José Bové nous parle de son denier bouquin sur les lobbies à
Bruxelles et du travail des eurodéputé(e)s écolos contre ces derniers...
à écouter !
Sources de l'article et de la vidéo :
http://blogs.mediapart.fr/blog/ivan-villa/240214/jose-bove-un-depute-europeen-qui-travaille-hold-bruxelles-les-lobbies-au-coeur-de-l-europe et
http://youtu.be/7cGeIFKxczg
Agriculture, Viticulture et Développement rural - Environnement - Protection des consommateurs - Santé
Le député Vert européen José Bové a décrypté les méthodes d’influences
des lobbies sur les processus décisionnels de l’UE et les moyens de les
contrer lors d’une conférence publique à Luxembourg
04-02-2014
Invité par son homologue luxembourgeois Claude Turmes, le député
européen vert José Bové était de retour au Luxembourg, le 4 février
2014, afin d’y tenir une conférence publique sur l’évolution jugée
nocive du secteur de l’industrie agroalimentaire, et, plus
particulièrement, sur le lobbying au niveau européen et ses dérives.
Adversaire assidu de la "malbouffe" et très actif dans les dossiers
des organismes génétiquement modifiés (OGM), des pesticides, ou encore
de la privatisation des semences, l’ancien arracheur de plants de maïs
OGM, élu député européen en 2009, a tenté pendant les cinq dernières
années de jouer un rôle déterminant au sein de la commission Agriculture
(AGRI) du Parlement européen, dont il est vice-président. Cela
notamment face aux lobbies, dont il a tenté pendant près de deux heures
devant une salle comble de décrypter les méthodes d’influence sur les
processus décisionnels de l’UE et les moyens de s’y opposer.
Depuis peu nommé candidat tête de liste du groupe Verts/ALE en vue
des élections européennes de mai 2014, aux côtés de l’eurodéputée
allemande Ska Keller, le Français a dépeint un portrait du
fonctionnement actuel de l’UE peu engageant.
Les institutions,
et en particulier l’exécutif, la Commission européenne, seraient
gangrénées par les conflits d’intérêts, les manipulations, voire la
corruption pure et simple. C’est là le sujet de son dernier
ouvrage, Hold-up sur Bruxelles (éditions La Découverte, 2014), qui
paraîtra le 20 février et à propos duquel il a donné un avant-goût lors
de sa présentation, exemples à l’appui.
Le député européen a débuté par un dossier qu’il connaît très bien,
celui des OGM. Dès son arrivée au Parlement européen, l’ancien
syndicaliste agricole s’est retrouvé face à la volonté de la Commission
européenne de "changer les règles du jeu" en la matière. Afin de limiter
les critiques et les oppositions, celle-ci proposait de réduire la
réglementation en matière d’autorisations de mise sur le marché, ce qui
permettrait des autorisations plus rapides, tout en laissant la
possibilité aux Etats membres le souhaitant de les interdire sur leur
territoire.
Or,
selon l’opposant de la première heure aux OGM, le plan de la Commission
ne tenait pas compte de nombreux facteurs: risques de contaminations
croisées entre Etats autorisant ces cultures et Etats les interdisant,
absence de concurrence libre et non faussée et risques de poursuites
devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), notamment. "Cette
législation a commencé à voir le jour avant d’être enterrée, mais il a
fallu deux ans pour arriver à se dégager de cette affaire et beaucoup
d’écologistes sincères au début ont cru que c’était une avancée",
explique-t-il.
L’Autorité européenne de sécurité des aliments et les conflits d’intérêts
Ce dossier l’aura amené à se pencher sur le travail de l’Autorité
européenne de sécurité des aliments (Efsa). Créée après le scandale de
la vache folle, l’Efsa a pour mission d’émettre des avis scientifiques
et de protéger la santé des consommateurs, or la mise sur le marché de
"tous les OGM qui lui ont été soumis a été validée", s’étonnait-il.
Quelle ne fut donc pas "sa surprise" de découvrir que la présidente
d’alors de l’Efsa, Diana Barati, appartenait à une organisation proche
des acteurs de la filière OGM: l'
International Life Science Institute Europ (Ilsi), dont elle était l'une des membres du conseil d’administration pour l'Europe.
"C’est le plus gros lobby de l’agroalimentaire mondial. On y trouve
tout le monde, Cargill, Monsanto, Sygenta, Nestlé, il n’en manque pas
un", poursuit-il. Or le député européen souligne que cette appartenance à
l’Ilsi n’avait pas été déclarée par Diana Barati sur sa déclaration
d’intérêts. Face à l’inaction des services de la Commission qu’il assure
avoir prévenu près de trois mois auparavant, José Bové a choisi de
convoquer la presse fin septembre 2010, accusant la présidente de
corruption.
"Par acquis de conscience, j’ai vérifié la déclaration d’intérêt la
veille de la conférence de presse. A 16h00, toujours rien d’indiqué,
mais à 18h00, la déclaration avait été modifiée pour se mettre en
conformité avec ce qui aurait dû être fait depuis le début", ajoute
l’ancien syndicaliste, qui, captures d’écrans à l’appui, l’a relaté aux
journalistes. "Ça a foutu un sacré pataquès", s’amuse-t-il.
Le
Parlement européen s’est alors saisi du sujet via sa commission du
contrôle budgétaire. Celle-ci a refusé de valider les comptes et la
gestion de cette agence. "Pour la première fois cette agence n’a pas eu
le quitus du Parlement, et trois mois après Madame Barati a démissionné.
Elle a été récompensée, pas d’inquiétudes, puisqu’elle est montée en
grade au sein de l’Ilsi où elle est désormais directrice exécutive pour
l’Europe", commente José Bové.
Cet aventure aurait eu des effets positifs, notamment une meilleure
collaboration entre les eurodéputés et l’Efsa juge l’ancien
syndicaliste, qui souligne que l’agence a modifié ses règles
d’évaluation, nommé une nouvelle présidente issue de la société civile
et co-organisé des débats en interne sur la transparence avec des
députés européens. "On a construit véritablement un autre rapport à
l’intérieur de l’agence avec la société civile et il y a eu des échanges
et des débats avec les gens qui étaient les pires ennemis de l’Efsa du
temps où l’agence passait son temps à autoriser des OGM. C’est un petit
exemple qui montre comment on peut agir et que ça peut être efficace",
appuie-t-il.
Les molécules tueuses d’abeilles et les "menaces de Sygenta"
Autre exemple mis en avant par l’eurodéputé vert, celui des molécules "tueuses d’abeilles", les insecticides
néonicotinoïdes,
qui attaquent le système nerveux central des insectes qui entrent en
contact avec ces produits, y compris les insectes pollinisateurs comme
les abeilles. Incapables de retrouver leurs ruches, celles-ci mourraient
par millions selon José Bové.
"L’Efsa nouvelle formule a
mené des études scientifiques et montré que trois molécules très spécifiques causaient cela et étaient dangereuses.
Elle a fait un rapport très clair à destination de la Commission en vue
de les interdire, ce que la Commission s’apprêtait à faire. Mais une
des firmes s’en est rendu compte et elle a directement menacé l’Efsa en
la sommant de changer le contenu de son rapport sous peine de poursuites
et en menaçant de saisir le commissaire en charge pour les faire
virer", détaille l’eurodéputé.
Prévenu par des sources internes sur l’existence de tels documents,
José Bové explique avoir alors fait usage du droit conféré à tout
citoyen de l’UE qui permet de saisir la Commission européenne pour
avoir accès à tous les documents de l’UE, notamment les textes échangés.
"Nous avons fait campagne avec l’ONG
Corporate Europe Observatory
(CEO), qui est un groupe de réflexion qui milite pour la transparence
au sein des institutions européennes et nous avons récupéré les
documents officiels qui ont montré de manière claire comment Sygenta a
fait pression, jusqu’à demander les brouillons des textes de l’Efsa avec
des menaces financières très sérieuses. L’Efsa a tenu bon et quand
c’est sorti en place publique, ça a fait sacrément désordre."
L’évincement du commissaire John Dalli et les "manipulations de l’industrie du tabac"
Une autre pression à laquelle José Bové explique avoir été confronté
sans véritablement s’y attendre est celle de l’industrie du tabac.
"Moi-même étant fumeur, je ne peux pas être accusé d’être un anti",
s’amuse l’ancien syndicaliste.
L’eurodéputé français se souvient avoir appris la démission du
commissaire européen John Dalli le jour même où il aurait dû le
rencontrer pour une discussion au sujet du dossier des OGM, en octobre
2012. "Renseignements pris, on se rend compte qu’il a été viré et qu’il a
eu 30 minutes pour faire son sac, sans pouvoir prévenir sa famille ou
ses collaborateurs, ce qui nous a assez surpris", relate-t-il.
"Le
surlendemain Monsieur Dalli communique et réfute avoir démissionné mais
assure qu’il a été démissionné par Monsieur Barroso dans le cadre d’un
soi-disant conflit d’intérêt qui lui serait reproché par un industriel
du tabac suédois. J’étais très étonné puisque c’était le commissaire
avec qui on s’affrontait le plus, donc ça m’embêtait de perdre quelqu’un
avec qui j’aimais bien travailler, surtout qu’on gagnait. Et puis petit
à petit, il comprenait quand même ce qu’on lui disait, ce qui n’est pas
le cas de tous les commissaires dont certains ne connaissent pas du
tout leurs dossiers", ajoute José Bové.
Le député européen vert raconte alors avoir rencontré l’ancien
commissaire en charge de la santé et des consommateurs qui lui aurait
fait part d’une "histoire absolument invraisemblable". John Dalli lui
aurait alors relaté avoir été viré. Il était accusé de trafic
d’influence parce qu’il aurait fait demander plusieurs millions d’euros à
une entreprise suédoise de tabac afin de modifier la nouvelle directive
tabac alors en préparation.
"Il m’explique que c’est un mensonge total, mais qu’aujourd’hui il
est mis au ban, qu’il n’a pas accès au dossier et qu’il doit partir. Il
tombe en dépression nerveuse et il est hospitalisé pendant trois mois,
donc c’est qu’il y a quand même quelque chose de sérieux. Imaginez
quelqu’un qui est commissaire, ancien ministre des Affaires étrangères,
d’accord d’un petit pays comme Malte mais quand même, ça doit faire
bizarre de se prendre ça sur la tête du jour au lendemain. Je ne crois
pas qu’on aurait fait ça à un commissaire allemand ou français",
poursuit Bové.
L’eurodéputé explique qu’il aura fallu 8 mois pour dénouer l’affaire.
L’entreprise Swedish Match, une compagnie suédoise d’allumettes et de
"snus" (une pâte de tabac à chiquer très prisée en Suède) est à
l'origine de cette affaire. Swedish Match souhaitait en effet étendre la
vente du snus à toute l’UE, alors qu’il n’est autorisé en Suède que par
une dérogation accordée à cet Etat membre dans la directive sur les
produits du tabac.
"Une opération a été montée autour du snus. Il faut savoir que
Swedish Match a été racheté un an avant cette affaire par le cigarettier
Philipp Morris. Swedish Match a porté plainte devant l’
Olaf,
l’organe de lutte anti-fraude de l’UE, pour avoir été victime d’une
tentative d’extorsion de la part d’un ami de Monsieur Dali",
explique-t-il.
Si l’Olaf annoncait disposer de "preuves circonstancielles non
ambiguës", le Parlement européen, qui demandera à plusieurs reprises
l’accès au dossier, se verra opposer une fin de non-recevoir. José Bové
explique alors avoir obtenu un rendez-vous avec des responsables de
Swedish Match, entretien enregistré lors duquel les producteurs de snus
auraient reconnus avoir menti. "L’Olaf était au courant mais Swedish
Match assure depuis que l’organe européen lui aurait conseillé de
maintenir sa plainte, fausse, dans l’intérêt de l’enquête", ajoute-t-il.
Le dossier a été transmis à la justice maltaise qui a révélé en juin
2013 qu'il n'existait actuellement aucune preuve pour justifier la mise
en accusation de John Dalli sur le trafic présumé d'influence ou de
corruption, sur la base des conclusions du
rapport de l'Olaf, fuité en avril 2013, blanchissant de fait l’ex-commissaire, qui a depuis porté plainte pour diffamation.
"On s'est rendu compte que Philipp Morris, qui était à la manœuvre
dans cette histoire, avait compris qu'en faisant tomber un commissaire
on pouvait retarder la mise en oeuvre d'une directive, ce qui était
intelligent, et en même temps ils continuaient à faire leur lobbying à
l'intérieur de la Commission", ajoute José Bové.
Un
lobbying que Philipp Morris pratiquait via son avocat d'affaires, basé à
Paris, et qui rencontrait régulièrement le service légal de la
Commission. "Il faut savoir que cet avocat était l'ancien chef du
service légal de la Commission. Donc c'est lui qui négociait avec ses
anciens subalternes, ce qui donne une ambiance. Et comme il faisait ça
tellement bien, Monsieur Barroso l'a nommé responsable pour la
déontologie de la Commission", poursuit l'eurodéputé.
Mise sur la place publique, l'affaire a également été portée devant
le Médiateur de l'UE qui a demandé sa démission. "La Commission a
répondu qu'il n'y avait pas de problème avec Monsieur Michel Petite.
Finalement, vu l'insistance du Médiateur, la Commission a fini par
céder".
Une haute administration vérouillée et des allers-retours dans le privé
L’eurodéputé écologiste a également dénoncé l'organisation interne de
l'administration bruxelloise. Le fait que les hauts fonctionnaires
restent en place alors que les commissaires européens changent ne
laisserait pratiquement pas de place à des politiques alternatives, les
choix étant "verrouillés" par une "idéologie mainstream ultra-libérale".
Les hauts fonctionnaires sont en effet selon Bové trop souvent formés
dans les mêmes moules, tous issus des mêmes écoles. "L'Europe va crever
de la dépolitisation de débats", selon le député, qui plaide pour une
haute administration européenne politisée et mouvante au gré des
alternances politiques sur le modèle américain.
En conclusion, le député européen a bien souligné que son discours
n’était pas un discours "contre l’Europe", bien au contraire. "Si les
dérives s’y concentrent, c’est parce que c’est là que tout le pouvoir et
les intérêts se rassemblent. Mais les députés sont capables d’agir
s’ils le veulent". A travers les exemples qu'il cite, il aura ainsi
souhaité démontrer comment des députés peuvent agir, de même que
l’importance de la collaboration avec des organisations non
gouvernementales. "L'Europe est un projet en construction, elle n'est
pas finie. Davantage de transparence renforce la démocratie et ça enlève
les arguments de ceux qui disent tous pourris".
Source :
http://www.europaforum.public.lu/fr/actualites/2014/02/conf-bove-lobby/index.html