Commençons par l'origine historique : la Révolution française.
Il faut se replacer dans le contexte de l’époque (fin XVIIIème siècle).
Si
beaucoup s’accordent alors sur l’idée de souveraineté populaire, et sur
sa conséquence constitutionnelle, la démocratie directe, nombreux sont
ceux qui y renoncent devant l’apparente impossibilité matérielle de
réaliser un tel programme : comment faire participer massivement un
peuple illettré à la vie politique, et comment réunir l’opinion de
millions de personnes réparties sur un vaste territoire ?
La France n’est pas un canton suisse…
Citations :
«
La plupart de nos concitoyens n’ont ni assez d’instruction ni assez de
loisir pour s’occuper directement des lois qui gouverneront la France »
(Sieyès, Archives parlementaires, 1re série, VIII, p. 594, cité par
Frank Alengry, Condorcet, guide de la Révolution française, théoricien
du droit constitutionnel et précurseur de la science sociale, Slatkine
Reprints, Genève, 1971, p. 193).
« Comme dans un État libre tout
homme qui est censé avoir une âme libre doit être gouverné par lui-même,
il faudrait que le peuple en corps eut la puissance législative; mais
comme cela est impossible dans les grands États et est sujet a beaucoup
d’inconvénients dans les petits, il faut que le peuple fasse par ses
représentants tout ce qu’il ne peut pas faire par lui-même »
(Montesquieu, L’esprit des lois, Livre XI, chap. VI).
« Sans
doute le gouvernement direct du peuple est-il la vérité officielle après
le dix août et la formule rem-plit-elle les discours des
conventionnels, mais beaucoup n’y croient pas » (Michel Pertué, Les
projets constitutionnels de 1793, in Révolution et République,
L’exception française, sous la direction de M. Voyelle, Actes du
colloque de Paris I, Sorbonne 21-26 septembre 1992, éd. Kimé, Paris
1994, p. 180).
Pourtant, en 1792, alors qu’il est en train de bâtir le plan de
Constitution que la Convention lui a commandé, Condorcet renouvelle
expressément sa défiance envers le système représentatif :
« Les
hommes ont tellement pris l’habitude d’obéir à d’autres hommes, que la
liberté est, pour la plupart d’entre eux, le droit de n’être soumis qu’à
des maîtres choisis par eux-mêmes. Leurs idées ne vont pas plus loin,
et c’est là que s’arrête le faible sentiment de leur indépendance. (…)
Presque partout cette demi-liberté est accompagnée d’orages; alors on
les attribue à l’abus de la liberté, et l’on ne voit pas qu’ils naissent
précisément de ce que la liberté n’est pas entière; on cherche à lui
donner de nouvelles chaînes, lorsqu’il faudrait songer, au contraire, à
briser celles qui lui restent »
Faute de pouvoir imposer la démocratie directe en France, à lui tout
seul, Condorcet réussit un coup de génie lors de la rédaction de la
Constitution de 1793 :
- tout en maintenant le régime représentatif
que les bourgeois voulaient mettre en place depuis des décennies en
s'inspirant de la monarchie parlementaire britannique
- il introduisit le référendum d'initiative populaire.
Voilà son principe de fonctionnement :
Tout
commence par la proposition d’un groupe de 50 citoyens. Si elle reçoit
le vote favorable de l’assemblée primaire (sections de mille citoyens),
puis de la commune, puis du département, le Corps législatif s’en trouve
saisi et doit délibérer. La délibération est alors susceptible d’être
soumise à la censure d’un référendum national, qui peut mener, en cas de
contrariété avec le vote des députés, à la dissolution du corps
législatif.
Si la Constitution de 1793 avait été appliquée,
concrètement, la France aurait été une demi-démocratie. Mais hélas, elle
n'est depuis cette époque qu'une république oligarchique (un petit
nombre dirige et fait les lois); et même, plus précisément,
ploutocratique (parce que ceux qui financent les élections, dirigent
ensuite les élus).
Nul n’est prophète en son pays. Condorcet apprit la justesse de l’adage à
ses dépens : alors qu’il allait connaître une popularité croissante au
cours du XIXe siècle en Suisse et aux États-Unis , l’idée et le
mécanisme d’initiative populaire connut un échec presque total en
France.
Jusqu'à ce que le soulèvement des "Gilets jaunes" s'en empare fin 2018-début 2019.
C’est donc ailleurs que le processus imaginé par Condorcet va se
propager, à commencer par la Suisse, où la présence historique de la
démocratie directe offre un humus propice à la prolifération de l’idée
nouvelle .
Or, si la démocratie directe sous forme d’assemblées
votantes est une institution traditionnelle dans certains cantons
suisses, le nouveau mécanisme offert par le droit d’initiative n’y est
apparu qu’au milieu du XIXe siècle.
En 1848, la Suisse est donc
passée d'un régime démocratique à un régime semi-démocratique (combinant
régime représentatif et votations citoyennes inspirées du référendum
d'initiative populaire de Condorcet).
Rappel historique concernant la Suisse :
« Les landsgemeinde
remontent au pacte historique qui unit, au XIIIe siècle, les trois
célèbres Waldstätten, Schwyz, Uri, Unterwald; c’est peu après, en 1387,
que Glaris tint sa première assemblée de ce type. (…) La source, est,
non pas athénienne, mais germanique; les Alamans, ancêtres des Suisses
alémaniques actuels, n’allouaient à chaque famille qu’une propriété
limitée, le reste demeurant collectif; les pâturages étaient gérés en
commun et c’est en commun également qu’on exploitait les forêts, qu’on
fixait les dates de montée à l’alpage. Une gestion démocratique naissait
naturellement de cette association d’hommes libres, l’homme libre,
notons le bien, étant celui qui portait l’épée. La communauté rendait la
justice, fixait la limite entre l’intérêt particulier et l’utilité
publique. (…) Ces assemblées étaient ainsi amenées à établir des lois et
des constitutions, la politique se confondant avec une simple
administration » (André Siegfried, La Suisse, démocratie témoin, 4e éd.,
A La Baconnière, Neuchatel, 1969, p. 144).
D'autres pays ont, depuis, adopté l'idée de Condorcet avec des variantes
ou des limitations (référendum révocatoire, référendum législatif mais
pas sur la fiscalité, etc.).
En 1898, le Dakota du Sud fut le
premier État à adopter le droit d’initiative. Actuellement, 24 États des
États-Unis d’Amérique ont inscrit le droit d’initiative populaire dans
leur Constitution .
Par ailleurs, le référendum d’initiative
populaire est en pratique dans plusieurs pays du monde : l’Allemagne,
l’Autriche, l’Italie, l’Espagne (référendum consultatif), le Canada, le
Libéria, le Guatemala, le Venezuela et, récemment, les Iles Philippines
et la Hongrie.
Alors, pourquoi pas la France ?!
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