mardi 21 novembre 2017

Après Epicure - ou - De l'éthique individuelle à la politique collective (5)

L'éthique d’Épicure pourrait se résumer de la façon suivante :

* rechercher l' « aponie », absence de douleurs physiques (faim, froid, maladie, etc.) qu'on peut interpréter en termes politiques et économiques comme l'autosuffisance (alimentaire, énergétique, sanitaire, etc.)

* et l' « ataraxie », absence de troubles (insécurité, angoisse, oppression, etc.) qui peut naturellement découler de l'autonomie : quand les citoyens décident eux-mêmes, collectivement, les règles qu'ils vont suivre, nul besoin de coercition (tout au plus faudra-t-il se prémunir des menaces extérieures).

Cette éthique individuelle peut être extrapolée au niveau d'une société (d'un groupe plus ou moins nombreux de personnes). Le philosophe lui-même vivait avec une communauté d'amis (ouverte aux hommes libres, aux femmes –y compris prostituées- et aux esclaves) dans le Jardin (son école philosophique créée en 306 avant Jésus-Christ) près d’Athènes, en Grèce.

Ses successeurs, de l'époque romaine à l'époque contemporaine (notamment les philosophes du XVIIIème siècle), ont imaginé plusieurs systèmes politiques qui pourraient correspondre à l'éthique d’Épicure :

* la monarchie : un « bon roi » éclairé par le philosophe (projet de Philodème de Gadara) ;

* la monarchie parlementaire : avec un roi éclairé par une assemblée de citoyens éduqués par les philosophes (projet du baron d’Holbach) ;

* la république : dirigée directement par un parlement (une assemblée de citoyens) ou une fédération de républiques provinciales / régionales (projet d’Helvétius) ;

* et la fédération de communes (projet de Jean Meslier). 

A la lecture (récente) de trois maximes capitales d’Épicure (XXXVI, XXXVII et XXXVIII, confer ci-dessous), dans lesquelles il parle de "communauté mutuelle des hommes", de ce qui est "utile à la communauté" et donc qui est "légalement juste", je découvre qu'il explique clairement que : "considérant la particularité du pays et toutes les autres causes que l’on veut, il ne s’ensuit pas que la même chose soit juste pour tous."

J'en déduis qu'il aurait opté :

- non seulement pour le bien commun (ce qui est utile est juste) de la "communauté mutuelle" (sans différences sociales, sans qu'il y ait un monarque ou des oligarques pour imposer leur volonté à l'ensemble de la communauté)

- mais en plus qu'il était conscient des particularités de chaque groupe (pouvant atteindre la taille d'un pays) et donc des différences devant exister d'un contrat social à l'autre; avec des lois pouvant évoluer avec le temps afin qu'elles demeurent toujours utiles à la communauté dans un contexte qui est susceptible d'évoluer.

Cela donnerait un avantage aux projets d'Helvétius et de Meslier qui prennent en compte les particularités de chaque province/région ou même de chaque commune.

L'organisation de l'ensemble devrait s'appuyer sur le principe de "subsidiarité ascendante". 
C’est Aristote qui, dans Les Politiques est à l’origine de la notion de subsidiarité quand il décrit une société organique, « La Cité », au sein de laquelle s’emboîtent hiérarchiquement des groupes : familles-villages, chacun de ces groupes essayant d’être auto-suffisants. Le principe est formulé ainsi :  "Ne confier une compétence à un échelon supérieur que lorsque l'échelon inférieur ne peut l'exercer de façon satisfaisante".

Dans notre monde industriel en transition, compte tenu de l'épuisement imminent des ressources en hydrocarbures (2030 ?), et de l'effondrement possible qui en découlerait, un recentrage sur le local me semble le plus opportun. Cela favoriserait la démocratie directe, la cohésion sociale et la production de proximité, donc l'emploi local et la préservation de l'environnement via une moindre empreinte écologique liée au transport de marchandises.

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Maximes capitales d’Épicure citées plus haut :

 XXXVI . Considérant ce qui est commun, le juste est le même pour tous, car c’est quelque chose d’utile dans la communauté mutuelle des hommes ;  mais considérant la particularité du pays et toutes les autres causes que l’on veut, il ne s’ensuit pas que la même chose soit juste pour tous.
 
XXXVII . Ce qui confirme son utilité dans les us de la communauté mutuelle des hommes, parmi les choses tenues pour légalement justes, vient occuper la place du juste, que ce soit la même chose pour tous ou non.  Mais si on l’établit seulement, sans se conformer à ce qui est utile à la communauté mutuelle des hommes, cela n’a plus la nature du juste.  Et même si c’est l’utile conforme au juste qui vient d’en changer, du moment qu’il s’accorde un temps à la prénotion, il n’en était pas moins juste pendant ce temps-là, pour ceux qui ne se troublent pas eux-mêmes avec des formules vides, mais regardent le plus possible les réalités.
 
XXXVIII . Là où, sans que des circonstances extérieures nouvelles soient apparues, dans les actions mêmes, ce qui avait été institué comme juste ne s’adaptait pas à la prénotion, cela n’était pas juste ;  en revanche, là où, à la suite de circonstances nouvelles, les mêmes choses établies comme justes n’avaient plus d’utilité, alors, dans ce cas, ces choses avaient été justes, lorsqu’elles étaient utiles à la communauté des concitoyens entre eux, et ultérieurement ne l’étaient plus, lorsqu’elles n’avaient pas d’utilité.

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