mardi 11 septembre 2018

Gandhi et la non-violence - Notes de lecture

La biographie rédigée par Suzanne Lassier, publiée dans la collection Maîtres spirituels aux éditions du Seuil en 1977 (192 pages) est en deux parties :

* d'abord le récit passionnant de la vie de Gandhi (né en 1869):
- avec son cheminement intellectuel, depuis sa formation d'avocat puis, évoluant au gré des lectures politico-philosophiques (Ruskin, Tolstoï, Thoreau ...) et religieuses (Bible, Upanishad, Bhagavad-Gita ...), jusqu'à sa synthèse personnelle "Hind Swarâj" (son écrit le plus important, réalisé dès 1910)
- et ensuite ses tâtonnements politiques (essais, succès et échecs, nouveaux essais)
pendant 135 pages;

* puis la description de sa doctrine (la non-violence) sous ses différents aspects (du spirituel au très concret).
Cette seconde partie m'a particulièrement intéressé car c'est elle qui peut apporter des éléments de méthode à une future évolution de la société.

Morceaux choisis

Sa vie

p.13 Lors d'un voyage en Afrique du Sud, Gandhi est chassé du wagon 1ère classe parce qu'il est un homme de couleur. Victime du racisme, il écrira dans son autobiographie : "Ce fut l'expérience la plus décisive de ma vie."

p. 25 L'ouvrage "Unto this last" (littéralement "A ce dernier" mais traduit en français "Il n'y a de richesse que la vie") de John Ruskin est considéré comme un "livre immense" par Gandhi.

p.32 Influence de Lev "Léon" Tolstoï dans la pensée de Gandhi (et importante correspondance sorte de passage de relais entre les deux sages)


p.32-33 "Hind Swarâj" (littéralement -râj- gouvernement -hind- de l'Inde -swa- par elle-même) est l'ouvrage le plus important de Gandhi

p.33 La violence étant inhérente à l'Etat et à ses systèmes de contrainte [...] ce sont les hommes qu'il faut réformer [...].

p.38 Satyâgraha ou "étreinte de la vérité" (de -satya- vérité et -âgraha- saisie) est un autre nom pour la non-violence, la résistance passive

p.39 Le devoir de la désobéissance civile, inspiration de David Henry Thoreau

p.51 L'ahimsâ est l'abstention de tout désir de violence. Un des concepts fondamentaux de l'éthique indienne étendu par Gandhi à la vie politique (sans précédent à l'exception d'Ashoka)

p.52-53 L'Inde [...] est tout sauf une nation [à l'époque de Gandhi].

p. 55 Gandhi refuse d'appartenir à un parti.

p.57 La liberté n'est jamais un don mais une conquête.

p.62 "hartal" ou grève générale, devient journée nationale d'humiliation et de prière. Que le peuple entier de l'Inde suspende toute activité, jeûne et prie durant vingt-quatre heures.

p.66 Le Calife, le chef spirituel de tous les croyants (musulmans), était le sultan de l'Empire ottoman  jusqu'à son démembrement par les Anglais.

p.67 Non-coopération, boycott total, boycott politique comme méthodes

p.70 Plan de non-coopération : abandon de tous les postes et titres honorifiques, boycott des élections aux conseils législatifs institués par la réforme Montagu-Chelmsford, boycott des écoles du gouvernement auxquelles seraient substituées dans chaque province des écoles nationales, boycott des tribunaux : avocats et magistrats cessaient d'exercer leurs fonctions et les litiges étaient réglés à l'amiable ou par arbitrage privé, boycott des boissons alcoolisées dont le gouvernement tirait des revenus substantiels, boycott des tissus anglais remplacés par le khâdi, étoffe filée et tissées à la main, le rouet procurerait ainsi du travail à ceux que la non-violence réduirait au chômage. c'était une première étape. Pour les suivantes étaient prévues, à une date ultérieure et non fixée, le refus des impôts, la désertion des soldats et des policiers.

p.71 non-coopération et désobéissance civile

p.71 et note de renvoi n°200 p.177 Gandhi fond réminiscences bibliques et upanishadique : "Conduis-nous du mensonge à la vérité."

p.73 Drapeau indien tricolore + rouet (référence au filage et tissage contre les étoffes étrangères)

p.76-77 Rouages vitaux du pouvoir : les impôts ... et l'armée.

p.79 La désobéissance civile [ne peut être efficace que si] de masse

p.88 Deux risques pour son peuple : le chaos ou l'esclavage perpétuel

p.90-91 : La « marche du sel » est une manifestation entamée par Mohandas Karamchand Gandhi le 12 mars 1930 , en vue d'arracher l'indépendance de l'Inde aux Britanniques.

p.92  : Moyens classiques de désobéissance civile, la pression économique : abandon des postes gouvernementaux, boycott des tribunaux, des banques, des écoles, des spiritueux, des étoffes et des marchandises importées et, en outre, refus des redevances et impôts, infraction aux lois forestières, abattage massif des arbres.

p.94 : Ripostes des gouvernants : chefs indiens en prison, biens saisis et vendus, presse muselée

p.97 : Nouvel engagement de Gandhi : la lutte contre l'intouchabilité

p.103 : "Cent pour cent swadeshi" (indigène) : l'objectif pour une autarcie de village.

p.112 : La guerre [de 1939-1945] porte en elle la fin du colonialisme [sans quoi les 30 années de militantisme de Gandhi n'auraient peut-être pas abouti]

p.131 : "Ma foi en la non-violence non seulement ne m'empêche pas mais m'oblige à m'associer avec les anarchistes et tous ceux qui croient en la violence" 
Gandhi

p.132 "Rebelle né dont la philosophie était plus ou moins celle d'un anarchiste" 
Nehru

Son legs

p.141 : Expérience douloureuse imposée par le racisme d'Afrique du Sud.
Supporter passivement les injustices dont les Blancs accablaient les Indiens n'était que lâcheté; il fallait combattre. Par la violence ? Il ne le pouvait ni ne le voulait : vanité lucidement reconnue d'une lutte trop inégale, dégoût instinctif devant la brutalité, et plus encore, générosité foncière d'un être pour lequel rendre le bien pour le mal est seul digne de l'homme. il fallait trouver un substitut de la force physique, une force morale, spirituelle, capable d'établir la justice.

p.143 : La non-violence est à la disposition de tous.

p.149 : Aspect spirituel de la non-violence. 
A la fin de sa vie, Gandhi affirmera que ni un communiste ni un athée ne peuvent être de vrais satyâgrahi pas davantage un bouddhiste ou un jaïn, ces représentants traditionnels de l'ahimsa, s'il se considèrent comme des athées.

p.150 : "Toute société doit sa cohésion à la non-violence [...]"

p.152 : Deux volets complémentaires
1) la non-violence constructive : éducation, formation de l'individu et des masses
2) la non-violence agressive : économique et politique
La première prépare la deuxième. Romain Rolland les qualifie respectivement :
1) l'affirmation de l'ordre nouveau 
2) la destruction de l'ordre établi

p.152 : Quelle qu'en soit la forme, la non-violence ne s'improvise pas.

p.153 : Qui veut être non-violent se purifiera et se fortifiera par le jeûne [...] Une introspection rigoureuse libèrera de tout vestige de colère [...] Vivre avec les plus pauvres comme le splus pauvres, en partageant leurs souffrances [etc]

p.153-154 : "L'Indien a droit à la liberté politique et les Anglais ont droit à la sécurité de leurs personnes et de leurs biens. Mais le droit du premier est fonction de sa capacité à l'exercer. Puisqu'il s'est laissé émasculer par tant d'années de soumission, qu'il a perdu le goût du travail libre, les sens de la vie civique et de ses responsabilités, il faut qu'il se virilise, qu'il se forme à la vie politique, qu'il fonde des institutions indépendantes, écoles, tribunaux, qu'il crée les conditions d'une économie autonome."

p.154-155 : Obéir aux lois justes [...] et rejeter les lois injustes sans recourir à la violence, quoi qu'il en coûte.

p.156 : Quand on est dans le doute, se rappeler le visage du plus misérable des hommes et se demander si ce que l'on propose peut être de quelque utilité pour lui. Voilà le travail constructif, la révolution morale.

p.156 : Si la violence est dans nos cœurs, il vaut mieux être violent que de se couvrir du manteau de la non-violence pour dissimuler notre impuissance. Là où il n'y a le choix qu'entre la lâcheté et la violence, je conseillerais la violence.

p.157 : Tactique des combats non-violents : la désobéissance civile et la non-coopération : 
1) étape préliminaire : démontrer sa volonté de conciliation jusqu'à épuisement des moyens légaux, pétitions, articles dans la presse, mouvements d'opinion, démarches auprès des autorités constituées
2) épreuve de force : cesser de collaborer avec le pouvoir mais en acceptant joyeusement de souffrir en sa personne et ses biens les conséquences de cette rupture. La désobéissance à la loi est désormais civile (civique) et non criminelle.

p.157 : La rupture se concrétise :
- soit par la non-coopération qui est non-usage des institutions, des organismes ou des biens que le pouvoir met à la libre disposition de chaque citoyen (boycott par exemple des écoles, des tribunaux, des produits importés, refus de la prestation de certains services publics, démission des charges officielles ou politiques),
- soit par la désobéissance civile, infraction directe et positive aux lois ou aux obligations imposées sous peine de sanctions, ainsi le refus du service militaire, le refus des impôts (l'impôt sur le sel) et des redevances.
Par ces démarches, les satyâgrahi se désolidarisent personnellement et collectivement de l'injustice, la combattent et font échec au pouvoir sur des points divers, à des degrés variables.

p.158 : La non-coopération est une sanction économique.
La désobéissance civile est une grève politique, une rébellion.

p.158 : A cela, s'ajoute le jeûne public (apanage de la personnalité connue, du prophète).

p.163 : La non-coopération exige une organisation totale.

p.163 : La technique de la non-violence (non-coopération et désobéissance civile) a été conçue et vécue par Gandhi dans le cadre des rapports de gouvernés à gouvernants. Là s'arrête l'expérience.

p.163-164 : En cas de guerre internationale, l'envahisseur n'obtiendra aucune collaboration du peuple. Celui-ci préfèrera la mort à la soumission.

p.169 : Dans "Gandhi contre Machiavel", Suzanne Panter-Brick analyse les conditions de la réussite de la technique non-violente selon quatre paramètres :
- nombre de participants
- point d'application (une loi précise et vulnérable)
- qualité du plan proposé
- et discipline consentie.

2 commentaires:

Je a dit…

Unto This Last est un essai de John Ruskin sur l'économie, paru pour la première fois en décembre 1860 dans le mensuel Cornhill Magazine sous forme d'articles. Ruskin dit lui-même qu'ils furent « très violemment critiqués », obligeant l'éditeur à interrompre la publication au bout de quatre mois. Les critiques ont vivement attaqué ces essais et les abonnés envoyèrent des lettres de protestation. Mais Ruskin contre-attaqua et publia les quatre essais en livre en mai 1862.

Très critique à l'égard des économistes capitalistes du XVIIIe et du XIXe siècle, c'est un précurseur de l'économie sociale.

Paraphrase de Gandhi

Unto This Last eut une importance capitale sur la pensée de Mahatma Gandhi. Il découvrit Unto This Last en mars 1904 en Afrique du Sud grâce à un ami rencontré dans un restaurant végétarien, Henry Polak, rédacteur en chef du journal The Critic à Johannesburg. Il décida, non seulement, de changer immédiatement sa propre vie en accord avec l'enseignement de Ruskin, mais établit le journal Indian Opinion dans une ferme où tous recevraient un salaire égal, sans distinction de fonction, de race ou de nationalité.

Gandhi adapta Unto This Last en gujarati en 1908 sous le nom de Sarvodaya (le bien-être de chacun). C'est aussi le nom qu'il donna à sa philosophie. Valji Govindji Desai traduisit cette adaptation en anglais en 1951 sous le titre Unto This Last, une paraphrase de John Ruskin.

Dans Unto This Last, Gandhi trouva une grande partie de ses idées sociales et économiques. Ruskin était concerné par les mêmes problèmes et apportait les solutions qui ont plu à Gandhi comme si elles étaient les siennes.

Influence de Unto This Last

Le but de Unto This Last est double : définir la richesse, et démontrer que certaines conditions morales sont essentielles pour l'obtenir. Ce n'est pas un essai pour définir une nouvelle théorie économique ou pour proposer des politiques particulières. C'est d'abord et avant tout une critique des croyances et des idées populaires. Les économistes avaient défini un « homme économique » qui agit « invariablement pour obtenir la plus grande quantité de nécessités, de facilités ou de luxe, avec la plus petite quantité de travail et d'effort physique nécessaires dans l'état de connaissance existant », selon John Stuart Mill (dans "On the Definition of Political Economy; and on the Method of Investigation Proper to It", London and Westminster Review, 1836). Autrement dit, il ne serait motivé que par le désir d'un gain matériel. Ils n'imaginent pas qu'un tel être existe, mais prétendent seulement qu'il est nécessaire d'isoler l'objet de leur investigation, car « c'est la méthode que la science doit obligatoirement suivre ». Leurs buts sont de découvrir comment les lois du marché permettent aux personnes le souhaitant d'acquérir des richesses, et l'homme économique leur fournit un bon modèle.

Pour Ruskin, et pour Gandhi, c'est précisément cela que la science ne doit pas faire. Si un tel individu n'existe pas, comment ce modèle pourrait-il être utilisé pour comprendre les actions humaines dans la réalité ? Plus que tout, dans le cas de la nature humaine, comment est-il possible de séparer la compréhension d'une action de son jugement moral ? Ce que les économistes veulent apparemment proposer, même si ce n'est pas leur intention, est que la société dans son ensemble profite de l'avidité et du matérialisme des individus égoïstes. Il semble qu'ils recommandent une telle conduite. Beaucoup de politiciens et d'industrialistes les comprennent certainement de cette façon, et agissent selon ce qu'ils prennent pour leurs conseils, ce qui suffit à Ruskin et à Gandhi pour démontrer l'irresponsabilité de la méthode.

Je a dit…

Ashoka ou Aśoka (en l'absence de signes diacritiques /ś/, on écrit aussi Asoka ou Açoka. sanskrit en écriture devanagari : अशोकः, IAST : Aśoka ; né v. 304 av. J.-C. mort en 232 av. J.-C.) est le troisième empereur de la dynastie indienne des Maurya.

Il accède au pouvoir en 273 av. J.-C. et s'efforce tout d'abord de consolider et d'agrandir l'empire hérité de son père Bindusâra. À la suite de la conquête meurtrière du Kalinga, il adopte les principes non-violents (ahimsa) du bouddhisme. Dès lors l'empire n'est plus troublé par la guerre et, en souverain pacifique, il s'emploie à l'organiser grâce à un corps important de fonctionnaires et une police efficace ainsi qu'au travers d'édits gravés sur des rochers ou des colonnes dispersés dans tout le pays. Il interdit les sacrifices, promeut le végétarisme et encourage la diffusion du bouddhisme en Inde et dans toute l'Asie.

L'empire d'Ashoka s'étend de l'actuel Afghanistan jusqu'au Bengale et aussi loin vers le sud que le plateau de Mysore mais il ne lui survit guère, s'effondrant en cinquante ans. Cependant, Ashoka est le premier souverain à réaliser l'unité de l'Inde sur un aussi vaste territoire et, consciente de son apport dans l'histoire nationale, la République indienne a emprunté au chapiteau qui surmonte le « pilier d'Ashoka » de Sarnath son emblème national aux lions et la roue du dharma qui figure sur son drapeau.