Suite aux attaques de requins à La Réunion, de nombreux facteurs d’attraction ont été mis en avant dont les principaux sont l’implantation de la réserve marine, des DCP, de la ferme aquacole, et le rejet des résidus de pêche à la sortie des ports . Depuis peu, un autre facteur d’attraction semble être mis en cause : la turbidité de l’eau.
Bien que ce paramètre soit reconnu comme principal facteur de risque
lors d’une attaque de requin, aucune étude avant le démarrage du
programme CHARC en 2011, n’avait été menée afin d’établir
scientifiquement un lien entre le rapprochement des requins des côtes et
la turbidité de l’eau. Il n’existe également aucun suivi régulier de la
fréquence des épisodes turbides et de la charge en matière en
suspension (MES) qui auraient pu mettre en évidence une sédentarisation
des squales au large des côtes réunionnaises ces dernières années.
Malgré l’absence de données à La Réunion qui peut s’expliquer par le
coût important de ces études comparé à l’apparente petite communauté
impactée par le risque requin, de nombreuses études internationales
existent sur le requin bouledogue qui nous permettent de faire un
parallèle. Les résultats de ces études montrent clairement que cette
espèce de requin évolue dans des milieux turbides où la luminosité est
faible et se rapproche régulièrement des côtes souvent en embouchure
d’estuaire quand ces conditions sont réunies*.
A La Réunion, d’après les anciens, on pouvait se baigner partout sur
l’île quels que soient l’heure de la journée et les conditions de houle.
S’il y a bien quelque chose qui a changé significativement en 20 ans,
c’est le nombre d’habitants sur l’île !
La population réunionnaise est passée de 497 000 habitants en 1980 à
plus de 870 000 en 2012. Cet accroissement s’est accompagné
nécessairement par une augmentation des rejets qu’ils soient d’origine anthropiques, agricoles ou industriels, ainsi que par une urbanisation massive des littoraux.
Malheureusement, l’état et les communes, pour diverses raisons souvent
d’ordre économique, ne se sont inquiétés que trop tard des conséquences
environnementales potentiellement désastreuses de ce développement
anarchique.
Ainsi on constate concernant les rejets domestiques que seulement 42%
des foyers réunionnais sont raccordés au réseau public d’assainissement
(station d’épuration) à l’heure actuelle. Les 58% restants sont équipés
de fosses septiques dont 25% seulement seraient aux normes. Les sols
réunionnais étant basaltiques, ils sont extrêmement poreux et les
infiltrations finissent donc directement dans les nappes phréatiques ou
dans les ravines. De plus, 90% des stations d’épurations sont saturées ce qui implique des relargages réguliers en mer (Source Office de l’eau Réunion). En plus de cela, on constate régulièrement des aberrations sur le réseau tel que l’écoulement d’eaux usées non traitées directement au bord depuis 2 ans sur la commune de Saint Leu.
L’agriculture a également sa part de responsabilité. L’île de La
Réunion est placée parmi les régions du globe où l’érosion est la plus
active. La forte pente, la grande intensité des précipitations et la
fragilité des sols sont autant de caractéristiques qui, lorsqu’un sol
est mis à nu, ont pour conséquence des ruissellements importants,
l’entrainement du sol et la lixiviation des engrais et des pesticides
(Source : Guide Bonne Pratique Agricole, DAF).
La dessalure et la turbidité de l’eau liées aux particules
sédimentaires terrigènes et au développement algal favorisé par le
phosphore sont deux conditions de milieu où le requin bouledogue est
reconnu comme inféodé.
Enfin, l’urbanisation des littoraux s’est accompagnée de deux
problèmes majeurs. Premièrement, l’artificialisation des ravines
(endiguement et recalibrage) a renforcé l’impact des écoulements par la
suppression des bassins tampon (exemple : Ravine Saint Gilles).
Deuxièmement, aucune commune à l’exception du Port ne possède de schéma
directeur des eaux pluviales (Source Safege, TCO). Ces eaux présentent
des charges nettement supérieures aux rejets de stations d’épuration,
avec notamment des concentrations en Matières En Suspension (MES) 5 à 50
fois supérieures.
A partir de ces constats, on est facilement tenté d’émettre une
hypothèse sur le cercle vicieux qui se met en place: les rejets
anthropiques réguliers et ceux des ravines après les fortes pluies se
sédimentent dans les lagons, les passes et sur les platiers (Source
Etude ARVAM sur les coraux). Dès qu’une houle un peu consistante frappe les côtes, des milliers de m3 de sédiments sont remis en suspension générant une forte turbidité de l’eau,
fournissant le terrain de chasse favori des requins qui entrent alors
dans la bande des 30 mètres fréquentée également par les surfeurs. Cette
situation autrefois ponctuelle, observée lors des fortes houles, se met
maintenant en place lors de houles moins consistantes mais plus
régulières, permettant au requin d’occuper une niche écologique qui
n’était pas la sienne et de se reproduire en masse près des côtes.
Il existe des solutions mais les vraies solutions coûtent cher, et par conséquent ne sont pas bonnes à entendre. Autoriser la pêche dans la réserve, mettre en place des vigies,
faire des campagnes de prélèvements, cela reste abordable et à la
portée d’un mandat. En revanche, pour revoir le système d’écoulement des
eaux pluviales de plusieurs villes, aménager l’écoulement des ravines,
construire des stations d’épuration suffisamment dimensionnées par
rapport à la population, on ne parle évidement pas du même budget et les
résultats ne se verront qu’au bout d’une dizaine, voire d’une vingtaine
d’années. Si on rajoute à cela l’éducation de la population concernant les rejets des déchets (http://www.bandcochon.re/)
qui finissent systématiquement dans les ravines et donc dans la mer, on
comprend bien que les solutions faciles à court terme n’existent pas.
Quand on parle d’environnement, d’écosystème, les solutions faciles à
court terme n’existent pas. Comme en 2011, d’ici 6 mois, s’il n’y a pas
d’attaque d’ici là, la polémique sera passée et les gens retourneront
dans l’eau. Les risques seront pourtant toujours les mêmes. Ces règles
de sécurité élémentaires doivent être établies et largement diffusées
afin que des accidents comme celui de Fabien ne se reproduisent plus :
- Pas de surf après 15h ;
- Pas de surf matinal tant que le soleil n’éclaire pas le spot ;
- Pas de surf quand le ciel est couvert/orageux ;
- Pas de surf quand l’eau est chargée (algues, particules) ;
- Pas de surf pendant minimum une semaine après 2 jours consécutifs de pluie ;
- Pas de surf sur des houles supérieures à 1,8m ;
Et dans l’eau:
- Sortir de l’eau à la moindre blessure sur le reef ;
- Ne pas se laisser dériver au large ;
- Après une grosse série, retourner se positionner au pic là où il y le moins de fond ;
- Ne pas surfer seul et essayer de ne pas s’isoler sur le spot.
A chaque attaque, sur un surfeur n’ayant pas respecté ces règles, en
dehors de la douleur que ressent toute la communauté, la mise à l’eau
suivante se fait avec la boule au ventre, en regardant tout le temps
sous la planche. On ne prend plus aucun plaisir à surfer. Où que l’on
regarde, le matraquage médiatique nous rappelle, à coup d’images de
requins en entête d’article, qu’on est en première ligne. Cela a pour
effet la désertion non justifiée des spots quand les conditions sont
bonnes. Et moins les spots seront fréquentés, moins les gens sont
enclins à se mettre à l’eau. On finira par atteindre un point de non
retour. Le surf sera pour de bon mort à La Réunion.
Article rédigé par PapaSurf, un internaute de Surf Prevention :
doctorant à La Réunion travaillant depuis quelques années sur les
interactions homme – environnement, il surfe pour s’évader du stress
quotidien et garder une activité physique saine. Il se désole devant la
tournure des événements actuels et cherche avant tout à contribuer à
trouver des solutions durables pour re-sécuriser l’accès au milieu marin
tout en préservant l’environnement.
*Habitat use and movement patterns of bull sharks Carcharhinus leucas
determined using pop-up satellite archival tags. (Carlson, 2010) ; A
comparison of the shark control programs of New South Wales and
Queensland (Australia) and KwaZulu-Natal (South Africa). (Dudley, 1997)
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