jeudi 30 novembre 2017

« Manger mieux dans les cantines, plus bio, local et sain est possible sans que ça ne coûte plus cher »

La restauration collective est devenue un sujet majeur. Manger mieux, plus bio et local est un impératif vers lequel devraient tendre toutes les cantines françaises, estime ce collectif de signataires dans une tribune au « Monde », parmi lesquels le chef Thierry Marx, l’artiste Emily Loizeau ou la femme de télévision Julie Andrieu.

TRIBUNE. Avec onze millions de repas servis chaque jour dans les écoles, les maisons de retraite, les hôpitaux, les entreprises et les administrations, la restauration collective s’invite de plus en plus fréquemment dans le débat public.

Elle fait des incursions dans le champ politique, intègre parfois des programmes électoraux, se déploie dans les livres et les émissions grand public, et des chefs étoilés n’hésitent plus à s’en mêler. C’est la preuve qu’elle fait converger certaines des préoccupations économiques, sociales et environnementales du moment, et qu’elle concentre de fortes attentes de la part des citoyens.

Comme tout sujet de société, elle n’échappe pas à une prise en main politicienne : ici on brandit l’impossibilité d’accueillir tous les enfants à la cantine, là on se cache derrière l’incapacité présumée de s’approvisionner plus localement et si possible en bio, là encore les peurs identitaires et communautaires s’immiscent dans les menus…

Abaisser le niveau de débat à ce point est regrettable car cela porte préjudice à une lente évolution qui, discrètement mais sûrement, s’opère en France.

Nouveaux enjeux de territoire

De plus en plus nombreux, des acteurs convaincus et enthousiastes adressent un joli pied de nez aux empêcheurs de bien manger ensemble. Ce sont des élus locaux, des techniciens, des cuisiniers, des gestionnaires, des collectifs de parents, bref, une constellation de citoyens éclairés par de nouveaux enjeux de territoire.

Si on y prête un minimum d’attention, ces cantines « rebelles » sont un formidable outil local de développement et de cohérence écologique.

Toutes se sont posé les bonnes questions : Que mange-t-on ? Comment est-ce produit ? Quel est le lien avec la production de proximité ? Comment le temps du repas est-il géré ? La santé dans l’assiette est-elle envisagée comme une priorité ? Manger bio et local, est-ce vraiment plus cher ? A l’heure des crises agricoles à répétition, la restauration collective apparaît comme un sérieux débouché pour les producteurs locaux légitimement soucieux de vivre décemment de leur métier.

En termes de santé publique et parce qu’elles sont des lieux d’égalité d’accès à l’alimentation, les familles prêtent aux cantines l’image d’un refuge de la variété et de l’équilibre alimentaire des convives.

Ce n’est pas ruineux

Pour ce qui est de la qualité, en revanche, on les accuse d’abuser des premiers prix de l’industrie agroalimentaire et d’une agriculture intensive dont les produits contenant des pesticides saturent de camions les autoroutes d’Europe.

C’est malheureusement assez vrai, le contenu de nos assiettes est la traduction de nos pratiques alimentaires. Manger bio en respectant l’environnement reste l’exception : à peine 3,2 % des achats de la restauration collective en 2015 (source : Agence Bio), même si la croissance annuelle de ce marché affiche une santé à deux chiffres depuis près de dix ans.

Santé, environnement, développement économique : le mouvement des cantines rebelles est à l’œuvre aussi bien en ville qu’à la campagne. Enracinées dans les territoires, en lien direct avec les acteurs de terrain, ces politiques alimentaires innovantes ne ruinent pas les collectivités.

Le bio atteint ainsi près de 20 % à Nantes, Dijon et dans les collèges des Pyrénées-Atlantiques, dépasse les 25 % à Paris, Toulouse et Grenoble ; il s’élève même à 100 % à Grande-Synthe (Nord), au Rouret, à Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes) ou à Ungersheim (Haut-Rhin). Les collectivités parviennent à s’accommoder du cadre rigide du code des marchés publics pour relocaliser la production alimentaire en adaptant leur cahier des charges, jouent sur les prestations des fournisseurs, divisent leurs marchés en autant de lots que la production locale est susceptible d’en emporter.

Un mouvement de « rébellion »

Certaines ont réglé la question de la surconsommation de protéines de mauvaise qualité. En quelques années, la restauration collective est devenue un sujet majeur de société, qui interpelle les citoyens autant que les élus.

Manger mieux, plus bio, local, sain et juste fait peu à peu son chemin, dans un mouvement de « rébellion » qui, sur le terrain, tord le cou à certains discours politiciens, en présentant un double menu quotidien avec et sans viande, comme à Bègles (Gironde), ou en offrant un repas périodique à base de protéines végétales – c’est le cas à Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône), à Briançon (Hautes-Alpes), ou dans les collèges de la Drôme.

Pour soutenir l’installation de nouveaux agriculteurs, certains élus n’hésitent pas à s’engager dans des politiques d’aménagement du territoire et de gestion intelligente du foncier. A cet égard, le débat qui agite depuis un an les parlementaires pour savoir s’il faut ou non fixer un seuil de 20 % de produits bio d’ici à 2020 en restauration collective est éclairant.

Alors qu’il suffirait de mettre en culture 80 000 hectares (soit à peine un quart des surfaces qui se convertissent au bio chaque année) pour proposer des légumes bio à chaque repas et atteindre les fameux 20 %, ce ne sont pas les capacités de production qui manquent, les freins sont donc à chercher ailleurs.

Réduire le gaspillage

Enfin, les cantines ne sont plus seulement des lieux auxquels on assigne la seule tâche de remplir des estomacs. Elles deviennent des espaces de vivre-ensemble, de plaisirs partagés, de découvertes sensorielles où des cuisiniers vengent la réputation médiocre qui colle à leur métier.

Il en va de même pour l’ineptie du gaspillage alimentaire. La moyenne des restes par assiette et par convive frôle 150 g : c’est un tiers de la nourriture achetée, cuisinée et jetée, dont il faut en plus payer la collecte, le stockage et le traitement. Certaines collectivités parviennent à réduire de 70 % à 80 % ce gaspillage, ce qui leur permet de dégager des budgets pour investir dans une meilleure qualité de produits.

Manger mieux à coût constant, c’est évidemment possible. Une telle dynamique demande de l’audace et un portage politique fort, loin des discours clivants.

En se saisissant des bons enjeux, les cantines rebelles apportent une réponse positive à la question de l’intégration de tous les publics, pour lesquels l’âge, l’origine sociale, le niveau de richesse ou les préférences alimentaires ne sont pas des barrières mais, au contraire, la preuve que la diversité sociale des convives est aussi importante que la diversité du contenu de l’assiette.

Signataires de la tribune : Julie Andrieu, productrice et présentatrice des « Carnets de Julie » sur France 3 ; Emilie Aubry, journaliste (Arte et LCP) ; Edouard Chaulet, maire de Barjac (le village du film « Nos enfants nous accuseront » de Jean-Paul Jaud) ; Cyril Dion, écrivain et réalisateur du film « Demain ». Dominique Granier, président de la chambre d’agriculture du Gard ; Katell Jaouannet et Gilles Pérole, coordinatrice et président de l’association Un Plus Bio - Premier réseau national des cantines bio ; Eric de Kermel, directeur du magazine « Terre sauvage » ; Emily Loizeau, chanteuse et musicienne ; Thierry Marx, chef cuisinier ; Isabel Otero, comédienne ; Thierry Stoedzel, directeur d’Ecocert France ; Henri de Pazzis, fondateur de Pronatura ; Stéphane Veyrat et Julien Claudel, auteurs de « Quand les cantines se rebellent, manifeste pour une restauration collective bio, locale, saine et juste », éditions Court-Circuit, 94 p., 9 €.

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/12/11/bien-manger-a-la-cantine-c-est-politique_5047054_3232.html#Fgt8fr933PuA9spx.99

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