La nomination d'une enseignante métropolitaine pour un cours sur
l'histoire de l'esclavage suscite un tollé et vire à la querelle
identitaire.
Par Clément Pétreault
Modifié le 15/10/2016 à 13:15 - Publié le 15/10/2016 à 09:43 | Le Point.fr
L'Université
française partage avec le Vatican un goût accompli pour les élections
compliquées et les alliances florentines. Lorsqu'un enseignant doit être
recruté par une université, un comité de sélection regroupant
chercheurs locaux et extérieurs est mis sur pied. Sans surprise,
l'alchimie entre les membres du jury entraîne bien souvent l'élection du
favori..., sauf lorsque les jurés locaux boycottent l'assemblée qu'ils
ont eux-mêmes constituée. C'est ce qui s'est passé à La Réunion en mai
2016, à l'occasion d'un recrutement sur le poste d'enseignant spécialisé
en « histoire de l'esclavage, de l'engagisme et de l'économie des
colonies dans les îles du sud-ouest de l'océan Indien aux XVIIIe et XIXe
siècles ».
Une docteure nantaise, Virginie Chaillou-Atrous, a
été élue avec une voix d'avance sur le candidat réunionnais de 59 ans,
Albert Jauze. Voilà près d'un an qu'elle aurait dû succéder à un
professeur d'histoire et figure militante de l'identité créole, Sudel
Fuma, disparu en juillet 2014. Sauf qu'elle n'a toujours pas pu prendre
ses fonctions. Sa légitimité est contestée par diverses associations et
une décision du tribunal administratif vient de suspendre cette
nomination. Cela fera bientôt 850 jours que ce poste est vacant. Récit
d'un incroyable imbroglio administratif, où s'invitent des suspicions de
« néo-colonialisme » et de sentiment « anti-métropolitain ».
La Nantaise
Janvier
2016. La désignation de Virginie Chaillou-Atrous, spécialiste montante
de l'histoire de l'esclavage, est fraîchement accueillie à l'université
de La Réunion. Des voix s'élèvent pour dénoncer un « recrutement sur
commande » et regretter que le choix ne se soit pas porté sur son
concurrent local Albert Jauze, docteur en histoire moderne. Qu'importe
si ce dernier, originaire de l'île, avait déjà été écarté à deux
reprises des précédents recrutements de l'université. Patrick Karam,
président du Conseil représentatif des Français d'outre-mer (Crefom),
commente cette nomination le 26 mai, en marge d'un déplacement de
Nicolas Sarkozy sur l'île : « On a choisi une candidate moins capée
qu'un candidat réunionnais et on a l'impression que ce dernier a été
éliminé parce qu'il était réunionnais. » Les opposants s'échauffent et
assènent un argument discutable : l'histoire de l'esclavage ne peut être
confiée à une universitaire métropolitaine, de surcroît venue d'une
ville phare de la traite négrière... Virginie Chaillou-Atrous, Vendéenne
de son état, reçoit des messages la désignant comme « l'étrangère », «
la Nantaise » ou le « petit-beurre ».
« La vérité n'ayant qu'une seule couleur »
En
juin, l'affaire déborde du cadre universitaire et commence à faire
grand bruit dans l'île. L'historien réunionnais Prosper Ève – qui avait
refusé de siéger lors des délibérés du jury qui a désigné Virginie
Chaillou-Atrous – publie un poème virulent sur le site zinfos974.com
sous le titre « Un poème en réponse aux colonialistes et
néo-colonialistes ». Extraits : « Peuple réunionnais/ Méfiez-vous comme
de la peste/ De ceux qui vous jettent au visage/ Avec un brin de
suffisance :/ Qui est réunionnais ? [...]/ La vérité n'ayant qu'une
seule couleur,/ Accouchons-la sans peur [...]/ Vous êtes là en face
d'experts qui ont érigé le mensonge en vertu/ De monuments
d'intolérance,/ De dominants abjects et méprisants,/ De vils tyrans./
S'ils se permettent cette outrecuidance,/ C'est parce qu'ils ne sont pas
réunionnais,/ Mais en manipulateurs forcenés. » Ambiance à l'université
de Saint-Denis de La Réunion...
« Promotion du nègre »
Des
associations identitaires emboîtent le pas et s'emparent de l'affaire.
L'historienne « métropolitaine » est interpellée dans des commentaires
et des tribunes régulières. Erick Murin, responsable du Conseil
représentatif des associations noires (Cran) réunionnais, publie une
lettre ouverte pour le moins musclée. Extraits : « Est-ce trop demander
au métro-politain de Nantes, à l'imagination débordante, que d'imaginer
le rejet d'une candidature métro-politaine ? C'est une preuve de plus,
que le métro-politain réclame cyniquement encore plus de privilèges,
encore plus de droits à La Réunion. Pourquoi accepterait-il un ordre
social au détriment de sa visibilité existentielle ? [...] après quatre
longs siècles de domination, il est difficile pour un métro-politain
d'accepter que le nègre est à la plénitude de sa verticalité, qu'il
démultiplie ses foyers de résistances, qu'il ne craint plus d'affronter
le néo-colonialisme français. [...] Il n'a jamais été prouvé
scientifiquement que la promotion du nègre passe par le tamis du
métro-politain, c'est de l'infantilisation de vouloir faire croire au
Réunionnais qu'il doit constamment être la remorque, suivre, dépendre
d'une présence culturelle du métro-politain. » Bref, il faudrait être
réunionnais pour travailler sur l'histoire de La Réunion, comme il
faudrait être breton pour écrire l'histoire de la Bretagne ou alsacien
pour étudier celle de l'Alsace...
Pétition
Le milieu
universitaire s'émeut de cette entreprise politique qui voudrait
transformer l'histoire en combat mémoriel identitaire. L'universitaire
nantais Jacques Weber a lancé une pétition dans laquelle il dénonce «
l'ingérence d'associations, de réseaux sociaux et de groupes de pression
dans les affaires universitaires et leurs prétentions à substituer des
considérations locales et l'origine des candidats aux critères
scientifiques et au mérite ». La pétition sera déposée sur le bureau des
ministres Najat Vallaud-Belkacem et Thierry Mandon.
Sollicitée
par LePoint.fr, l'université de La Réunion ne souhaite pour le moment
apporter aucun commentaire à cette situation. Elle rappelle que la
décision du tribunal administratif ne porte que sur la forme de la
nomination. Un prochain jugement statuera sur le fond et permettra de
déterminer si l'enseignante peut ou non prendre ses fonctions.
http://www.lepoint.fr/societe/esclavage-insultes-et-poesie-a-l-universite-de-la-reunion-15-10-2016-2076131_23.php
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1 commentaire:
Bienvenue à l'île de la Réunion !
Quand le complexe prend le pas sur les critères scientifiques.
Les politiciens démagogues se régalent. Et l'électorat "cafre" ou assimilé (représentant 40% de la population) adhère.
On critique la Nantaise sur son origine géographique, pas sur ses compétences universitaires comparées à celles de son confrère réunionnais.
Pourtant, à Nantes, on s'y connaît en esclavage puisque c'était un des ports principaux du commerce triangulaire.
Et les Français réunionnais qui traitent les Français métropolitains de néo-colonialistes (voire de néo-esclavagistes) oublient vite que ce sont les Français métropolitains de la République de 1848 qui ont libéré les esclaves, pas les Réunionnais eux-mêmes.
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