie, entre guillemets :

« Cette femme [...] se sent comme étrangère dans ce quartier où elle habite depuis des années. Un “racisme antiblanc” se développe dans les quartiers de nos villes où des individus – dont  certains ont la nationalité française – méprisent des Français qualifiés de “gaulois”, au prétexte qu’ils n’ont pas la même religion, la même couleur de peau ou les mêmes origines qu’eux.

[...] Je sais que je brise un tabou en employant le terme de “racisme antiblanc” mais je le fais à dessein, parce que c’est la vérité que vivent certains de nos concitoyens et que le silence ne fait qu’aggraver les traumatismes. »

Une idée pas si nouvelle

Briser un tabou... ou simplement acter en quelques mots une réalité, celle de la radicalisation de l’UMP ? L’idée d’un « racisme antiblanc » n’est en effet pas si nouvelle. Et ce ne sont d’ailleurs ni le FN, ni l’UMP qui l’ont popularisée.

En mars 2005, des manifestations lycéennes dérapent : des casseurs s’en prennent aux manifestants. Une dizaine de personnalités lancent alors un appel très controversé.

Parmi elles, le philosophe Alain Finkielkraut (futur soutien de Nicolas Sarkozy), Bernard Kouchner (encore classé à gauche) ou Jacques Julliard (à l’époque éditorialiste au Nouvel Observateur) :

« Les manifestations lycéennes sont devenues, pour certains, le prétexte à ce que l’on peut appeler des “ratonnades antiblancs”.

Des lycéens, souvent seuls, sont jetés au sol, battus, volés et leurs agresseurs affirment, le sourire aux lèvres : “Parce qu’ils sont Français.” »

L’UMP s’emparera aussi du thème – mais pèsera davantage ses mots. Seuls quelques francs-tireurs évoqueront ouvertement un « racisme antiblanc ». Comme le député François Grosdidier, qui s’illustrera notamment avec une proposition de loi contre les rappeurs encourageant, selon lui, à une haine contre les Blancs.

« Une situation qui est réelle » pour Fillon

Nicolas Sarkozy, à l’époque ministre de l’Intérieur, n’ira pas aussi loin dans ses paroles. Mais il n’hésitera pourtant pas à évoquer un lien entre délinquance et origines ethniques. En 2006, il dénoncera ainsi un « phénomène très préoccupant » dans les banlieues, celui de « bandes constituées sur des critères ethniques avec une violence endémique ».

Parler de « racisme antiblanc » ? Cela ne dérange pas non plus François Fillon. Ce mercredi, il a expliqué aux journalistes qui l’interrogeaient sur le livre de Jean-François Copé :

« Cela ne me choque pas. Le FN n’est propriétaire de rien. Il décrit une situation qui est réelle. Je n’ai aucune difficulté avec cela. »

Une vision ethnique des banlieues déjà acceptée à l’UMP, une expression qui ne demandait plus qu’à l’être : si Jean-François Copé a brisé un tabou, celui-ci était surtout sémantique.

Copé, le MRAP et le racisme anti-Blancs
mercredi 26 septembre 2012, par Alain Gresh sur le blog Monde diplo

Lors de son congrès du 30 mars-1er avril, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), une organisation qui avait été tout au long de son histoire à l’avant-garde du combat contre les discriminations, adoptait un texte surprenant :

« Promouvoir des identités artificielles et “uniques”, qu’elles soient nationales, religieuses, ethniques ou raciales, conduit inéluctablement au racisme. Ces enfermements identitaires émanent des groupes dominants, mais se reproduisent dans les groupes dominés : le racisme anti-blanc en représente un avatar. Le MRAP le condamne à ce titre d’autant plus qu’il apporte une inacceptable et dangereuse non-réponse aux méfaits et aux séquelles de la colonisation. »

Cette référence au « racisme anti-Blancs », une première pour l’organisation, suscitait une réponse sur le site Rue 89, « “Racisme anti-blanc” : le texte du MRAP “préoccupant” ». Les signataires notaient :

« L’emploi de manière a-critique d’une telle notion, comme si elle allait de soi, soulève en effet nombre de problèmes. Sans en faire la généalogie, comment toutefois ne pas tenir compte des conditions dans lesquelles elle est apparue en France dans le lexique politique, portée par les mêmes personnalités qui n’ont eu de cesse depuis quelques années de stigmatiser l’immigration et les populations des quartiers populaires ?

Comment ne pas voir que la notion de “racisme anti-blanc” a émergé dans le débat politique français pour inverser les rapports de responsabilité : la “victime” ne serait plus l’immigré ou le descendant d’immigrés mais le Blanc, inversion que l’on peut exprimer d’une autre manière ; si l’hostilité à l’immigration progresse, c’est la faute aux immigrés, ou encore : si les immigrés vivent et travaillent dans de terribles conditions, eh bien, c’est de leur faute. »

Le MRAP répondait dans une tribune « Non à la racialisation de la société française ! » :

« Si le MRAP ne fait qu’évoquer le racisme anti-Blancs comme l’une des composantes du racisme, les signataires du texte font, par contre, de la “non-existence du racisme contre des blancs” un élément déterminant de leur pensée.

Ce qui implique, selon leur logique, que seul le blanc peut être raciste et seuls les non-blancs peuvent être victimes de racisme. C’est là une réécriture raciale du racisme et cela entre en contradiction avec les fondamentaux du MRAP qui lutte contre tous les racismes. »

Cette argumentation du MRAP est pour le moins curieuse. Qu’il existe, dans tous les groupes de la société, des préjugés à l’égard de l’Autre n’est pas nouveau ; que puissent dominer des visions essentialistes plus ou moins dangereuses, plus ou moins répandues (les Juifs sont riches ; les Bretons sont têtus ; les Auvergnats sont avares ; les Roms sont des voleurs, etc.) non plus. S’il faut combattre ces préjugés, on ne peut les mettre sur le même plan qu’un système organisé d’oppression d’une catégorie de la population.

Le MRAP s’est illustré au cours de l’histoire, notamment durant la lutte contre la ségrégation aux Etats-Unis. Aurait-il été imaginable, à l’époque, qu’il dénonce « le racisme anti-Blancs » chez les Noirs ? Bien sûr, il existait à l’époque des visions racistes aussi chez les Noirs.

Le MRAP s’est aussi illustré dans la lutte contre l’apartheid. Aurait-il été imaginable, à l’époque, qu’il dénonce « le racisme anti-Blancs » qui existait dans les townships ?

Il ne s’agit pas, quand on dénonce le racisme dans tel ou tel pays, d’évoquer les préjugés des uns ou des autres, mais un système de domination et d’oppression. C’est ce que le MRAP semble avoir oublié.

Ce thème du racisme anti-Blancs est celui de l’extrême droite, suivie désormais par la droite traditionnelle. L’article de Wikipedia consacré au sujet offre quelques informations intéressantes :

« En 1983, l’écrivain Pascal Bruckner avait déjà utilisé le terme de “racisme anti-Blancs” dans son livre Le Sanglot de l’homme blanc. Mais selon le Dictionnaire de l’extrême droite du psychosociologue Erwan Lecoeur, la notion de “racisme anti-Blancs” aurait été introduite à l’origine par l’association d’extrême-droite, l’AGRIF, au côté de termes comme “racisme antifrançais” et “racisme antichrétien”. D’après cet ouvrage, l’emploi de ces notions s’inscrit dans une stratégie de “retournement victimaire” contre l’antiracisme pour “sortir du piège de l’accusation récurrente de racisme” et “la retourner par tous les moyens possibles”. La notion a été largement propagée et instrumentalisée par l’extrême droite (notamment dans le sillage de la nouvelle droite), en réponse à l’émergence du thème de l’antiracisme. Jean-Marie Le Pen le leader du FN affirmait à ce propos :

“L’antiracisme, instrument politique d’aujourd’hui, comme le fut l’antifascisme avant guerre n’est pas un non-racisme. C’est un racisme inversé, un racisme antifrançais, anti-Blancs, antichrétien” »

Mais, le plus inquiétant, est que certains intellectuels aient aussi rejoint ce combat.

« Un certain nombre de personnalités de gauche comme Ghaleb Bencheikh, Alain Finkielkraut, Bernard Kouchner et Jacques Julliard ont lancé, le 25 mars 2005, un Appel contre les “ratonnades anti-Blancs”, appel soutenu et relayé par le mouvement sioniste de gauche Hachomer Hatzaïr et la radio communautaire juive Radio Shalom. L’appel formulait le problème en ces termes :

[A]ujourd’hui les manifestations lycéennes sont devenues, pour certains, le prétexte à ce que l’on peut appeler des “ratonnades anti-blancs”. Des lycéens, souvent seuls, sont jetés au sol, battus, volés et leurs agresseurs affirment, le sourire aux lèvres : “parce qu’ils sont Français”. Ceci est un nouvel appel parce que nous ne voulons pas l’accepter et parce que, pour nous, David, Kader et Sébastien ont le même droit à la dignité. Écrire ce genre de textes est difficile parce que les victimes sont kidnappées par l’extrême droite. Mais ce qui va sans dire, va mieux en le disant : il ne s’agit pas, pour nous de stigmatiser une population quelle qu’elle soit. À nos yeux, il s’agit d’une question d’équité. On a parlé de David, on a parlé de Kader mais qui parle de Sébastien ? »

C’est là le plus grave. Désormais, ce concept de racisme anti-Blancs a largement dépassé les frontières de la droite et gangréné une partie de la gauche. Le texte du MRAP reflète cette dérive.

Cette vision reçoit un appui de poids avec Jean-François Copé qui décide, à son tour, de « briser un tabou » (« Copé et le “racisme anti-blanc” : Hortefeux et NKM parlent de “tensions”, lemonde.fr, 26 septembre).

« Jean-François Copé, candidat à la présidence de l’UMP, a anticipé la polémique : il dit lui-même vouloir “à dessein” “briser un tabou” en dénonçant l’existence d’un “racisme anti-blanc” dans certains quartiers difficiles, dans son livre Manifeste pour une droite décomplexée (Fayard), dont Le Figaro Magazine, à paraître vendredi, publie des extraits. »

8 commentaires:

Je a dit…

Il est intéressant de rappeler que cette expression est utilisée depuis longtemps par le FN. Cela permet de mieux comprendre les ambitions politiques sur le long terme de celui qui l'utilise : rassembler les électeurs de droite et d'extrême droite.

Je a dit…

Au delà de l'analyse lexicale, ce racisme anti-blanc est une incontestable vérité. Ceux qui s'offusquent ne sont apparemment jamais allés dans les cités de banlieue où une part importante de la population est d'origine maghrébine.

Combien de fois n'ai-je pas entendu de la part de jeunes franco-algériens : "J'encule la France !" ou "Espèce de sale çais-fran !" ?

Je a dit…

Une petite anecdote sur le lexique. Avant parution sur mon blog, j'ai corrigé quelques erreurs d'orthographe dans le second article.

Il est intéressant de noter qu'à plusieurs reprises, l'auteur de cet article, Alain Gresh, avait écrit "racisme antiblancss" avec deux "s" à blancs ... ce qui n'est pas sans rappeler SS.
De là à penser qu'il a des préjugés ...

Je a dit…

Toujours sur les préjugés et les discriminations : heureusement qu'il existe en France plusieurs mouvements de lutte contre le racisme mais l'intervention de la représentante de SOS Racisme sur Canal + face à Henri Guaino a discrédité ce mouvement à mes yeux.

Elle était complètement dans le déni concernant l'existence de ce racisme antiblancs.

Alors, doit-on lutter contre toutes les discriminations ou bien toutes sauf une ? Ou alors on choisit "ses" discriminations ?

Cela légitime complètement l'action du FN qui "défend sa paroisse".

Je a dit…

Pour être complet, je reviens une novelle fois sur Chirstiane Taubira qui, à juste titre, a voulu que la traite des Noirs soit considérée comme une crime contre l'humanité mais qui, dans ses accusations, n'a pointé que les Blancs (les Européens) en évitant totalement d'évoquer la traite des Noirs par les Arabes (un tiers des déportations) et le commerce et/ou l'esclavage des Noirs par les Noirs (un autre tiers de l'ensemble).

Ces omissions discréditent malheureusement son texte.

A la Réunion par exemple, les esclaves importés d'Afrique étaient achetés au Mozambique ou à Zanzibar. Ils n'étaient pas capturés dans l'arrière-pays par les Français mais bel et bien vendus par les Noirs de la côte est-africaine ou les Arabes. A Madagascar, ceux des hauts-plateaux (d'origine indonésienne) dominaient ceux des côtes (d'origine noire-africaine) et les Français se sont simplement mis un cran au dessus dans la "hiérarchie raciale" à la façon des Britanniques dans le système des castes indiennes.

Il faut tout prendre en considération pour ne pas passer ensuite pour un auteur de discrimination soi-même !

Anonyme a dit…

La gauche a toujours eu l'indignation sélective, et là, elle entre facilement en résonance avec la mauvaise conscience collective soigneusement entretenue en France… :-(

Je a dit…

Anecdote à propos d'une icône du sport qui avait déclaré "Aucun Viet-Cong ne m'a jamais traité de sale nègre !".

Mohamed Ali (le boxeur initialement connu sous le nom de Cassius Clay), alors membre des Black Muslim, a tenu des discours discriminatoires (pour ne pas dire racistes) devant le Ku Klux Klan en affirmant qu'il partageait leurs opinions : les Blancs ne devait copuler qu'avec les Blancs et les Noirs qu'avec les Noirs; le tout agrémenté d'une allégorie animale "les pigeons avec les pigeons, les aigles avec les aigles".

Voir un extrait sur la vidéo : http://youtu.be/bgMkrWGLkJ4

Je a dit…

Un article (en anglais) de The Telegraph raconte cette rencontre.

Voici le lien : http://www.telegraph.co.uk/sport/othersports/boxing/3419060/Muhammad-Alis-meetings-with-Ku-Klux-Klan-leaders-revealed-by-documentary-Boxing-and-MMA.html