vendredi 16 novembre 2018

Lewis Mumford


Un des plus brillants analystes de nos sociétés industrielles (ou plutôt, de la société industrielle) et de leur (de sa) trajectoire (progrès technique, croissance, développement, destruction du monde et totalitarisme) s'appelait Lewis Mumford. En France, très peu le connaissent, aux États-Unis, son pays d'origine, pas beaucoup plus. Né en 1895 et mort en 1990, il a vécu l'incroyable et effrayant bouleversement du monde induit, entre autres choses, par les deux Guerres mondiales. Son œuvre la plus citée, "Le Mythe de la machine", deux tomes pour un ensemble de près de 1000 pages, devrait bientôt être rééditée (d'ici quelques mois, espérons) par une maison d'édition française. Je suis récemment tombé sur une interview, en date de 1973, dans laquelle il revient brièvement sur l'ensemble de son travail, et sur l'évolution de sa perspective. Pour vous donner un premier aperçu, en voici un petit extrait :

Interviewer : Durant les années trente, vous étiez en première ligne du combat intellectuel contre ce que vous appelez l’attaque massive contre la démocratie. Vous vous battiez pour que la démocratie fonctionne. Êtes-vous déçu de notre démocratie actuelle ?

Lewis Mumford : Je me battais pour ce qu’il restait de démocratie. Parce que je comprenais que la démocratie est une invention de petite société. Elle ne peut exister qu’au sein de petites communautés. Elle ne peut pas fonctionner dans une communauté de 100 millions d’individus. 100 millions d’individus ne peuvent être gouvernés selon des principes démocratiques. J’ai connu une enseignante qui avait proposé à ses élèves, au lycée, de concevoir un système basé sur une communication électrique, avec une organisation centrale, permettant de transmettre une proposition à l’ensemble des votants du pays, à laquelle ils pourraient répondre « oui » ou « non » en appuyant sur le bouton correspondant. À l’instar de ses étudiants, elle croyait qu’il s’agissait de démocratie. Pas du tout. Il s’agissait de la pire forme de tyrannie totalitaire, du genre de celle qu’impose le système dans lequel nous vivons. La démocratie requiert des relations de face-à-face, et donc des communautés de petites tailles, qui peuvent ensuite s’inscrire dans des communautés plus étendues, qui doivent alors être gouvernées selon d’autres principes. Je défendais la démocratie parce qu’il s’agit de quelque chose de fondamental. […]

Interviewer : Qu’avons-nous aujourd’hui ?

Lewis Mumford : Le chaos. Un chaos étendu, reposant sur une super-organisation. Quelques journaux, quelques chaînes de télévisions, quelques personnes à la Maison-Blanche et au Pentagone contrôlent nos opinions en contrôlant l’information dont nous avons besoin pour les former. C’est pourquoi, à moins que nous ne parvenions à être particulièrement sobres, à garder nos distances avec ces médias, à éviter les journaux et les programmes télévisés et radiodiffusés suffisamment longtemps pour penser par nous-mêmes, nous ne parvenons pas à former une opinion qui nous soit propre.

Pour aller plus loin, je vous conseille la lecture de son essai "Techniques autoritaires et techniques démocratiques" :
http://partage-le.com/2015/05/techniques-autoritaires-et-democratiques-lewis-mumford/

Et d'un autre intitulé "L'héritage de l'homme" : https://sniadecki.wordpress.com/2012/04/11/mumford-heritage-fr/

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