lundi 12 mars 2012

Ces boxeuses qui savent mettre les poings sur les i

Le Point.fr - Publié le 08/03/2012 à 15:20 - Modifié le 08/03/2012 à 19:44

Les championnes Aya Cissoko, Gihade Lagmiry et Sarah Ourahmoune mènent toutes de brillantes études. En médecine ou à Sciences Po…

Gihade Lagmiry (gauche) est étudiante en huitième année de médecine. Sarah Ourahmoune (centre) et Aya Cissoko (droite) sont toutes les deux à Sciences Po Paris. © Gauche : US Chambray-les-Tours ; Centre : Soglia Giovanni/OH/SIPA ; Droite : Baltel / SIPA

Louis Aragon disait : "La femme est l'avenir de l'homme." Il avait raison. Qui plus est en sport. D'autant plus en boxe. Aya Cissoko, Gihade Lagmiry et Sarah Ourahmoune en sont l'exemple parfait. Ces trois noms ne vous disent rien ? C'est normal, personne n'en parle. Pourtant, elles affichent un CV plutôt séduisant : un palmarès sportif garni comme un sac de frappe (1), une tête bien faite et une humilité à faire passer un bouddhiste pour arrogant. Question : si ces reines du ring avaient disposé d'une paire de chromosomes XY à la place de leur triste XX, qu'est-ce qui aurait changé ? Certainement beaucoup de choses tant tout le monde s'extasie à en perdre haleine dès qu'un footballeur - même médiocre - réussit deux passes de syntaxe sans se prendre les pieds dans le tapis.

Aya Cissoko, Gihade Lagmiry et Sarah Ourahmoune changent la donne. Elles apportent de la couleur, de la fraîcheur et de la nouveauté dans un paysage trop souvent monochrome. Elles tordent le cou à ce bon vieux cliché si bien ancré dans l'inconscient collectif selon lequel le sportif a tout dans les bras et rien dans la tête. Elles s'approprient le dicton Mens sana in corpore sano (un esprit sain dans un corps sain) pour l'amener dans d'autres sphères.

Sciences Po, boxe et médecine

Aujourd'hui, Aya Cissoko a raccroché les gants, elle ne vit plus au rythme des crochets, directs et autres jabs. Ce sont ses cours à Sciences Po Paris qui lui ont donné un second souffle. Elle entre dans la prestigieuse institution parisienne en 2009 et ambitionne d'intégrer son école de journalisme. Le concours s'est d'ailleurs tenu lundi dernier. Elle attend avec impatience les résultats, comme le pointage des juges après un combat. C'est d'ailleurs ses acquis issus du sport qui font sa grande force : "La boxe m'a appris tant de choses : être dure au mal, toujours avancer malgré l'adversité, gérer mon stress, etc. Et je transpose cela dans la vie de tous les jours." Et au vu de son palmarès, Aya Cissoko ne devrait avoir aucun mal à remporter son plus grand défi : sa vie, un "combat du quotidien". Aya Cissoko a même trouvé le temps d'écrire un livre en 2011, Danbé (2).

À 34 ans, Aya Cissoko fait office de grande soeur pour Gihade Lagmiry (25 ans) et Sarah Ourahmoune (30 ans). Les deux petites dernières n'ont pourtant rien à envier à leur aîné. La cadette, Gihade Lagmiry, a passé son bac avec un an d'avance et aujourd'hui elle se démène dans tous les sens. Chaque jour, ce sont de véritables petits exploits que la boxeuse de l'US Chambray-lès-Tours réalise : "Entre les journées habituelles et les gardes de nuit de 17 à 8 heures du matin, mon emploi du temps est bien rempli. Je suis en huitième année de médecine, interne au service des urgences de l'hôpital d'Ambroise, et je prépare une thèse sur l'arrêt cardio-respiratoire." Rien que cela. Sachant qu'en parallèle, ce qu'elle ne dit pas, c'est qu'elle prépare aussi son diplôme d'entraîneur de boxe.

De son côté, Sarah Ourahmoune marche sur les traces de son aînée. Comme Aya Cissoko, elle est championne du monde de boxe. Et comme Aya Cissoko, elle est à Sciences Po Paris. Elle espère décrocher le master en gestion des ressources humaines de l'IEP parisien, elle qui est déjà diplômée d'une école d'éducateur spécialisé. "J'aimerais créer une sorte de ferme pédagogique, un lieu de vie pour accueillir les enfants en difficulté et handicapés", explique Sarah Ourahmoune. Elle a porté tant de coups de poing qu'à présent la sociétaire du Beat Boxing d'Aubervilliers veut tendre la main. Gommer les blessures des autres. Donner après avoir tant reçu.

Les JO de Londres

Pourtant, Sarah Ourahmoune ne présentera pas ce fameux master tout de suite. Plutôt l'année prochaine. Car 2012 n'est pas une année anodine pour les boxeuses du monde entier. À Londres cet été, pour la première fois de l'histoire, la boxe féminine sera admise aux Jeux olympiques. Un progrès pour certains, une aberration pour Aya Cissoko. "En termes d'inégalité, il n'y a pas pire que la boxe. Déjà, le pugilat est aux Jeux depuis 1904 et les femmes ne pourront participer que cette année. Ensuite, elles seront cantonnées dans trois catégories de poids, alors que les garçons pourront concourir dans dix catégories !" s'exaspère l'auteure de Danbé.

Mais, le chant des Jeux pour un athlète de haut niveau est de la même harmonie que celui des sirènes pour les marins. "C'est le rêve ultime pour n'importe quel sportif. Quand on a su que les filles allaient pouvoir boxer à Londres, j'ai prolongé ma carrière spécialement pour cela. Sinon, j'aurais raccroché. J'ai même dû monter en - 51 kilos pour aller à Londres. Avant, j'étais en - 48 kilos", précise Sarah Ourahmoune.

Une décision tout à son honneur. D'autant qu'Aya Cissoko, Gihade Lagmiry et Sarah Ourahmoune peuvent se targuer d'avoir réussi dans la discipline la plus marquée par la gent masculine : la boxe anglaise. Par ailleurs, à l'exception des connaisseurs férus entre autres de Myriam Lamare et Anne-Sophie Mathis, le grand public a découvert la boxe féminine dans Million Dollar Baby de Clint Eastwood. Et à l'image de ce film, ces trois filles-là en ont dans les gants, dans la tête et peut-être même ailleurs...

Discrimination ?

Car en France, le noble art n'est plus ce qu'il était du temps des Carpentier, Cerdan, Halimi, Tiozzo et Monshipour. Déjà pour les hommes, alors pour les femmes... Les boxeuses exercent leur discipline avec autant d'abnégation que leurs homologues masculins. Pourtant, elles boxent presque gratuitement (à l'inverse des hommes qui perçoivent un salaire mensuel) et ne sont pas admises à l'Insep (Institut national du sport et de l'expertise de la performance). Elles ne peuvent donc pas jouir des privilèges qui en découlent (suivi professionnel, soins, logement, infrastructures d'entraînement, etc.).

"En 2006, je deviens championne de France, d'Europe et du monde, mais j'ai moins gagné d'argent sur la saison qu'un garçon sans titre majeur ! Les pouvoirs publics, le ministère des Sport et la fédération doivent prendre conscience de cela et faire le nécessaire. Sinon, ils sont complices de cette discrimination", explique Aya Cissoko. Et elle sait de quoi elle parle. À l'époque, Aya Cissoko est comptable de 9 à 18 heures et athlète de haut niveau le reste du temps. Les entraînements finissent tard. Parfois, ils commencent même tôt. Et ce, six jours sur sept. Un rythme de stakhanoviste qui n'entame en rien sa motivation.

Drames

Son physique, si. L'année de son "grand chelem" (1), Aya Cissoko se blesse gravement en finale du Championnat du monde. Une fracture aux cervicales qui provoque une hémiplégie du côté droit. Du coup, la boxeuse - qui remportera quand même son combat - devra réapprendre à marcher et à utiliser son bras droit... Clint Eastwood ?

Ces trois héroïnes des temps modernes ne se laissent jamais abattre. Pourtant, toute force de la nature possède les faiblesses d'un corps - Aya Cissoko le sait mieux que quiconque. Et d'un coeur aussi. La maladie de la mère de Gihade Lagmiry, les décès du père, de la petite soeur et du petit frère d'Aya sont leurs blessures intimes. Pourtant, elles ne se sont pas laissé abattre. Elles ont réussi à tourner une page écrite à l'encre de la douleur pour remplir les suivantes avec de la couleur. Car la fierté des braves est d'avoir su construire avec des gravats. Et ces trois-là se sont bâti plus qu'un parcours, plus qu'un palmarès, plus qu'une histoire. Une vie. À la force des poings.

(1) Aya Cissoko est triple championne du monde de boxe. En 1999 et 2003, elle est sacrée en boxe française et en 2006 en boxe anglaise. Cette même année, elle réalise même un quadruplé rarissime : championne de France, de l'Union européenne, d'Europe et du monde !

Sarah Ourahmoune est championne du monde (2008), vice-championne d'Europe (2011), triple médaillée d'or au championnat de l'Union européenne (2007, 2008, 2009) et huit fois championne de France de boxe anglaise.

Gihade Lagmiry est quadruple championne de France (2009, 2010, 2011, 2012). En raison de son métier, elle a volontairement fait une croix sur l'équipe de France et sur les déplacements internationaux.

(2) Danbé d'Aya Cissoko et Marie Desplechinn (éditions Points, 183 p., 6 euros)

2 commentaires:

Je a dit…

Magnifiques exemples de réussites sportives et éducatives !
"Un esprit sain dans un corps sain", comme on a traduit la citation de Juvénal.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Mens_sana_in_corpore_sano

Je a dit…

Sarah Ourahmoune est une boxeuse française née le 21 janvier 1982 à Sèvres (Hauts-de-Seine). Elle est la boxeuse française la plus médaillée : vice-championne Olympique aux Jeux de Rio 2016, championne du monde en 2008, triple championne de l'Union européenne et dix fois championne de France. Elle a effectué 265 combats, un record en France aussi bien chez les femmes que chez les hommes. Elle a évolué dans la catégorie olympique des moins de 51 kg avant de prendre sa retraite sportive après sa médaille d'argent aux Jeux de Rio.

En 2012, Sarah Ourahmoune ne parvient pas à se qualifier pour le premier tournoi olympique de boxe féminine qui doit avoir lieu aux Jeux de Londres : lors des championnats du monde qualificatifs disputés en mai à Qinhuangdao, elle est battue en huitièmes de finale par la Bulgare Stoyka Petrova (21-15). Elle met alors sa carrière entre parenthèses pour devenir mère.

Elle fait son retour sur les rings en 2014 avec l'objectif de se qualifier aux Jeux olympiques de Rio en 2016. Elle finance une partie de sa préparation pour les Jeux olympiques de Rio 2016 grâce à une campagne de financement participatif.

Elle est en 2017 vice-présidente du Comité national olympique et sportif français en charge des mixités, et une des porte-paroles de la candidature de Paris aux Jeux olympiques d'été de 2024.

Elle est également cheffe d'entreprise et conférencière en entreprise.