mercredi 18 février 2015

"Il y a des requins partout, on n'a jamais vu ça"


Alors que les opérations de pêche post-attaque ont été prolongées jusqu'à vendredi à l'Étang-Salé, les témoignages se multiplient sur une présence anormalement élevée de requins dans la zone. Un phénomène qui inquiète les pêcheurs et qui interroge les scientifiques.

Depuis ce dramatique samedi soir du 14 février 2015, les bateaux de pêche du dispositif post-attaque mis en place la préfecture sillonnent le secteur du Pont Mulla, à l’Étang-Salé. Depuis quatre jours, tous sont à la recherche du squale auteur de l’attaque mortelle sur la jeune Talon Bishop, qui serait un gros requin tigre de 3,50 mètres selon les constations effectuées lors de l’autopsie.
Mais ce qu’ils ont découvert lors de leurs sorties en mer les a encore plus effrayés. "Je n’ai jamais vu ça de toute ma carrière... Il y a des requins partout ! À gauche, à droite, de tous les côtés !", témoigne un pêcheur. Depuis le lancement des opérations post-attaque – prolongées de 72 heures jusqu’à vendredi soir –, trois requins ont déjà été capturés : deux bouledogues de 2 mètres environ, et un tigre de 1,90 mètre.
En nombre, les squales présents dans la zone sont de plus extrêmement agressifs, à l’image de ce requin tigre ayant chargé à deux reprises une des embarcations ce mardi. Le bateau en question est d’ailleurs toujours en avarie depuis l’incident. Des dégradations du matériel de pêche ont également été constatées, preuve de la présence d’au moins un spécimen de grande taille.
 
Une "compétition" entre tigres et bouledogues ?

Du côté des pêcheurs, la première réaction est de mettre en garde la population face à cette présence hors-norme de squales dans la zone de l’Étang-Salé. Car non loin de là, ce mercredi encore à Saint-Leu ou à Trois-Bassins, des surfeurs continuent de se mettre à l’eau par dizaines, malgré l’observation d’un requin tigre dans le secteur ce mardi.
Du côté des scientifiques, on tente d’interpréter ces observations relevées à l’Étang-Salé. "Qu’un requin tigre puisse attaquer près du bord, c’est quelque chose de connu et qu’on a déjà observé", note tout d’abord Marc Soria, chercheur à l’IRD et responsable du programme CHARC (Connaissance de l’écologie et de l’habitat de deux espèces de requins côtiers). "En général, on les trouve plutôt au-delà, entre 50 et 100 mètres de fond, on les voit rarement près des côtes, mais ils ont la possibilité de patrouiller dans les grandes baies", explique-t-il.
D’autre part, "il y a visiblement des interactions entre les tigres et les bouledogues dans ce secteur", poursuit Marc Soria. "Les études ont montré qu’il pouvait parfois y avoir un chevauchement des habitats entre les deux espèces, même si le bouledogue est plus côtier", indique-t-il. Toutefois, l’Étang-Salé n’avait jusqu’ici pas été identifié comme une zone de "cohabitation" entre requins tigres et requins bouledogues, contrairement au sud de la Pointe au Sel ou au Cap Lahoussaye.
"À l’Étang-Salé, il y a visiblement une situation de chevauchement entre les deux espèces en raison de conditions qu’on ne connaît pas, qui peuvent être environnementales ou comportementales. Il y a donc une compétition entre les tigres et les bouledogues et s’ils se rencontrent dans le temps et dans l’espace, ça les rend forcément plus agressifs", reprend le chercheur de l’IRD.
 
"Les conclusions hâtives sont à bannir"

Reste à déterminer les causes de cette concentration de squales des deux espèces. Car d’après les scientifiques, le pic de présence des requins sur la côte ouest se situe plutôt dans la période de transition été/hiver austral, c’est-à-dire de mars à juin. Quant à la période de reproduction – qui pourrait être un facteur explicatif –, elle a été identifiée de mars à août pour les bouledogues. "Mais on ne connaît pas bien la reproduction des tigres, qui sont le plus souvent hors de notre réseau", complète Marc Soria. "Leur période de reproduction est a priori identique à celle du bouledogue, mais la saisonnalité peut être variable selon les conditions environnementales", précise-t-il.
Alors que le programme CHARC vient de rendre ses premiers résultats après trois ans d’étude, "tout cela veut dire qu’il faut mettre l’accent sur le fait que les conclusions hâtives sont à bannir", insiste Marc Soria. "Il faut rejeter l’idée que c’est uniquement une crise bouledogue. Car dans des situations différentes et à des époques différentes, on a aussi des requins tigres qui peuvent attaquer près des côtes à n’importe quel moment", souligne-t-il.
Les pêcheurs de l’Étang-Salé, eux, en sont bien conscients. Même parmi les plus anciens, on conseille aux gens de "ne plus mettre un pied dans l’eau". Car comme le craint l’un entre eux : "Si c’est infesté de requins ici, qui nous dit que ce n’est pas le cas aussi ailleurs ?"

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