Le poème se présente comme une tentative de « briser les forts verrous des portes de la nature », c’est-à-dire de révéler au lecteur la nature du monde et des phénomènes naturels. Selon Lucrèce, qui s'inscrit dans la tradition épicurienne, cette connaissance du monde doit permettre à l'homme de se libérer du fardeau des superstitions, notamment religieuses, constituant autant d'entraves qui empêchent chacun d'atteindre l'ataraxie, c’est-à-dire la tranquillité de l'âme.
L’épicurisme en Italie
L'histoire de Rome est marquée à cette époque par une crise des valeurs traditionnelles, telle celle de l'idéal de virtus prônant le courage, la loyauté et la modération, qui se trouve souvent bafoué et désavoué. Pourtant cet idéal, soutenu par les stoïciens, avait jusque-là cimenté la société.
Par ailleurs, l'influence de la culture grecque sur la culture romaine est parfois vécue comme une revanche des vaincus (Grecs) sur les vainqueurs (Romains), ce qui explique la résistance rencontrée par ceux qui tentèrent de diffuser la doctrine épicurienne à Rome. Mais ces résistances n'ont pas empêché la doctrine épicurienne de se répandre, notamment dans les milieux de la noblesse, et plus particulièrement dans la région de la Campanie. La nouveauté de Lucrèce, comme le met en valeur Cicéron, est de diffuser cette doctrine sous la forme d'une poésie grandiose, et non, selon les termes de Cicéron, "sans aucun art", "sans netteté, sans ordre et sans ornement", comme l'avaient fait jusque-là les prédécesseurs de Lucrèce.
D’Épicure à Lucrèce : la notion de traduction
L'originalité subversive d’Épicure, à son époque, était de glorifier l'individualisme au moment où les autres doctrines érigeaient la « vertu » — qui passait par les affaires publiques, ou du moins les relations avec les autres citoyens — en qualité morale indispensable. Épicure refuse cet idéalisme moral, en affirmant que le bonheur consiste uniquement dans l'absence de douleur et de troubles. « Je crache sur la moralité et sur les creuses admirations qu'on lui décerne, quand elle ne produit aucun plaisir », déclare-t-il. Le principal critère de vérité de sa doctrine est donc la sensation, et la morale a pour but de définir les moyens d'accéder durablement au plaisir. Quant à la physique, elle doit dissiper les « terreurs et ténèbres de l'esprit ».
Le style d'Epicure était d'une technicité qui en rendait la lecture difficile. Dans sa traduction de ce qu'il appelle lui-même un « sujet obscur », Lucrèce restitue sous une forme poétique ce qu'il a pu extraire des textes de son maître : c'est un imitateur original, sans lequel la doctrine épicurienne n'aurait peut-être pas été promise à l'avenir qu'elle a connu.
Le rôle de Lucrèce dans la diffusion de la doctrine épicurienne est d'autant plus grand que certains points de la doctrine d'Epicure ne figuraient pas dans les textes de ce dernier qui ont pu être conservés : ainsi le concept de clinamen ou « déclinaison », déviation minimale des atomes qui explique la formation du monde et de la matière, ne se trouve que dans le De natura rerum. Or, ce concept est particulièrement important puisque, non content d'expliciter la constitution d'un monde fini dans l'univers infini, il garantit la liberté de l'homme, son élan vital, puisque la déviation minimale et spontanée que subissent les atomes est régie par le hasard, et non par quelque déterminisme.
Le choix de la forme poétique
Une visée pédagogique
Une distinction d’avec les Épicuriens
Un poète « matinal »
La nature, selon Lucrèce, possède une forme éternellement changeante : les spectacles qu'elle offre nous sont livrés sous la forme d'« espèces » toujours renouvelées, que seule l'habitude nous empêche d'appréhender dans leur éternelle nouveauté. La nature se dévoile au poète, qui a pour fonction presque divine de la révéler à son tour aux hommes.
Lucrèce explore une nouvelle dimension du rapport entre la nature et l'homme, celui-ci acquérant face à la nature la qualité d'un sujet moral. La notion de pacte (foedera), élaborée déjà par la religion romaine et reprise par Lucrèce, pour désigner les lois et limites de la nature, signifie que l'homme doit connaître et accepter ces lois. Mais Lucrèce suggère pour la première fois qu'il est possible à l'homme de rompre ce pacte : une fois le rapport homme/nature libéré de l'idée transcendante de religion, la responsabilité morale de l'homme n'en devient que plus forte. L'homme doit braver « la religion traditionnelle et son regard hideux » afin de se consacrer à l'étude des phénomènes naturels.
Structure
- Livres I et II : ils sont consacrés aux atomes et aux formations des corpuscules.
- Livres III et IV : ils sont consacrés aux hommes.
- Livres V et VI : ils sont consacrés au monde de façon plus générale.
Atomes et vide, être et non-être, finalisme et efficience
En attribuant à l'atome lui-même le mouvement de la génération et le changement qui permet le passage d'un étant à un autre, Epicure s'oppose radicalement à la conception finaliste d'Aristote. Pour Epicure, il n'existe pas de finalité, mais deux choses : les "mouvements appropriés" des atomes d'une part, et d'autre part, les "pactes" mystérieux par lesquels la nature se fixe des limites. Cela implique donc la causalité des phénomènes naturels et de la matière, affranchie de toute finalité : la nature n'est qu'une force aveugle ; ce qui faisait dire à Victor Hugo de Lucrèce qu'il était "le plus risqué".
La conception de la nature comme assemblage d'éléments premiers non caractérisés et immuables entraine une conception du vide propre à Epicure, et par la suite à Lucrèce, qui diffère de celle des présocratiques comme Empédocle et Anaxagore, pour lesquels il existe un principe premier duquel toutes les choses naturelles découlent. Le non-être au sens de Parménide, c’est-à-dire comme principe annihilant, n'est pas repris par Epicure et Lucrèce : selon eux, les corps, les atomes ont le même statut ontologique que le vide. Le réel est composé aussi bien de vide que d'atomes, et le non-être fait partie du réel au même titre que les corps.
Le clinamen
La cohabitation de la déclinaison fortuite des atomes et d'un monde stable trouve un écho dans certaines philosophies modernes, notamment dans celle de Michel Serres. Celui-ci, en analysant l'atomisme dans le cadre de la mécanique des fluides, montre comment peut se former un équilibre "au milieu des fluences", permettant aux éléments de ne pas être emportés dans le tourbillon incessant de la matière. "La totalité des fluxions se tient ensemble dans une fixité relative" jusqu'à ce qu'un monde périsse. Même si Lucrèce ne fait aucune allusion aux fluides, c'est bien lui, par ses références aux "tourbillons", qui est à l'origine de cette interprétation. Lucrèce privilégie en effet l'aspect mouvementé, le travail de désagrégation de la nature, sur l'immobilité du monde. Il s'oppose quelque peu en cela à Epicure, qui pour sa part donne une grande place à "l'équilibre stable de la chair."
Plaisir, bonheur, nature et retirement
Le bonheur comme absence de troubles
Le raisonnement vrai
Le locus amoenus
Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/De_rerum_natura
3 commentaires:
Extrait : Lucrèce privilégie en effet l'aspect mouvementé, le travail de désagrégation de la nature, sur l'immobilité du monde. Il s'oppose quelque peu en cela à Épicure, qui pour sa part donne une grande place à « l'équilibre stable de la chair. »
La désagrégation de la matière inerte porte un nom dans la science moderne : entropie.
Mais la matière organique (de la même famille que "organisée") a tendance, elle, a contrario, à se complexifier et à se stabiliser.
En conséquence, Lucrèce et Épicure ne sont pas opposés sur ce point; ils parlent simplement de deux choses différentes : l'inerte et le vivant.
Fondamental dans la doctrine épicurienne : le bonheur comme absence de troubles
Selon la doctrine épicurienne, quiconque est en mesure d'échapper aux maux physiques peut atteindre le bonheur. En dehors de la faim, de la soif, de la douleur, les seules entraves au bonheur sont les terreurs imaginaires, dont le fonctionnement de la raison, en s'appliquant à la connaissance de la nature, peut nous aider à nous délivrer. Cet état dont le trouble est absent est appelé « ataraxie » (du grec ἀταραξία, ataraxía signifiant « absence de troubles »).
Le terme entropie a été introduit en 1865 par Rudolf Clausius à partir d'un mot grec signifiant « transformation ». Il caractérise le degré de désorganisation, ou d'imprédictibilité du contenu en information d'un système.
1. Physique
Fonction exprimant le principe de la dégradation de l'énergie ; processus exprimé par cette fonction.
2. Augmentation du désordre ; affaiblissement de l'ordre.
Entropie négative (neg-entropie(nom féminin)).
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