Décision par consentement
[Extrait du
guide des outils pour agir publié par la Fondation Nicolas Hulot et réalisé en partenariat avec
L’Université du Nous.]
1. Définition
La gestion par consentement est la pratique de décision collective
associée à la sociocratie, un modèle organisationnel issu des théories
systémiques qui a émergé en Hollande dans les années 70 sous l’impulsion
de Gerard Endenburg. Il vise à favoriser l’expression et la
responsabilité des membres de l’organisation à travers notamment la
co-décision dans une relation d’équivalence au pouvoir. Ce dernier point
introduit une forme d’organisation construite en cercles qui délimitent
les différents périmètres d’autorité d’une organisation. La prise de
décision par consentement se différencie de la prise de décision par
consensus : en consensus tout le monde dit « oui », en consentement,
personne ne dit « non ». Cela sous-entend que lorsque l’on prend une
décision par consentement, on ne va pas chercher la « meilleure solution
» mais l’on va partir du principe qu’une bonne décision est celle qui
respecte les limites de celles et ceux qui devront l’assumer, et qui ne
compromet en rien la capacité de l’organisation à mener à bien sa
mission. Le consentement implique qu’une décision ne peut être prise que
lorsqu’il n’y a plus d’objection raisonnable à celle-ci. Tant qu’il y a
des objections, l’ensemble du groupe est mobilisé pour bonifier la
proposition. Ainsi, les objections permettent de révéler les limites
avec lesquelles le groupe devra composer et indiquent donc l’espace de
liberté dont le cercle dispose. L’affectation des personnes à leurs
fonctions ou la délégation d’une mission peut également se réaliser par
consentement. On utilise alors un second processus sociocratique appelé
«l’élection sans candidat » qui, par définition, permet d’ouvrir une
grande diversité d’opportunité au groupe puisqu’au départ il est
possible d’élire chacun des membres de l’organisation. Elle permet de
mettre en lumière les qualités requises pour le poste et de valoriser
les richesses humaines disponibles.
LE FACILITATEUR
À la différence de l’animateur qui emmène un groupe vers un objectif à
atteindre, le rôle du facilitateur est de dérouler les différentes
étapes proposées dans le processus de décision. Qu’il soit ou non
membre, il n’a pas de pouvoir sur le groupe. Il n’est pas plus
responsable que les autres membres du groupe de la qualité du résultat
obtenu.
LE SECRÉTAIRE
Dans le cercle, le secrétaire assure un relevé des décisions et de la
matière qui ont émergé de la séance. Durant les prises de décisions, il
seconde le facilitateur en notant les propositions, amendements,
objections et bonifications. Il est également celui qui remplace le
facilitateur lorsque ce dernier est impliqué directement dans une phase
du processus. Par exemple, pendant que le facilitateur est concentré sur
le traitement d’une objection qu’il a posée, il peut demander au
secrétaire d’assurer la facilitation du processus et la reprendra
ensuite. Les rôles de facilitateurs et de secrétaires sont attribués par
le processus de l’élection sans candidat afin de donner toute la
légitimité nécessaire à ceux qui assureront ces missions.
CIRCULATION DE LA PAROLE
S’il est socialement extrêmement simple de se répartir la nourriture
contenue dans un plat, il est beaucoup moins naturel de se répartir la
parole. À défaut d’une plus grande sagesse collective, les processus
régissent la circulation de celle-ci et le facilitateur peut, selon les
étapes du processus ou les circonstances, proposer différentes façons de
la distribuer :
- Parole tournante : le facilitateur lance la parole à
sa droite ou sa gauche. Chacun s’exprime à son tour. Si quelqu’un n’est
pas prêt, il peut passer. Le facilitateur reviendra vers lui une fois
le tour terminé.
- Parole au centre : pour inviter chacun à s’exprimer
sur le sujet lorsque bon lui semble. À noter que cette pratique demande
de la discipline pour rester centré sur le sujet de départ et ne pas
réagir à ce que la personne précédente a exprimé.
- Parole libre : permet de libérer la circulation de
la parole. Celles et ceux qui souhaitent s’exprimer le font. On utilise
ce terme en cercle dans l’intention de ne pas rentrer en débat. Chacun
s’exprime pour nourrir le centre, c’est à dire pour faire avancer le
groupe dans le processus de décision.
L’ÉCOUTE DU CENTRE
Écouter le centre, c’est écouter attentivement ce qui émerge du
groupe au-delà de l’expression de chacun de ses membres. Si l’on
considère que chaque personne a sa vérité et que personne ne détient LA
vérité, alors le cercle sera d’autant plus riche que chacun dispose
d’une facette de la résolution de la problématique qui est au centre.
L’écoute du centre invite ainsi chacun à écouter ce que l’autre a à
offrir dans une posture de coopération, en lâchant son point de vue
(potentiellement divergeant) sur la question et en essayant d’entrevoir
en quoi ce qui est dit peut servir le sujet commun.
L’écoute du centre repose sur l’implication de chacun à nourrir le
centre, c’est-à-dire d’aller lors de son tour de parole, écouter « ce
qui est juste » en soi, participer de façon active, précise, argumentée
de sorte à éclairer, apporter de la matière à la construction commune.
2. Mise en œuvre avec deux outils : l'élection sans candidat et la gestion par consentement
A. LA GESTION PAR CONSENTEMENT
0. Préparation de la proposition
- Écoute du centre : chacun est invité à formuler les éléments
importants relatifs au point traité. Cette phase peut prendre la
tournure d’une discussion ouverte, cela peut être un temps à part
entière.
- Élaboration de la proposition : déterminer le sujet, la problématique, les arguments.
Il
est conseillé de faire une proposition simple au départ, qui sera
transformée par intelligence collective au travers du processus de
gestion par consentement.
Deux possibilités sont offertes :
- le facilitateur peut demander à une personne de formuler une proposition,
- quelques personnes peuvent constituer un groupe d’amélioration qui
va plancher sur l’élaboration écrite et argumentée de la proposition.
- Présentation de la proposition : une personne est « porteuse » de la proposition, une seule proposition est traitée à la fois.
1. Clarifications : est-ce clair ? Est-ce que je comprends ?
Chaque participant pose des questions en vue de comprendre la
proposition dans son ensemble. C’est le porteur qui répond et clarifie
les éléments de la proposition. L’objectif est d’ôter tout doute ou
possible interprétation erronée de la proposition, cependant le porteur
ne répond pas aux « pourquoi ? ». Il ne s’agit pas à ce stade d’exprimer
ce que l’on ressent vis-à-vis de la proposition (phase 2).
2. Ressentis : en quoi la proposition vient satisfaire mes besoins, ceux du projet par rapport à l’organisation ?
Chacun exprime ce que la proposition lui évoque. C’est à ce stade
qu’un maximum d’informations peuvent être exposées afin de nourrir le
proposeur pour lui permettre d’amender la proposition en phase 3.
Le proposeur tente d’avoir une écoute large, de saisir la température globale de ce qui se dégage au centre.
3. Amendements
Le proposeur est invité, sur la base de ce qu’il a entendu, à, éventuellement :
- Reclarifier la proposition.
- Amender la proposition : proposer des modifications (ajouts, retraits).
- Retirer la proposition s’il s’avère qu’elle n’est pas pertinente. En
cas de retrait, le processus reprend à la phase 0 avec une nouvelle
proposition.
4. Formuler les objections
Les objections ne sont pas des préférences, des avis, d’autres
propositions, c’est ce que l’on considère comme des limites pour soi et
pour la mise en œuvre du projet.
- Le facilitateur fait un tour pour savoir si les membres du groupe
ont des objections. Dans un premier temps, ils sont juste invités à dire
si « oui » ou « non » ils ont une objection. S’il n’y a que des « non
», la proposition est adoptée, aller directement en célébration. S’il y a
des objections, elles sont écoutées et traitées une à une. La
formulation d’une objection n’est pas la formulation de la solution à
celle-ci. Le facilitateur se centre sur l’obtention de la formulation de
l’objection. Il note les objections au tableau avec le prénom de la
personne qui les porte. Émettre une objection, c’est s’en défaire comme
quelque chose de personnel pour en faire la richesse du groupe. Une
objection est un véritable cadeau pour le groupe : elle va lui permettre
d’aller plus loin en explorant des parties de la proposition encore
inexplorées.
- Le facilitateur teste les objections D’abord, identifier si une
objection annule la proposition. Si c’est le cas, retour en 0. Le
facilitateur n’a pas le pouvoir de dire si l’objection est raisonnable
ou non. Il peut seulement poser des questions afin d’aider celui qui
porte l’objection à le déterminer.
Une objection est raisonnable si :
- Elle invite à une bonification de la proposition par l’intelligence collective du groupe.
- Elle élimine la proposition, en la rendant impossible à réaliser (on gagne du temps en passant à une autre proposition).
- Elle est argumentée de manière claire.
- Elle n’est pas une manière détournée, consciemment ou non, d’exprimer une préférence ou une autre proposition.
5. Bonifications
Le facilitateur traite les objections une par une. Les objections
posées au centre sont celles du groupe. La discussion est libre, chacun
peut apporter des solutions dans le but de lever l’objection traitée. Le
facilitateur s’assure régulièrement de vérifier que l’objection se lève
auprès de la personne qui l’a émise. Si une solution lève l’objection
d’une personne, celle-ci en informe le groupe.
Après un tour de levée d’objections, le facilitateur s’assure que de
nouvelles ne sont pas apparues. Lorsqu’il n’y a plus d’objection, il y a
consentement mutuel, la proposition est adoptée.
Les étapes du processus de 'gestion par consentement'
B. L’ÉLECTION SANS CANDIDAT
0. Définition : fonction, critères, mandat (effectué par le groupe)
Le secrétaire écrit ce qui émerge sur un tableau afin que les
informations soient visibles de tous. Il peut reformuler mais il ne
censure, ni n’interprète ce qui est proposé.
- Définir la fonction
Il s’agit de clarifier les
missions afférentes au poste. Quelles tâches ? Quelles responsabilités ?
Quel périmètre d’action ? La fonction est généralement déterminée en
amont. Une écoute du centre suivie d’une gestion par consentement peut
permettre au groupe de l’établir.
- Lister les critères de choix
Chacun exprime,
selon son point de vue, quels seraient les critères pour remplir la
fonction déterminée. Les critères peuvent être contradictoires. Ils
pourront être la base de l’argumentation qui suivra, mais pas de façon
restrictive. Cela permet une écoute globale par le groupe.
- Définir le mandat
Combien de temps ? Quelles conditions ? (Rémunération, nombre d’heures...).
1. Voter
Chacun vote sur un papier collant, écrit son nom et pour qui il vote : « moi X... je vote pour Y... ».
Ce n’est pas un vote à « bulletin secret », il est inutile de plier le bulletin de vote.
Le secrétaire récupère les papiers et les transmet au facilitateur.
2. Dépouillement
Le facilitateur lit à voix haute les résultats, il demande à chaque
personne les raisons de son choix : « X... tu as voté pour Y..., peux-tu
nous dire pourquoi ? ».
Chacun, au fur et à mesure du dépouillement, va argumenter son choix
au groupe, va mettre en avant les qualités qu’il voit en la personne
proposée et les raisons pour lesquelles elle pourrait remplir la
fonction attendue.
Au tableau, le secrétaire inscrit le nom de la personne proposée et aligne en face le ou les papiers collants.
3. Report de voix
« À l’écoute des arguments : qui souhaite reporter sa voix ? »
À l’invitation du facilitateur, et à l’écoute des arguments évoqués
lors du dépouillement, chacun peut, s’il le souhaite, reporter sa voix
vers une autre personne ayant été proposée en 2. Ce n’est pas
obligatoire.
La personne qui effectue un report argumente son réajustement. Si une
personne n’obtient plus de voix à la fin de cette étape, elle ne sera
plus éligible pour la suite du processus.
4. Proposition
Le facilitateur va demander au groupe si quelqu’un a une proposition
de personne parmi les nominés. Cette proposition sera le départ d’un
processus de gestion par consentement afin d’élire la personne qui sera
proposée. La proposition peut concerner toute personne ayant au moins
une voix après le tour 4. À ce stade, se remémorer le changement de
paradigme proposé par l’élection sans candidat : n’est pas recherchée la
meilleure personne, mais celle qui saura répondre à la fonction
spécifiée.
5. Émettre les objections
Le facilitateur fait un tour en s’adressant à chacun pour savoir s’il
y a des objections à ce que la personne proposée soit élue à la
fonction. Dans un premier temps, est juste évalué le nombre
d’objections. Le facilitateur ne s’adresse pas encore à la personne
proposée, elle sera consultée en dernier.
S’il y a des objections, elles sont écoutées. Le secrétaire les note au tableau avec le prénom de celui qui les porte.
Les objections ne sont pas formulées contre la personne, elles ne marquent pas le fait d’une préférence pour une autre personne.
6. Bonifications
La facilitateur, en fonction du nombre d’objections et leur variété, a la possibilité de :
- retourner en 4. et demander si quelqu’un a une autre proposition
afin de voir si une autre personne proposée serait plus à même d’être
élue avec moins d’objections à lever.
- Traiter les objections.
Le facilitateur traite les objections une par une. Les objections sont devenues celles du groupe.
La discussion est libre, chacun peut apporter des solutions dans le but
de lever l’objection traitée. Le facilitateur s’assure régulièrement de
voir si l’objection se lève auprès de la personne qui l’a émise. Si une
solution lève l’objection d’une personne, celle-ci en informe le
groupe. Quand toutes les objections sont levées, le facilitateur
s’adresse enfin à la personne proposée et lui demande si elle émet une
objection à être élue
- si « non », la proposition est adoptée, aller en célébration
- si « oui », traiter l’objection. Si l’objection argumentée ne peut
pas être levée : retourner en 4. Lorsqu’il n’y a plus d’objection, il y a
consentement mutuel. La personne est élue !
Célébration
Pour marquer le fait que l’élection a été prise en consentement
mutuel, se féliciter pour cette étape franchie en groupe. Au groupe de
définir la manière dont il va célébrer cela (applaudissements, repas,
fête...).
Les étapes du processus 'élection sans candidat'
Sources : « La démocratie se meurt, vive la sociocratie », Gilles Charest, Centro Esserci, 2007.