lundi 3 octobre 2016

La faiblesse des monarques fait la force des banquiers

En 1689, lorsque Guillaume III règne sur l'Angleterre (c'est en épousant Marie, la fille du roi Jacques II, qu'il accède au trône), il doit faire face à de profonds troubles, couplés avec la guerre en cours contre Louis XIV. Il se met alors en quête d'argent car les fonds lui manquent et il n'est pas loin d'être réduit à la mendicité.

A cette époque, le banquier Paterson avance un nouveau concept appris aux Pays-Bas: la création d'une banque centrale privée pour financer les dépenses énormes du roi. Cette banque privée apporte 1,2 million de livres au gouvernement, sous forme d'un emprunt perpétuel, assorti d'un taux d'intérêt annuel de 8% et d'une commission de gestion annuelle de 4000 livres. Il suffisait que le gouvernement verse 100.000 livres par an pour lever 1,2 million en espèces, sans jamais devoir rembourser le capital. Bien sûr, le gouvernement devait également permettre à la Banque d'Angleterre d'accroître ses "profits" en lui accordant l'agrément national exclusif d'imprimer les billets.

On sait depuis longtemps que la rentabilité des orfèvres (les goldsmiths) provient de l'émission des billets à ordre. Ces billets étaient en fait des reçus émis en échange des pièces d'or déposées et conservées dans ces banques. En transporter de grandes quantités n'étant pas pratique, on commença à utiliser les billets à ordre pour effectuer des transactions, puis on se mit à les échanger comme des pièces d'or chez ces mêmes orfèvres. Après une certain temps, on ne ressentit plus le besoin de se rendre sans cesse chez les orfèvres, et ces reçus se transformèrent petit à petit en devises. En fait, peu de gens se rendaient dans les banques pour retirer leur or et les orfèvres commencèrent tranquillement à délivrer des billets à ordre aux personnes désireuses d'emprunter de l'argent, contre une reconnaissance de dette assortie d'intérêts. Une fois le principal et les intérêts récupérés, les banquiers détruisaient la reconnaissance de dette et avaient tranquillement empoché les intérêts produits par l'argent des déposants. L'aire de circulation des billets à ordre des orfèvres s'accroissait au même rythme que leur acceptation et des bénéfices qu'ils engendraient. Or, l'aire de circulation et d'acceptation de ces billets émis par la Banque d'Angleterre n'était égalée par aucune autre banque. Et ces billets qui avaient obtenu l'accréditation nationale devinrent la monnaie nationale. Le capital de la Banque d'Angleterre fut levé auprès de la société civile. Quiconque souscrivait au moins 2000 livres pouvait devenir gouverneur de la Banque d'Angleterre. Au total, la banque compta 1330 actionnaires et 14 gouverneurs, dont William Paterson.

En 1694, le roi Guillaume III d'Orange-Nassau octroya une charte royale et un statut légal à la Banque d'Angleterre. C'est ainsi que naquit la première banque moderne. L'idée de base de la Banque d'Angleterre était que la dette privée du Roi et des membres de la famille royale se transforme en dette nationale perpétuelle, garantie par les impôts levés sur le peuple, et que la banque elle-même émette la monnaie nationale fondée sur la dette. En conséquence, le Roi disposerait d'argent pour faire la guerre ou pour ses dépenses personnelles, et le gouvernement pour faire ce que bon lui semble. Les banquiers dégageraient ainsi d'énormes crédits et obtiendraient tous les revenus dont ils avaient rêvé grâce à des intérêts très élevés. On aurait pu croire qu'il s'agissait d'une situation gagnant-gagnant, si ce n'est que les impôts prélevés sur le peuple servaient de garantie. Avec ces nouveaux outils financiers puissants, le déficit du gouvernement britannique grimpa en flèche et, entre 1670 et 1685, les recettes fiscales atteignirent 4,8 millions de livres, une somme considérable pour l'époque.  Entre 1685 et 1700, les recettes de l’État s'élevèrent à 5,7 millions de livres, mais les emprunts contractés auprès de la Banque d'Angleterre durant la même période, connurent une flambée et passèrent de 800.000 à 13,8 millions de livres, soit 17 fois plus.

Mieux encore, ce plan eut pour effet de plonger l'émission de devises et la dette perpétuelle dans la même impasse. Émettre plus de monnaie signifiait augmenter la dette nationale. Et rembourser cette dette équivalait à détruire la monnaie qui ne pouvait plus circuler sur le marché. Ainsi, il était convenu que le gouvernement ne puisse jamais être en mesure de rembourser la dette. Les besoins du développement économique et le paiement des intérêts conduiraient inévitablement à une plus grande demande monétaire. Cet argent serait emprunté à la Banque, de sorte que la dette nationale augmente sans cesse, comme les revenus tirés des intérêts, que les banquiers empocheraient. Et en effet, à partir de cet instant, le gouvernement britannique n'a plus jamais remboursé sa dette.

Alors que la dette publique britannique s'établissait à 1,2 million de livres en 1694, fin 2005, elle représentait 525,9 milliards, soit 42,2% du PIB. En 2012, avec la crise financière de 2007, la dette publique britannique avait encore triplé, passant à plus de 1500 milliards de livres, soit 90% du PIB.

Dans ces conditions, ne vaut-il pas mieux couper quelques têtes si cela peut éviter d'empêcher la privatisation d'une banque nationale ? 

Source : Hongbing Song, "La guerre des monnaies - La Chine et le Nouvel Ordre Mondial", pages 30-33, édition Le Retour aux Sources, 2013

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