mercredi 31 octobre 2018

Passer de la route au trail

René Pourtier - Trail des Templiers - Stimium Sport Nutri Protection
Rene Pourtier - Stimium

René Pourtier

René Pourtier est responsable projets et innovation chez OCEASOFT. Féru de sport en général et de running en particulier, il est tombé dans la marmite du trail il y a quelques années. A son tableau de chasse, on recense notamment le Trail du Ventoux, l’Endurance Trail des Templiers et les 120km de l’Ultra Draille.
En octobre 2018, il s’attaquera à sa première Diagonale des Fous.
Pour Stimium, il raconte comment il est passé de la course sur route au trail…

You will never feel happy until you “trail”*

La crise de la quarantaine, mythe ou réalité ? Vous avez 2 heures avant la relève des copies !
A l’approche inexorable du chiffre 40, l’aiguille de mon horloge biologique a tic-taqué avec insistance pour une reprise de la course à pied, sport favori que j’avais mis en pause depuis une dizaine d’années au gré d’un changement professionnel. Si quelques parenthèses dans la natation, le badminton et même un essai au triathlon m’avaient permis de rester actif, je n’avais rien couru de significatif dans la décennie.
Cédant à la pression quarantenaire, je me suis effectivement remis à la course sur route. Mais à faire les choses, autant les faire bien : pour la quarantaine bien sonnée, à raison d’un kilomètre par année, on atteint la distance mythique du marathon alors quoi de mieux qu’un « grand » marathon pour objectif ? Le prestigieux Marathon de Paris, en avril, fera l’affaire mais afin que la réalité rejoigne le mythe, il faudra s’entraîner sérieusement.
Me voilà donc à rechausser les running et arpenter le bitume, m’astreindre à un entraînement spécifique trouvé sur Internet et à bouffer des kilomètres de goudron (sans nicotine).
La préparation d’un marathon requiert de placer des sorties longues (une trentaine de kilomètres). Cependant courir longtemps sur route est contraignant : il faut trouver les bonnes voies, les pistes adéquates ou les trottoirs empruntables qui permettront la séance longue et idéalement sans repasser aux mêmes endroits. Parce que tourner en boucle est moralement pénible, syndrome de la souris dans sa roue…

Un trail en guise de préparation marathon

Plus tard durant ma préparation, je partage ces considérations avec un pote sportif du boulot, pote qui a quelques trails à son compteur. J’ai vaguement entendu parler de ces courses hors-route, en nature sans réellement m’y être intéressé.
Il me suggère alors de tester un trail en guise de séance longue : cela permettra de courir plus longtemps (parce que moins vite à cause du profil et du terrain moins propices à la vitesse) tout en épargnant la lassitude (parce que la Nature est un terrain de jeu infini) ? En d’autres termes, une sortie au format trail vaudrait largement une séance longue sur route.
René Pourtier - Trail des Templiers - Stimium Sport Nutri Protection
Moi : « Oui mais je risque de me blesser, une entorse ou une chute, à quelques semaines du marathon de Paris, ce n’est pas raisonnable (Note De l’Auteur : en 6 ans de trails, pas une seule blessure de ce type). Courir sur les chemins oui mais sur des sols improbables peuplés de racines ou de cailloux piégeux, non merci. »
Lui : « Il faut être plus vigilant que sur route en effet mais le corps et les pieds en particulier sont bien faits et ta foulée s’adaptera au terrain sans problème (NDA : je venais d’apprendre le mot « proprioception »).
Moi : « Oui mais il faut un équipement spécial, des chaussures adaptées, un CamelBak s’il n’y a pas assez de ravitaillement… »
Lui « C’est clair, tu dois investir dans quelques bricoles pour te lancer sur un petit trail.»
Moi : « Oui mais quand cela monte trop, que le terrain est trop technique, je vais peut-être devoir marcher : sacrilège, on ne marche jamais en course sur route, c’est impensable !!! »
Lui : « Au contraire, cela arrive tout le temps en trail, on n’a pas le choix et il n’y a aucune honte à ça, je t’assure. Marcher permet de mieux profiter du paysage, récupérer avant les prochaines difficultés, se restaurer tranquillement ou faire le point sur son état physique. Et marcher vite en montée vaut bien des sprints… »
Moi : « Oui mais comment je connais mon rythme au kilomètre si la pente et le terrain varient constamment ? Comment je prévois mon plan de course ? »
Lui : « Oublie tes repères sur route : la gestion du trail est totalement différente. Chaque kilomètre est différent du précédent : ça tourne, ça monte un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, parfois, ça grimpe et il faut mettre les mains ou s’aider d’une corde, et ça descend comme ça monte, il y a des petits et des gros cailloux à franchir, la piste peut être large puis étroite, dégagée en plein air comme fermée en sous-bois épais, sur du rocher ou du sable, de la terre meuble ou de l’herbe, avec parfois des rivières à traverser et toujours en s’orientant selon le balisage. Dans ces conditions, il est impossible d’avoir un rythme de métronome comme sur asphalte. Cela se gère différemment et c’est ce qui fait aussi le sel du trail… »

« Le trail pour les nuls » – ou l’apprentissage du débutant

A court d’arguments, je dois dire que l’expérience me tente. Le trail est une discipline en plein essor et curieux de « nature », je me sens une âme de chamois des garrigues.
Rendez-vous est pris pour un premier trail de 26 kms à Pignan, à presque 2 mois du marathon de Paris. Au moins si je me blesse aurai-je encore un peu de temps pour récupérer. En outre, la distance de 26 kms est idéale pour ma préparation. Et je connais le secteur, qui ne me paraît pas trop exigeant avec environ 600m de D+. Non, le D+ n’est pas un groupe sanguin mais le dénivelé positif, nouveau terme à rajouter à mon lexique du « Trail pour les Nuls ». Parce qu’en trail, en sus de la distance, ce dénivelé positif est l’autre paramètre majeur : avec le recul, c’est même le principal facteur à considérer dans ce type d’activité, et c’est souvent le nombre que l’on met fièrement en avant pour l’avoir vaincu mais ça, je ne le sais pas encore.
Pour ce tout premier trail, je ne me prépare pas particulièrement et le considère simplement comme une sortie longue dans mon plan d’entraînement. Je vais quand même m’équiper de chaussures adéquates dans un magasin de sports où, comme je n’y connais rien, j’achète celles qui sont en promo (je ne trahirai ni la marque ni le modèle mais ce n’était pas un bon choix) ainsi qu’un CamelBak et là, ouch, je réalise que l’un avec l’autre représentent un budget non négligeable. Le trail devenant une activité à la mode, c’est évidemment un marché attractif pour de nombreuses marques… Pour le reste, je conserve ma tenue de coureur sur route et emporterai avec moi des barres et gels énergétiques que je compte prendre sur marathon également.
A l’approche de la date fatidique, un léger stress m’habite. Quand arrive le jour du trail de Pignan, j’en oublie presque la météo toute particulière avec un -10°C matinal à ne pas mettre un esquimau dehors, température exceptionnellement basse par ici. Et je me suis habillé un peu trop léger pour ces conditions, ça promet.

Marcher : c’est normal !

La meute de trailers s’élance au top départ et en quelques centaines de mètres, nous délaissons la route pour les chemins puis les monotraces dans la garrigue sibérienne : le trail commence réellement à ce stade. La morsure du froid se fait douloureuse, j’ai les mains engourdies et les cuisses qui piquent. Il va falloir une bonne vingtaine de minutes avant que la chaudière du corps ne s’active sous la répétition des efforts.
Trail Illustration - Stimium Sport Nutri-Protection
J’ai même envie d’accélérer pour me réchauffer plus vite mais la sagesse me l’interdit, la course démarre à peine. La nature est comme pétrifiée et la végétation d’une blancheur onirique. Malgré tout, je me sens plus vivant que jamais. Nous courrons donc sur les sentes, ça va assez vite et je regarde bien mes pieds pour éviter les éventuels obstacles. Finalement, ce n’est pas si compliqué que ça. Et puis survient la première vraie bosse, sévère, celle qui vous fait lever les yeux. Le groupe de coureurs auquel je me suis joint se met alors en file indienne et commence à marcher ! Horreur, le choix ne m’est pas laissé, impossible de doubler en monotrace alors je marche également. En fait, je réalise que c’est juste normal et même indispensable dans les fortes montées, sous peine d’explosion imminente. Pire encore, quand la pente se fait plus forte, je prie pour que le coureur devant moi se mette à marcher, afin de me donner le précieux alibi de cesser de courir à mon tour et de me caler au chaud dans sa foulée. Bref, cette première bonne grosse côte aura scellé cet apprentissage.
Le CamelBak fait des floc-floc dans mon dos et ballotte légèrement. Sans être d’une grosse gêne, ce n’est quand même pas super confortable : tout en trottant, je resserre et ajuste mieux ses sangles. Va falloir s’habituer à trimbaler cet attirail comme la tortue porte sa carapace. Quant au bruit de l’eau dans sa poche, on me donnera plus tard l’astuce pour l’éviter (NDA : on retourne la poche remplie d’eau et donc une fois à l‘envers, on aspire complètement l’air par le flexible. Quand il n’y a plus d’air, on remet la poche d’eau à l’endroit et le tour est joué).
Tout compte fait, le parcours est agréable, alternant bosses et relances, larges pistes et sentes étroites, lignes droites et virages serrés. Pas très technique, le terrain réclame finalement peu d’attention et mes craintes de chute s’estompent au fil des kilomètres. Du coup, je profite pleinement du plaisir à trotter dans le vert, sous-bois de pins ou couloirs végétaux de chênes qui m’obligent à écarter des bras les branches de temps à autre trop chaleureuses. Les paysages traversés ébouriffent mon âme de citadin indifférent et pressé.
Même la recherche constante du balisage, marquage au sol ou ruban accroché aux arbres contribue au fun de cette petite aventure : par où va-t-on nous faire passer ensuite, qu’y a-t-il derrière cette bosse ou ce virage, comment va-t-on rejoindre l’autre versant… ?

Le trail est au running ce que le VTT est au vélo de route

Je viens de comprendre que le trail est à la course à pied ce que le VTT est au vélo de route : plus ludique et plus varié dans les ambiances, sollicitant d’avantage l’attention, bref plus complet !
Premier ravitaillement et – mauvaise – surprise : à -10°C, l’eau a gelé en surface des gobelets sur la table, impossible de la boire sans risquer un gros problème au bide. Qu’à cela ne tienne, j’ai mon CamelBak… si ce n’est que l’eau dans le flexible a également gelé et empêche d’aspirer celle encore liquide de la poche. Pas d’eau, ça commence à craindre. La majorité des traileurs sont dans mon cas et un vent de panique souffle dans le peloton.- Stimium Sport Nutri-Protection
Au second ravitaillement, les bénévoles avertis remplissent les verres à la demande, ne laissant pas le temps au froid de les transformer en banquise. Je peux enfin boire et ça va de suite mieux.
Cela ne gâche en rien la délectation de courir dans la symphonie naturelle qui bat son plein : succession de rus, traversée d’un canyon, prairies herbeuses et bois denses…
Physiquement, je me sens bien, rempli d’un sentiment de bout du monde au milieu de décors sauvages. Mes jambes et mes genoux apprécient le terrain plus souple que le bitume et les changements de rythme qu’il impose offrent des phases de récupération. Moralement, je déguste chaque foulée sans me soucier du chrono ni me lasser une seconde des kilomètres qui défilent. J’ai totalement occulté qu’il a fait -10°C une bonne partie de la course et que par manque d’hydratation, j’ai même eu des débuts de crampes assassines au mollet sur le final. Bref, c’est le pied mais quoi de plus normal dans ce sport !

Le trail, un exhausteur du plaisir de courir

Après 26 kilomètres, je regagne enfin la civilisation, foule à nouveau la route, traverse des zones habitées et franchis la ligne d’arrivée dans le village de Pignan.
Rene Pourtier - StimiumAlors c’est ça le trail, waow, un exhausteur du plaisir de courir, avec la nature comme catalyseur.
Une euphorie un peu puérile m’anime : vite, vite, recommencer. Pour être sûr qu’il ne s’agit pas de l’enthousiasme de la première fois et confirmer que la magie opère bien, il me faut recourir un trail dans les plus brefs délais. Rien de plus facile, en cherchant sur Internet, je découvre qu’il y a une foultitude de trails au calendrier, quasiment chaque week-end et pour tous les goûts, de format court, moyen ou long, dans un périmètre géographique relativement limité. Alors je choisis un autre trail local de profil similaire à celui de Pignan, court et au dénivelé modeste, car je ne veux pas brûler d’étape : ce sera celui de Bouzigues à peine plus d’un mois après.
Le marathon de Paris est toujours mon objectif numéro un mais mon entraînement prend une tournure plus sympa et moins monotone grâce au trail.
Au travers de lectures, je commence à me pencher sur les spécificités du trail, comme l’alimentation, l’équipement ou l’entraînement : là aussi, il y a pléthore d’articles à éplucher pour mieux appréhender cette discipline.
Mais je ne changerai rien pour le trail de Bouzigues, il est encore trop tôt.
Et quelques semaines après, me revoilà au départ d’un trail, un peu plus confiant, un peu plus excité par ce que je vais vivre.
A l’instar du trail de Pignan, celui de Bouzigues est idéal pour goûter au trail en douceur, assez roulant, sans difficulté exceptionnelle tout en donnant un aperçu de la campagne voisine : vues panoramiques sur l’étang de Thau et la côte méditerranéenne mais aussi sur l’arrière-pays, passages dans des pierriers d’où surgissent des capitelles restaurées, course en bord d’étang sur le final, etc… Des traileurs s’arrêtent parfois pour immortaliser leur présence dans ces décors par un selfie ou leur GoPro embarquée.

Trail : l’importance des bénévoles

Je découvre à l’occasion l’importance des bénévoles. Placés dans des endroits improbables à attendre des heures notre passage, dans le vent, le froid ou la canicule, les bénévoles sont là pour nous orienter et nous ravitailler, toujours serviables, de bonne humeur et prompts aux encouragements. Combien de fois leur gentillesse m’a reboosté le moral. Attention cependant à leur sens des distances : quand un bénévole annonce « Allez, plus que 500 mètres avant le prochain ravitaillement ! », il faut généralement y appliquer un facteur multiplicatif allant de 2 à beaucoup plus. Blague à part, sans les bénévoles, les trails n’existeraient pas, on ne les remerciera jamais assez. Je n’ai jamais rencontré une chaleur équivalente en course sur route. Et à propos des ravitaillements, il faut savoir que le trail réussit l’alchimie de transformer le Tuc, ce biscuit apéritif insipide vaguement salé en mets raffiné élevé au rang de caviar. Si, si, quand le traileur ne supporte plus l’absorption de sucre, source d’énergie privilégiée en course, il se jette sur les Tuc omniprésents à tout bon ravitaillement et les déguste avec délectation comme un ours sur le miel, n’en perdant pas une miette et se léchant les doigts ensuite. Ça aussi, c’est la magie du trail.
Image générique trail - Stimium Sport Nutri-ProtectionEt que dire de la solidarité entre traileurs. A la vue d’un coureur en difficulté au bord du chemin, nombreux vont s’arrêter pour demander à l’infortuné « Tu as suffisamment à boire et à manger ? Tu as besoin de quelque chose, une barre ? » ou avoir un petit mot d’encouragement. De même, lorsqu’un gars (moi par exemple) est au sol en train de se tordre de douleur à cause de crampes, il y en aura toujours un pour proposer de l’aide « Donne-moi ta jambe, je vais l’étirer et faire passer ta crampe ».
Autre source d’attrait : les trails ont souvent le privilège de traverser des zones protégées (Natura 2000 par exemple) ou privées donc inaccessibles en temps normal (autorisation temporaire donnée par les propriétaires) ou carrément « ouvertes », c’est-à-dire débroussaillées par les organisateurs afin de permettre le passage du trail le jour J.
Enfin, j’ai connu plus tard, lors de trails longs notamment, la qualité des échanges entre traileurs, où l’on peut passer des heures à courir ou marcher ensemble, compagnons de galère et de souffrance, en discutant de nos expériences respectives, en se motivant mutuellement.
Autant de sources d’émotions et de plaisirs que je n’avais jamais éprouvés en course sur route.
Pour revenir au trail de Bouzigues, même si j’ai pu arpenter ces endroits lors de randonnées précédentes, c’est un plaisir renouvelé que de galoper dans ces coins encore épargnés de l’altération du monde, humant l’odeur de la végétation et de la terre, éprouvant l’espace d’un instant un sentiment puissant de liberté. Chaque foulée se nourrit de cette exaltation, de la beauté du cadre et de la communion avec la Nature. Même quand les muscles se tétanisent, que le sang cogne aux tempes, que le souffle se fait plus court, ou que la sueur pique les yeux, je continue d’éprouver de la joie, joie de repousser les capacités de mon corps et mon esprit, joie de me confronter aux éléments et de me surpasser. Mais cela n’empêche pas de me sentir également rempli d’humilité, au pied d’une grande montée, au fin fond d’un vallon ou loin de tout, paumé dans les sous-bois.
Avec une météo plus clémente qu’à Pignan et une assurance en hausse, je termine ainsi le trail de Bouzigues sereinement, validant totalement mes impressions initiales, le chrono important peu tant le plaisir a été au rendez-vous.

De la route au trail : le coup de foudre !

Voilà pour le récit de mon passage de la route au trail. Vous l’aurez compris : entre coup de foudre et révélation, je suis tombé littéralement amoureux du trail en 2 coups de cuillères à pot. Sacrée crise de la quarantaine !
Au sortir de ces deux premières expériences, il m’apparaît désormais comme une évidence que le marathon de Paris devait tourner la page de mon expérience sur bitume avant d’en ouvrir une nouvelle sur la course en sentier, comme on dit au Québec. Il y a tant de trails à découvrir à portée de chaussures, de paysages à sillonner, de forêts à traverser, de montagnes à braver, de souvenirs et d’images à rapporter, de moments de partage et de rencontres à vivre, de limites à repousser… qu’importe la destination pourvu qu’on ait l’ivresse de courir !

*Vous ne vous sentirez jamais heureux jusqu’à ce que vous vous mettiez au « trail »

Source : https://www.stimium.com/temoignages/passer-de-la-route-au-trail/

12 commentaires:

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Du même auteur (René Pourtier)

Récit de la course : FestaTrail - Ultra Draille 2018, par "Coureur du 34"

Mon 1er 120 kms

Dans la série « Mon 1er trail», voici l'aîné, le 120 kms.

J’aborde cette course très fatigué par manque de sommeil ces derniers jours et un niveau d’entraînement à peine comparable à celui du 75 kms de l’Hérault Trail l’an dernier. Malgré tout, je connais très bien le terrain et j’ai une bonne dose d’expérience et de confiance en moi. De toute façon, il est trop tard, nous y sommes, ce qui doit arriver arrivera.

Je pars léger avec un litre d’eau uniquement sur moi (2 flasques de 500 ml re-remplies à chaque ravito, pari réussi), t-shirt et short, veste fine et buff mais pas de chaussettes de contention ni k-way.

Je a dit…

Causse-De-La-Selle

Un pote coureur nous dépose à 5 heures au village départ, Le Causse-de-La-Selle. Il fait doux et le ciel est dégagé. La toute petite salle municipale nous accueille avec café et croissants. Ce lieu prend vite l’allure de boîte à sardines quand les 2 bus navettes déposent les coureurs embarqués à St Mathieu de Tréviers, notre destination. Nous déposons nos sacs de délestage dans la fourgonnette dédiée qui nous les remettra à Brissac, km 73.

Un coureur au yukulélé, alias le ménestrail, habitué de L’Ultradraille, entame la sérénade devant les bénévoles et coureurs ravis, c’est super sympa. L’ambiance est très détendue, familiale, avec les organisateurs qui sont là à opérer les derniers réglages.

A 5h25, l’adjointe au Maire y va de son court laïus puis AC/DC prend le relai dans un registre notablement différent. On annonce 190 traileurs dans les starting blocks et 15 courageux spectateurs devant l’arche.

Frontale en place, montre absente (avec seulement 12 heures d’autonomie, j’ai préféré la laisser à la maison) et bien moins stressé qu’à l’Endurance Trail des Templiers, j’attends paisiblement le compte-à-rebours avec toujours le même objectif : terminer « propre », sans défaillance et avec un maximum de plaisir. Le trail long, on sait quand il part, on ne sait pas quand il arrive, c’est ce que nous allons voir…

Moteur ? Action ! Le départ est donné pour 120 kms et 5300m D+ par un coup de pistolet.

Le peloton s’étire comme un chat paresseux dans sa corbeille, et rapidement nous quittons le bitume pour une large piste plein nord entre les maisons puis dans la garrigue. Je trottine sur ce long faux-plat montant alors que le soleil pointe « tout doucement » en hommage à bibi. La frontale n’aura été utile que 30 minutes.

Le monde appartient aux traileurs qui courent tôt et La Nature s’offre à nous. C’est très agréable dans le matin naissant et nous prenons de l’altitude petit à petit alors que le décor change : la garrigue rocailleuse fait place à un sol sablonneux, des rocheux ruiniformes, au milieu des pins de Salzman et bruyère. Le profil change aussi : nous grimpons désormais sur un monotrace très resserré et les mains sont parfois nécessaires.

Nous passons quelques clôtures et l’ascension se poursuit, par moments un poil périlleuse et très technique, en limite de falaises. Nous atteignons un 1er promontoire, le Roc des Aucelous (« petits oiseaux » en occitan) au km 6 et des panoramas sur la vallée de la Buège au nord se découvrent, c’est incroyablement beau. Et dire que nous passerons dans l’après-midi de l’autre côté, à quelques kms de là à vol d’oiseau mais dans 60 kms de course. En nous retournant, nous assistons au lever de soleil sur le Pic St Loup, ah le Pic… Ne pas y penser, simplement rester dans le moment présent et avancer.

Le point culminant de cette portion est le Monthaut au milieu des roches blanches calcaires, km 8.

Puis après une courte désescalade, nous atteignons le pied du Caylaret et empruntons un joli monotrace en sous-bois. Passage magnifique au Mas d’Agre, une bergerie en ruines perdue dans les bois avec four à pain, cadran solaire, puits… au km 10,5.

La descente se poursuit avec beaucoup de plaisir désormais. Je réalise que je trotte peut-être un peu vite pour un 120 kms mais je suis dopé par le cadre enchanteur.

S’ensuit un long sentier montant régulièrement jusqu’au pied du Roc de la Vigne, au km 12,5 où nous bifurquons à gauche pour une bascule dans une loooooongue descente vers St Guilhem-Le-Désert.

Cette partie est roulante, et je me laisse emporter dans un trio de coureurs. Déjà des 1ers signes de fatigue alors que ça tape bien dans les jambes : je ne les écoute pas, on en reparlera plus tard. Passage devant ND de Lieu Plaisant dans des paysages extraordinaires. L’Ultradraille n’est qu’une route pavée de cailloux où les pèlerins que nous sommes ne font que passer. D’ailleurs les derniers kms vers le village que nous apercevons tout au fond du cirque martyrisent les jambes.

Je a dit…

St Guilhem-Le-Désert

Et voilà St Guilhem, en quelques ruelles et un porche. Le 1er ravito nous attend sur la place de l’abbaye, au km 21,5 atteint en 2h44. Il y a peu de victuailles, je refais le plein d’eau et sors mes bâtons Leki 3 brins du sac avant d’affronter l’ascension de 11 kms et 700mD+.

Je calme bien l’allure, je suis seul à repartir sur un long sentier pierreux qui nous mène aux balcons des Fenestrelles en quelques épingles. J’ai rattrapé une féminine à laquelle j’essaie de m’accrocher. Nous avons un court répit à la fraîcheur d’un sous-bois avant de reprendre la grimpette sur un terrain sablonneux et rocailleux. La route des Lavagnes est rejointe tout comme la Font du Griffe, une vieille connaissance pour ceux qui ont fait le Vinotrail 2018. Les choses sérieuses reprennent avec la montée vers le Mont st Baudille, jamais très raide sauf le final mais constante et caillouteuse. Je me laisse décrocher d’un duo qui va très fort, j’ai été stupide de me laisser embarquer. C’est dur, il fait chaud, je souffre. J’ai bien ralenti pour que cela passe mieux, (spoiler : blague Carambar en vue) en relativisant la situation et me laissant guider par mon Einstein.

Je a dit…

Mont St Baudille

1h48 pour faire 11 kms, pfff... et c’est le ravito no2 au pied des antennes du Mont St Baudille, km 32 en 4h33 de course. J’y apprends que la féminine est 3ème, ce qui veut dire que je suis effectivement rapide selon mon baromètre « podium féminin » (podium que je peux parfois décrocher en grande forme et alignement des planètes). Ce ravito est aussi frugal que le précédent, j’y grignote des quartiers de bananes, des TUCs et surtout j’y refais le plein d’eau, impératif avec la chaleur. Nous apercevons tout au loin le Pic St Loup, ah le Pic…

Je repars entamé par cette longue montée, d’abord sur de larges pistes terreuses puis une longue portion de montagnes russes par les crêtes du Pioch Farrio -> Pioch de Roquebrune -> Pioch de Fraïsse-> Roc des Agrunelasses -> Pioch de la Boffia (km 39.5). Pioch, ça veut dire que colline en occitan, et comme ça monte, (attention, blague Carambar is coming) je pioche dans mes réserves mentales. La 3ème féminine pioche aussi.

Enfin, le profil se radoucit, le chemin s’élargit et nous basculons dans la Vallée de la Buèges vers Pégairolles-de-Buèges par une piste rocailleuse et en épingles. Je reste au contact de la féminine, nous traversons la route des Lavagnes, puis courte descente suivie de la montée vers le village et le ravito no3. Depuis une vingtaine de minutes, il fait un temps de lama : du crachin.

Je a dit…

Pégairolles-De-Buèges

Le village se mérite car il est perché et les derniers mètres sont rudes. La pluie prend de l’ampleur et soudain, c’est l’orage qui oblige les bénévoles à débarrasser en catastrophe les tables du ravito pour les mettre à l’abri. J’ai juste le temps d’attraper du pain, du saucisson et du fromage et j’improvise un sandwich ramolli à l’eau de pluie sous un arbre. Je voulais marquer une bonne halte à ce joli ravito au cadre bucolique mais trempé jusqu’aux os, je ne pense qu’à repartir pour bouger et me réchauffer. Dommage… C’était le km 47.5 et 6h43 de course.



Nous descendons (ça glisse) et remontons au Hameau de la Méjanelle, rejoignant ainsi le parcours du 75 kms : mon moral dépose un préavis de grève mais heureusement, la pluie commence déjà à cesser et nous a rafraîchi. Le tonnerre, lui, continue à gronder au-dessus de nos têtes, inquiétant les Gaulois que nous sommes, exposés sur les crêtes mais sa menace se tiendra à distance.

La montée de Peyre Martine est redoutable et je fais un break en arrivant au Cirque de la Séranne parmi des bénévoles enjoués. Je leur sors ma blague culte « L’ascenseur est en panne, il faudra penser à le faire réparer ». Là, un coureur très cool, Jo, me rattrape et marque également cette pause. Nous ferons un bout de trail ensemble jusqu’à Brissac, un des bons côtés du trail où l’on croise des gens et partage des tranches de vie.

Malgré cette halte, nous rattrapons la 3ème féminine qui fait le yoyo et n’est pas au mieux. La présence de Jo m’aide à ne pas penser à la fatigue qui m’a envahi. Je lui fais remarquer que l’on voit de l’autre côté de la vallée le Monthaut où nous sommes passés tôt ce matin. Grimpette vers Peyre Martine, passages en descente dans les bois en large piste, coupes de troncs, puis plongée vers St Jean-de-Buèges encore et toujours dans les cailloux. Dutronc s’est trompé, ce n’était pas « Le monde entier est un cactus » mais « est un caillou » qu’il fallait chanter.

Je a dit…

St Jean-De-Buèges

Le ravito no4 est abrité, je m’assoie 15 minutes et me repose : soupe à la tomate, jambons, tucs, bananes sous les airs de yukulélé du ménestrail : ce gars est extraordinaire de bonne humeur malgré la distance. 8h54 et km 57. 2h pour faire 10 kms, ça pique mais ce n’est pas fini, il reste le Roc Blanc au menu.

Je repars tranquille avec Jo et je serre les dents dans la montée du Roc Blanc. Il me distance inexorablement, je fais des pauses régulières. Sur le plateau, je m’arrête, comme à Peyre Martine et je tente de récupérer, ça ne va pas fort. La 3ème féminine est au plus mal également et comme souvent, la souffrance des uns fait la vigueur des autres alors je repars au petit trot dans les roches et la garrigue basse vers le redoutable Requin Roc Blanc que l’on voit au loin. Je rattrape petit à petit Jo, ce qui me requinque. La fatigue n’est qu’une information que j’essaie d’ignorer.


Je a dit…

Le Roc Blanc

Jo et moi rediscutons jusqu’au sommet, km 65 et 11h14 de course, 5ème ravito. Qui voit-on au loin ? Le Pic St Loup, ah le Pic qui tutoie le ciel à l’horizon… Paradoxalement, ça va mieux, je mange un peu et range les bâtons pour la longue descente vers Brissac. La 3ème féminine est larguée, elle ne nous reverra plus.

La descente se passe tout en gestion, en contrôle, en récup pour essayer de limiter la grosse fatigue qui m’habite. Nous reprenons la discut mais sur le final, Jo décroche un peu.

Je a dit…

Brissac

Nous arrivons à la base de vie de Brissac, km 72 en 12h25, les cuisses en copeaux, les mollets en marmelade. Enfin un gros ravito avec pâtes et saucisses, bières et vin… Mais le top, c’est ma femme qui m’a fait l’excellente surprise de m’attendre là, et ça, ça n’a pas de prix. Mon moral crève le plafond, je suis au bord des larmes, aux anges, sur un petit nuage, merci, merci, merci. Je m’allonge dans un transat et profite du moment. Un autre pote me rejoint, c’est super sympa et tout cela restera le meilleur moment du trail pour moi, convivialité et repos. J’ai récupéré mon sac de délestage, je refais le plein d’eau « améliorée » et de barres énergétiques. Je mange tant bien que mal des pâtes et de la saucisse et soudain, le froid m’envahit, je grelotte. On me couvre mais je veux repartir pour me réchauffer. Je vais voir Jo qui prolonge encore sa pause alors je repars seul après avoir ressorti les bâtons. Jo terminera 30 minutes derrière au final…

Boosté, je traverse avec un rythme décent la longue section roulante menant à ND De Suc (km 75) jusqu’au pont de St Etienne d’Issenssac (km 80,5). J’ai récupéré Charles, un autre coureur sympa avec lequel je vais faire le yoyo. La montée vers la Guichette est d’abord tranquille et puis j’ai le bide qui a des ratés, le moral dans les choux pour faire dans la métaphore potagère et la fatigue qui joue au boomerang. Le dernier km jusqu’au ravito est un calvaire, km 84,5 en 14h53. Le Dieu du trail m’a tourné le dos.

Je a dit…

La Guichette

Les bénévoles sont adorables et mettent l’ambiance. Je m’assoie et essaie de récupérer : impossible d’avaler autre chose que de l’eau et en quelques minutes, je me refroidis et claque des dents, ça ne va pas du tout. Je me maudis de ne pas avoir pris plus chaud qu’une légère veste que j’ai enfilée à Brissac. Je repars alors en marchant vite pour me réchauffer dans le sous-bois du Bois de Garde. La nuit commence à tomber, c’est par là que j’avais prévu de remettre la frontale initialement. Marcher vite me convient, je ne change rien et avance dans ma bulle. Descente vers le Ravin des Arcs, traversée du ruisseau Lamalou par un pont de fortune : plouf, un pied dans l’eau, wopitain ! Tant pis pour le floc-floc, nous remontons du Lamalou par une piste balisée caillouteuse, alors que la pénombre se fait plus dense. Heureusement, l’éclairage naturel des roches calcaires blanches assure une visibilité correcte.

Je suis rejoint par Charles qui envoie du bois, je m’accroche (Charles, attends !) et nous rejoignons un groupe de 5 coureurs. Le soleil rend le jour à la nuit, leur frontale est allumée, je suis à la traîne mais reste au contact jusqu’à l’ancienne carrière de la Suque et un ravito avant la traversée de la route (km 90.5). C’est là qu’il fait désormais nuit noire alors j’allume également ma frontale. La portion qui s’annonce me terrorise, 12.5 kms jusqu’à St Martin de Londres : l’an dernier, j’y avais laissé des plumes, taille autruche. Même s’il n’y a pas de difficulté majeure, c’est interminable et sans repère. Les organisateurs ont annoncé une modification en 2018 : rallonge d’1 km mais plus roulant dans l’ensemble.

Le groupe de 5 dont je fais (plus pour longtemps) partie se lance vers St Martin. Nous montons puis basculons vers une piste large. Le groupe a explosé, moi avec et je suis de plus en plus en retrait. Tant pis, je me laisse décrocher, je n’ai pas l’énergie. Je me recentre sur moi, capte les bonnes ondes autant que je peux et réceptif à mon environnement : la température est douce, la lune en croissant et les étoiles sont comme des tâches de rousseur sur le visage du ciel nocturne. J’éprouve de la gratitude et toute la chance d’être là. Le bruit des animaux me distrait et m’intrigue : nous devons passer à côté de mares d’après les croassements des grenouilles. Des oiseaux se répondent, des branches bruissent, un papillon de nuit se prend dans ma frontale. Nous enchaînons plusieurs pistes, c’est effectivement plus roulant que l’an passé. Je suis isolé dans la sphère de mon faisceau lumineux comme une souris dans sa roue, sans idée de ma destination ni de ma progression, dans un tunnel sans fin. Une grosse et longue montée dans un pierrier me siphonne le peu de jus qu'il me reste, c’est dur et en plus, c’est dur.

J’aperçois enfin dans la nuit les lumières d’habitations vers St Martin de Londres. Je récupère une paire de coureurs en perdition, oui, c’est possible, il y en a plus mal que moi. Et je retrouve Charles aussi mal en point, qui parle d’abandon alors qu’il reste 2 kms avant le ravito.

Je a dit…

St-Martin-de-Londres

Nous rentrons dans le village pour descendre en son centre dans la grande salle des fêtes : il est presque minuit, l’heure du crime : moi, c’est le Roc Blanc et La Guichette qui m’ont tué. Km 103 et 18h10 de course, minuscule satisfaction, j’ai battu mon record de distance (100 kms) mais à quel prix. Je m’assoie sur une chaise, hagard, au bout du bout du rouleau (soit la lettre « u ») : cette dernière section m’a tout pris, le courant est coupé, je suis une coquille vide, mes jambes un champ de ruines. Je ne sais pas si ni comment je vais repartir. Les bénévoles toujours aussi sympas sont aux petits soins et j’ai droit à un massage des jambes. Cela me touche mais n’y change rien. Je déglutis des pâtes trop cuites qui baignent dans de l’eau tiède que l’on m’a tendue. J’ai autant envie de les avaler que de siroter l’eau d’un pédiluve. Il me faudrait du pain elfique pour repartir mais point de Hobbits à l’horizon. Et bang, je reclaque des dents, grelotte comme un nudiste parkinsonien sur la banquise en hiver. Alors j’emprunte la doudoune d’un secouriste et me réchauffe tant bien que mal. Il faut impérativement que je reparte pour réactiver ma chaudière. Dans la salle, Charles est réconforté par des potes, il n’a pas l’air au mieux.

La 2nde féminine est là, tout à côté, en train de se préparer pour repartir. La 2nde féminine, ce n’est pas possible, qu’est-ce qu’elle fait là ? Une bénévole me propose de repartir avec elle mais je me sens trop faible pour l’instant. Et pourtant, le corps recèle des ressources cachées, un peu comme le tube de dentifrice, on croit qu’il est vide mais il en reste toujours un peu en appuyant fort dessus. Alors j’appuie fort, et je me lève, et je remarche et je ressors de cette salle et en avant vers le Pic, ah le Pic.

Dehors, j’ai sacrément froid, je tente un petit trot (on parle d’un gros 6 km/h là, n’exagérons rien) et à nouveau, je sens la chaleur me requinquer.

Passés ces vicissitudes, je sors de St Martin, direction Mas-De-Londres où j’aperçois un trio de coureurs dont la 2ème féminine.

Je suis tout ce monde à distance de frontale et nous plongeons dans vers le Lac de la Jasse. Malgré la descente, j’ai du mal à courir, uniquement par petites portions et malgré tout, je rattrape et dépasse la 2nde féminine, ce doit être une hallucination.

Au niveau du lac, nous partons à droite et ça monte lentement mais sûrement jusqu’à la face Nord du Pic, ah le Pic. Montée raide en sous-bois puis montée plus douce vers le col des tours ruinées. Je suis exténué, balaie d’un revers de la main les cahots de mon moral et ne lâche rien. Tout en haut, bascule vers Cazevieille où j’arrive à trottiner.

Je a dit…

Cazevieille

Ultime ravito atteint en 20h17 de course, km 112 (2 heures pour faire 9 kms, qui dit mieux ?)

Les bénévoles me demandent ce que je veux : « Un bol de moral et un grand verre d’énergie » fais-je le malin. Ce à quoi répond l’un d’eux « Avec une paille ? ». J’esquisse un sourire et réponds dans un cri de tendresse mal dissimulée : « On va y arriver, ‘kulée de sa race de vérole bubonique de meeeeerde, c’est dur, mais on va y arriver. ». Je mange une banane qui est finalement le seul aliment digeste pour moi : c’est bien la preuve irréfutable que l’homme descend du singe. Puis il faut se bouger le train une dernière fois pour atteindre le terminus (humour de traileur en dérive).

Alors je repars une dernière fois alone in the dark. Ascension interminable du Pic tout en marchant, bascule à la Croisette mais pas d’euphorie car descente très très pénible surtout de nuit, aucun risque, je continue à marcher. Puis quelques monotraces de terre où je trottine pour faire semblant d’être vivant. Et voilà Charles qui me dépasse en courant d’air, Charles magne, c’est incroyable ! Plus bas encore, c’est moi qui dépasse les derniers coureurs du 75 kms, c’est doublement incroyable…

Et là, arrivé au parking du départ du GR, je recours jusqu’à l’arrivée, ben ouais, c’est reparti, je termine tranquille sans blessure ni défaillance malgré toute la fatigue qui m’a tenu compagnie depuis très tôt la veille.

Je a dit…

St-Mathieu-de-Tréviers

Il est presque 3 heures 30 du matin, des jeunes qui sortent ou rentrent de soirée m’encouragent dans leur voiture, c’est marrant. J’arrive enfin sous l’arche que je connais très bien franchie en solitaire alors que s’affiche mon temps sur l’écran tout proche : 22h02 pour 120 kms et 37ème. Si le temps n’est pas terrible, le classement me laisse pantois, avec l’impression d’avoir été dans le dur depuis le début et pourtant ça a tenu tant bien que mal (j’apprendrai a posteriori avoir été classé 40ème à St Guilhem et avoir constamment oscillé entre la 43 et 38ème place). Pas d’enthousiasme particulier, peut-être trop de fatigue contenue. Je rentre dans la salle, refuse le repas de lentilles et la bière (c’est dire si c’est grave) que l’on me propose. Je veux juste boire un peu de café chaud puis prends le t-shirt Finisher et vais directement me coucher comme un clochard dans ma voiture garée à proximité.


L’Ultradraille, c’était ultra-dur comme du caillou, des bénévoles extraordinaires, vraiment, et de beaux paysages. Mais c’était dur aussi (peut-être l’ai-je déjà dit).

Source : http://www.kikourou.net/recits/recit-20148-festatrail_-_ultra_draille-2018-par-coureur_du_34.html