Petit guide du révolutionnaire : Les nouveaux penseurs
Nouvel article participatif dans
Poppers Mag. Cette compilation de nouveaux penseurs, d’intellectuels
actifs à l’heure actuelle, n’est bien sûr pas exhaustive. Elle constitue
un point de départ purement subjectif et c’est pourquoi je t’invite,
ami(e) lecteur(rice), à faire une ou plusieurs suggestions dans les
commentaires de cet article afin qu’ensemble, nous créions l’avenir
(rien que ça!) et les suites de ce petit guide… J’ai choisi de parler de
penseurs français mais libre à toi d’élargir le spectre de mes
recherches!
Tout le monde le sait bien désormais:
les choses doivent changer. Il n’est plus guère besoin d’argumenter sur
le sujet et moi-même, je dois bien dire que je rencontre de moins en
moins de résistance sur ce point. Là où le bas blesse c’est lorsque
j’entends, après le compromis précédemment exposé, qu’il est impossible
ou trop difficile de changer réellement les choses. On vous balance à la
gueule un “mais comment on fait?”, sans qu’aucune lueur de remise en
cause personnelle ne soit passée dans les yeux de votre assaillant. Car
plus qu’à la paresse et à la peur, c’est à l’ignorance que nous sommes
confrontés lors de tels débats. L’opposant, se voit contraint de penser
de lui-même un instant et suppute que ce que vous lui proposez quand
vous parlez de “changement”, c’est d’abandonner toute idée de confort
telle qu’il la conçoit ou bien qu’on souhaite l’envoyer aux barricades
dans la minute. Non.
En premier lieu, il faut bien comprendre
que les choses commencent à un niveau personnel avant de s’appliquer à
la communauté, au pays, au monde. Si cela semble évident, la plupart des
personnes qui ont le bon sens de s’interroger sur le sujet se
découragent souvent vite à l’idée qu’il leur faudrait prendre part à ce
changement. Ils pensent sans doute que celui-ci est la responsabilité
d’autrui et de la communauté, se dédouanant au passage de toute
obligation. La vraie question que nous devons nous poser est donc par où
commencer sa révolution personnelle ? La réponse se trouve dans la
conception idéologique des changements que tu souhaites entreprendre.
Foncer sans réfléchir, sans s’informer, sans comprendre, ne mène pas bien
loin et peut parfois prendre des tournures malencontreuses. Alors, par
où commencer ?
Eh bien sache que des gens ont consacré
leur vie et leur œuvre à apporter des éléments de réponse à ces
questions. Il s’agit dans l’ensemble de professeurs, d’enseignants qui
ont su prendre leur vocation au sérieux. Je te propose donc de te
présenter quelques-uns de ces penseurs d’une mise en pratique plus ou
moins directe d’un changement de paradigme. Tous ont en commun un but:
le changement de régime, combattre un capitalisme/libéralisme débridé
qui est aux commandes, grosso modo, depuis la révolution industrielle
anglaise. Ce qui est intéressant, c’est de noter que tous proposent des
réflexions différentes et des approches diverses pour y parvenir. Autre
point à souligner : ces personnages aux parcours souvent bien éloignés,
en sont tous venus à un moment ou à un autre à la même conclusion : le
problème, c’est le système capitaliste tel qu’il est à l’œuvre
actuellement. Du fait de leur volonté de réduire le pouvoir, voire de
renverser le système en place, ils sont naturellement boudés par les
outils de communication du système, encore que la plupart aient eu
quelque occasion de se montrer une fois ou deux sur le plateau de
Frédéric Taddeï ou sur les antennes de France Culture à des heures où
l’écoute frise le ridicule.
Etienne Chouard
“Si les représentants doivent craindre la Constitution… il ne faut pas qu’ils l’écrivent eux-même.”
Etienne Chouard est un excellent moyen
de commencer une réflexion sur les problèmes de notre temps. Tout
d’abord parce que Chouard n’est pas un intellectuel comme les autres.
C’est un homme banal, un professeur d’économie et de gestion qui s’est
politisé sur le tard. Comme de plus en plus de gens, il a eu un déclic.
Il est parti d’une réflexion sur le traité constitutionnel européen
(mais si! rappelle-toi: celui pour lequel tu as voté “non” en 2005,
mais que nos dirigeants ont tout de même décidé d’adopter)
contre lequel il s’insurge. Son mouvement prend alors de l’ampleur. Il
faut dire que la réflexion d’Etienne Chouard est simple et sa méthode
limpide et bénéfique par les temps qui courent. Chouard mène une
enquête. Il s’interroge et nous interroge sur un problème donné (la
constitution européenne, la démocratie ou quoi que ce soit d’autre) et
remonte le fil historique et logique de ce qui nous a amené à
telle situation. Il cherche à déterminer de manière efficace “la cause
des causes” et à partir de là, il réfléchit et propose des solutions
concrètes et simples à des problèmes qui semblaient au
départ insurmontables.
Son axe majeur de réflexion, la grande idée d’Etienne Chouard, c’est le tirage au sort.
S’inspirant des modèles de démocratie athéniens (en en reconnaissant
également les failles), le bougre a la velléité de penser qu’il serait
bon que nous autres, pauvres quidams, ayons quelque contrôle sur nos
dirigeants politiques et nos plus hautes instances étatiques. Et, en y
réfléchissant bien, c’est vrai que c’est loin d’être con. Le tirage au
sort viendrait ainsi élire au hasard des citoyens à des positions de
contrôle ou de regard sur les actions entreprises par nos dirigeants. Il
donnerait ainsi aux citoyens du commun (vous et moi quoi…) des
responsabilités, une autorité qui leur permettraient de garder la main
mise sur la manière dont s’exerce le pouvoir en place. Il s’agit donc de
réinventer la démocratie et ses règles du jeu. Comprenez que pour
Etienne Chouard, nous faisons avant tout face à un problème de
constitution. Nous avons laissé les puissants écrire les règles qui nous
régissent et leur permettent de gérer nos affaires comme ils
l’entendent, sans que nous ne puissions rien y faire. Par conséquent, il
n’appartient qu’à nous de nous réapproprier la loi et de la faire
pencher en notre faveur. L’idée serait donc d’écrire une nouvelle
constitution en y incluant des moyens de contrôle démocratiques (à
travers le tirage au sort par exemple). Chouard s’agite ainsi un peu
partout en France et tente de créer un mouvement participatif par le
biais d’ateliers constituants où le débat prend vie. Un début.
A travers ce cheminement, l’une des questions fondamentales que Chouard remet sur le tapis est celle du langage et de ses mésusages. L’un
des premiers effets de sa méthode de réflexion est de renverser les
rapports de force posés par les partisans du double langage. Il nous
explique ainsi dans une brillante conférence
(https://www.youtube.com/watch?v=oN5tdMSXWV8) que nous sommes incapables de voir quelles sont les solutions qui nous
permettraient de sortir du marasme dans lequel nous nous trouvons, dans
la mesure où les mots que nous cherchons sont déjà utilisés pour
désigner des choses qui leur sont contraires. Pour le paraphraser, nous
aurions besoin de la démocratie mais nous sommes incapables de la réaliser dans la mesure où nous pensons d’ores et déjà être en
démocratie. Ce processus de réappropriation du langage et de la
sémantique est une étape nécessaire à tout effort intellectuel qui se
respecte et Chouard a le mérite de nous ouvrir les yeux de manière
limpide sur ce point là.
De la même façon, il choisit de remettre
en lumière un terme trop souvent galvaudé et mésusé : le complot. Alors
là, je vous vois venir, vils faquins, à partir dans vos folies des
grandeurs qui en ont mené plus d’un à conclure que 1 + 1 était égal à 3.
Un complot n’est rien d’autre qu’un accord secret passé entre deux
parties prenantes au détriment de l’intérêt général. Vu sous cet angle
(et il ne devrait pas y en avoir d’autres puisque c’est là la vraie définition du mot), les complots nous entourent (de but en blanc, parfaitement au hasard, je vous invite à vous renseigner sur le TAFTA) et Chouard nous invite à les dénoncer.
Paul Ariès
“Choisir de parler de culture de
masse en lieu et place des cultures populaires, c’est renvoyer le peuple
à l’indistinct, au troupeau, à tout ce qui grouille.”
Paul Ariès est à la base un
politologue/socio-économiste lyonnais, mais le réduire à ses titres
serait trop faible. Je dirais que Paul Ariès est un optimiste réaliste.
Il effectue à travers son œuvre littéraire et orale la jointure
parfaite des questions socio-économiques, politiques et écologiques. Et
ce n’est pas une mince affaire. Il fait partie de ces penseurs qui ont
compris que, si la lutte des classes est aujourd’hui
encore l’enjeu majeur du changement de société, le poids de l’urgence
écologique a fortement changé la donne au cours du siècle dernier en
rajoutant de l’huile sur le feu.
Pourtant, a priori, le lien entre lutte des classes et écologie ne semble pas évident. Dans son ouvrage Écologie et cultures populaires: les modes de vie populaires au secours de la planète,
Ariès dénonce avec facilité de quelle manière le système capitaliste et
libéral actuel marginalise les classes populaires (pourtant en
supériorité effective) et s’enfonce ainsi dans une crise existentielle
profonde en même temps qu’il ravage notre environnement. Il décortique
la manière dont les milieux les moins aisés sont tout bonnement ignorés
de notre système (par exemple, le terme de “classe ouvrière” a
complétement disparu au cours des dernières décennies alors que le monde
ouvrier représente toujours (excusez du peu) près de 30% de la
population active en France) et nous explique que si les classes
populaires sont si mal représentées (dans la pub, les médias en
général…) c’est parce qu’il s’agit d’une classe dominée. L’intérêt de la
classe dominante n’est donc pas de placer l’emphase sur cette
domination mais plutôt de l’assouvir en suscitant l’envie individuelle
(“diviser pour mieux régner”) qui se matérialise en définitive par la
société de consommation. On commence à comprendre un peu mieux comment
la lutte des classes en arrive à affecter directement la situation
environnementale.
Ariès nous fait ensuite observer que les
milieux les moins aisés sont également ceux qui polluent le moins.
C’est pourquoi il place ses espoirs dans les classes populaires, nous
expliquant que c’est aux plus riches de s’inspirer des usages des moins
aisés et non l’inverse (comme c’est le cas à l’heure actuelle). Il
s’agit en somme de replacer la norme sur la majorité des gens, d’autant
que leur mode de vie pollue moins et apparait comme plus humain
socialement que l’individualisme et la neurasthénie ambiante promue
dans les classes les plus riches. Ariès nous pose ainsi des questions
concrètes et directes sur nos modes de vie, sur leur impact et sur notre
manière de les conceptualiser.
Chemin faisant, on en arrive au
centre de sa réflexion se situant parmi celles des objecteurs de
croissance. Selon lui, le cœur du problème vient du fait que ce système
économique et social est basé sur une logique de croissance perpétuelle
qui n’est pas viable. Il est facile de comprendre que, dans un monde
aux ressources limitées comme le nôtre, un tel système mène à une
destruction rapide de notre habitat. Paul Ariès prône donc la décroissance
qu’il convient de définir avant d’aller plus loin.
On a tendance à assimiler ce terme à une austérité économique (de laquelle nous ne sommes pas bien loin à l’heure actuelle, soit dit en passant…). Ariès nous invite à penser la décroissance comme une autre manière de vivre, hors du capitalisme. Il sort donc le tapis rouge à l’idée d’un retour à des modes de vie plus sobres sans pour autant perdre en qualité de vie (ce que ne suggère pas l’austérité). Il évoque alors les traditions latino-américaines et africaines du bien vivre et prône un bonheur existentiel et social plutôt qu’un bonheur lié à l’avoir, à la consommation. Il place ainsi l’enjeu social et la recherche d’un bonheur simple au cœur de sa réflexion.
On a tendance à assimiler ce terme à une austérité économique (de laquelle nous ne sommes pas bien loin à l’heure actuelle, soit dit en passant…). Ariès nous invite à penser la décroissance comme une autre manière de vivre, hors du capitalisme. Il sort donc le tapis rouge à l’idée d’un retour à des modes de vie plus sobres sans pour autant perdre en qualité de vie (ce que ne suggère pas l’austérité). Il évoque alors les traditions latino-américaines et africaines du bien vivre et prône un bonheur existentiel et social plutôt qu’un bonheur lié à l’avoir, à la consommation. Il place ainsi l’enjeu social et la recherche d’un bonheur simple au cœur de sa réflexion.
Sa volonté de remettre l’accent sur la
lutte des classes et une redéfinition des classes populaires au sein du
débat prend alors tout son sens. Ariès revendique une décroissance par
un retour à la simplicité, à un bien vivre et un bien être qu’on a
tendance à trouver plus facilement dans les classes les moins aisées.
Ajouté à cela, il développe différents concepts qui permettraient
d’atteindre ce but, de recréer du lien social entre les gens et de
lutter efficacement contre le capitalisme. S’il nous parle d’un revenu
de base inconditionnel (auquel nous préférerons le salaire à vie de
Bernard Friot un peu plus bas dans l’article), Paul Ariès propose
également d’élargir la sphère actuelle de la gratuité, aspect
qui soulève du même coup la question de l’usage et du mésusage.
Ariès propose que les citoyens décident de ce qui est utile et devrait être gratuit (ou quasi-gratuit) dans la société et, de renchérir, de taxer les mésusages (soit tout ce qui est jugé inutile par les citoyens). Il nous explique ce paradigme en prenant l’exemple de l’usage de l’eau (qui va venir à manquer) et en se demandant pourquoi une personne qui utilise de l’eau pour ses besoins vitaux se voit contrainte de payer le même prix qu’une personne qui remplit sa piscine tous les étés? On constate alors que les concepts d’usage, de mésusage et de gratuité d’Ariès passent par une redéfinition du rôle de citoyen (plus démocratique) mais aussi par une responsabilisation et une prise de conscience de ce que nos modes de vie entraînent.
Ariès propose que les citoyens décident de ce qui est utile et devrait être gratuit (ou quasi-gratuit) dans la société et, de renchérir, de taxer les mésusages (soit tout ce qui est jugé inutile par les citoyens). Il nous explique ce paradigme en prenant l’exemple de l’usage de l’eau (qui va venir à manquer) et en se demandant pourquoi une personne qui utilise de l’eau pour ses besoins vitaux se voit contrainte de payer le même prix qu’une personne qui remplit sa piscine tous les étés? On constate alors que les concepts d’usage, de mésusage et de gratuité d’Ariès passent par une redéfinition du rôle de citoyen (plus démocratique) mais aussi par une responsabilisation et une prise de conscience de ce que nos modes de vie entraînent.
Bernard Friot
“Dès lors qu’on qualifie un poste et
non pas une personne, toute personne sans poste va être chômeuse. Alors
que si on qualifie les personnes, on leur attribue un salaire à vie.”
Expert dans l’histoire des institutions d’État censées amener la puissance du salariat, mais également économiste hétérodoxe,
Bernard Friot revisite les théorie marxistes en les mettant au goût du
jour. Et c’est à travers elles qu’il combat les mythes de l‘idéologie religieuse du capitalisme et du néo-libéralisme.
Friot a une manière fracassante de
remettre les perspectives en place. Il commence par nous rappeler que
l’enjeu du conflit économique, social et politique qui nous anime
aujourd’hui encore, c’est la lutte des classes. L’idée
que celle-ci puisse avoir disparu avec l’apparition des classes moyennes
est complètement erronée. C’est le fait qu’une classe dirige et profite
d’une autre, décide de ce qui a ou n’a pas de valeur et s’occupe d’en
retirer les bénéfices qui est à la base de l’injustice et de la violence
sociale à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui.
Si l’on devait s’en tenir à une idée forte qui résume la pensée de Bernard Friot, il faudrait bien entendu parler du salaire à vie (à différencier du revenu de base inconditionnel actuellement à l’étude en Hollande et en Finlande qu’il
décrit lui même comme étant une déviation de ce vers quoi l’on doit
tendre). Il n’est pas question ici de revenu de solidarité mais bel et
bien de salaire. Friot nous explique avec brio en quoi les retraites et
les allocations chômage sont des salaires qui viennent rétribuer une
création de valeur (passée ET actuelle). Il démontre que toute notre vie
nous créons de la valeur économique qui n’est pas rémunérée à l’heure
actuelle : amener ses enfants à l’école, aider un ami dans l’un de ses
projets, nettoyer son appartement, faire à manger à ses enfants, etc… Or
l’idée de valeur économique nous a été confisquée par les détenteurs du
capital, qui ont actuellement le pouvoir de décider combien nous valons
pour la société via l’attribution d’un salaire calculé en fonction
du poste que nous occupons au sein de l’entreprise qu’ils
possèdent. Partant de ce constat, l’idée serait donc d’attribuer un
salaire à vie à tout citoyen à partir de ses 18 ans, qu’il ait un emploi
ou non. Bernard Friot en arrive ainsi à remettre complètement en cause
le concept de valeur économique telle que définie par le système
capitaliste en vigueur.
Par ailleurs, ce qu’il y a d’intéressant
dans l’argumentation de Friot, c’est qu’il appuie sa réflexion sur ce
qui existe déjà : en effet la notion capitaliste de la valeur a été déjà
remise en cause par la création de la fonction publique, de nos systèmes
de retraite et des allocations chômage. Ces trois institutions, mises
en place par des ministres communistes et donc anticapitalistes,
reversent un salaire continué à des personnes et non à un poste de
travail en particulier. Elles estiment donc que ce sont les personnes
qui reçoivent ces salaires qui produisent de la valeur économique et non
leur poste. Et c’est pour cette raison que ces institutions
anticapitalistes sont constamment la cible d’attaques visant à les
démanteler depuis leur création. C’est sur ces acquis syndicaux et
sociaux obtenus (et bien souvent renégociés pour ne pas dire perdus) au
cours des ans que Friot se base pour construire sa vision et l’ancrer
plus solidement dans un réel potentiel. En grand spécialiste de
l’histoire de la Sécurité Sociale, son modèle économique est loin d’être
fragile et s’appuie donc sur de solides arguments qui sont à lire ou à
écouter dans les liens qui suivent.
Friot nous explique donc qu’une redéfinition du salaire, une suppression du marché de l’emploi, sont
des moyens concrets, et à notre portée, de mettre un terme au système
capitaliste de la valeur. Et si ces idées fortes ne tardent généralement
pas à faire sortir ses opposant de leurs gonds et à le qualifier de
communiste (ce dont il se revendique) ou de fou, il serait stupide
de s’arrêter à ce postulat simple sans chercher à voir un peu plus loin.
Par exemple Friot n’a rien contre la monnaie ou contre la propriété
privée en elle-même. Seulement il y va, là encore, d’une redéfinition
fondamentale puisqu’il nous explique que nous devons passer de la
“propriété lucrative” (fer de lance du capitalisme) à la “propriété d’usage“.
Non seulement vous pouvez dire adieu au loyer exorbitant de votre 2
pièces puisque si vous l’habitez, que vous l’utilisez, vous en êtes
propriétaire (ce qui veut également dire que vous pouvez dire adieu à la
rente occasionnée par les multiples propriétés que vous louez le double
du prix du marché… mais tout va bien puisque le salaire à vie est là…)
mais vous devenez par exemple, également co-propriétaire de votre outil
de travail. Il n’y a ainsi plus une personne, un investisseur privé à
qui l’outil de travail appartiendrait, qui exploiterait votre temps et
votre force de travail (contre un salaire bien mérité certes…) et qui en
tirerait des bénéfices outrageux pendant que vous devez aller pointer
au chômage parce qu’il a décidé de délocaliser.
Il va sans dire que les changements
proposés sont profonds, voire radicaux, même s’ils s’appuient sur des
éléments concrets arrachés par la lutte syndicale du siècle dernier (la
Sécurité Sociale, le fonctionnariat par exemple…). D’ailleurs, Friot a
la franchise de nous dire que le modèle qu’il propose avec le salaire à
vie ne pourra pas totalement supprimer la violence sociale, ni même la
lutte des classes (qui se jouera ailleurs et notamment sur la
qualification dans le modèle de salaires qu’il préconise). Mais ses
propositions recentrent toutes ces luttes et cette violence et ont le
mérite d’apporter des réflexions et des éléments qui permettraient de la
mieux catalyser.
Jean-Claude Michéa
“Au cœur de la protestation morale des premiers penseurs socialistes du XIXème siècle, il y a d’abord le constat que le processus d’émancipation libérale portée par la Révolution française (l’idée que l’égalité des droits constitue l’énigme résolue de l’histoire) n’avait réglé en rien la question sociale.”
Professeur de philosophie dans un lycée
de Montpellier, Jean-Claude Michéa reprend dans ses ouvrages l’histoire
des mouvements politiques français et analyse leur parcours pour mieux
nous aider à comprendre où ils en sont aujourd’hui. Car selon lui, l’un
des problèmes majeurs de notre temps vient de notre incapacité (à nous
mais aussi et surtout à celle de nos médias et de nos institutions) à
nous retourner vers le passé pour comprendre nos erreurs
d’interprétations d’un présent qui a de moins en moins de sens. Il
compare ce phénomène au mythe grec d’Orphée et le nomme complexe d’Orphée dans un ouvrage du même nom.
A partir de ce constat, Michéa décide de
se retourner vers l’histoire pour en comprendre les erreurs
d’interprétations donc mais aussi pour trouver des solutions déjà
appliquées et mentionnées à des problèmes actuels. Dans Les Mystères de la Gauche,
il nous montre ainsi de quelle manière notre interprétation actuelle
des clivages politiques français est erronée. Son analyse des dérives
sociologiques voire ethnologiques entraînées par le libéralisme sont
d’une justesse remarquable. Pour résumer quelque peu, il démontre
comment notre perception d’une gauche progressiste (matérialisée par le
PS principalement) et d’une droite traditionaliste (UMP voire FN) fausse
la donne dans la lutte contre un capitalisme débridé. En effet, dans
l’imaginaire collectif, la gauche était historiquement et serait encore
là pour nous protéger des dérives du grand capital conservateur (et
catholique) de la droite. Mais on se rend compte rapidement que ce n’est
pas du tout le cas et ce dès le XIXème siècle (pas besoin de faire les
surpris devant les privatisations de Mitterrand ou le combat “acharné”
de Hollande face à la finance). Michéa nous explique que ces confusions
politiques ont pour unique but de détourner l’attention de la majorité
vers des considérations secondaires (progressisme contre conservatisme,
mariage gay contre religion, droite contre gauche, etc…) plutôt que
contre un système capitaliste qui continue de ne servir que le plus
petit nombre au détriment du plus grand.
Michéa est professeur de philosophie et
c’est avec celle-ci qu’il décortique les fondements de la théorie
libérale et capitaliste, ses réflexions sur l’individu et sa place dans
la société. Ainsi, il nous explique de manière claire les absurdités
voire les folies de nos modes de vie actuels. Sous l’angle de la
philosophie, il s’attache à démontrer comment ont évolué le langage et
les valeurs morales de notre société sous l’égide bien pensante du
progrès et des libertés individuelles. On s’aperçoit alors que la focale
portée sur ce vrai faux clivage gauche-droite prend tout son sens ici.
Puisque sous couvert de faux débats idéologiques et moraux, les deux
mouvements politiques ont en réalité su œuvrer ensemble vers un même
idéal sociétal qui nous amène à la situation actuelle : une société de
consommation (de biens inutiles à but purement ostentatoire) où
l’individualisme est roi, où le recul des acquis sociaux est vu comme un
progrès (les “réformes”) et dans laquelle nous perdons à un rythme
effréné tout ce qui fait de nous des humains. La sempiternelle
opposition gauche-droite crée donc des clivages sociaux non dangereux
pour le système: vieux contre jeune, gay contre hétéro, pro-peine de
mort contre anti, etc… et fait ainsi diversion en masquant le seul
conflit important : celui de la lutte de classes.
Un peu à l’instar de Paul Ariès, Michéa
en arrive à dénoncer les dérives du libéralisme, ses tentatives
d’imprégner un certain rythme aux classes dominées afin qu’elles suivent
sans trop se poser de question et d’atomiser la société sur l’autel des
libertés individuelles. On divise pour mieux régner, une stratégie
connue mais qui marche. Michéa pense que la solution à cette domination
se trouve dans les valeurs des classes populaires et il s’appuie pour
cela sur les concepts de George Orwell (l’auteur de 1984) de common sense (sens commun) et common decency (décence
ordinaire) qu’il considère comme les socles d’une vie sociale
envisageable sous un autre angle que celui imposé par le prisme des
classes dominantes.
Pierre Rabhi
“Je pense au contraire qu’il est temps pour chacun d’entre nous de reprendre le pouvoir sur son existence et d’incarner une politique en acte dans chacune des sphères de son quotidien”
A première vue, on pourrait croire que
Rabhi, c’est un petit peu l’utopiste de la troupe d’un point de vue
idéologique. Pourtant il y a bien plus que cela dans ce personnage
prônant des valeurs simples. Tout d’abord, Rabhi agit bien trop pour
être réellement réduit au simple sobriquet d’utopiste. Que ce soit à
travers son mouvement Colibris (qui
invite chacun à redevenir actif et à faire sa part en société), mais
aussi à travers ses actions de diffusion et de mise en place d’une agroécologie plus soucieuse de l’environnement et des populations, Rabhi s’avère être en réalité un homme d’action avant toutes choses.
Cela dit, son approche critique du monde
et de notre société capitaliste n’en demeure pas moins intéressante.
S’il arrive globalement au même constat que ses coreligionnaires, le
cheminement de sa réflexion s’effectue au travers d’une critique précise
et acerbe de l’évolution de l’agriculture vers l’agriculture
industrielle et ses conséquences sur nos modes de vie. Là encore, c’est
donc par du concret que Rabhi nous amène finalement à une pensée plus
métaphysique et poétique. On perçoit à travers son message un
optimisme désarmant et une confiance en l’humain peut-être irréalistes
qui peuvent laisser sur leur faim certains mordus d’une révolution type
“grand soir”.
Pierre Rabhi remet la métaphysique
au goût du jour en la présentant comme objectif humaniste s’opposant
à la matérialité néfaste dans laquelle nous nous sommes engoncés et
continuons de nous enfoncer. Il prône des valeurs de simplicité et de
sobriété, tendant ainsi clairement vers des notions de décroissance et
pointant du doigt l’impossibilité de baser un système économique sur une
croissance permanente dans un monde aux ressources limitées. Ces
observations l’amènent finalement à une constatation simple, effarante
et pourtant inhabituelle : nous avons cessé de valoriser l’intelligence.
A travers une logique portée sur l’efficacité, la productivité, la capitalisation de notre temps et la vitesse, notre société a cessé de valoriser la lenteur, la contemplation et la réflexion. Tout au long de son cheminement, Pierre Rabhi tente d’éveiller en nous un potentiel d’action et de réflexion passant par une réappropriation de notre temps et un éloge de la lenteur que les médias de masse et les divertissements de notre société de consommation tentent tant bien que mal d’étouffer.
A travers une logique portée sur l’efficacité, la productivité, la capitalisation de notre temps et la vitesse, notre société a cessé de valoriser la lenteur, la contemplation et la réflexion. Tout au long de son cheminement, Pierre Rabhi tente d’éveiller en nous un potentiel d’action et de réflexion passant par une réappropriation de notre temps et un éloge de la lenteur que les médias de masse et les divertissements de notre société de consommation tentent tant bien que mal d’étouffer.
Bibliographie
Écologie et cultures populaires – Paul ArièsDésobéir et grandir – Paul Ariès
Émanciper le travail – Bernard Friot
Les Mystères de la gauche – Jean-Claude Michéa
Manifeste pour la Terre et l’Humanisme – Pierre Rabhi
Vidéos
Etienne Chouard – Chercher la cause des causePaul Ariès – Demain la Décroissance N°18
Bernard Friot – Le Salaire à Vie
Jean-Claude Michéa – Entretien avec Jean-Claude Michéa
Pierre Rabhi – Agir à son échelle et construire ensemble
Source de l'article principal : http://poppers-mag.fr/petit-guide-du-revolutionnaire-les-nouveaux-penseurs/
6 commentaires:
Nous devons passer de la “propriété lucrative” (fer de lance du capitalisme) à la “propriété d’usage“, affirme Bernard Friot.
Voilà un concept très intéressant que je souhaite approfondir en lisant les publications de cet économiste !
Personnellement, je ne conteste pas le droit à la propriété mais je ressens qu'il faut la limiter à ce qui est nécessaire, et donc proscrire l'accumulation qui se fait au profit de quelques-uns et au détriment de beaucoup d'autres.
Par exemple : pourquoi posséder des dizaines ou des centaines de maisons ? C'est la "propriété lucrative" pour reprendre l'expression de Bernard Friot. Mais ce qui est naturel et nécessaire (pour un sédentaire), c'est seulement de posséder une seule maison par famille. Voilà quel devait être le minimum fixé par la loi ! Et un maximum pourrait être fixé à une maison supplémentaire par enfant; leur permettant d'avoir leur propre domicile une fois l'âge adulte atteint.
Quant aux outils de production, ils devraient évidemment être la copropriété de ceux qui travaillent avec, de ceux qui en font usage ! Voici encore un exemple de la "propriété d'usage". Toute entreprise devrait être composée d'associés, de copropriétaires.
Paul Ariès nous explique que c’est aux plus riches de s’inspirer des usages des moins aisés et non l’inverse (comme c’est le cas à l’heure actuelle).
J'aime beaucoup l'expression "objecteurs de croissance" pour désigner ceux qui pointent du doigt le cœur du problème.
Notre système économique et social est basé sur une logique de croissance perpétuelle mais elle n’est pas viable. Il est facile de comprendre que, dans un monde aux ressources limitées comme le nôtre, un tel système mène à une destruction rapide de notre habitat. Nous commençons d'ailleurs à en sentir les premiers signes (pollution, extinction de nombreuses espèces, fonte des glaciers, tempêtes de plus en plus nombreuses et de plus en plus intenses, etc.).
La remarque fondamentale
"En premier lieu, il faut bien comprendre que les choses commencent à un niveau personnel avant de s’appliquer à la communauté, au pays, au monde."
fait le lien avec un autre article repris sur ce blog : "Que faire ?" signé Alban Dousset (http://justemonopinion-jeronimo.blogspot.com/2017/12/que-faire-pour-semanciper-de-notre.html).
Cette liste de "nouveaux penseurs" m'en évoque une autre utilisée en introduction de la vidéo "Chronique d'un éveil citoyen - épisode 7 - La démocratie" d'Alban Dousset (cf. le billet de blog à l'adresse suivante : http://justemonopinion-jeronimo.blogspot.com/2015/12/chronique-dun-eveil-citoyen-episode-7.html)
C'est la liste des personnalités du générique dans l’ordre d’apparition :
- Dieudonné,
- Alain Soral,
- Jacob Cohen,
- Jean Bricmont,
- Thierry Meyssan,
- François Asselineau,
- Adrien Abauzit,
- Pierre Hillard,
- Etienne Chouard (déjà cité dans l'article ci-dessus),
- Cornelius Castoriadis,
- Antoine Chollet,
- Paul Jorion,
- Frédéric Lordon,
- Olivier Berruyer,
- Jacques Sapir,
- Olivier Delamarche,
- Pierre-Yves Rougeyron,
- Pierre Jovanovic,
- Michel Drac,
- Jonathan Moadab (AIL),
- Michel Collon,
- Francis Cousin,
- Henri Guillemin,
- Tepa (Meta TV),
- Benjamin Bayart,
- Jérémie Zimmermann,
- et Edward Snowden.
La plupart des noms me sont familiers ... mais pas tous ! Cela mérite investigation !
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