samedi 11 février 2012

La carrière du pancratiaste Markos Aurèlios Dèmostratos.

Strasser Jean-Yves. La carrière du pancratiaste Markos Aurèlios Dèmostratos Damas. In: Bulletin de correspondance
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Les athlètes qui excellent à la fois dans le pancrace et la boxe sont rares, alors qu'il est fréquent de voir des pancratiastes remporter l'épreuve de la lutte et inversement. Il y a d'autant moins de vainqueurs doubles boxe-pancrace qu'on avance dans le temps et qu'on monte dans la hiérarchie des concours. Ainsi, le boxeur Aurèlios Septimios Eirènaios a été vainqueur au pancrace dans des concours à prix d'argent, à Kition et à Hiérapolis de Syrie, mais il n'a jamais remporté que la boxe dans les concours sacrés. Un immense athlète comme Dèmokratès de Magnésie du Méandre, boxeur périodonique, n'a remporté le pancrace que dans sa patrie et au concours du koinon de Lycie ; sans doute ne se serait-il même pas présenté dans l'épreuve à Élis ou à Delphes devant les meilleurs de cette discipline. Même T. Phlavios Archibios, l'un des prédécesseurs de Markos Aurèlios Dèmostratos Damas de Sardis au sommet de la hiérarchie des pancratiastes, n'a remporté la boxe qu'à deux reprises, aux Balbilleia d'Éphèse et à Antioche, mais dans aucun concours majeur. Pour l'époque impériale, citons encore, sans souci d'exhaustivité mais en nous limitant aux plus grands athlètes, un pancratiaste, Pergamos, vainqueur πυγμήν παγκράτιον à Nicomédie, et un certain Rouphos, qui, au IIe/llle siècle apr. J.-C, a exercé les trois sports dits « lourds ». Aux époques hellénistique et classique, les exemples n'abondent pas non plus. Mis à part un cas incertain de double vainqueur aux Pythia — et encore, ce serait parmi les enfants, où la concurrence doit être moins rude — et Astyanax de Milet, dont nous ne connaissons pas le palmarès exact, on ne trouve guère que trois très grands athlètes vainqueurs dans un concours de la période au pancrace et à la boxe : dans le dernier quart du IIIe ou le premier quart du IIe siècle av. J.-C, Kallistratos de Sicyone excelle vraiment dans les deux disciplines, remportant par exemple les deux dans une même célébration des Nemea ; il n'est néanmoins ni périodonique ni même olympionique. Sans doute un peu avant lui, Kleitomachos de Thèbes est olympionique dans les deux épreuves, lors de deux célébrations différentes. Et surtout, toute l'Antiquité a en mémoire les exploits de Théogène de Thasos, vainqueur des Olympia dans la boxe en 480, dans le pancrace quatre ans plus tard. À l'époque impériale, seul Dèmostratos Damas, qui ne peut cependant pas s'enorgueillir d'une victoire olympique dans la boxe, peut rivaliser avec ces vieilles gloires du sport, grâce à ses trois victoires dans les concours de la période, aux Pythia, aux Isthmia et aux Nemea. Son palmarès dans la boxe est d'autant plus remarquable que presque toutes les victoires ont été acquises dans des concours majeurs ; Dèmostratos n'en compte semble-t-il aucune à son actif dans les concours à prix d'argent, où il s'est cantonné à sa discipline favorite, le pancrace, bien que les occasions de remporter la boxe avaient certainement dû se présenter dans ces agônes où la concurrence peut être moins grande. Au contraire, Damas a seulement affronté l'élite de la discipline dans les concours de la période.

La raison de la rareté des athlètes excellant à la fois dans le pancrace et la boxe est double. Ce sont deux disciplines qui réclament des capacités physiques et techniques assez différentes, au contraire du pancrace et de la lutte, aux exigences très proches. La seconde explication est, à certains égards, encore plus importante. Lors des concours, l'ordre traditionnel des sports de combat est le suivant : lutte, boxe et enfin pancrace. Or la seconde discipline est particulièrement traumatisante, et il est rare que même le vainqueur sorte indemne de la compétition : il lui est donc impossible à ce moment d'enchaîner avec le pancrace. C'est ce qu'illustre l'anecdote relative à Kleitomachos de Thèbes ; celui-ci ambitionnait les couronnes olympiques dans le pancrace et la boxe ; son rival Kapros d'Elis participait à la lutte et au pancrace. Après la victoire de Kapros à la lutte, Kleitomachos demande aux hellanodices d'inverser l'ordre des épreuves, afin de pouvoir affronter Kapros dans un premier temps au pancrace, avant d'avoir reçu les blessures inhérentes à la boxe (πριν ή πυκτεύσαντα αυτόν λαβείντραύματα) ; ayant obtenu gain de cause, Kleitomachos perd contre Kapros dans le pancrace, mais peut encore participer à la boxe en pleine possession de ses moyens.

3 commentaires:

Je a dit…

Celui qui j'ai estimé comme étant l'un des meilleurs (avec un règne estimé à 8 années environ) pugilistes "purs" de l'époque romaine dans mon livre "Le meilleur combattant de tous les temps" (5ème édition), Dèmokratès de Magnésie du Méandre, est décrit ainsi par Jean-Yves Strasser : "boxeur périodonique, n'a remporté le pancrace que dans sa patrie et au concours du koinon de Lycie ; sans doute ne se serait-il même pas présenté dans l'épreuve à Élis ou à Delphes devant les meilleurs de cette discipline."

A titre de comparaison, on pense à Théogènes de Thasos dont le règne fut pratiquement deux fois plus long. C'était un boxeur qui est allé défier les pancratiastes (et qui réussit à s'imposer à Olympie). Ce fut le pionnier des combattants polyvalents (capables de s'imposer dans deux "épreuves lourdes" différentes.

Par la suite, on trouvera surtout des polyvalents combinant des succès en lutte et pancrace (visant le doublé à Olympie dans ces deux disciplines), comme Kapros d'Elis (le premier à réussir l'exploit) ou Straton d'Alexandrie (le plus renommé des sept à réussir ce défi).

On peut également citer des pancratriastes qui ponctuellement décrocheront un succès majeur dans une autre discipline que la leur. Plus naturellement, c'est en lutte qu'on les retrouvera. Ainsi Titus Phlavios Archibios d'Alexandrie a remporté l'une de ses quatre couronnes aux Jeux pythiques de Delphes en lutte alors qu'en pugilat/boxe ses deux seuls succès furent obtenus dans des concours mineurs : aux Balbilleia d'Éphèse et à Antioche.

Finalement, c'est bien Markos Aurèlios Dèmostratos Damas de Sardis, deux fois périodonique en pancrace, qui obtiendra le plus de succès en boxe avec trois couronnes dans les Jeux sacrés : Delphes, Némée et Corinthe (seul le titre à Olympie lui manque).

Je a dit…

Un lutteur (de formation) qui s'impose en pancrace correspond, pour l'époque moderne, à un judoka, un lutteur ou un samboïste qui va décrocher un titre en MMA.

On peut citer :
- Fedor Emelianenko (champion de russie de judo chez les 100kg et quadruple champion du monde de sambo) qui a régné sur les MMA (notamment au Pride Fighting Championship) pendant 7 années;
- et Daniel Cormier, lutteur olympique (4ème lors des JO d'Athènes en 2004 dans la catégorie 96kg) et double champion de l'UFC (93kg et lourds).
Tout deux ayant un physique similaire d'ailleurs, autour de 1m80 pour 100-110kg.

On peut également citer les pancratiastes (et kick-boxeurs de formation) qui ont réussi à s'imposer à la fois dans le K1 Grand Prix et dans une des organisations majeures de MMA :
- Alistair Overeem : champion du Strikforce en 2007 (MMA), du K1 Grand Prix en 2010 (kick-boxing) et du Dream en 2010 (MMA);
- et Mirko Filipovic : vainqueur Pride Grand Prix 2006 (MMA), du K1 Grand Prix de mars 2013 (kick-boxing) et du tournoi Rizin en 2016 (MMA).

Je a dit…

Les experts diront que le kick-boxing est à mi-chemin de la boxe et du MMA.
D'ailleurs, dans l'Antiquité, les tours préliminaires des tournois de pancrace excluaient le combat au sol. Cette variante de la discipline portait le nom de "ano pankration" et s'apparentait au kik-boxing/muay thaï modernes.
La forme complète du pancrace, avec combat au sol, portait le nom de "kato pankration".

Pour faire l'analogie entre l'exploit de Markos Aurèlios Dèmostratos Damas de Sardis et un éventuel combattant contemporain, il faudrait davantage chercher un champion de MMA (double champion de l'UFC par exemple) qui serait aller défier un champion du monde de boxe anglaise professionnelle ; et qui l'aurait vaincu.

C'est ce qu'a tenté Conor McGregor (double champion de l'UFC des 65kg et 70kg), en 2017, affrontant le quintuple champion du monde de boxe (des 59kg aux 69kg) Floyd Mayweather. Mais il a échoué en étant arrêté par l'arbitre à la 10ème reprise.