mardi 21 novembre 2017

"Petite histoire de l'expérimentation démocratique, Tirage au sort et politique d'Athènes à nos jours" (par Le-message.org)

Yves Sintomer est directeur-adjoint du département de science politique de l’université de Paris 8, chercheur au CRESSPA (CNRS) et chercheur associé à l’Institut de sociologie de l’université de Neuchâtel, auteur de "Petite histoire de l'expérimentation démocratique, Tirage au sort et politique d'Athènes à nos jours"
Le tirage au sort ne prenait son sens que parce qu'il était couplé à une rotation rapide des tâches et à l'interdiction du cumul des mandats (on ne pouvait par exemple pas faire partie du conseil plus de deux fois dans sa vie) et également à la collégialité de toutes les magistratures. Comme l'a bien expliqué Jean-Pierre Vernant on avait avec la cité un pouvoir qui n'était plus concentré en un personnage unique au sommet de l'organisation sociale mais qui se trouvait en son centre vide, sans "mesone". Et suivant un cycle réglé, la souveraineté passait d'un groupe à l'autre, d'un individu à l'autre de telle sorte que commander et obéir au lieu de s'opposer comme deux absolus devenaient deux termes inséparables d'un même rapport réversible. L'égalité est également affirmée dans le rapport entre les citoyens et leurs gouvernants. Ceux-ci sont considérés comme au service des gouvernés et non pas leurs maîtres. Et du coup le fait de les désigner par tirage au sort peut sembler plus logique. Le détour par la Grèce est salutaire car comme le dit l'historien Finley "il faut pour comprendre ce système politique aller au delà de l'équation démocratie = élection" qui nous semble à nous modernes aussi évidente. On comprend mieux pourquoi l'âge d'or de la cité athénienne et de la Grèce a correspondu avec un épanouissement maximal du tirage au sort en politique. Une vertu épistémologique du tirage au sort est bien résumée par Cléon, l'un des démagogues du 5e siècle, dans des propos rapportés par Thucydide. Je cite : "Allons-nous oublier que l'on tire meilleur parti d'une ignorance associée à une sage pondération, que d'une habileté jointe à un caractère capricieux. Et qu'en général les cités sont mieux gouvernées par les gens ordinaires que par les hommes d'esprit plus subtile. Ces derniers veulent paraître plus intelligents que les lois. Les gens ordinaires au contraire ne prétendent pas avoir plus de discernement que les lois, moins habiles à critiquer l'argumentation de l'orateur éloquent. Ils se laissent guider quand ils jugent des affaires par le sens commun et non par l'esprit de compétition. C'est ainsi que leur politique a généralement des effets heureux."
L'une des meilleure explication en a été fournie par Guicciardini à l'époque de Machiavel lorsqu'il a reconstruit les débats du grand conseil florentin dans les années 1490. Une extraordinaire tirade du porte parole du parti populaire défendant le recours au tirage au sort la résume parfaitement. Je cite : "il convient que tous les citoyens participent aux honneurs et aux bénéfices que peut procurer cette république. S'ils n'étaient pas réparties de façon universelle ce serait comme si une partie de la cité dominait sans partage que l'autre était réduite en esclavage. Les tenants de l'élection affirment que celle-ci sélectionne pour les offices les personnes les plus choisis car il semble que ceux en faveur desquels se tourne le jugement d'un plus grand nombre aient davantage de mérites. Le problème naît simplement du fait qu'il y à une sorte d'hommes qui ont été favorisés au jeu de dés de la vie, qui ont raflé toute la mise et qui pensent que l'état leur appartient, parce qu'ils sont plus riches, qu'ils sont considérés comme plus nobles ou qu'ils ont hérité de la réputation de leur père et de leurs aïeux. Et nous qui avons été défavorisé au jeu de dés de la vie nous ne mériterions pas ces dignités. Pourtant nous sommes citoyens et membres du conseil comme eux et le fait d'avoir plus de bien, plus de parents renommés et d'avoir une meilleure fortune dans la vie ne fait pas qu'ils soient plus citoyens que nous ; quant à la question de savoir qui est le plus apte à gouverner, nous avons autant d'esprit et de sentiment qu'eux, nous avons une langue tout comme eux et si nous manquons peut-être par rapport à eux de désir et de passion, ce sont là des facteurs qui corrompent le jugement."
Texte de Guicciardini à lire ici : https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2009-4-page…
Extrait de "Tirage au sort et politique : de l'autogouvernement républicain à la démocratie délibérative" : http://www.college-de-france.fr/…/seminar-2012-02-15-10h00.…

Sourcehttps://www.facebook.com/le.message.org/videos/1458276814257401/

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