samedi 13 novembre 2010

La place des Outre-Mer dans le sport français …

Tel est le thème du colloque inter-CCEE que le Conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement de la Réunion va organiser les 14, 15 et 16 novembre 2010 au Domaine des Pierres à Pierrefonds. La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et Mayotte seront présentes en s’inscrivant dans le cadre de réflexions et de propositions en matière de politique sportive spécifique à l’Outre-Mer. Un des thèmes importants de ce colloque va s’intituler « sport et identité » avec, comme question centrale : « quelles reconnaissances institutionnelles des pratiques sportives identitaires ». Ce thème est cher aux Réunionnais dans la mesure où il fait référence aux pratiques « lontan » tout en essayant de voir comment elles pourraient être d’actualité, afin de transmettre aux générations futures une partie du patrimoine culturel de notre île. Lorsqu’on souhaite mettre à l’ordre du jour des activités humaines qui tombent progressivement dans l’oubli, il est essentiel de faire plusieurs efforts pour conserver tout ou partie de l’authenticité de ces pratiques. Les critères historiques deviennent alors les outils de référence, en s’appuyant par exemple sur des écrits, des travaux d’historiens. A défaut, des études sociologiques, avec des enquêtes de terrain auprès des « anciens », dans un périmètre le plus large possible, représentent également une solution pour coller à cette réalité d’avant. Ce recueil de données effectué, l’objectivité doit rester de mise car plusieurs dangers guettent. Le premier est celui de « l’idéalisation » que nous définirons comme la tendance à vouloir à tout prix inscrire telle ou telle pratique dans une histoire (traditionnelle, coloniale, guerrière, esclavagiste, …). Le deuxième danger est la « dénaturation » qui voit souvent, dans la pratique ancienne, une gestuelle ou des techniques venues d’ailleurs (d’un autre lieu ou d’un autre temps). Et enfin, dans l’idée de vouloir organiser cette activité pour la rendre « moderne », le troisième danger réside dans le « plaquage » d’une codification existante déjà à propos d’une autre pratique, sans tenir compte du contexte et de la réalité culturelle et sportive de cette dernière.

En nous appuyant sur trois photos « lontan » qui servaient probablement de carte postale (petite référence historique), on pourrait avancer l’hypothèse qu’une reconnaissance institutionnelle ne peut voir le jour que si ces trois types d ‘efforts sont réellement mis en œuvre afin, d’une part, d’inscrire « l’ancien » dans une pratique moderne, et, d’autre part, de transmettre aux générations futures tout ou partie d’une réalité historique (et non totalement ré-inventée). Jackie Ryckebush a rassemblé nombre de clichés « lontan » dans son livre « La Réunion 1900 en cartes postales » (Ed : Océan Editions /1994). Pour nos invités ultramarins, il serait bon de préciser que la Réunion se caractérise par une répartition harmonieuse et équilibrée des différentes communautés : grosso modo, un quart de la population descend de colons français ; un tiers descend d’esclaves afro-malgaches ; un quart descend de travailleurs engagés tamouls. Le reste comprenant des commerçants chinois ou indo-musulmans, des immigrés mahorais et des fonctionnaires métropolitains. Un important métissage a vu naître une culture créole spécifique. Chaque communauté a apporté dans ses bagages son patrimoine culturel : les sports et distractions en étant une des facettes. Ensuite, le métissage a produit sa part de création et a enrichi l’ensemble en apportant une identité collective plutôt qu’une simple juxtaposition. Une fusion des communautés plutôt qu’une simple addition.
Dans les années 1900, rares sont les cartes postales qui reflètent les scènes de la vie « sportivo-traditionnelle», et pourtant : « L’assaut du bâton » représente deux combattants s’opposant dans le cadre d’un sport très en vogue à cette époque au sein de la bourgeoisie « blanche » : la canne de combat ; associée à la boxe française savate, elle fait partie des premières pratiques sportives de la fin du XIX°/début du XX° siècle à pénétrer la Réunion. Sport de démonstration aux Jeux Olympiques de 1924 à Paris, les premiers championnats du monde ont été organisés sur notre île en 2004. L’esprit, la réglementation sont toujours les mêmes : le retour d’une grande tradition locale ?

La canne de combat

Une seconde photo fait référence au Moringue : « Moringue, c’est la boxe de not pays. Pour envoye moringue cavaliers y rentrent dan’ron, là haut Lataniers, pendant que son dallon y bat’tambour moringue, pour donne courage. Et band’batailleurs y flanque coups pieds, coups de poings, coups de talons z’irondelles et coups de tête. Moin, mi trouve moringue plus zoli que la boxe, mais comé là, la police y défend jouer moringue, cavalier y met pas de gants », note Fourcade dans « Z’histoires la Caze ». La photo révèle que les spectateurs sont particulièrement des Cafres. Pratique en provenance de Madagascar, les descendants d’esclaves de cette région s’adonnaient à cette dure activité d’opposition où coups de poings, coups de pieds, coups de tête représentaient l’essentiel des techniques. Les « gramounes » se souviennent encore de ces combats violents. Le Moringue tel que présenté aujourd’hui est-il culturellement et gestuellement en adéquation avec ce Moringue « lontan » ?

Le moringue

La troisième photo met en scène trois adolescents : deux lutteurs qui s’accrochent pour se faire tomber (Malbar ou Yab) et un jeune Cafre qui les regarde. « Jouer la Croche » semble avoir été une occupation des jeunes à la Réunion : à l’école, à la sortie, pour s’occuper et s’amuser, les garçons tombaient la chemise et se défiaient. Cette lutte traditionnelle a fait également l’objet d’un travail de revalorisation. Telle que pratiquée dans la région, par exemple de St Paul, est-elle en harmonie avec l’histoire même de notre île ?

La croche

Trois photos, trois pratiques d’opposition appartenant au patrimoine culturel réunionnais, mais aussi trois questionnements : s’il doit y avoir reconnaissance institutionnelle, quel effort doit être fait pour ne pas dénaturer une pratique traditionnelle et la sportiviser, afin de s’assurer d’une transmission authentique qui attirera les jeunes Réunionnais d’aujourd’hui et de demain ?

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