dimanche 7 novembre 2010

Article de journal sur les engagés Antandroy à la Réunion dans les années 1920

Aujourd’hui encore, des Saint-Philippois se souviennent de ce que leur racontaient leurs grands-parents : dans les années 1920, les industries de la localité (dont la féculerie du Baril et l’usine sucrière de la Trinité) employaient plus d’une centaine d’Antandroys (dont un tiers de femmes). Ces Malgaches “habitaient dans un camp composé de paillottes, ne portaient qu’un “lamba” pour tout vêtement”.

Si le premier convoi d’engagés antandroys, résignés pour sauvegarder leur emploi et survivre, a donné entière satisfaction, il n’en sera pas de même des suivants. Dénonçant les mauvais traitements, ils vont en quelque sorte contester l’autorité du maître en faisant entendre leur voix. Le quatrième et dernier convoi surtout laissera une mauvaise réputation qui n’est pas près de s’effacer.

À Bois-Rouge comme à la Rivière-du-Mât, à la Mare comme à Ravine-Glissante, ou à Savannah, les propriétaires louent les qualités des engagés antandroys. Ceux-ci se sont adaptés à leur nouvelle existence dans les cases en bardeaux (ou aux toits de tuiles, à la Cafrine), loin de leurs frères de labeur venus de la Grande-Péninsule. De toute l’île, les colons en réclament. Quand ils veulent garder leurs premiers Malgaches pour une seconde période de trois ans, alors que se prépare la venue d’un second convoi de 600 engagés, le gouverneur général de la Grande-Île prend soin de préciser à son homologue réunionnais que le renouvellement des contrats ne pourra se faire qu’avec l’accord exprès des engagés en personne et qu’ensuite il ne les autoriserait qu’à condition que ses compatriotes aient été bien traités. Il confie à une personnalité locale le soin d’y veiller. Il demande pour eux un salaire bien entendu supérieur à celui fixé pour la troisième année des contrats (35 francs) et une prime de réengagement plus importante que celle de leur engagement (150 contre 120 francs). Et évidemment, il ne manque pas de rappeler que le rapatriement reste comme prévu à la charge des propriétaires. Pourquoi seulement 79 engagés acceptent-ils de renouveler leur contrat ? C’est que, sur les plantations sucrières, il n’existe qu’une seule autorité, celle du maître. Or, ces guerriers antandroys sont épris de liberté... Tantôt ils sont des engagés étrangers, qui tombent sous le coup du fameux vieux décret du 27 août 1887 qui définit l’introduction des immigrants dans la colonie, tantôt des sujets français par le décret du 30 juillet 1926 et jouissent de libertés étendues et sont libres de leurs décisions et responsables de leurs actes. Mais ils ne savent ni lire ni écrire, ne comprennent pas le français, ne peuvent compter sur leurs syndics pour les défendre, ne sont dès lors pas à l’abri d’abus de toutes sortes et de toutes parts, sont méprisés.
Une seule autorité
Si les travailleurs du premier convoi se sont tus, ont accepté le malheureux sort avec résignation, à partir d’octobre 1923, ils vont protester. Le gouverneur est informé d’une première plainte : quatre engagés d’un M. Baret de Saint-Philippe déclarent avoir été privés de nourriture et soutiennent qu’ils préfèrent aller en prison plutôt que de continuer à travailler pour lui. Peu après, à La Possession, des engagés dénoncent leur commandeur qui les mènent au travail en les braquant avec son fusil. Les plaintes affluent, mais les enquêtes n’aboutissent pas. Un vent de révolte se propage alors. Pourtant, le 11 mars 1923, arrive le second convoi de 1 067 Antandroys. Rien ne change. Le moral des travailleurs est au plus bas. Les plaignants craignent des représailles. Juste un an après, débarque quand même un troisième convoi, encore plus important, avec 1 195 autres engagés du “pays des épines”. Dans le même temps, des troubles éclatent un peu partout sur les propriétés. Les conflits se multiplient. Début 1925, la mission Béréni (lire page suivante) rend un rapport accablant. Les autorités préfèrent alors marquer une pause. Peu après, se croyant peut-être soutenus par le délégué, les Antandroys lancent une grève importante au Gol. 150 d’entre eux, armés de pioches, se rendent chez le syndic pour se plaindre de trop travailler. Les meneurs sont arrêtés et condamnés pour entrave et... le travail reprend si bien que le gérant de l’usine se félicite de façon paternaliste de la bonne volonté de ses ouvriers. D’autres prétendront que le sort des Malgaches n’est “après tout pas si malheureux que cela” et que les déserteurs ne sont “que des paresseux et des voleurs”.
Expérience sans suite

Le 21 novembre 1930, expirent les contrats des 674 engagés du quatrième et dernier contingent. Les colons ne veulent plus entendre parler de ces derniers Antandroys, qui “usent et abusent de leur (nouveau) droit de circuler librement sans contrôle, s’absentent, désertent leurs propriétés, volent leurs bœufs (comme il est de tradition chez eux) et se plaignent tout le temps”. Et ce, malgré la crise de main-d’œuvre (la population de l’île s’est accrue, mais ne compte encore que 198 000 habitants). L’expérience antandroy ne sera donc pas renouvelée. Les colons échaudés envisagent toutes les possibilités. Les Japonais ? Inadaptés aux travaux des champs et trop exigeants. Des Indiens du comptoir français de Pondichéry ? Les démarches n’aboutissent pas pour on ne sait quelles raisons. Des Javanais ? Le gouvernement néerlandais s’y oppose à cause du boom du caoutchouc qui nécessite des bras dans les plantations d’hévéa. Une nouvelle fois, le salut viendra d’une île proche : Maurice accepte de louer ses administrés de Rodrigues, surpeuplée et incapable de les nourrir. Le 7 août 1933, un premier groupe de “labourèrs’driguais” qui espèrent échapper à la misère noire débarque au Port. Le 28 du même mois, suit un second groupe. Au total, ils sont 372 hommes, 128 femmes et 235 enfants. Ils se font tout de suite apprécier. Eux au moins, ils comprennent le français ! D’ailleurs, leur île n’a-t-elle pas été française jusqu’en 1810 ? Aussi la population a-t-elle gardé des us et coutumes de leurs anciens colonisateurs. Pourtant, cette immigration va échouer. Tout simplement parce que les Rodriguais sont traités... comme les Antandroys, alors qu’ils sont bien plus évolués que ces hommes de la brousse. Se sentant floués, ils se révoltent. La plupart retourneront chez eux, souvent bien avant la fin de leurs contrats. Seuls quelques-uns resteront et feront souche à la Réunion. Leurs descendants s’appellent Perrine... C’étaient les tout derniers convois d’engagés arrivés à la Réunion. Désormais, nos colons n’engageront de travailleurs étrangers que des immigrants arrivés dans l’île par leurs propres moyens. Souvent, des aventuriers du voyage...

Traditions
Les Antandroys, à l’image de Joseph-François Famona-Samihara, aiment bien jouer le moringue et danser le maloya. “Le “moring” me fait penser un peu à la “klé malgas”, mais c’est plutôt la “kros” créole qui ressemble davantage à ce jeu de Madagascar. C’est quelque chose qu’on a trouvé ici”, affirmait l’engagé à la retraite en 1978. Il constatait aussi que “presque tous les instruments du maloya (“caviar”, “bobr”, “sati”...) ressemblent à ceux des Betsimisarakas, sauf le “roulèr”. Ils ont aussi le “jezy”. Nos instruments à nous, les Antandroys, ce sont l’accordéon, le violon, la flûte et une sorte de “sati”...” Et Famona ajoutait : “J’ai bien “attrapé” le “kabaré” et le maloya, bien que notre musique à nous soit différente. Chez nous, on aime chanter et danser en tapant des pieds, en bougeant les épaules et en battant des mains. On chante et on danse à toutes les occasions. Quand un enfant est né par exemple (c’est plus fort lorsque c’est un garçon. On fait péter des coups de fusil pour exprimer la joie)... Même les enterrements sont accompagnés de processions, de chants, de danses. Les gens de la Réunion croient qu’on se réjouit. En réalité, nos chants-là sont plutôt des pleurs rythmés, qui disent les faits et gestes du défunt et notre souffrance. C’est comme un dernier “sacrement”, un dernier adieu...”
Le sort des engagées

Le 12 janvier 1925, en tournée d’inspection à Saint-Benoît, le délégué à la protection des travailleurs malgaches apprend que des Antandroys d’un camp ont attaqué - en nombre et armés - ceux d’un autre camp situé à plusieurs kilomètres, à cause d’une histoire de femmes. Soucieux de préserver l’ordre, il réclamera des pénalités à l’encontre des assaillants et aux Malgaches qui se mettent en bande. Il est conscient du faible nombre de femmes au sein du contingent malgache : entre 1922 et 1927, en quatre convois, 614 femmes engagées antandroys ont foulé le sol réunionnais. Contre 2 989 hommes de même origine. Mais qui est conscient que les femmes sont moins considérées que les hommes ? En effet, si les engagées ont droit à une prime d’engagement équivalente à quatre mois de salaire, ce salaire - tout comme celui des enfants de plus de 12 ans - ne représente que la moitié de celui des hommes. Quant à leurs avantages en nature, ils sont - en principe - similaires à ceux accordés aux engagées du siècle précédent, c’est-à-dire... auparavant aux esclaves. À savoir, “un linge” pour les envelopper et le transport gratuit, mais tout déplacement hors de la propriété est interdit sans autorisation écrite. Suite à une révolte provoquée par des abus, les salaires des engagées subiront une augmentation de moitié et se monteront aux 3/4 de ceux des hommes et les déplacements deviendront autorisés sans accord préalable.

1 commentaire:

Je a dit…

Si je ne me concentre que sur l'aspect sportif de cet article (je le reconnais fort anecdotique comparé aux terribles relations employeurs-employés qui sont rapportées), je comprends que la “klé malgas” est un jeu de Madagascar, ressemblant à la “kros” créole (qui s'orthographie également "la croche").

Ce n'est donc pas seulement une technique parmi d'innombrables autres.

On doit tout de même se demander si le terme "klé" fait référence aux clés articulaires (qu'on retrouve en judo, sambo, jiu-jitsu, etc.) ou si c'est mot malgache francisé qui désignerait ce jeu, cette lutte traditionnelle ?