lundi 15 février 2021

La plupart de la résistance ne dit pas son nom. Entretien avec l’anthropologue politique James C. Scott (2018)

 


“De fait, la chose la plus essentielle est de rassembler ce peuple disséminé partout en nulle part, en groupes ; la chose primordiale est de les rendre saisissables. Quand nous les aurons entre nos mains, nous pourrons alors faire beaucoup de choses qui sont impossibles pour nous à faire aujourd’hui et nous permettra alors peut-être de capturer leurs esprits après que nous ayons capturé leurs corps.”
~ Officier du corps expéditionnaire français, Algérie, 1845, cité par J.C.Scott, 2009 ~

“Avec la collecte d’impôts, la sédentarisation permanente des populations est la plus ancienne des activités de l’État.”
~ James C. Scott, 2009 ~

“L’essentiel de ce que l’on veut dire lorsque nous disons le mot “civilisé”, d’être “Han”, d’être un vrai “Thaï “ou “Birman”, c’est d’être un sujet totalement incorporé, enregistré et taxé de l’État. Par contraste, être “non-civilisé” est souvent l’opposé, c’est-à-dire vivre en dehors du cadre oppresseur de l’État.”
~ James C. Scott, 2009 ~

Lire James C Scott sur notre page “Anthropologie politique”


 
James C. Scott, anthropologue
professeur de science politique, Yale U.

 La plupart de la résistance ne dit pas son nom: un entretien avec l’anthropologue politique James C. Scott

 avec Francis Wade

 Janvier 2018

 url de l’article orignal:
https://lareviewofbooks.org/article/most-resistance-does-not-speak-its-name-an-interview-with-james-c-scott/

 ~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 Février 2021

 FRANCIS WADE: Qu’est-ce qui vous a amené à votre domaine de recherche, la question du comment l’État se développe-t-il, comment contrôle-t-il ses sujets et comment peut-on lui résister ?

JAMES C. SCOTT: A l’origine, cela remonte à ma période d’étude de 3ème cycle et de chercheur sur le sud-est asiatique lorsque je parlais et dissertais contre la guerre du Vietnam. J’étais fasciné par des gens comme Sékou Touré, Ho Chi Minh, Mao Zedong et bien d’autres. et ce ne fut qu’à la fin des années 1960 que j’ai compris que ces types de luttes révolutionnaires ne menaient qu’à des états renforcés qui étaient capables de s’appuyer plus fortement sur des populations de manière plus autoritaire que les états qu’ils avaient remplacés.

Mon premier livre, The Moral Economy of the Peasant, était un effort de comprendre la rébellion paysanne. Ceci mena à des travaux subséquents sur les formes de résistance qui n’étaient pas révolutionnaires, les formes de résistance de la vie quotidienne.

Plus récemment, je me suis intéressé à l’histoire profonde de l’État et un livre précédent sur la question fut un livre sur l’histoire des peuples des hauts-plateaux en Asie du sud-Est. (NdT: “Zomia, ou l’art de ne pas être gouverné”) Mon livre “Against the Grain” ne fut qu’une progression logique de ceci, mais je voulais aussi lui donner une dimension écologique. Le travail académique aujourd’hui est infusé d’un profond sens du doute sur la place que nous occupons de nos jours et du comment nous en sommes arrivés là, que ce soit à cause du réchauffement climatique ou de l’extinction des espèces. Profondément, je partage le souci que les formes d’état et de mode de vie agraire et grégaire qui prévalurent avant l’avènement des sources d’énergies hydrocarbonées, sont partiellement responsables de ce que nous vivons maintenant. Je fus donc déterminé de remonter le temps dans ma recherche aussi loin que possible pour voir comment cette chose qu’on appelle “l’Etat” et sa concentration d’animaux et de cultures agricoles et de gens dans des espaces sédentaires s’établirent en première instance.

Quelques critiques de votre livre “Against the Grain” l’ont accusé d’avoir été trop dur contre l’Etat. L’État ne peut-il pas fournir la liberté aussi bien qu’il puisse la limiter ?

J’essaie de penser à cette question attentivement au travers de la Révolution française, parce que ce fut la toute première fois qu’une population adulte mâle fut affranchie ; et ce fut la première fois que quiconque où que ce soit en France, quelque soit son bien ou son métier, était égal devant le loi de la nation française. La France après la Révolution fut un grand Etat de l’émancipation, mais auparavant, l’État n’avait accès à la population qu’au travers des parlements différents et des différents états de l’ordre féodal. Une fois la révolution réalisée, l’État pour la première fois eut accès directement à ses citoyens. Ce fut la naissance de la citoyenneté et ceci rendit possible la mobilisation totale de la population sous Napoléon. Ainsi vous aviez organisation et mobilisation pour la guerre totale intégralement liées aux résultats de la Révolution française. (NdT: En fait, on peut aussi voir ceci de la façon suivante. Le révolution jacobine bourgeoise ne put pas désarmer le peuple, qui resté en armes présentait une menace pour le bon déroulement de la mise en place de la dictature marchande, ne pouvant risquer que la contre-révolution marchande soit brisée par le peuple, les nouveaux dirigeants bourgeois envoyèrent le peuple guerroyer aux quatre coins de l’Europe pour défendre les acquis de la Révolution et “libérer” les peuples européens du joug monarchique… La guerre perpétuelle se poursuivit sous le Directoire, le Consulat et bien sûr l’Empire, qui vit alors le système bancaire acheter l’ensemble de la belligérance, l’affaire était pliée en 1815, la banque dominait et annonçait le règne de la pourriture du fric jusqu’à aujourd’hui, dans son ère  totalement achevée de domination réelle capitaliste depuis la 1ère guerre mondiale…)

Ce à quoi j’objecte dans quelques critiques de “Against the Grain” et qu’elles tendent à assumer que les chasseurs cueilleurs avaient l’option de continuer leur existence ou de rejoindre l’état providence. Ils choisirent, ou plutôt furent forcés de choisir, de rejoindre, une autocratie agraire d’une sorte ou d’une autre. Dans la mesure où l’État possède des aspects de providence et de sécurité sociale, ce n’est que ce qui est nécessaire pour maintenir une population de manière centralisée, joignant l’utilité à la nécessité.


 

“Les armes des faibles” explore les façons matérielles et idéologiques par lesquelles des sociétés plus vulnérables résistent au pouvoir d’une élite. Avez-vous physiquement été dans ce village malais pour observer ces méthodes particulières de résistance ?

En fait, par bien des aspects, “Weapons of the Weaks” est le livre dont je suis le plus fier, en grande partie parce qu’il est le fruit de deux ans de recherche de terrain dans ce village malais où rien de révolutionnaire ne se passait. Et j’ai trouvé que ce n’était pas seulement des façons idéologiques subtiles de résistance qu’utilisaient les villageois. Les luttes des gens sans droits citoyens, ce qui revient à dire la vaste population du monde la plupart du temps, sont toujours matérielles dans un sens. Entre 1650 et 1850, le crime le plus  important et le plus fréquent en Grande-Bretagne était le braconnage. Il n’y avait jamais de grandes marches sur Londres, pas de pétitions parlementaires, pas d’émeutes, c’était une lutte pour la propriété commune, communale qui fit rage pendant un ou deux siècles et qui rapportait de véritables bénéfices quotidiens pour la paysannerie.

De manière similaire, regardez la différence entre l‘invasion des sols d’un côté et le squatting de l’autre : les squatteurs ne font aucune demande publique, ils ne sont intéressés que par le résultat factuel. Il en va de même des désertions dans l’armée en rapport aux mutineries, parce que la mutinerie fait une demande publique. Alors il m’est apparu d’un seul coup que la vaste majorité de la résistance dans l’histoire ne fait pas de demande publique et qu’en fait une grande partie de cette résistance est cachée derrière une loyauté au roi ou au tsar. Il me semble que les historiens, en focalisant sur l’organisation et les manifestations publiques, ont loupé en fait la plupart des actes réels de résistance au travers de l’histoire.

Est-ce que ces “armes” quotidiennes utilisées par les villageois malais, traîner les pieds, grève du zèle, évasion, commérage, sont utilisés aussi ici, dans des pays développés comme les États-Unis avec de robustes institutions politiques ?

Si nous parlons des pays développés, nous parlons alors d’une aliénation générale de la politique et d’un manque de volonté de donner son cœur et son âme à la lutte dans une arène qu’on voit profondément corrompue et compromise, pourrie. Cette aliénation et le retrait qui en est l’effet sont les formes les plus communes de résistance. En Europe de l’Est, ils avaient l’habitude d’appeler ça la migration interne, vous trouveriez quelque chose d’autre à penser parce que c’était sans espoir de penser à la sphère publique. C’est Hobsbawn qui a dit que le but des paysans était de travailler le système au minimum de leur désavantage, ils ne peuvent pas le battre mais ils peuvent rogner la circonférence.

L’autre chose que j’ai découverte dans ce village malais est la façon dont les gens se représentent mal devant des audiences différentes, comment les pauvres se font une mauvaise idée de leurs accords et de la complicité avec les élites du village, comment ils parlent entre eux en opposition du comment ils parlent au pouvoir. Ceci est quelque chose qui se passe quotidiennement partout. Lorsque les disparités de pouvoir sont grandes, l’incompréhension et la mauvaise représentation sont en relation fortes. Ceci représente les “transcriptions cachées” que j’ai décrites.

Mais rappelez-vous que traîner les pieds n’est pas seulement une technique des sans-pouvoir, c’est aussi utilisé par les bureaucraties. Il y a un bon moment dans la Massassuchetts, le gouvernement de l’Etat avait décidé de faire des coupes dans les dépenses sociales. Mais il n’avait pas eu le courage de le faire ouvertement et cela aurait été politiquement difficile de changer formellement les critères sociaux et les dépenses. Ce qu’ils firent alors fut de rendre le processus bureaucratique onéreux en utilisant beaucoup de formulaires très longs, de rendre les heures d’ouverture des services sociaux inefficaces et peu amènes pour les mères de famille et leurs enfants, ils utilisèrent toute une série d’obstacles subtils ou un véritable parcours du combattant si vous voulez, afin de s’assurer que personne n’arrive au sucre d’orge. Alors tandis que ce type de résistance peut être une des seules armes des sans-pouvoir, cela constitue une des armes de la panoplie des élites.


 

Vous avez dévoué des livres entiers à l’exploration de la résistance à l’Etat en Asie du Sud-Est ; mais je ressens souvent presque un désir conditionné parmi certaines communautés là-bas pour une forte autorité sans laquelle la société pourrait s’effondrer. La Thaïlande et les Philippines sont les deux exemples récents qui viennent en tête.

Je n’ai pas la prétention d’être un spécialiste en opinion publique mais cela m’interpelle que les classes moyennes cosmopolites et éduquées de Thaïlande se sont retournées contre un gouvernement élu populiste et sont très heureux de vivre sous la règle militaire (NdT: Là , Scott ne sait pas trop de choses sur le sujet car il parle du gouvernement du magnat corrompu et mondialiste, populiste au sens le plus vil du terme, de Taksin Shinawatra dont la fonction de 1er ministre n’a fait que l’enrichir, lui, déjà multi-millionnaire et les siens et ses amis du business. Il a été condamné par contumace pour escroquerie, corruption, abus de biens sociaux, fraude électorale et vit en exil aux Émirats Arabes Unis et au Qatar. Lorsqu’il fut déposé par un coup d’état “doux” sans violence, il était aux États-Unis où il donnait une conférence au CFR, ironie du sort… Ceux qui connaissent bien la Thaïlande ne furent pas surpris du soutien que reçut ce “coup d’état” au sein d’une vaste majorité du peuple thaïlandais. La sœur de Shinawatra, Yinluk, est devenue quelques années plus tard la 1ère femme premier ministre en Thaïlande, pilotée par son frère depuis l’étranger, elle fut aussi déposée en douceur il y a quelques années.).

Idem aux Philippines pour Duterte qui ne voit aucun lever de boucliers contre lui, ce qui montre un réel désir des Philippins pour la loi et l’ordre aux dépends des libertés démocratiques. (NdT: On ne naît pas ainsi, on le devient. C’est une construction sociale… de plus on ne peut pas comparer la Thaïlande et les Philippines, le facteur très spécial de la monarchie n’existe pas aux Philippines, à plus forte raison la monarchie dans son contexte thaïlandais qui est très spécial et unique au monde)

Au Myanmar (Birmanie), un des objectifs à long terme de l’armée, en terme d’opinion publique, est de faire croire aux gens que le pays va s’effondrer s’il n’y a pas un fort pouvoir militaire en place et que celui-ci ait les mains libres. Ce désir est cultivé depuis le sommet de la pyramide. J’ai le sentiment qu’Aung San Suu Kyi (NdT : elle-même fille de général) voulait étendre les cesser-le-feu à toutes les minorités périphériques parce qu’elle voulait le contrôle du problème majeur de la sécurité nationale et que l’armée fut heureuse d’avoir cette disruption et cette flambée de conflits, cela allait dans leur intérêt.

Est-ce que ces campagnes supposément bienveillantes, les cesser-le-feu au Myanmar, la guerre contre la drogue de Duterte aux Philippines, ne pourraient pas être plutôt des stratégies de protection du pouvoir de l’Etat dans ces régions des pays concernés qui justement en manquent ?

Toute intervention de l’État et toute extension de pouvoir sont vues par les élites comme une bonne chose dans l’intérêt des populations. Mais sans cynisme, cela résultera plus que vraisemblablement en une amplification du pouvoir étatique aux dépends de ses sujets. [NdT: S’ensuit ici l’exemple des Philippines sur Mindanao depuis les années 1950]

Les premiers États ont du gérer une périphérie avec d’autres peuples avec lesquels ils en faisaient des alliés ou les transformaient en mercenaires ou les maintenaient à distance. Maintenant, l’explosion démographique du dernier siècle et demi écoulé signifie qu’il y a des populations des basses terres qui sont affamées qui peuvent être à la fois utilisés pour créer de nouvelles plantations dans les collines ainsi que de nouvelles colonies etc. La périphérie peut être contrôlée en y envoyant et en transplantant des populations majoritaires. Aujourd’hui, le développement des routes et infrastructures permet aux États de projeter leur pouvoir de manières qui n’étaient ni possibles ni pensables auparavant. Mais je pense que le degré de contrôle de l’État en Asie du Sud-Est varie grandement. La très grande partie du Laos par exemple, à l’exception des quelques zones de vallées, est un espace non-étatique où l’État n’a que peu ou pas d’influence.

Pourrait-il y avoir quelque chose là dans le processus de formation des Etats qui pourrait faire comprendre ce constant mouvement de balancier entre l’autoritarisme et la démocratie en Asie du Sud-Est ?

Je présume que si je devais m’intéresser à cette question, je regarderais à la période de la seconde guerre mondiale (SGM) et à l’histoire de l’indépendance post-SGM. Au Myanmar (Birmanie) en particulier. Il est clair que la mobilisation militaire fut une part absolument cruciale de la création d’un Etat birman. Une partie de cela est aussi vraie pour l’Indonésie et un peu au Vietnam. Il semble que ces endroits ont eu une poussée militaire tôt dans le jeu, qui était accoutumée à la règle et dans bien des cas à gérer l’économie. Elles sont de grand intérêt économique par dessus le marché. Sous cet aspect, je pense qu’il y a une domination militaire institutionnelle qui remonte à loin et l’armée se représente elle-même comme salvatrice et âme de la nation.

Avec ce changement viennent de sévères angoisses au sujet de la stabilité de la société et les leaders nationalistes sont très forts pour faire la propagande de la peur que la démocratie va renverser les ordres sociaux ayant cours de longue date, qu’ils soient ethniques, religieux etc. Nous voyons les résultats létaux de tout ça maintenant au Myanmar.

Si vous vous demandez quels pays ont la plus longue expérience de la politique ouverte démocratique en Asie du Sud-Est, la réponse serait sans aucun doute les Philippines et la Thaïlande et un peu l’Indonésie. Le nœud de l’affaire est qu’une plus longue expérience de stabilité politique sous une concurrence politique saine démocratique réduirait la peur que la nation s’effondre. Je conçois une politique démocratique ouverte comme un processus éducatif graduel. D’un autre côté, si vous avez  une période continue d’autoritarisme, alors les seules formes d’opposition doivent être profondément subversives ou armées, ceci est une prophétie qui s’auto-réalise si la seule opposition que permet un régime militaire birman à sa règle sont des mouvements sécessionnistes armés. Alors le pays s’effondrera. Ceci est en un sens assez caractéristique de la politique que la règle militaire a créée.

Sur la question du Myanmar, cette soi-disant transition vers la démocratie accordée que Suu Kyi espère présider pose un problème : l’armée birmane a loué l’accès à un bon nombre de ressources naturelles à des entreprises étrangères, celles-ci ont accaparé des terres et des entreprises partout dans le pays et se les sont mises en gestion directe. Il n’est pas clair, et ce même si la transition était couronnée de succès dans les huit prochaines années, qu’il y ait encore des choses qui n’aient pas été saisies et rendues propriété de l’armée ou d’entreprises étrangères. Ceci en fait est un bien mauvais deal pour les démocrates.

Êtes-vous surpris de l’intensification de la violence ethno-religieuse se passant durant la démocratisation du pays ?

J’ai toujours remarqué, ce depuis que je vais en Birmanie, ce que j’ai toujours pensé être une peur irrationnelle des musulmans en général. C’est une sorte d’hystérie, de dire que ces gens volent les femmes, comme si les femmes étaient propriété des seuls birmans (groupe ethnique majoritaire) Il y a une profonde peur culturelle de l’extinction, spécifiquement liée aux mâles et au bouddhisme dans son déguisement birman et ceci semble toujours être totalement hors de proportion par rapport à tout véritable danger auquel l’Etat birman a du faire face.

Il ne fait aucun doute que nous avons une véritable tragédie humanitaire qui se déroule devant nos yeux, une de celles que l’Asie du Sud-Est n’a pas vu depuis au moins les derniers massacres en Indonésie après 1965 (NdT: L’élimination physique du PCI et sympathisants par l’armée indonésienne pilotée par la CIA et les forces spéciales américaines, massacres et “disparitions” de centaines de milliers d’opposants dans une vaste chasse aux sorcières délatrice à travers le pays…). Il me semble que les Indonésiens vont devoir gérer cette tache des massacres dans leur histoire pour le siècle à venir, de la même façon que les Turcs doivent faire face aux massacres des Arméniens. Quoi qu’on puisse dire du peuple Rohingya, ce sont des êtres humains et ont été traités comme du bétail ou pire, plus d’un demi-million d’entre eux ont été déplacés, leurs maisons brûlées, leurs vies ruinées. Lorsque la poussière de cette tourmente va retomber tout régime birman devra gérer les conséquences de cette affaire de tragédie humanitaire dont lui et ses milices alliées seront tenus pour responsables. C’est une de ces hontes nationales. Je ne parle pas du point de vue de nations n’ayant pas de génocides à se reprocher ni à expliquer, et les États-Unis ont certainement plein de choses à expliquer ; mais la Birmanie / Myanmar a aussi un génocide pour lequel elle doit rendre des comptes.

Comment se peut-il qu’une vaste section de la population se soit ralliée derrière le nettoyage ethnique ? Tout ça ne peut pas juste surgir de nulle part…

Je suis en fait mystifié par le profond doute et les peurs concernant les musulmans et qui remontent à bien avant la crise des Rohingya. Je confesse que je ne le comprend pas.. Il y a tous ces liens avec la population indienne de Rangoun et les grèves des dockers et la violence de la période coloniale. Il y a une histoire derrière tout cela mais je suis mystifié par tant de peur des musulmans dans la population birmane, je lève donc les bras au ciel. Tout ceci a été attisé, cultivé et monté en épingle par les nationalistes bouddhistes qui ont leur agenda particulier, par les militaires que tout ça aide à solidifier leur main mise sur le pouvoir et le contrôle de l’économie et de l’Etat. Ces attitudes existent et elles sont profondément ancrées, mais elles ont été politiquement mobilisées comme personne ne l’a vu auparavant.

Les Rohingya furent historiquement assez passifs mais maintenant ils sont devenus un point de focalisation de la mobilisation publique. Pourtant, si on voulait exprimer un “souci” au sujet d’une menace extérieure au Myanmar, alors la population chinoise du Yunnan et les entreprises chinoises qui contrôlent tout le nord de la Birmanie, seraient la source d’une préoccupation de domination économique bien plus réaliste et palpable plutôt que les musulmans.

Ceci n’est-il pas un dérivé de la création d’une nouvelle société, l’étatisme comme poursuivi par une majorité à qui on a longtemps refusé ce droit de le faire ?

Il y a un grand nombre de groupes en Asie du Sud-Est comme les Rohingya, qui existent au-delà et en dépit des limites frontalières. Hors de l’ASE, les Kurdes représentent l’exemple contemporain le plus fort. Il me semble que si vous ne voulez pas de guerres de sécession alors la seule façon de les éviter et qu’un système international invente des formes d’association au-delà des frontières sur des questions culturelles, linguistiques, éducatives etc. Toute une série de problèmes qui a à faire avec la cohésion culturelle d’un peuple qui ne menace pas la souveraineté des nations sur lesquelles cette population s’étend. Nous devons inventer quelque chose comme cela pour les Kurdes, les Rohingya, les Hmong, les Karen et pleins d’autres groupes ethniques plus petits.

L’armée birmane n’aurait pas été inquiétée de cette affaire Rohingya il y a encore 30 ans et la presse internationale l’aurait à peine mentionnée. Mais le monde aujourd’hui est plus intégré, ainsi les nations doivent répondre des mauvais traitements infligés aux groupes ethniques minoritaires. sans défense. La seule chose qui met un frein à ce que pourrait endurer de plus les Rohingya au Myanmar est le regard international sur la question, et plus il y a d’observation et mieux c’est. Lorsqu’il en vient de la violation des droits humains essentiels, il ne devrait y avoir absolument aucune place pour pouvoir se cacher. 

NdT: Et pourtant si peu est fait et c’est pas l’ONU corrompue qui ne fait que distribuer des “mauvais points”, qui changera quoi que ce soit à l’affaire. Une fois de plus il est bien clair qu’il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir !

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

+

4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

Lire James C. Scott sur Résistance 71 en français

Les écrits de James C. Scott en PDF sur Résistance 71:

« Zomia, l’art de ne pas être gouverné »

« Contre le grain, une histoire profonde des premiers états »

« Les formes quotidiennes de la résistance paysanne »

“La cassave / manioc, comme la plupart des cultures de racines et de tubercules, a un grand impact sur la structure sociale des populations qui la cultivent, populations qui à terme deviennent des évadés de l’État… Les communautés du riz, vivent à un rythme uniforme… Une société qui cultive racines et tubercules peut se disperser de manière bien plus vaste et moins coopérer avec les cultivateurs de grain, elle encourage ainsi une structure sociale bien plus résistance à l’incorporation dans une structure étatique et peut-être aussi est moins perméable à la hiérarchie et à la subordination…”
~ James C. Scott, 2009 ~

“Plus on regarde l’Amérique aborigène, et de moins en moins certains sont les phénomènes récurrents de coïncider avec notre concept conventionnel de tribu et de plus en plus apparaît ce concept n’être qu’une création de l’homme blanc, une chose d’utile pour parler des Indiens, pour négocier avec eux, les administrer et finalement peser de tout notre poids pour imposer notre mode de pensée sur le leur…”
~ Alfred Kroeber, cité par J.C.Scott, 2009 ~

« Je ne suis pas un anarchiste qui fait de l’anthropologie, ce sont mes recherches en anthropologie qui m’ont fait devenir anarchiste. »
~ Charles MacDonald ~


 Source :
https://resistance71.files.wordpress.com/2017/06/clastres-a.jpg?w=690

Aucun commentaire: