La langue française est l'objet de débats
récurrents sur sa santé et son avenir. D'un côté, le post colonialisme,
la perte d'influence géopolitique de la France et la mondialisation sont
quelques-unes des raisons ayant mis la diffusion et la pratique du
français dans une situation nouvelle. L'arrivée d'Internet et la
domination de l'anglais en son sein ont aiguisé davantage encore le
constat. D'un autre côté, la langue telle qu'elle est aujourd'hui
pratiquée par nos contemporains (politiques, journalistes, footballeurs,
lycéens, internautes, etc.) soulève de nombreuses interrogations. Des
voix s'élèvent ainsi régulièrement pour défendre notre langue — tant
dans sa qualité propre que pour sa place dans le monde — et pour vouloir
la sauver de dangers pourtant pas forcément bien identifiés.
La tendance est généralement dans le
« ce n’est pas nous, c'est la faute à ».
Nous pouvons certes blâmer d'incertains coupables et trouver des
boucs-émissaires, mais comme pour tout problème, le chemin des
recherches de solutions ainsi suivi n’est rarement très honnête ni
convaincant. Il s'agit, en tant que francophones, de véritablement
identifier les natures et origines des écueils, et de se pencher sur les
éléments constitutifs de ceux-ci pour y remédier correctement chaque
fois que nous pouvons nous-mêmes le faire.
L'anglais coupable de tous les maux ?
Par
réflexe primaire, reportant la cause de nos propres déboires sur
d'autres, certains défenseurs du français ont un coupable tout désigné
quant à sa perte de diffusion et d'influence : l'anglais. S'il est
évident que l'anglais est aujourd'hui la langue internationale par
excellence, c'est d'abord un paramètre à prendre en compte pour ce qu'il
est, une variable parmi d'autres. Le français était roi dans les
siècles précédents, ça n'est simplement plus le cas, point. Prétendre
combattre l'anglais pour redonner sa place d'antan à notre langue est
illusoire et prétentieux. Occupons-nous de notre langue d'abord, sans
non plus se comporter en vierges effarouchées face aux mots anglais
colonisant notre quotidien
(nous allons-y revenir) . Toutes les langues ont leurs problèmes, même l'anglais.
Au
Royaume-Uni et aux États-Unis existe une préoccupation grandissante
quant à la place de l'anglais dans ces deux sociétés. En 1980, 23
millions d'Américains déclaraient parler une autre langue que l'anglais à
la maison (espagnol, mandarin, etc.). En 2007, ce chiffre atteignait
55,4 millions, soit une augmentation de 140 % face à un accroissement
simultané de la population de 34 %. Le Royaume-Uni découvre pour sa
langue les limites de sa politique de tolérance envers les
communautarismes. Les amoureux de la langue anglaise ont d'autre part un
vrai ennemi, le
globish : contraction de
global et
english,
il désigne une version simplifiée de l'anglais n'utilisant que les mots
et les expressions les plus courants de cette langue. Aux francophones
de se préoccuper de telles dérives dans leur propre langue plutôt que de
s'apitoyer sur la montée en puissance des langues de Shakespeare ou de
Cervantes.
L'inefficacité politique
Une
maladie bien française est la création de commissions, d'observatoires,
d'agences ou de Grenelles en tout genre. La langue n'y a pas échappé. En
1989, Michel Rocard, Premier Ministre, crée le « Conseil supérieur de
la langue française ». En 1996, ce fut le tour de la « Commission
générale de terminologie ». Placée elle aussi auprès du Premier
Ministre, elle se définit comme
« la clef de voûte du dispositif d'enrichissement de la langue française ».
C'est elle qui promeut et approuve la féminisation de termes, elle qui
valide et normalise les néologismes. Le français n'a pourtant pas
attendu cette date, ni les politiciens, pour s'enrichir. Alors
pourquoi ? Pour le défendre contre les « attaques » extérieures ? Celles
de l'anglais, encore, alors que ses premières intrusions remontent à
1700 selon l'Académie Française et qu'aujourd'hui
les emprunts
à cette langue ne représentent jamais que 5 % de notre vocabulaire* ?
L'exemple symbolique de l'obligation faite à l'administration — et de la
recommandation faite à vous et moi — d'utiliser le terme « mél»
(pour mail)
est plutôt risible comme résultat si on veut parler d'enrichissement !
C'est encore plus navrant quand on observe les contradictions d'un
ministère des Affaires Etrangères qui en parallèle réduit drastiquement
le budget des Alliances Françaises et les subventions aux Lycées
Français présents aux quatre coins du monde. Prétendre défendre et
diffuser une langue et une culture tout en réduisant les moyens pour y
arriver mériterait explication.
D'autres — intellectuels,
linguistes, écrivains — prônent une simplification du français.
Communément considérée comme une des langues les plus difficiles au
monde, simplifions là pour en rendre l'accès et l'apprentissage plus
aisés, à commencer par l'orthographe. Le Conseil créé par Rocard
relevait principalement de cette mission. Ce fut chose faite, en
collaboration avec d'autres pays francophones, en 1990. Un rapport
publié au Journal officiel énumérait des recommandations, mais pas des
obligations. En comparaison, la
réforme allemande de 1996
a-t-elle été rendue obligatoire en 2005 ? Dans les deux cas, cela n'a
pourtant pas manqué de soulever de vives polémiques et de révéler des
incohérences et des ambiguïtés nouvelles quand le but était justement de
les éliminer.
Main de fer, gant de velours
L'orthographe
et la grammaire constituent les piliers d'une langue. S'y attaquer
signifie prendre le risque de la faire vaciller. Aussi difficiles que
soient l'orthographe et la grammaire françaises, laissons-les
tranquilles et maintenons un cadre solide ; éliminons les quelques
incongruités les plus flagrantes peut-être, mais gardons l'essentiel.
Agissons plutôt quand il le faut, comme face à des évolutions grossières
parmi lesquelles cette
tendance nouvelle à ne plus accorder le verbe avec son sujet, pourtant b-a ba de la grammaire
(cliquez sur le lien, ça vaut le détour !).
Continuons
aussi de nous offusquer devant le tragique spectacle offert par une
trop grande majorité d'internautes : comment ne pas être effondré devant
la syntaxe et l'orthographe terriblement malmenées dans nombre de
commentaires à des articles du Monde ou de L'Équipe, ou dans des statuts
postés sur Facebook ? De même, comment accepter que l'orthographe née
de la limitation à 160 caractères des textos (ou des 140 sur Twitter) se
retrouve dans une dissertation ou dans une lettre de motivation ? Le
danger pour le français est d'abord là, en interne, pas en provenance de
l'extérieur et d'autres langues. Arrêtons de crier au loup, surtout
quand il est dans notre propre bergerie. Que les politiciens, les
journalistes et les animateurs radio ou télé commencent par faire un
effort pour s'exprimer correctement. Que l'Éducation Nationale se penche
donc sur ses méthodes d'enseignement et ses lacunes pour éviter que les
nouvelles générations, et leurs idoles de la chanson ou du foot, ne
massacrent cette langue dont la beauté est reconnue partout.
Fixons
des règles, un cadre — comme en tout domaine de la société —, mais
laissons ensuite faire. Les apports nouveaux à notre langue ont de tout
temps contribué à son dynamisme. Les langues parlées dans les anciennes
colonies et ailleurs, les dialectes et autres patois, l'argot, les
expressions sorties des banlieues, en sont les meilleurs exemples. Cela
constitue une source considérable d'enrichissement pour le français.
Pourquoi vouloir aujourd'hui y mettre un frein ? Il est de toute façon
impossible et illusoire de prétendre à l'immobilisme d'une langue face
aux mouvements continus de tout ce qui l'entoure. Accompagnons donc le
mouvement pour lui éviter les dérives. Ce faisant, insistons également
sur la nécessité de maitriser plusieurs langues ; beaucoup de critiques
et de replis défensifs dérivent de la frustration de ne pouvoir
s'exprimer que dans sa langue maternelle !
Préserver sa propre
langue (et la ou les cultures qui lui sont associées) ne passe pas par
vouloir en combattre d'autres, surtout quand la diffusion des langues
est étroitement liée à des réalités démographiques et migratoires, ou
technologiques comme avec Internet. Défendre sa propre langue passe par
agir au cœur de celle-ci et lui permettre de vivre et évoluer librement
dans un cadre clair, mais suffisamment large pour en assurer la vivacité
et la pérennité.
N’a-t-on jamais eu l'idée de vouloir préserver
notre gastronomie, notre musique ou notre littérature d'évolutions
internes ou d'influences étrangères ? Non. Il y en aura certes toujours
pour regretter que le couscous soit le plat le plus consommé en France,
devant la blanquette de veau, et d'autres pour vouloir prétentieusement
et stupidement inscrire cette même blanquette ou le cassoulet au
Patrimoine Mondial de l'Humanité. Mais nos grands chefs, écrivains ou
artistes ne seraient rien s'ils devaient se limiter à faire un
steak-frites, à écrire comme au XIXe ou à jouer du biniou...
*
En 1973, Thomas Finkenstaedt et Dieter Wolff, en se basant sur les 80
000 mots du Shorter Oxford Dictionary, ont établi que 28,3 % de ces mots
provenaient de la langue d'oïl, le normand principalement, mais aussi
du picard et enfin de l'ancien français (puis du français moderne).
Cette proportion arrive en tête, à égalité avec le latin. La linguiste
française Henriette Walter va même plus loin en affirmant de son côté
que plus des deux tiers des mots anglais sont d'origine française. Quoi
qu'il en soit, les anglophones n'ont pourtant pas l'air de nous en
vouloir... (Source : Wikipédia )
Source :
http://www.lemonde.fr/idees/chronique/2010/09/12/la-langue-francaise-en-danger_1410092_3232.html