vendredi 21 décembre 2012

Zénon d'Élée, grec, vers -490?/-430?


  On ne le confondra pas avec Zénon de Citium (Chypre), à droite, qui fonda l'école stoïque vers -308. Sa doctrine prit le nom de stoïcisme car il enseignait à ses disciples sous un portique (du grec "stoa").
Philosophe, disciple (fils, pour certains historiens) de Parménide qui fonda l'école d'Élée : les Éléates développèrent une philosophie fondée sur la dialectique (débat contradictoire susceptible de conduire à la vérité) et la logique affirmant l'unicité de l'Être, c'est à dire la réalité transcendante, non pas celle qui nous apparaît : l'Opinion (doxa) qui est trompeuse : l'Être est, le non Être n'est pas.
Par suite, l'Être est un (unique), indivisible, continu et immuable, il n'a ni commencement ni fin. La pluralité n'est donc pas et le mouvement est impossible. Le contraire n'est qu'apparence... Dans le même ordre d'idées, pour Zénon, l'espace lui-même ne peut exister car il implique l'existence d'un espace "plus grand" le contenant. Dans cette philosophie, la clé implicite est l'infini. Quel sens lui donner ?
Afin de défendre ces principes, Zénon énonce ses célèbres paradoxes, comme celui de la flèche qui ne peut se mouvoir ou celui d'Achille ne pouvant  rattraper la tortue qui trottine devant lui, rapportés par Simplicius (philosophe contemporain de Zénon), Platon ("Le Parménide") et Aristote ("La Physique"). Selon ce dernier, Zénon est le premier à définir le principe de dichotomie (de dikha = deux parties et temein = couper) qui conduira Eudoxe et Archimède à la méthode d'exhaustion.

Paradoxe de la flèche :
Zénon a une vision atomiste de l'espace et du temps. Une flèche occupant à chaque instant un espace égal à son volume, elle ne peut se mouvoir ni dans l'espace où elle se trouve, encore moins dans celui où elle ne se trouve pas. Son mouvement est donc impossible.

Si le temps et l'espace sont constitués d'instants et d'emplacements insécables, la flèche est à chaque instant tn en un emplacement déterminé en. A l'instant tn+1 suivant, elle devrait être en un emplacement en+1 : ceci n'est pas possible car pour passer de en à en+1 , il lui faudrait un certain temps. Or, entre tn et tn+1, il n'y a, par hypothèse, aucun instant.
Aux partisans de la divisibilité à l'infini de l'espace et du temps, Zénon rétorque par la dichotomie : si on intercale des couples "espace-temps" supplémentaires, le problème est alors récurrent : l'espace doit être divisé à l'infini et la flèche devra d'abord parcourir la moitié de la distance qui la sépare de sa cible, puis la moitié de la distance restante et ainsi de suite indéfiniment car la moitié d'une distance non nulle ne sera jamais nulle.
Ainsi, dans les deux hypothèses, la flèche n'atteindra pas la cible : le mouvement est impossible ! 

Paradoxe d'Achille et la tortue :
Achille voit une tortue en avant sur son chemin. Il se met à courir pour la rattraper mais malgré sa grande vélocité, il ne pourra y arriver : les raisons sont sensiblement les mêmes que ci-dessus : car lorsque Achille atteint la place qu'occupait la tortue, cette dernière a avancé; il doit donc atteindre maintenant la place qu'elle occupe alors, et ainsi de suite... :
Achille ne rattrapera donc jamais la tortue !
Il faudra plus de 2000 ans pour apporter avec Weierstrass et Dedekind (entre autres) une définition rigoureuse de la notion de limite et une construction des nombres réels liées à une conception abstraite du continu mathématique calquée sur notre intuition du continu physique avec le concept de la droite numérique admise  sans difficultés par les collégiens  : à tout point d'un axe correspond une abscisse et inversement (bijection, voire identification, entre R et la droite géométrique).
Quoique contestée par Kronecker et les mathématiciens philosophes du courant intuitionniste (également appelé constructiviste), comme Brouwer et Weyl, cette construction de l'analyse n'a jamais engendrée de contradiction susceptible de l'invalider.
Dans le paradoxe de la flèche, si d est la distance qui la sépare de la cible, la flèche devra parcourir la moitié d/2 , puis la moitié de la moitié, soit le quart d/4, puis la moitié du quart, etc., c'est à dire : d/2 + d/4 + d/8 + d/2n + ... Mettant d/2 en facteur, on obtient la somme infinie 1 + 1/2 + 1/4 + 1/8 + ... 1/2n + ... = 2 : limite de la somme des termes d'une suite géométrique de premier terme1, de raison 1/2.
La flèche parcourra donc bien la distance d, mais à l'époque ce résultat est faux : aussi petit que soit d divisé par 2n, donc aussi grand que soit n, ce nombre est non nul, donc le parcours est impossible. Et si t est le temps (dont nous admettons le déroulement continu...) mis pour couvrir d/2, le temps de parcours sera alors t + t/2 + t/4 + ... = t(1 + 1/2 + 1/4 + 1/8 + ... 1/2n + ...) = 2t. On s'en doutait, mais ce qui nous paraît mathématiquement évident aujourd'hui ne l'était pas alors :
On ne conçoit pas, au temps de Zénon, qu'une infinité de distances finies puisse être parcourue en un temps fini : dire que la somme t + t/2 + t/4 + ... égale 2t, c'est concevoir un infini en acte (ou actuel : infini atteint) à distinguer d'un infini potentiel, celui qui s'oppose tout simplement à la finitude mais qui n'est pas « réalisable » : on ne peut séparer (exhiber) un instant t ou un point P d'une droite; une telle extraction est virtuelle, fruit d'un processus intellectuel : est-il valide de construire une suite de points (les milieux successifs) sur une "droite" abstraite (la trajectoire de la flèche) censée être continue ? 

Cette extraction dénombrable  est contestable. Par le biais d'une interrogation métaphysique, Zénon se pose en mathématicien, soulevant le difficile problème du continu arithmétique que Cantor, 2300 ans plus tard, réussira à définir.
Aristote, dans sa Physique, réfuta tous les paradoxes de Zénon, sans être très convaincant : concernant Achille et la tortue, il émet l'idée que toute ligne finie sera parcourue en un temps fini car en ajoutant au fini, on dépassera tout fini. Il élude le problème en usant ainsi de l'infini potentiel où le mathématicien peut toujours puiser une quantité inférieure ou supérieure à toute quantité donnée, point de départ de l'axiome d'Archimède et de la méthode d'exhaustion.

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